El Diario Latino #3
D’emblée, la conversation a pris un tour plus qu’intéressant. C’est marrant comment ça marche. On commence à évoquer son voyage, ses passions, son taff d’écrivain, et on en arrive à parler de Pablo Escobar, Nietzsche et Bukowski. Au final, j’ai passé la journée à parler avec le Colombien. Il y avait quelque chose de surréaliste à se trouver si loin de chez soi, en plein cœur des Caraïbes, à creuser la pensée de Schopenhauer, la vision artistique de Fante et la façon d’écrire de Buko.
Bahia Aguacate, Colombie : Jour 25
Un voyage en bus qui fait pleurer
Le voyage depuis Santa Fé jusqu’à Turbo a été assez inconfortable. J’ai perdu l’habitude de pas avoir ma place à la fenêtre, mais quand j’ai grimpé dans le bus il était déjà plein. C’est la haute saison ici, et les gens débarquent en masse vers la côte depuis Medellín. Ceci dit, je l’ai plutôt bien pris, me contentant de regarder le bout de paysage à moitié caché par la tête de mon pionceur de voisin qui m’était dévolu, en bouffant les fruits que je m’étais achetés au terminal.
Petit à petit, le bus s’est vidé de ses occupants, et durant les dernières heures de voyage j’ai retrouvé ma position fétiche, le nez collé à la vitre. Pour plonger dans quelque chose de sombre.
J’ai déjà dit que la longue contemplation induite par les trajets qui durent des heures étaient propices à la méditation, et à une certaine introspection, un examen dépassionné de soi-même, de son passé et de son futur, bien loin du tumulte un brin pathétique et surtout affreusement stérile qui prend place au sein de notre tête dans la folie du quotidien, où quasiment toutes les pensées naissent de la peur, de la volonté mesquine de dominer les autres, et surtout de la certitude égotique que le monde tourne autour de soi.
La contrepartie de ce regard neuf, qui plonge aussi loin en soi que dans le monde, est qu’il amène vers la surface des éléments qu’on pensait enterrés. Comme une sorte d’auto-hypnose, probablement. Dans la vie normale, on ne prend jamais le temps d’être inactif pendant si longtemps (sept heures, par exemple, comme ce voyage en bus). Pas étonnant que ce matériel psychique reste hors de notre portée. Mais dans ces circonstances, pas le choix que d’être entièrement immergé en soi. C’est assez étrange, cette résonance que la contemplation du monde provoque. Cette résonance avec son moi profond.
Comme un tambour primitif qui appelle à la vie, à la lumière, les échos d’anciennes souffrances, pour les faire danser sous le regard de notre conscience devenue extralucide.
J’ai pas envie d’entrer dans les détails de ce qui s’est passé, mais j’ai pleuré en silence durant une heure, seule face à ma vitre. J’éprouve aucune honte à pleurer devant des étrangers, mais je me suis tout de même contenue du mieux possible. Parce que si la digue avait cédé autant qu’elle le souhaitait, les torrents de douleur qu’elle retenait auraient inondé l’ensemble du monde. Le mien, et probablement celui des autres.
Il y a pourtant un étrange constat à faire au sujet de cet épisode. La vérité, c’est que j’étais rassurée que cette souffrance vive encore en moi, aussi vraie, aussi profonde que le jour de sa disparition. Il m’était souvent arrivé de me sentir coupable de l’avoir si vite acceptée, d’avoir pu continuer ma vie comme si le pas avait été définitivement franchi. Réaliser qu’il n’en était rien, que la tristesse était toujours aussi vive, aussi brûlante près d’un an et demi après, m’a fait comprendre qu’elle existerait là, pour toujours, et qu’il suffisait que je plonge les yeux suffisamment longtemps dans l'abîme pour la ressusciter, et l’éprouver dans toute sa démence, dans le vide sans fond qu’elle avait creusé, et qui m’habiterait à jamais, tel un nouveau constituant de mon être.
Exister par le vide, avec un creux, un puits creusé en plein cœur… et pouvoir malgré tout continuer à fonctionner. Peut-être plus riche, plus dense, plus complexe grâce à cette place un jour habitée, désormais vide. Comme l’écho de la mer dans un coquillage. Ça faisait chaud, et aussi atrocement froid.
Mais c’était moi. C’est ça que je suis désormais.
Le vieux Black à la chariote
Arrivée à Turbo, la nuit n’était plus très loin, et en sortant du bus j’ai cherché des taxis sans pouvoir en trouver un seul. Ça me paraissait zarbi, étant donné que le terminal était plutôt excentré. C’est là qu’un vieux black m’a abordée, en me voyant errer comme une gourde, me proposant de me conduire à mon hôtel, moi et mes sacs, dans sa chariote à roulette qu’il manœuvrait comme un vélo. Mais ça va faire lourd pour toi, j’ai grogné en désignant mon équipement et ma propre personne. Nan, pas de problème, il a fait, je peux transbahuter beaucoup plus.
C’est là que j’ai aperçu les motos. Pas des moto-taxis, des vraies motos. Dans certains bleds, c’est ça, les taxis. Mais le vieux paraissait ravi de me conduire, et il avait visiblement besoin de sous puisque quand j’ai tiqué sur le prix annoncé, il m’a demandé combien j’étais prête à lui offrir. Ça a achevé de me convaincre. Et puis je le sentais bien. Il m’appelait déjà mi amor et mi reinita (bon, comme ils font tous par ici, même entre eux, même de femme à femme ou d’homme à homme), et on a papoté comme deux vieux potos tout le long de la route jusqu’à l’hôtel (y a pas eu moyen qu’il m’emmène à celui que je voulais, mais j’ai pas trop lutté non plus, acceptant qu’il me largue à celui qu’il avait élu. S’il touchait une commission grâce à moi, tant mieux pour lui). D’ailleurs, au moment de le payer, je lui ai finalement fourgué le prix initial qu’il m’avait demandé.
Ai-je déjà dit que je marchande quasiment jamais ? Je conchie le principe de faire baisser les prix à des gens qui ont beaucoup moins de pouvoir d’achat que moi. Baisser un prix de quelques milliers de pesos représente souvent quelques euros pour moi, mais énormément pour eux. Donc, merde à la sacro-sainte loi du touriste qui moyenne comme un perdu et se sent fier de lui quand il parvient à ses fins. Depuis mon premier voyage, j’ai adopté cette ligne de conduite et je m’y tiens.
Bref, l’hôtel donnait sur la rue hyper bruyante, mais je savais que ça allait pas m’empêcher de pioncer. J’ai observé la vie de cette ville depuis la terrasse de ma piaule, une Corona et un paquet de clopes à portée de main. Le lendemain je devais partir super tôt pour choper un bateau pour le bled de mes potes, près de Capurgana.
De la flotte plein la gueule, un paradis perdu et un Colombien fan de Bukowski qui cause scopolamine
A six heures du mat, il pleuvait sa race et je m'inquiétais un peu de la traversée que j’allais me farcir avec ce temps de chiotte et la mer que j’imaginais ultra agitée. Mais le chauffeur de taxi qui m’a conduite à l’embarcadère m’a dit que les eaux étaient calmes quand il flottait comme ça. En même temps, c’est des détails dont je me moque un peu. Je savais que je pouvais protéger mes affaires avec des sacs plastique vendus sur place, et j’ai quasiment peur de rien. Une mer agitée, c'est chiant sur le moment, mais les pilotes savent gérer le truc, alors pourquoi s’en faire ?
On a décollé à huit heures. La pluie avait cessé et la mer était calme. Y avait pas grand-chose à voir au départ, mais je savais très bien que j’étais en partance pour un paradis, et ce changement de moyen de transport me ravissait. Un voyage n’est total que quand on cumule toutes les façons de se déplacer : avion, bus, 4x4, bateau, pirogue, cheval… Ça c’est du trip, bon sang de bois !
C’est quand on a débarqué les premières personnes et qu’on s’est arrêtés pour une pause pipi que j’ai réalisé l’ampleur du délire : eau turquoise, cocotiers, musique à fond dans les bars, des Blacks partout. Putain, j’étais à nouveau en plein rêve !
Manque de bol, la pluie s’est remise à tomber pour la dernière demi-heure de trajet, et je m’en suis pris plein la gueule, obligée de fermer les yeux face à la flotte, pluie et vagues salées, qui me fouettaient et me cinglaient la face en continu. Mais c’était tellement marrant de sentir le bateau cogner l’eau, les yeux clos comme dans un grand-huit, incapable de prédire le prochain coup, à la merci des flots.
Le bateau m’a larguée toute seule sur une plage qui semblait abandonnée. La pluie tombait toujours et je me suis réfugiée pour fumer une clope sous l'auvent d’une baraque qui elle aussi paraissait inhabitée. On m’avait dit que l’hôtel était en face dans la montagne, en pleine jungle, et que j’avais qu’à demander aux habitants où il se trouvait.
Donc no panic, une fois de plus.
J’ai repéré deux nanas qui semblaient attendre quelque chose, et me suis mise à taper la discute avec elles. Y se trouvent qu’elles attendaient un gars de l’hostal où je devais aller, qu’allait venir les chercher. Nickel. Deux secondes après il était là, et on a grimpé la pente boueuse qui menait vers les hauteurs jusqu’à ce fameux Hostal Doble Vista, qui porte bien son nom. Un mirage tout en bois et hamacs, cabanes au toit de palme, dont le QG est une plateforme sur deux étages ouvrant sur 360 degrés de jungle et de mer. J’ai salué mes potes, pris possession de ma bicoque à la Robinson, et suis revenue me taper une bière avec les femmes de Bogotá que j’avais rencontrées en bas et un jeune Colombien qui squattait dans le coin.
D’emblée, la conversation a pris un tour plus qu’intéressant. C’est marrant comment ça marche. On commence à évoquer son voyage, ses passions, son taff d’écrivain, et on en arrive à parler de Pablo Escobar, Nietzsche et Bukowski. Au final, j’ai passé la journée à parler avec le Colombien. Il y avait quelque chose de surréaliste à se trouver si loin de chez soi, en plein cœur des Caraïbes, à creuser la pensée de Schopenhauer, la vision artistique de Fante et la façon d’écrire de Buko. C’est peut-être un lieu commun, mais on aurait tort de croire que cette sphère n’appartient qu’à l'intelligentsia occidentale. Ce jeune mec avait lu ces auteurs bien plus profondément que moi, et son analyse, sa vision de leur philosophie étaient poussées à l’extrême.
C’est rare pour moi de rencontrer des gens qui s’intéressent précisément aux mêmes auteurs que moi, et ma foi, c’était son cas à lui aussi. Bière après bière, livre après livre, on a refait le monde en se racontant la manière dont l’art avait changé nos vies. Je lui ai parlé de Borderline, il m’a raconté l’histoire qu’il avait en tête.
Ici en Colombie, y a un guet-apens très répandu à base de scopolamine, qu’on appelle dans le coin burundanga ou encore Sople del diablo (le souffle du diable), dont sont victimes aussi bien les touristes que les locaux. Ça se passe principalement dans les grandes villes, avec Bogotá et ses bas quartiers en vedette. Le GHB, aussi connu sous le nom de “drogue du viol”, ça vous dit quelque chose ? J’ai de bonnes raisons de penser que cette fameuse scopolamine est le même principe actif, sauf qu’il n’est pas synthétisé chimiquement comme chez nous. C’est une poudre qu’on produit avec les graines de la Datura, de la famille des Brugmansia, des plantes qu’on a aussi en France, et dont je parle dans l’Inventaire des Plantes Maîtresses : le fameux Toé, c’est elle.
Bref, tu réduis les graines en poudre, que tu vas ensuite glisser subrepticement dans le verre de ta future victime. Les effets ? Eh bien, à partir de là, ton pigeon va faire exactement tout ce que tu lui demandes, sans manifester aucune résistance. Il se transforme en victime consentante qui va vider son compte en banque pour toi, t’inviter chez lui ou dans son hôtel, te filer son PC et son portable, et même pourquoi pas t’offrir son cul sans même un froncement de sourcils devant tes exigences. Tout au fond de lui, il sentira peut-être que quelque chose déconne, mais ça n’atteindra pas la partie dirigeante de son cortex, et les témoins de ton petit jeu ne pourront pas deviner que t’es en train de dépouiller un malheureux, d'autant plus que les barmans ou videurs sont souvent les complices avec qui tu partages le magot. Et puis pourquoi se priver après tout ? Le lendemain, ce couillon se rappellera quasiment de rien… Attention, cela dit : si tu deviens trop gourmand et lui refous une lichette de poudre dans un nouveau verre au milieu de la nuit, il se pourrait bien que le pigeon défaille d’un arrêt cardiaque, et là tu devras te débarrasser du corps, ce qui est plus emmerdant.
Tu vois le délire ? J’ai rencontré ici un nombre faramineux de personnes à qui c’est arrivé, principalement des hommes en fait, qui se sont faits avoir par une fille qu’avait même pas l’air d’une pute. Dont mon fameux pote colombien. Il avait donc envie de transformer sa sinistre aventure en nouvelle littéraire, mais en modifiant un peu la fin de l’histoire. Il avait vu un reportage (dont voici le lien) où un type ayant subi cette magouille témoignait. Mais ce type avait décidé de se venger, en punissant ceux qui lui avaient fait ça ; c’est-à-dire, en les butant les uns après les autres.
Pas mal, n’est-ce pas ? Évidemment, je l’ai sauvagement encouragé à écrire cette putain de nouvelle ! Partir de son expérience personnelle, avec tout ce que ça suppose d’immersion psychique et corporelle, vivre cette sombre dépossession de l’intérieur, puis, comme tout bon auteur, enrichir tout ça d’une autre histoire vraie dont on s’inspire…
Mec, si on tient pas ici la recette d’une histoire fracassante de réalité, je sais pas ce que c’est !
Des rencontres qui vont à l’essentiel
Cette rencontre n’était que la première d’une longue série. Ici, dans cet hostal, les voyageurs ont tendance à se retrouver dans les parties communes, bar, toit-terrasse, petits salons et hamacs, et très vite on en vient à parler de ce qui nous anime. Les rapports sont différents quand on est en transit quelque part. Il y a comme une économie de mots, une volonté d’aller à l’essentiel, d’évoquer les choses qui comptent véritablement pour nous, plutôt que de se perdre dans les détails insignifiants et souvent mortifères du quotidien, dont on parle plus volontiers avec les amis proches. Ici, tout est à découvrir, et ne serait-ce que de demander à quelqu’un pourquoi il voyage, pour combien de temps, son itinéraire et les merveilles qu’il a croisées sur sa route amorce d’emblée un autre type de relation. Bon, cela dit, faut pas non plus croire qu'on tombe jamais sur de fourbes fils à papa qui prétendent être autre chose que ce qu'ils sont pour avoir l'air plus roots.
Je découvre qu’être écrivain, un écrivain-voyageur qui va faire la route pour longtemps, présente aux autres la meilleure facette de moi-même, et m’incite à leur ouvrir mes mondes sans retenue. D’ailleurs, je me dis que je devrais peut-être écrire un article là-dessus. Sur les spécificités du romancier vagabond.
Oui, j’écris. Je suis une ayahuasquera. J’ai publié cinq livres. Je tiens un blog qui parle de liberté.
Je pense que vous pouvez imaginer qu’en déballant l’affaire comme ça, les discussions qui s’ensuivent n’ont pas la même teneur que de se trouver en France et de dire : je suis serveuse, je taffe pour toute la saison.
Faire la liste de toutes les personnes que j’ai croisées prendrait trop de temps, mais qu’il s’agisse de locaux, de travellers ou de gens qui se sont installés ici pour monter une affaire, moi qui suis d’une nature solitaire, j’éprouve en fait un grand plaisir à découvrir le parcours chaque fois différent de ces âmes réunies ici en un même lieu, en un même temps. J’aurais aimé faire des shooting de ceux qui m’ont le plus marquées, du style galerie de portraits en noir et blanc, mais je me sens pas assez confiante en mes qualités de photographe pour ça. Ce sont pourtant des visages qui mériteraient d’être gravés.
Vivre comme une sauvage qui boit des bières
Le quotidien ici est assez cool, le rythme caribéen prend rapidement possession de celui qui s’arrête dans le coin. Mais je suis quand même loin de passer ma vie dans un hamac à siroter des Coco Loco.
Le truc particulier, c’est que j’éprouve ici une détente dont je me croyais plus capable. Se réveiller avec le soleil, boire un café tout là-haut en observant la mer, les toucans et les singes dans les arbres, écrire face à l’immensité, se baigner des heures, sans penser à rien, en osmose avec la mer. Se reposer dans un hamac en lisant des livres sur l’ayahuasca, puis partir en exploration le long de la côte ou dans la forêt des montagnes. Et se sentir… vibrer au sein de cette végétation à l’odeur entêtante, capiteuse, où la nature ne cesse de croître, de se dévorer et de renaître, dans un cercle infini, et avoir la sensation d’être un de ces Hommes d’il y a longtemps, tellement connecté à ses racines qu’il ne peut plus dire : ceci est mon corps, ceci est la nature, parce qu’il fusionne avec ce que ses sens embrassent… Et puis redevenir humain en rentrant pour boire des bières et fumer des clopes avec les autres voyageurs… Et se coucher tôt, comme tout le monde ici, avec la mer qui chante au loin et les insectes et les grenouilles qui entonnent leur concert nocturne comme un envoûtement primitif…
Fiesta, danse rituelle et cocaïne
La fête ici, c’est quelque chose de phénoménal. Passer Noël et le jour de l’an loin de chez soi peut donner des résultats plus ou moins foireux, et j’ai souvenir d’avoir attendu le Père Noël toute seule comme une merde sous ma tente inondée en Argentine, ou alors de m’être retrouvée à bouffer de la soupe à la tomate préparée à l’arrache par un hôtel qui ne pensait qu’à faire la fête de son côté en famille pour un 31 au Honduras…
Mais cette fois-ci, j’ai plutôt visé juste. C’est d’ailleurs la raison principale qui m’a poussée à squatter ici pendant deux semaines, en dehors du fait que l’endroit est splendide et que les dueños de l’hostal sont mes potes. Les prix grimpent à mort pendant cette période dans toute l’Amérique latine, et faut s’y prendre pas mal à l’avance pour réserver ses piaules, chose dont je suis parfaitement incapable. Une fois de plus, je me suis déjà fait niquer en Argentine à payer le triple pour une chambre miteuse, parce que tous les hôtels des environs étaient complets. Hors de question que ça m’arrive de nouveau, ce coup-ci le truc était calé.
En dehors de cet hostal, ça bouge pas des masses sur le reste de la petite plage de Bahia Aguacate (où y a pas de village, d’ailleurs, le plus proche étant celui de Capurgana), et vu que mes potes sont bien implantés et ont de bons rapports avec les locaux, bah tout le monde rapplique pour faire la fiesta là-haut où se trouve le bar et l’immense toit-terrasse avec vue à 360 degrés.
Et ça envoie du lourd. Tout le monde danse et s’enfile des bières et des shot de rhum artisanal, au son de cette musique d’ici, salsa, merengue, reggae ton, cumbia…
Les jeunes, les grosses, les vieux, les gosses, ils ont vraiment ça dans le sang, bordel ! Pour Noël, un moment en particulier m’a marquée. Y avait le petit gars qui bosse sur la construction de la future maison d’hôtes spécial digital nomad d’un Français d’ici, et El Capitan, un vieux qui s'occupe du service de lancha (bateau) pour l’hostal en transbahutant les voyageurs de Bahia Aguacate à Capurgana ou Sapzurro.
On dansait tous au milieu de la salle lorsqu’un gros type d’ici saisit une immense flûte en bois et se met à coller un son ambiance vaudou sur la musique, d’une façon totalement instinctive. Alors le vieux et le jeune commencent à s’avancer en plein centre de la danse, et les gens forment un cercle autour d’eux. Le vieux danse comme un soulman, tenant le devant de son pantalon, tandis que le jeune se meut d’une façon serpentine, à la limite de l'épilepsie parfois, et le jeu qu’ils jouent ensemble, le spectacle qu’ils offrent a quelque chose de profondément authentique, comme deux hommes des cavernes se laissant envahir par les vibrations d’un appel de la Terre… Tout le monde les encourage, crie, applaudit en cœur, tape des mains et des pieds, parce que c’est comme d’assister à un rite, une danse ancestrale, aussi vieille que l’animal qui hurle encore en chacun de nous, et je suis si heureuse d’être témoin de ça que ça me réconcilierait presque avec l’être humain !
Après plusieurs verres et des litres de sueur évacués, inévitablement, j’ai goûté la coke d’ici, incroyablement pure. Faut dire qu’on est pile-poil sur le parcours des narcos ici, ceux du Clan del Golfo, l’une des organisations criminelles les plus puissantes de Colombie. Cette zone a été rouverte au tourisme il y a peu, mais elle est encore pleine de paramilitaires. En fait, il s’agit des types qui surveillent les passeurs de drogue, qui partent à bord des bateaux chargés de poudre qu’on voit régulièrement prendre la mer pour aller livrer les États-Unis qui sont finalement tout près. Mais tout le monde vit en bonne entente. La coke est bonne et pas chère, et les touristes ne courent aucun danger.
La bonne cocaïne te fait pas serrer des dents et t’empêche pas de dormir. Ça, c’est quand elle est coupée au speed, aux amphés, quoi. Rien de tout ça ici, on la chope au tout début de son parcours, avant qu’elle passe entre une centaine de mains qui ajouteront leur coupe afin de s’en mettre un peu plus dans les fouilles. Inutile de préciser que celle qui nous parvient en France contient à la fin plus d’additifs que de cocaïne, et que son prix a grimpé d’une manière proportionnelle à la merde qu’elle contient.
Mais j’ai sniffé deux pointes et ça m’a suffit. Depuis que j’ai découvert la transe, le vrai voyage avec l’ayahuasca, ce genre de dope m’intéresse plus des masses.
J’ai gerbé ma race avant de me coucher, ce qui était plutôt une bonne idée. Tu t’enfiles des verres, tu danses, tu te lâches, et puis tu dégobilles tout avant de dormir histoire de pas avoir à cuver, et tu te réveilles frais comme un gardon le lendemain. Technique personnelle qui a maintes fois fait ses preuves.
Jouer à Raoul Duke et prêter l’oreille à Travis Montiano
J’avoue qu’il m’arrive parfois de me sentir comme ce bon vieux Hunter S. Thompson qui s’enquillait alcool et dope tout en essayant d’écrire Rhum Express lors de son séjour à Puerto Rico. Je suis peut-être un peu trop dans le fantasme, mais j’ai toujours adoré marcher dans les traces de mes idoles, et faut reconnaitre que le côté écrivain-voyageur est une casquette particulièrement agréable à porter. Mais bon, tout comme lui, j’ai parfois du mal à m’astreindre à écrire au lieu d’être dans la démence de la vie en train d’être vécue. Et puis, je sens qu’il faut encore que ça mature.
L’histoire de Travis est là, juste sous la surface de ma conscience, mais il ne me livrera pas ses derniers secrets tant que je ne me serais pas confrontée à ce qui a été désigné, loin dans le passé, comme l’ultime essence, la révélation finale qui donnera tout son sens à ce qu’il a traversé. Et à ce que j’ai traversé avec lui.
Alors j’attends. J’écris sur la périphérie. Je pose le décor. Je creuse timidement.
Je ne suis encore qu’au tout début du voyage, et si je parviens à réaliser les plans vertigineux que je fomente chaque jour un peu plus, alors ça ne fait aucun doute que Borderline aura la digne fin que cette saga mérite.
Poursuivre la route avec le Diario Latino #4 !
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El Diario Latino #2
Je me suis dit que c’était une réalité que les gens de chez moi ne pouvaient même pas envisager. Tout ce bordel, cette chaleur humaine et cette folie à cent à l’heure. Toute cette crasse qui pourtant se débrouille pour être accueillante. Nan, ils pouvaient pas imaginer. Et je me demandais comment moi, j’avais réussi à m’y faire.
Santa Fé de Antioquia, Colombie : Jour 10
Dans la vie, y a deux sortes de personnes : les Aventuriers et les Hipsters
Enfin un endroit un peu posé pour écrire. Foutredieu, c’est pas si évident de conjuguer aventure et écriture ! J’imagine que les vrais digital nomads voyagent pas de la même façon que moi. Sans doute qu’ils favorisent les grandes villes avec leurs cafés hipsters où ils peuvent se connecter tranquillos en se tapant des latte macchiato tout comme à la maison, en louant un Airbnb plusieurs jours d’affilée. C’est pas du tout ma manière de faire, et je compte aucunement la changer. Le truc, c’est que si je veux écrire sur l’aventure, faut bien que je la vive pour de vrai avant, nan ?
Je pensais à Kerouac, hier. Y me semble bien qu’il rentrait chez môman entre deux virées avec Neal Cassady pour taper ses notes et tenter d’en faire des romans. Ma foi, si je dois me contenter de larguer quelques mots à l’arrache ici, pour les mettre en forme et reconstituer le puzzle une fois rentrée, pourquoi pas ? Hunter S. Thompson s’y prenait un peu de la même manière, et pour tout dire il aurait presque souhaité que ses patrons des grands journaux soient suffisamment freestyle pour oser publier ses bouts de reportages tels quels.
On verra comment ça se goupille, aujourd’hui j’ai du temps, une connexion qui tient la route, et du produit anti-moustiques. Ces petits enculés me défonceront pas les jambes pendant que j’écris. Et puis, j’ai qu’à traverser la rue pour aller me taper une bière si jamais l’inspiration venait à manquer.
Je me sens bien ici. J’aurais pu faire comme ces fameux hipsters et rester à Medellín, qui est soi-disant une ville géniale, ultra-vivante, moderne et compagnie. Tu parles. Je l’ai à peine traversée en taxi pour me rendre du terminal sud au terminal nord. M’avait l’air aussi moisie que les autres grandes villes ! Ce village me ressemble beaucoup plus. C’est pas hipster pour deux sous, loin s’en faut, mais imaginez Indiana Jones débarquer chez les barbus en slim et vous aurez une idée de ma dégaine.
Ouais, parfois, vaut mieux rester avec ses paires…
C’est un monde de fou
J’ai quitté Manizales le lendemain du premier Diario, déjà impatiente de continuer ma route. Aussi beau que soit un endroit, il le sera jamais autant que celui que tu connais pas encore. Le chauffeur de taxi m’a prise pour une Espagnole. Ça fait toujours plaisir de se dire qu’on parle suffisamment bien la langue pour faire illusion. Au terminal, le petit jeune qui conduisait le collectivo (mini-bus) m’a fait monter à l’avant. Rien de mieux pour avoir une vue totale sur l’Eje Cafetero, ou Zona Cafetera, bref, la région du café, quoi, constituée de montagnes où les fameux plants croissent comme des petits fous.
Ce conducteur avait l’air très fier de sa région. C’est un truc que j’ai souvent remarqué, et pas que chez les Latinos. D’où je viens, les gens sont également persuadés que rien ne vaut l’endroit où ils sont nés, alors que bien souvent, ils ont jamais foutu les pieds ailleurs. Ce sentiment d’appartenance, qu’on appelle je crois “régionalisme”, m’est totalement étranger. J’ai sans doute trop souvent déménagé pour venir encore d’où que ce soit, et être attachée à un lieu précis. Et puis, je sais que le monde qui s’étend au-delà de notre paillasson recèle un charme qu’aucun lieu connu ne pourra jamais prétendre posséder. Mais ce type n’était pas trop causant, en fin de compte. Tant mieux, je déteste parler quand j’observe le paysage. Les gens ont souvent cette sale manie de la ramener au lieu de te laisser te concentrer. Bref, ce mec-là était cool pour ça, et on se contentait de se sourire bêtement quand nos yeux se croisaient.
On a fait un arrêt dans une ville pour qu’il réceptionne d’autres voyageurs. Depuis la place du mort du micro-bus, je regardais tout ce qui se passait d’un œil à la fois habitué et surpris. Ça criait de partout dans cette rue, les rabatteurs de bus donnaient de la voix, comme ils font dans toute l’Amérique Latine, PEREIRA, PEREIRA, PEREIRITA (le bled où se dirigeait le bus), un homme orchestre attifé en rastaman est passé en claudiquant devant moi, un autre est monté dans le bus pour vendre ses chewing-gums, en appelant à Dieu pour nous inciter à céder et lui acheter ses merdes, des femmes avec leurs glacières hurlaient HAY AGUA HAY GASEOSAS (y a de l’eau, y a des sodas), ajoutant au vacarme général, et les rabatteurs continuaient, sube mi amor, te esperamos (monte chérie, on t’attend), qu’ils disaient à tout ce qui porte des seins. Un peu plus loin sur le trottoir un resto-grill de salchichas (saucisses) crachait ses vapeurs graisseuses tandis que le chauffeur, à l’aise dans son univers, poli et souriant, encaissait le fric en attendant que son bus soit plein.
Je me suis dit que c’était une réalité que les gens de chez moi ne pouvaient même pas envisager. Tout ce bordel, cette chaleur humaine et cette folie à cent à l’heure. Toute cette crasse qui pourtant se débrouille pour être accueillante. Nan, ils pouvaient pas imaginer. Et je me demandais comment moi, j’avais réussi à m’y faire.
C’est une réalité que j’aimerais savoir transcrire davantage, surtout dans mes livres.
Le rappeur du bus
Arrivée à Pereira, j’ai direct enchaîné avec un bus pour Salento. Y avait quelques gringos à bord pour une fois, ce qui ne m’arrive pas souvent. C’est dingue, mais j’ai régulièrement l’impression d’être la seule touriste au monde ici. Pourtant, je sais qu’on est légion. Sans doute que je me lève trop tôt pour eux. Il m’arrive d’être déjà dans le bus à 7h du mat alors que le touriste de base émerge pas avant 9h.
Peu avant la fin du trajet, un mec est monté avec son gosse. Le style roots, avec des écarteurs aux oreilles et des tatouages sur les bras. J’ai tout de suite su que celui-là aussi allait chercher à nous vendre quelque chose.
Il a sorti un poste de radio à l’ancienne, du style qu’avaient les rapeurs à l’époque de l’arrivée du hip hop, et il a dit : La pire prison qui existe, c’est celle qu’on porte dans notre propre tête. On doit se libérer d’elle avant tout si on veut un jour essayer d’être libre. La chanson que je vais vous chanter cause de ça. Du labyrinthe de la pensée qui torture un Homme dans son cerveau.
Oui. Pour ceux qui ont lu Borderline, je pense que vous voyez très bien de quoi je veux parler, et pourquoi j’ai été si surprise. Alors il a lancé sa musique et s’est mis à rapper dessus. Un truc vraiment cool, avec des paroles profondes, un bon rythme, de la passion. Bon après, faut dire que je suis bon public avec le rap latino. Je trouve que ça envoie grave, bien plus fort, en fait, que le rap d’autres pays.
Quand il a terminé, j’ai été la première à lui fourguer un billet. En faisant ce geste, je me suis soudain souvenue de Wish, qui donnait systématiquement aux saltimbanques et autres artesaños (artistes de rue) qui croisaient sa route. Le moindre jongleur qui faisait son truc face aux moto-taxis, profitant d’un feu rouge à Pucallpa, le plus mauvais tisseurs de bracelets à Lima, il lui filait quelque chose, alors que lui-même n’avait quasiment pas un rond. Parce que, lui-même, il avait galéré dans sa jeunesse, et vécu dans la rue, avant de devenir chaman. Qu’il savait ce que c’était, et qu’il avait pas la moindre envie d’oublier.
Moi, j’avais oublié ce trait de caractère de Wish, avant de filer 2000 pesos à ce type en lui disant que ses paroles étaient puissantes. Et puis, par la force des choses, tout le monde dans ce bus a fini par lui fourguer un peu de monnaie. J’étais contente d’avoir initié le machin. Je sais comment c’est. Faut que quelqu’un se lance avant que les autres l’imitent.
Une rando de 20 KM, des colibris et un paquet de clopes
Salento est un village très touristique, mais adorable. Comme dans tous les villages sud-américains, la vie se concentre principalement sur la place principale face à l’église, avec ses petites cabanes qui vendent de la bouffe et ses décorations de Noël. J’ai posé mon sac à l’hôtel et j’ai été me taper une bière dans un rade dont la musique m’avait attirée. D’ailleurs c’est plus ou moins devenu une habitude. Quand je débarque quelque part, je me défais de mes affaires et pars me balader de par les rues pour me boire une cerveza quelque part.
C’est le lendemain que je suis partie pour la fameuse Valle de Cocora. A 6h30 du mat j’étais sur la place centrale pour choper une jeep qui m'emmènerait au début de la rando. Ça faisait longtemps que je m’étais pas retrouvée seule pour marcher en pleine nature comme ça, et surtout pas vingt putains de bornes entre collines et forêt de nuages !
Heureusement que j’avais eu la présence d’esprit de louer des bottes à l’hôtel. L’escapade avec le dueño de Manizales et mes chaussures trempées au retour m’avaient au moins servi de leçon. J’ai dû franchir des rivières et patauger dans la boue pour accomplir ce chemin. Ça montait sa race et j’étais essoufflée à mort, mais faut que je m’entraîne. Si je veux faire des treks plus tard, y a pas à moyenner.
Ça m'a pas empêchée de fumer des clopes tout le long de la route, ceci dit. Je crois bien être la seule à fumer comme ça en randonnant. Les gens d’ici ne fument qu'occasionnellement, parce que c’est un luxe, et les gringos, ma foi, la majorité d’entre eux sont trop healthy pour ça. Les Blancs ont trop bien appris leur putain de leçon. Je m’en tape, j’ai beau être très spirituelle dans certains domaines, je suis pas obligée de prendre le packaging complet. La punk qui vit en moi crache à la gueule de tout ça.
J’ai fait un arrêt à la ferme de colibris, pas très raisonnable vu le prix, mais je tenais à voir ces oiseaux et puis le bout de fromage et le chocolat chaud étaient inclus. Vous pouvez rire, mais j’avais rien avalé depuis la veille tout en m’étant levée à 4h du mat, parce que j’essaye de faire des économies, et que rogner sur la bouffe est le moyen le plus efficace que j’ai trouvé. Après des heures de marche, ces maigres denrées étaient plus que bienvenues.
Un guide et trois Français sont montés à la ferme pendant que je filmais les bestiaux. J’ai tout de suite su qu’ils étaient français, à leur rire. C’est fou qu’on puisse reconnaître sa langue natale dans un simple rire. Mais c’est pas avec eux que j’ai causé, ça non, mais avec leur guide, un jeune gars très cool qui m’a montré les photos qu’il prenait durant les treks où il accompagnait ses clients. Il avait un sacré œil ! Ses photos d’oiseaux étaient dignes d’un pro, et j’ai vraiment apprécié de papoter avec lui. Il semblait aimer son boulot, et rayonnait d’une belle énergie.
Du coup, je lui ai demandé d’essayer de me photographier ces satanés colibris bien trop rapides pour moi. C’est lui qui a pris ce cliché d’eux. Bon, mon appareil est moins bien que le sien, mais au moins j’ai une photo valable !
Ça m'a requinquée de le croiser et j’ai repris la route avec un nouvel allant. Du moins, jusqu'au milieu de la montagne qu’il fallait gravir jusqu’au sommet, quasiment tout droit. J’en ai chié sa mère. Mais une fois en haut, il restait plus que quatre kilomètres assez faciles, en descente, vers la fameuse vallée où poussent ces palmiers à cire uniques en leur genre. Ils offraient une impression bizarre, mais ma solitude et la brume sur les montagnes me laissaient un sentiment d'éternité, de puissance, que j’ai respiré à pleins poumons.
Vingt kilomètres et quatre heures de marche solitaire ont un drôle d’effet sur un Homme. Je me sentais lavée. Épuisée, mais comme nettoyée de l’intérieur.
De retour à l’hôtel, j’ai profité de la machine qui se trouvait là pour laver tout mon linge, plein de boue, de sueur et d’herbe depuis la marche avec le dueño de Manizales. L’eau de la douche était tiédasse, mais c’était le cas depuis que j’avais quitté Bogotá, et je commençais à m’y faire. Tant pis pour mes muscles crispés. Eux aussi, ils allaient finir par s’y faire.
J’ai été me prendre une bière. Manger un morceau. Le lendemain je redécollais, une longue journée de bus m’attendait.
Avant de partir, j’ai laissé un exemplaire de Borderline à l’hôtel, dans la bibliothèque prévue pour le bookexchange.
La chiva de la mort, le pollo et la DMT
Le bled que j’avais choisi n’était pas facile à atteindre, du moins, il s’écartait un peu de la route classique du gringo. Pourtant, au terminal de Salento, j’ai trouvé d’autres touristes qui prenaient la même direction que moi. Celle de Jardín, en l'occurrence, village niché en plein cœur de la Zona Cafetera. Il y avait là deux Polonais, une Thaïlandaise et un Hollandais. Les Polaks sont rapidement venus me parler. Et c’est toujours la même histoire : ils me racontent qu’ils sont là pour deux semaines, que ça fait déjà une semaine qu’ils sont là, et au vu de leur parcours c’est le genre qui se contente de quelques spots parmi les plus touristiques. Et puis le type vise mon sac, et me fait :
- Et toi, t’es là pour combien de temps ?
- Un an.
- Un an (pincement de jalousie) ? Et tu voyages qu’avec ça ? Hey, regarde chérie, elle part un an et elle a qu’un tout petit sac ! (et, se retournant vers moi) J'arrête pas de lui dire qu’elle prend toujours trop, mais bon…
- Je suis minimaliste, je fais comme pour m’excuser, en avisant son sac du coin de l’œil, qu’est pas plus léger que celui de sa copine…
La Thaïlandaise hoche la tête vigoureusement. Elle voyage avec encore moins que moi. La Polonaise s’intéresse à mon cas, est surprise que je sois écrivain, veut en savoir plus. Quand je lui dis que j’écris une saga, elle veut savoir si c’est de la fantasy. Marrant, hein, que les sagas soient forcément associées à ce genre-là. Mais non. Je finis par lui montrer mon livre.
On se tape les premières heures de bus chacun dans son coin, les touristes jouant avec leur téléphone ou en train de pioncer, moi collée à la vitre à regarder mon paysage. Lors du changement de bus au terminal, tous se précipitent pour aller bouffer vite fait du pollo con arroz (poulet avec du riz) dans le premier rade qui traîne. Moi non. Je mange pas de pollo et j’ai pas de sous. Je me contente d’un coca et de mes clopes. C’est ça quand on part longtemps. Faut une certaine ascèse, et être capable de bouffer qu’une fois par jour.
Une heure plus tard, on grimpait dans la chiva, bus typique de la Colombie. Pour des gringos comme nous, c’était le rêve, surtout pour moi qui aime être au plus près de la nature. Mais on a vite déchanté. Au bout de deux heures de route à deux à l’heure, à cahoter de partout et à rebondir sur nos fesses comme des zébulons en phase terminale, avec le froid et l’humidité qui tombaient à mesure qu’on s’élevait dans les montagnes, le trip n’était plus si folichon que ça.
On nous avait dit que le trajet durait entre deux et trois heures.
Quatre heures plus tard, il faisait nuit, on était frigorifiés et toujours pas arrivés. J’ai fini par dévier mon esprit de sa souffrance en papotant philo et DMT avec le Hollandais. C’est le genre de conversation que j’adore, suffisamment intriguante et prenante pour parvenir à se concentrer sur autre chose.
Un village en fiesta perpétuelle
Une fois débarqué à Jardín, ce que je me figurais comme un tout petit pueblo assoupi s’est révélé être un village endiablé à la vivacité extrême, avec une place centrale immense, une église gigantesque, illuminée à mort pour Noël, et des gens absolument partout, en train de boire du café, de la bière ou de l’aguardiente, tout ça entouré de musique provenant des différents bars tout autour de la place. Incroyable !
C’est peut-être parce que j’habite moi-même dans un trou paumé, mais ça me fait bizarre de voir tant de gens vivre à l’extérieur, à se retrouver tard le soir comme ça, toujours accompagnés de musique. C’est pas une légende. La Colombie est vraiment vivante, avec une culture de proximité entre les habitants qui fait défaut à la France, y me semble. La chambre de mon magnifique hôtel pas cher du tout donnait sur la place, mais j’étais défoncée de fatigue et le grabuge m’a pas empêchée de dormir.
Le lendemain j’ai recroisé le Hollandais et on est partis poursuivre notre conversation en se baladant en dehors de Jardín. Une chouette marche de onze kilomètres au milieu des bananiers. Au retour il prenait la route pour Medellín, et moi je me suis payé un délicieux café (c’est la région, après tout) sur la place.
C’est marrant, moi qui suis d’un naturel sauvage, je commence à accepter d’être exposée au monde. Et je m'imprègne. Je m'imprègne à mort de tout ce qui m'entoure.
Jungle + Colonialisme = Santa Fé de Antioquia !
Le bus partait à 7h du mat, j’allais me rendre à Medellín, mais j’y parviendrais assez tôt pour pas avoir à y passer la nuit. La ville la plus cool de Colombie, tu parles ! Ça me fera toujours marrer, ça. Elle avait l’air aussi crado que les autres. Tout ce qui dépasse le pueblo (village) me semble monstrueux et flippant. Et puis en tant que fille seule, j’ai pas la moindre intention d’aller dans un bar pour me faire draguer et me retrouver avec du GHB dans le verre, ou plutôt, toute nue et dépouillée le lendemain dans une poubelle, sans aucun souvenir de la soirée. J’exagère peut-être, mais le regard des hommes sur moi me suffit déjà amplement. Pas envie de tenter le diable, et pas mon délire non plus. Donc j’ai pris un taxi pour changer de terminal et sauté dans un collectivo pour Santa Fé de Antioquia.
C’est marrant, mais je pensais pas débarquer dans un bled si humide, quasiment la jungle, qui a pourtant des airs coloniaux. Les moustiques m’ont attaquée dès ma première clope dehors à mon arrivée à l’hôtel. Une sorte de petite maison chez l’habitant, vraiment pas chère, où je suis en train d’écrire ces lignes. Malgré ma fatigue, je suis sortie en traversant tout le village pour aller découvrir un peu les environs et me prendre une bière au parc central. Je suis tombée sur un joli cimetière, mais il était fermé.
C’est bizarre mais c’est seulement à ce moment-là que je me suis souvenue à quel point j’aimais les cimetières latinos lors de mon tout premier voyage, au point de les rechercher avec attention, de les prendre en photos sous tous les angles, et même d’écrire Borderline, assise entre deux caveaux. Parfois je me demande pourquoi une partie de la conscience s’obscurcit comme ça, et se réveille des années après.
Poursuivre l’aventure avec le Diario Latino #3 !
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El Diario Latino #1
Le chauffeur de taxi m’a entubée direct. Pourtant, c’est pas comme si j’avais pas fait attention de bien prendre un taxi officiel à l’aéroport, étant donné le risque très concret qui existe de se faire niquer à Bogotá avec les taxis sans compteur conduits pas des types aux ambitions plus que douteuses. Et dans ce cas-là, le problème qui se pose n’est pas seulement lié au pognon. A vrai dire, le fait de se faire tirer le triple de ce que vaut la course habituelle est bien le moindre des problèmes qui peuvent t’arriver.
Manizales, Colombie : Jour 3
Les taxis sont des enfoirés
Le chauffeur de taxi m’a entubée direct. Pourtant, c’est pas comme si j’avais pas fait attention de bien prendre un taxi officiel à l’aéroport, étant donné le risque très concret qui existe de se faire niquer à Bogotá avec les taxis sans compteur conduits pas des types aux ambitions plus que douteuses. Et dans ce cas-là, le problème qui se pose n’est pas seulement lié au pognon. A vrai dire, le fait de se faire tirer le triple de ce que vaut la course habituelle est bien le moindre des problèmes qui peuvent t’arriver.
Quand il m’a annoncé le montant de la facture, j’ai même pas lutté. Après deux jours de voyage depuis chez moi à Barcelone, puis de Barcelone à Amsterdam, et enfin d'Amsterdam à Bogotá, sans compter les trois plombes qu’il avait fallu attendre, debout dans une file longue comme trois fois mon bras, pour passer le contrôle de migration (imagine le délire : pour ton corps il est presque minuit, t’as dormi deux heures à l’hôtel d’Amsterdam et pas un brin dans l’avion, t’as le bide en vrac rapport à la bouffe de merde que tu t’es tapée depuis ton départ, et en Colombie il est 15h, et tu sais que tu dois encore récupérer ton sac, pisser un coup, acheter une merde quelconque à boire, trouver des clopes, retirer du fric au DAB et puis dégoter un taxi en essayant de moyenner pour pas qu’il t’encule - loupé -, te farcir la route jusqu’à l’hôtel et enfin te trainer sous la douche et tomber comme une merde).
Après, faut avouer que j’étais juste heureuse d’être de retour sur ce continent. En regardant les palmiers défiler et les graffitis sur les murs, avec la radio du taxi qui diffusait cette musique typique d’ici, je me suis retrouvée des années en arrière, lors de mon arrivée à Lima, pour mon tout premier trip. C’est remonté en moi, cette mémoire enfouie, qui se fait si souvent oublier, mais qui jaillit dès qu’elle est en contact avec ce qu’elle reconnaît comme sa source. J’étais animée d’un bonheur serein, profond, un peu comme quand on sait qu’on rentre à la maison, peut-être. Sauf que moi, ça me fait ça quand je retrouve la route.
Alors, il m’a dit son prix, j’ai fait Ouais, c’est ça, je lui ai fourgué sa thune et me suis dirigée vers la porte de l’hôtel. Un type m’a matée tandis que j’entrais. Bogotá me faisait déjà peur, putain, d’autant plus que c’était quasiment la nuit. Je hais les putains de capitales, de n’importe quel pays que ce soit, même Paris, bordel. Le type est entré derrière moi. C’était lui, le gérant. Il était affligé d’un handicap je crois, peut-être la polio qui lui avait déformé un bras et une jambe. Mais il était plutôt beau gosse, du moins quand on aime le style bad boy latino, et il était très serviable. Il m’a accompagnée à ma piaule qui donnait sur la rue, un chouette truc, en fait. J’ai pris une douche bouillante et me suis pieutée. Il était 20h ici, 2h du mat au pays d’où je venais. J’ai sombré.
Les flics, les clodos, besoin de fumer
Les alarmes de voitures de police m’ont réveillée. J’avais le sentiment d’avoir déjà beaucoup dormi, mais il était que minuit. J’ai vérifié ce qui se passait à la fenêtre. Les flics squattaient là, mais impossible de savoir pourquoi. Je suis retournée dormir, mais deux heures plus tard j’étais à nouveau debout. J’ai maté ce qui se tramait dehors. Ce coup-ci c’était un type en train de fouiller les poubelles, juste en face de moi. Il les a vidées en totalité sur le sol, afin de récolter des restes de bouffe dans un des sacs. Je l’ai laissé à son affaire pour aller me doucher. A mon retour un pote à lui l’avait rejoint et ils s’y mettaient à deux.
Fallait que je fume, putain. J’ai zoné dans l’hôtel en essayant de trouver un patio ou une porte de derrière ouverte. Que dalle, et la porte principale était verrouillée. Je suis retournée dans ma chambre et j’ai fait glisser la fenêtre en me penchant dehors le plus possible pour éviter que la fumée n’empuantisse tout. Un des fouilleurs a levé les yeux vers moi. Je l’ai ignoré.
Plusieurs clopes plus tard, ils avaient tout bien rangé les ordures dans les sacs et s’en étaient allés avec leur butin.
Il était bientôt sept heures, l’heure de me tirer avec le taxi que j’avais demandé au dueño de l'hôtel d’appeler. Quand je suis descendue il était en bas derrière son comptoir, et on a taillé le bout de gras comme deux potes en attendant ma voiture. C’est marrant comme les gérants d’hôtel se montrent curieux envers les touristes. Moi à leur place, j’en n’aurais plus rien à carrer d’entendre leurs histoires. Il a paru assez impressionné quand je lui ai décrit mes projets. Faut dire que certains sont assez couillus. A voir si j’arrive à les mettre en œuvre.
On s’est quittés en se disant qu’on se reverrait si je passais à nouveau par Bogotá. J’avais le sentiment qu’on était déjà copains, et on s’est serré la pogne avec effusion.
J’ai sauté dans le taxi pour le terminal. Un long voyage m’attendait.
10 heures de périple en bus
Le bus avait une heure de retard. J’avais oublié le manque de précision des horaires ici. Cela dit, le terminal de bus de Bogotá est plutôt accueillant, et puis je me suis payé des petits pains au fromage tout frais comme il font ici, produits sur place. C’est comme ça que je fonctionne sur la route. J’ai jamais de bouffe sur moi, parce que je sais que je pourrais mettre la main sur des trucs à picorer en chemin.
Le bus a fini par se pointer, un truc très confortable, d’autant plus qu’avec le covid y te mettent personne à côté de toi, c’est royal. La meilleure partie du voyage commençait enfin. J’étais dans mon bus, ma place préférée au monde, avec le paysage et ma solitude comme seuls compadres. J’ai fini ma nuit le temps qu’on quitte Bogotá. Quand j’ai émergé, le décor avait changé. C’était vert, et beau.
Petit à petit, la végétation est devenue plus dense, plus humide, et la nature de mes pensées a changé. Il existe un mode voyage que seuls les voyageurs solitaires connaissent. Les souvenirs d’anciennes errances remontent. Des mémoires que tu pensais perdues dans les limbes de l’esprit. Tu regardes ta vie d’une autre façon. J’imagine que d’être collé à une vitre durant dix heures d’affilée, en observant le quotidien de gens qui vivent d’une façon différente de la tienne, avec cette nature exubérante tout autour, te connecte à une zone du cerveau dont tu te sers très peu dans le monde ordinaire. C’est une contemplation qui plonge en profondeur, tout en étant très subtile. D’autres formes de pensées entrent en éclosion. Elles ne connaissent ni la peur, ni les plans futurs. Le passé apparaît comme continuant d’exister, tissant un maillage complexe qui dessine les lignes de l’avenir. Impossible de douter de soi quand on est témoin de ça. Impossible de douter du sens de son existence. J’étais ravie de me dire que durant un an, j’allais avoir accès à ça.
Je commençais à avoir un peu faim quand un vendeur est monté à bord avec son grand panier. Il m’a fait goûter un petit pain tout chaud fourré à la pâte de goyave, me disant qu’il en avait aussi au fromage. J'ai pris un sachet de chaque. C’était tellement bon ! Ça vaut vraiment le coup de faire confiance au destin pour t’envoyer la graille. Ces aliments du bord des routes sont les plus frais et les moins chers que tu puisses trouver. Avec ça, j’allais pouvoir patienter jusqu’au soir, parfait.
Le paysage était si beau… Des arbres fruitiers en pagaille, des palmiers, des bananiers, des papayers, des cacaoyers, et bon nombre des plantes que je venais de décrire dans mon inventaire des plantes maîtresses, un truc de fou ! J’ai vu le fameux Toé et le Piñon Blanco ! Les bords des routes s’égaillaient d’échoppes où on vendait du pain de yucca, des papayes, des ananas et des avocats énormes, il y avait aussi ces petites maisons typiques des endroits tropicaux, basses, colorées, avec du fer forgé aux fenêtres et des hamacs suspendus sous le porche. Ça m'a fait plaisir de retrouver tout ça.
Cela dit, le temps était quand même long, surtout parce que j’avais le dos en vrac et une méchante pointe de douleur sous l’omoplate, due à ces putains d’heures de vol et à ma fatigue générale. On a fait un arrêt dans un rade qui m’a rappelé celui où Travis se fait offrir un sandwich par un vieux au tout début du tome 1 de Borderline. C’est si étrange de retrouver les éléments qui ont inspiré mes livres. Une fois de plus, ma réalité et celle de Travis coïncident…
Il faisait déjà nuit noire quand on a finalement débarqué à Manizales. Dix heures de route dans les bottes, pour le lendemain d’une arrivée en pays étranger, même en tant que voyageuse chevronnée comme moi, c’est quand même du lourd. J’ai chopé un taxi pour qu’il m'emmène à la finca, sans me donner la peine de négocier le prix auparavant, ce qui peut être très risqué. Si tu marchandes pas direct, t’as toutes les chances au monde pour te faire enfler ta race à l’arrivée. En plus, le type s’est à moitié paumé (j’ai le chic pour me dégoter des hôtels perdus au milieu de nulle part qui ne figurent sur aucun radar). Mais en fait, il était charmant, on s’est bien marrés ensemble en cherchant la finca, et le prix qu’il m’a fait payer était de loin très inférieur à celui des deux courses précédentes (ce qui m’incite à penser que le deuxième chauffeur m’a lui aussi entubée…).
J’étais enfin arrivée dans mon paradis. Bon, vu qu’il faisait nuit, j’en ai rien vu avant le lendemain, mais les chants d’oiseaux me certifiaient que j’étais au bon endroit. J’ai avalé mon dîner en en laissant la moitié (trop crevée), pris une douche, et me suis jetée dans le grand lit de ma magnifique chambre en bois ciré.
Ce coup-ci, j’allais enfin pouvoir me relaxer.
Réveil au paradis
Imaginez une terrasse perchée à flanc de montagne, d’où partent des sentiers formés de marches en pierre, entourés de végétation. Des bananiers, des fleurs, des plants de café, et des tas d’oiseaux tous plus colorés les uns que les autres, dont le chant est une musique zen. Des nappes de brumes s'accrochent aux collines, dévoilant par moment un panorama d’un vert électrique, si dense, si profond, qu’il semble incarner une forme de vie primitive et sauvage. L’odeur, à la fois musquée et sucrée, vous pénètre comme celle d’un animal féroce, d’une beauté sans égal.
Le jour est en train de se lever. Et si les mots perfection et envoûtant ont jamais eu de sens, alors il est en train de se révéler, là, sous vos yeux.
S’éveiller dans un endroit pareil après trois jours de voyage, c’est une récompense grandiose. Le genre de cadeau qu’on se fait à soi-même, qu’on ne peut recevoir que de soi-même, en fait.
Quand la réalité rejoint le rêve, à des années-lumière de la vie ordinaire, le monde apparaît comme magique, et la volonté, les désirs de l’Homme, qui le poussent sans cesse à lutter, à se dépasser, rencontrent leur accomplissement.
Ça peut sembler stupide, voire malvenu de ressentir de la gratitude envers soi-même. Pourtant, c’est exactement ce que j’ai éprouvé. Et j’ai eu envie de remercier le monde d’être aussi beau.
La balade de la lose
Le gérant de l’hôtel (ouais, cherchez pas, je me fais toujours pote avec les gérants d’hôtel) m’a proposé qu’on aille se balader dans la montagne. Évidemment, j’étais partante. On a parcouru les sentiers de la finca, lui me montrant les arbres fruitiers qu’il avait plantés, me disant à quel point la terre était fertile ici, au point que le compost lui-même donnait naissance à des arbres sains et grands en l’espace d’une paire d'années. Du café, des goyaves, des avocats, des bananes, des papayes, des ananas… Il avait tout ici, et c’est avec ça qu’il nourrissait ses clients et les oiseaux des environs.
On a passé le portillon en bois qui menait au-delà, directement dans les collines des vaches, une merveille de verdure et d’immensité. Le panorama était à couper le souffle. On descendait en zigzag pour éviter de se ratatiner la gueule, tant le sol était humide et boueux. C’était cool de discuter le coup avec lui. C’est marrant, au début je me montre toujours un peu timide, et puis rapidement je me mets à parler librement, à jurer dans toutes les langues comme à mon habitude, et à faire rigoler celui qui m’accompagne.
Au bout d’un moment, je me suis rendue compte que j’étais en train de me faire piquer de partout. Y me semblait pourtant n’avoir vu aucun moustique dans les parages. Et puis j’ai identifié ce que c’était : des sand-flies, ou mosqueros comme on les appelle ici, sorte de petites mouches jaunes très présentes dans les lieux tropicaux, et qui, contrairement aux moustiques, piquent à toute heure du jour. Ces mouches sont ma hantise. Quand je m’occupais des singes en Bolivie, j’avais le corps littéralement défoncé par leurs morsures. Eh ben, elles étaient de retour. Mais c’est pas ça qu’allait m’empêcher de continuer à marcher.
On cheminait, on papotait, ça devait déjà faire une heure qu’on descendait la montagne quand on a franchi un petit cours d’eau, une source, comme il me l’a appris, avant de passer sur la montagne d’à côté. Les herbes avaient doublé de volume, et de hauteur. Le sol était si boueux que, sans savoir comment, mon pied a soudain glissé, j’ai fait une roulade digne d’un pro de capoeira, en m’accrochant désespérément à une touffe d’herbe bien robuste qui se trouvait là, pour atterrir un niveau plus bas (il y a plusieurs “sentiers”, on va dire, un peu comme une culture en terrasse), saine et sauve. Enfin, c’est ce que je croyais…
Après quelques nouvelles minutes de marche, je me suis aperçue que j’avais plus mon téléphone, qui se trouvait normalement dans la poche kangourou de mon sweat. Bon, OK, on s’est dit, le dueño et moi, c’est rien, y a qu’à retourner à l’endroit de la chute et basta.
Ouais. Mais c’était sans compter la hauteur de ces putains d’herbes, et la raideur de la pente. Vu la roulade que j’avais faite, le maudit portable avait pu bondir très loin, rouler tout en bas, ou plus simplement s’enfouir dans une touffe pour y rester planqué comme un petit salopard, et ce, à jamais…
On l’a cherché. Trois. Putains. D’heures. Évidemment, la première idée que le dueño a eue, c’est de m’appeler pour qu’on l’entende. Mais voilà, il n’avait pas de ligne normale, seulement WhatsApp, et moi, j’ai pas de connexion sans wifi. Il a dû appeler différents potes à lui pour que l’un d’entre eux se casse les couilles à prendre un taxi, aller en ville, puis dégote une tienda qui vendait des minutes d’appel à l’international pour pouvoir faire sonner mon putain de téléphone. Entre deux, la pluie s’était mise à tomber, et nous on devenait complètement fous à fouiller ces herbes en tous sens, à la recherche de cet engin de malheur qui m’apparaissait de plus en plus comme un fléau de la civilisation. J’ai fait au mec : Dieu sait que je déteste être le genre de gourdasse qui peut pas survivre sans son tel, mais bordel j’ai absolument tout là-dedans, et sans lui voyager serait bien plus difficile. Il comprenait parfaitement, et m’a assuré qu’on le retrouverait, quitte à faire venir des employés à lui pour qu’ils ratiboisent toute la prairie avec des machettes. Mais avec la pluie, je doutais de plus en plus qu’il soit encore en état de marche le lendemain…
Au bout de trois heures, donc, le pote a réussi à passer son appel. Mais on entendait rien, sa mère. Alors on a bougé, loin de l’endroit où j’avais chuté, prêtant l’oreille comme des malades dans l’espoir d’entendre cette fichue sonnerie annonciatrice de téléphone en vie. Et putain, je l’ai entendu, ce petit bâtard. Loin du lieu où j’étais tombée. Le dueño s’est précipité pour mettre la main dessus, posé tout tranquille qu’il était, l’air de dire : Hey les mecs, j’étais là depuis le début, moi, j’ai pas bougé ! Le pire, c’est qu’il était même pas au fond d’une touffe, il était juste… là, à nous attendre gentiment depuis le commencement de cette connerie. J'avais dû le perdre après être tombée. Incroyable.
Bref, on a enfin pu prendre la route de retour, grimpant la montagne quasiment tout droit, de la boue jusqu’aux genoux, mais j’étais si soulagée que l’effort ne m’a pas paru démesuré.
On a conclu cette idiote d’aventure avec une bière, tout mouillés, tout crasseux, mais avec le sentiment d’avoir quand même gagné quelque chose.
C’est con des fois la vie.
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Plantes Maîtresses Amazoniennes : L’Inventaire Illustré
A la différence des simples plantes médicinales, les plantes maîtresses sont des plantes qui enseignent. Considérées comme des êtres animés d’un esprit qui leur est propre, ces plantes enseignantes ont la capacité de s’adresser à l’Homme pour lui transmettre leur savoir et leur pouvoir, souvent par l’entremise d’états de conscience modifiée. Si les plantes maîtresses sont souvent aussi médicinales, le fait est que les bénéfices qu’elles sont en mesure d’apporter à l’être humain vont bien au-delà de la simple guérison. On parle ici de transmission d’un savoir.
Une Plante Maîtresse, qu’est-ce que c’est ?
A la différence des simples plantes médicinales, qui soignent les troubles physiques ou plus rarement psychiques, les plantes maîtresses sont des plantes qui enseignent.
Considérées comme des êtres animés d’un esprit qui leur est propre, ces plantes enseignantes ont la capacité de s’adresser à l’Homme pour lui transmettre leur savoir et leur pouvoir, souvent par l’entremise d’états de conscience modifiée tels que les rêves, les visions (lorsque la plante est psychotrope), mais aussi l’intuition et la perception sensorielle, ou encore en lui enseignant des chants, comme les fameux icaros.
Si les plantes maîtresses sont souvent aussi médicinales, le fait est que les bénéfices qu’elles sont en mesure d’apporter à l’être humain vont bien au-delà de la simple guérison. On parle ici de transmission d’un savoir.
Mais cette connaissance ne s’obtient pas facilement. Pour avoir une chance d’y avoir accès, il faut s’engager dans un processus de diète avec la plante maîtresse, ce qui signifie l’incorporer de multiples façons, pendant des jours, des mois, voire des années d’affilée. L’idée est de devenir ami avec la plante, d’en faire une alliée afin qu’elle partage avec nous une partie de sa sagesse et de son pouvoir.
La diète est un processus extrêmement strict, tant par les restrictions qu’elle impose (isolement, interdictions alimentaires et comportementales), que par l’engagement total de la volonté, et dans une certaine mesure la dévotion, qu’elle implique.
De quelle manière fonctionne une diète de Plante Maîtresse ?
Il existe deux sortes de diètes : celle d’apprentissage, et celle de guérison.
La diète d’apprentissage s’adresse principalement à ceux qui veulent devenir chaman. C’est une véritable initiation, qui requiert d’immenses sacrifices et se pratique sur des années. Cela dit, l’apprenti chaman devra d’abord se livrer à une diète de guérison pour se purger de ses troubles avant d’entreprendre la diète initiatique.
Précisons tout de même qu’il est possible de s’engager dans une diète d’apprentissage sans avoir pour but de devenir guérisseur. Un Occidental qui ne rencontre aucun problème particulier dans sa vie mais souhaite apprendre auprès des plantes pourra tout à fait s’y livrer, sur une période relativement courte (un mois minimum), et en retirer des bénéfices tels que savoir, pouvoir, inspiration et connaissance de soi et du monde des plantes.
La diète de guérison, qui s’adresse donc surtout aux Occidentaux, est beaucoup plus courte, et ne fonctionne pas de la même façon. Voici le processus classique par lequel passe celui qui s’y engage :
Tout d’abord, la Plante Maîtresse diétée va exacerber les problèmes du patient, en mettant en éveil les forces obscures tapies en lui. Il sera alors la proie d’effets physiques et psychologiques très rudes, tels que mal-être, nausée, migraine, irritabilité. Cette première phase a pour but de faire prendre conscience au diéteur des soucis ou des blocages corporels, affectifs ou spirituels qu’il porte en lui en secret.
Ensuite vient la phase du traitement en tant que tel. Le diéteur se confronte à ses problèmes, grâce à l’Ayahuasca, plante visionnaire grâce à laquelle le monde des autres plantes maîtresses devient mieux accessible. Durant la transe, le diéteur va faire front aux troubles révélés par sa plante de diète, et embrasser la réalité de son être. La diète éveillera en lui le pouvoir curatif de sa propre conscience sur elle-même, un accès à son propre pouvoir, à sa propre sphère de guérison.
Enfin, lors de la dernière phase, le diéteur va incorporer les enseignements des plantes et modifier sa vie. C’est le processus d’intégration.
Il s’agit donc d’un engagement total de la personne, parfois difficile à vivre, mais dont les bienfaits se répercutent sur toute une vie.
Entrons dans le vif du sujet !
Cet article est un index des Plantes Maîtresses et Médicinales utilisées dans le chamanisme traditionnel du bassin amazonien, avec photos à l’appui.
Aussi souvent que possible, j’ai indiqué le nom latin de la plante, sa posologie, son usage médicinal et son action en tant que Plante Maîtresse, ses effets physiques et psychiques, ainsi que les enseignements spirituels dont elle a la spécialité.
Cependant, gardez en tête que les informations qui suivent en ce qui concerne la posologie, les enseignements de ces plantes et leur action en tant que Plante Maîtresse varient énormément d’un diéteur à l’autre.
En effet, puisque chaque plante possède sa personnalité et qu’il est ici question de nouer une amitié avec elle, la relation qu’elle développe avec celui qui la diète est unique. Le langage qui s’établira entre eux, le savoir qu’elle partagera avec lui, et jusqu’à même la forme qu’elle empruntera pour se présenter à lui, seront très personnels.
Bien souvent, les témoignages de deux personnes ayant diété la même plante n’ont rien de similaire, et pour cause : leurs intentions, leurs intérêts varient, donc logiquement, la plante ne leur offre pas la même chose.
Mais une tendance générale se dessine, souvent en lien avec les propriétés intrinsèques de la plante, comme par exemple le Bobinsana et ses puissantes racines, aidant à retrouver ancrage et stabilité.
Considérez donc cet article comme une porte ouverte vers le monde surprenant des Plantes Maîtresses, puis ensuite, faites confiance à votre intuition et à votre chaman pour déterminer la Plante auprès de laquelle vous allez vous engager…
Bonus : Si vous avez envie de comprendre comment fonctionne la diète de plantes en profondeur, je vous invite à vous rendre vers le premier article du Dossier Spécial Diète de Plantes.
Le Répertoire des Plantes Maîtresses et Médicinales du Chamanisme Indigène
Aire Sacha Cosmica (Kalanchoe pinnata)
Plante Cosmique
Usage médicinal : Cette plante est antiémétique, anti-inflammatoire et traite également la conjonctivite.
Plante Maîtresse : Principalement utilisée pour l’enseignement, l’Aire Sacha Cosmica favorise la connexion avec la nature et ses éléments, la Terre et l’univers. Son atout majeur est d’aider celui qui apprend avec elle à savoir différencier le monde obscur de la fausse lumière et la vraie lumière, ambivalence extrêmement présente dans le chamanisme. On dit qu’elle vient du cosmos et connecte le diéteur à la médecine cosmique, aux docteurs et esprits de la sphère de la guérison. D’une manière générale, l’Aire Sacha nous relie au monde des esprits de l’air.
Ajo Sacha (Mansoa alliacea)
Plante de l’Identité ou de la Vocation
Posologie : Deux verres par jour d’une décoction de la racine. Léger goût d’ail. Les feuilles aussi peuvent être employées. L’Ajo Sacha peut aussi être prise en inhalation, c’est-à-dire qu’on pile la racine dans un tout petit peu d’eau qu’on va ensuite inspirer par le nez, une cuillère dans chaque narine. Par ce biais, elle brûle les bafouillements du mental et clarifie l’esprit pour plusieurs jours, ce qui est très appréciable lors d’une entrée en diète.
Usage médicinal : L’Ajo Sacha est reconnue pour renforcer le système immunitaire, nettoyer le sang, et libérer des addictions. En tant qu’antidépresseur, elle entre aussi dans le traitement de nombreuses affections psychologiques. Elle traite également les rhumatismes, combat la fièvre, et fonctionne comme un analgésique. D’autre part, cette plante purifie le parasitage psychique et libère des sortilèges ou des infestations par de mauvais esprits.
Plante Maîtresse : En ouvrant et en purifiant le mental et le corps, cette plante favorise le travail d’évolution personnel. D’une manière générale, l’Ajo Sacha est une plante de feu qui brûle les énergies néfastes.
Effets physiques : Mal-être, douleur généralisée, sensation de chaleur, sont les prémisses qui inaugurent en fait un renforcement de la volonté.
Effets psychiques : Auto-affirmation, discernement, l’Ajo Sacha aide à différencier le vrai soi du conditionnement extérieur, afin de déterrer son identité profonde. Des rêves de lutte, parfois séquentiels, et de nombreuses réflexions sur les comportements passés sont à prévoir chez le diéteur, ainsi qu’une grande irritabilité et parfois, de l’agressivité.
Enseignements : Renforcement du corps et de la volonté menant vers une meilleure estime de soi et une plus forte capacité de décision. L’Ajo Sacha est la Plante de la Vocation car elle nous apprend à discerner ce qui est approprié ou non sur notre chemin de vie. Elle connecte au monde des esprits de la terre.
Ayahuasca (Banisteriopsis caapi)
Esprit Féminin par excellence
Plante fondamentale dans la médecine traditionnelle, l’Ayahuasca est la porte vers toutes les autres plantes
Psychoactive
Posologie : Une petite tasse avant chaque cérémonie. Goût très désagréable.
Usage médicinal : Purgatif stomacal et intestinal.
Plante Maîtresse : L’Ayahuasca est l’outil de diagnostic principal des curanderos, leur force venant des diètes des autres plantes. Toute l’initiation d’un chaman dépend d’elle. Elle est incontournable dans l’apprentissage. De nature féminine, l’Abuelita possède son propre monde médicinal, sa propre sphère de guérison. Si elle est généreuse et globalement aimante, attention à ne pas faire le malin avec elle, ou bien elle vous remettra les pendules à l’heure !
Effets physiques : Vomissements, diarrhée, transe, visions.
Enseignements : Cette plante ouvre la vision lors des diètes thérapeutiques. En rééquilibrant les énergies de l’Homme et en éveillant son intuition, cette plante le connecte avec le passé et le futur, lui ouvrant la voie vers une perception nouvelle de la conscience et de l’espace-temps. C’est la clé des profondeurs de l'âme humaine, ainsi que l’interface qui permet la communication avec toutes les autres plantes, la nature, les esprits, et les autres dimensions.
L’Ayahuasca est une plante si importante dans la pratique du chamanisme amazonien qu’elle nécessite une page de présentation pour elle toute seule. Vous pouvez consulter La FAQ Ayahuasca qui répond aux 23 questions les plus courantes à son sujet.
Ayahuma (Couroupita guyanensis)
Plante des Chants
Famille des Palos (arbres)
Posologie : Un verre chaque soir, soit d’une décoction d’écorce de l’arbre, soit du fruit réduit en pulpe dont on exprime le jus au travers d’un linge.
Usage médicinal : L’Ayahuma est anti-inflammatoire et c’est un antalgique musculaire. Cet arbre très puissant est aussi utilisé pour nettoyer des énergies négatives. On se baigne avec son fruit réduit en pulpe mélangé à de l’eau.
Plante Maîtresse : L’Ayahuma est utilisée lors de l’initiation des chamans afin d’acquérir des protections (arcanas) en vue de pratiquer la guérison. Elle ouvre au monde de l’Ayahuasca, éveille les visions, et permet de recevoir la lumière. Cette plante contient les deux énergies, positives et négatives, à égalité. Pour un apprentissage avec elle, un minimum de trois mois à un an est requis. Mais elle peut aussi être diétée par les Occidentaux qui ne souhaitent pas devenir curanderos. Attention, il s’agit davantage d’une plante de pouvoir que de guérison, elle n’est donc pas pour tout le monde. Seuls les plus déterminés peuvent s’engager avec elle, pour une diète d’un mois minimum.
Effets physiques : Légère nausée après l’avoir bue, sommeil profond et rêves vivaces, douceur de la peau après s’être baigné avec son fruit (héhé). Donne de la force et de l’énergie.
Effets psychiques : Tension, irritabilité, sensibilité accrue à l’énergie des autres (bonne ou mauvaise). Aide à la concentration et renforce énormément la détermination, ce qui peut parfois apparaitre comme de l’intransigeance ou un manque d’empathie.
Enseignement : L’Ayahuma enseigne les chants sacrés, ou icaros, aux chamans. Mais elle apprend aussi la rectitude, la droiture, et augmente la force de l’intention chez celui qui la diète, et d’une manière générale, la volonté et le pouvoir personnel. On dit que cet arbre connecte au monde des bois.
Plante toxique : Le dosage doit être très précis et scrupuleusement respecté.
Ayant diété l’Ayahuma pendant un mois, j’ai écrit un article sur mon expérience avec elle. Bien qu’étant très personnel, mon apprentissage auprès de cette plante maîtresse pourrait vous intéresser. Voici le lien vers le blogpost en question : L’Ayahuma, le Cobra et Moi.
Bobinsana (Calliandra angustifolia)
Plante de l’Enracinement
Posologie : Deux verres par jour.
Usage médicinal : Cette plante guérit les rhumatismes et l’arthrite.
Plante Maîtresse : Le Bobinsana rassure et éveille la douceur des sentiments. Il favorise l'enracinement, la flexibilité dans la communication affective et la souplesse face aux défis de la vie personnelle. En ouvrant le cœur, il stimule la joie et apprend à réguler tout débordement émotionnel ou psychologique.
Effets physiques : Douleurs ostéo-musculaires diffuses, nausées. Le fonctionnement de cette plante consiste à renforcer le corps et l’esprit en les rendant plus flexibles.
Effets psychiques : Cette plante provoque de prime abord la réflexion, qui mène vers une tranquillité, une certaine douceur des sentiments. Le Bobinsana est très doué pour éliminer la dépression, tout en améliorant la souplesse de l’esprit. Il stabilise.
Enseignements : Arbuste qui vit au bord des rivières, pourvus de profondes racines qui le rendent capable de résister aux crues, son enseignement majeur est donc de renforcer notre propre enracinement et de nous apprendre à rester stable, même au sein de la tourmente. Il éveille nos propres pouvoirs de guérison.
Camalonga (Thevetia peruviana)
Plante Amulette
Posologie : Deux verres par jour de graines préparées dans un macérât d'eau avec colorant, exposé au soleil.
Usage médicinal : La Camalonga rééquilibre le système nerveux en le purifiant. Elle nettoie les imprégnations négatives.
Plante Maîtresse : Cette plante ôte la noirceur et l’obscurité intérieure, tout en apportant le calme et la tranquillité. Elle contient les deux énergies, lumière et obscurité, à égalité. Lors de l’apprentissage, la Camalonga favorise l’ouverture des visions afin que le curandero puisse poser son diagnostic et trouver le remède adéquat pour son patient. Sa petite particularité est qu’elle ne se prend jamais seule en diète. Il s’agit d’une plante très fragile, très sensible, ce qui fait que quand elle est prise seule, son énergie disparait facilement. Mais si on l’associe à une autre plante, les deux se mélangent et potentialisent mutuellement leurs effets, ce qui la rend moins volatile.
Effets physiques : Affaiblissement général, céphalées, amertume dans la bouche.
Effets psychiques : Grâce à la Camalonga, l'activité des rêves et le désir de travailler augmentent. En ciblant les déséquilibres, elle nettoie au niveau spirituel aussi bien qu’énergétique.
Chai (Tuna puntia)
Plante du Voyageur Spirituel
Usage médicinal : Ce cactus sert pour l’extraction des tumeurs et abcès, soigne les ulcères et les migraines, et permet aussi la réduction des fractures.
Plante Maîtresse : Le Chai est utile pour entrer en contact avec le monde de l’eau, de l’air et de la terre. Il est idéal pour la découverte des mondes spirituels et apporte sa protection.
Chiric Sanango (Brunfelsia grandiflora)
Plante des Froids
Posologie : Un verre tous les deux jours le matin, se baigner après la prise et plusieurs fois dans la journée pour contrôler l’effet (très puissant).
Usage médicinal : Cette plante nettoie et renforce l’organisme. Elle soutient tout le système locomoteur (tendons, muscles, os) et agit sur tous les endroits douloureux. Pour les pêcheurs qui sortent de nuit sur le fleuve par exemple, il aide à éviter l’humidité dans les os. Elle est prescrite pour les rhumatismes, l’arthrite et les dermatoses. C’est un anti-inflammatoire général et un antigrippal.
Plante Maîtresse : Le Chiric Sanango restaure la confiance en soi, débarrasse des peurs, de la timidité et de la froideur affective, et rétablit l'équilibre masculin/féminin. C'est la plante de l'audace, de la sortie de l’égocentrisme et de l'ouverture pour aller vers l'extérieur, vers les autres, vers son destin. Elle rend flexible à tous les niveaux.
Effets physiques : Cette plante provoque une sensation de froid initiale intense, accompagnée de frissons (chiri-chiri en quechua), d’une faiblesse généralisée et de multiples douleurs. On ressent aussi des fourmis dans les lèvres et les extrémités. Puis, dans un second temps, c’est la fièvre et la nausée qui prennent le dessus.
Effets psychiques : Le Chiric Sanango engendre des rêves très forts dans lesquels nos peurs se révèlent. C’est sa façon à lui de nous libérer de nos angoisses secrètes afin de nous ouvrir à la vie. Une fois ce processus accompli, on rencontre un grand renforcement dans notre ancrage.
Enseignements : En jetant dehors le froid (physique et émotionnel), la timidité et la peur, cette plante nous renforce d’une façon totale et nous rend apte à retourner dans le monde avec un appétit féroce pour la vie.
Plante toxique : Tout comme le Toé, le Chiric Sanango fait partie des Solanacées et contient de la scopolamine. Le dosage doit donc être très précis et scrupuleusement respecté, risque d’overdose ou de mort !
Chuchuwasi (Maytenus macrocarpa)
Plante de la Force et de la Structure
Famille des Palos (arbres)
Posologie : Deux verres par jour, se baigner plusieurs fois dans la journée.
Usage médicinal : Guérit les problèmes du système reproducteur (infertilité, impuissance, etc.).
Plante Maîtresse : Le Chuchuwasi agit sur les problèmes d’ordre transgénérationnel en purifiant les transmissions et filiations familiales.
Effets physiques : Cette plante fait naître le mal-être, qui s’accompagne de douleurs diffuses. Son effet principal est d’agir sur le système ostéo-musculaire, dans le but de corriger les mauvaises postures.
Effets psychiques : On acquiert plus de force et de vigueur. Aphrodisiaque.
Enseignements : Le Chuchuwasi redresse, corrige, tonifie, nous enseigne la rectitude et restaure notre centre. Il nous endurcit et nous tonifie d’une manière très profonde. Comme beaucoup d’arbres, il éveille l’énergie masculine.
Chullachaki Caspi (Brysonima christianeae)
Plante Trickster à l’esprit double, mâle et femelle
Famille des Palos (arbres)
Posologie : Un verre de la décoction de son écorce chaque soir.
Plante Maîtresse : Le Chullachaki Caspi est un arbre très particulier, car il est le refuge d’un esprit (et de sa femme) considéré comme le roi de la forêt et le maître des animaux, à la fois craint et admiré par les indigènes de toute l’Amérique latine : le fameux Chullachaki ! Si nombreux sont ceux qui s’accordent sur son apparence étrange, celle d’un nain aux oreilles pointues et dont l’un des pieds est tourné dans le mauvais sens (afin d’égarer les chasseurs ayant négligé de le consulter en les induisant en erreur avec des traces de pas allant des deux côtés), il est aussi capable de prendre différentes formes : celle d’un proche ou d’un animal, par exemple. Il surgit souvent par surprise, et sa brusque apparition peut rendre malade, fou, ou encore amoureux… Il possède des jardins de plantes médicinales, contrôle la météo et peut même provoquer des tempêtes s’il est contrarié. Cependant, c’est un allié de taille pour celui qui sait le diéter, car il permet à celui qui apprend à ses côtés d’être bien accueilli dans le monde sylvestre en l’introduisant dans les mystères de la forêt amazonienne. Il attire aussi l’amitié, et favorise l’ouverture spirituelle.
Effets psychiques : En tant que Trickster de l’Amazonie, le Chullachaki à sa façon propre de mettre à l’épreuve celui qui le diète. Sa méthode d’enseignement conjugue sagesse et farce, et il peut aussi bien nous aider que nous tromper, ce qui rend sa diète difficile… Un sentiment de confusion, de trouble et d’égarement accompagne souvent l’apprentissage auprès de lui. Il engendre des complications dans la vie du diéteur, avant de l’aider à parvenir à leur résolution. D’autre part, il aime s’incarner dans son disciple (toujours par surprise !).
Enseignements : Cet arbre apprend à converser avec les esprits de la nature et les animaux, et permet de passer “derrière le voile des apparences”.
Coca (Erythroxylum coca)
Plante de l’Équilibre Yin/Yang
Esprit exactement au centre du spectre sexuel
Posologie : Deux verres par jour.
Usage médicinal : La Coca soigne les infections de tout type, clarifie le mental et restaure l’énergie physique et psychique. Tonique, elle apaise les douleurs physiques et émotionnelles et permet aux blessures de guérir.
Plante Maîtresse : Cette plante ouvre une connexion au monde astral et au monde des esprits, qui l’utilisent lors des opérations chirurgicales. En apportant de le centrage, elle permet de se concentrer et d’ordonner la pensée conceptuelle. En tant que plante neutre, elle participe au réalignement psychique tout en rétablissant l’équilibre masculin/féminin. Elle stimule aussi la production onirique. On peut l’associer à une autre plante pour moduler son effet, le diminuer ou l’augmenter.
Lupuna (Ceiba pentandra)
Plante des Eaux
Famille des Palos (arbres)
C’est l’un des arbres les plus hauts d’Amazonie, vénéré dans toute l’Amérique latine
Posologie : Deux verres par jour d’une décoction de l’écorce.
Usage médicinal : On utilise les graines, les feuilles et la résine de la Lupuna pour guérir la fièvre, l’asthme, la diarrhée, la dysenterie et les problèmes rénaux. L’infusion de son écorce s’emploie aussi pour le traitement du cancer et des maladies inflammatoires.
Plante Maîtresse : La Lupuna est la grande gardienne de la forêt. Dans la tradition chamanique, faire une diète avec elle est une épreuve d’initiation, qui confirme la volonté, la force et la droiture de l’apprenti s’il la réussit, assurant qu’il est prêt à suivre la voie de la medicina. Si sa vocation n’est pas authentique, la Lupuna peut lui enlever la vie. On raconte aussi qu’elle cache, à la base triangulaire de son énorme tronc, un portail dimensionnel visible sous les effets de l’Ayahuasca, qui communique avec le monde spirituel. Il est aussi dit que cet arbre possède une voix qui mugit quand le vent s’introduit dans les cavités de son tronc. La Lupuna est une protectrice, elle veille sur les autres plantes, les animaux et les Hommes de l’Amazonie. Du fait de sa hauteur et de sa connexion avec le ciel, faire une diète avec elle ouvre au monde cosmique et au savoir du monde d’en haut. Mais elle est avant tout liée au monde de l’eau, car elle pousse à proximité des rivières, et est de ce fait alliée avec les esprits subaquatiques tels que la Yacumama, serpent-mère du royaume de l’eau, les dauphins, les sirènes, et les yacurunas, le peuple de l’eau.
Il est à noter qu’il existe deux types de Lupuna, la blanca (blanche) et la colorada (noire). La Lupuna Blanca cache en son cœur une guérisseuse, tandis que la Lupuna Colorada renferme une sorcière, qui se venge notamment sur les femmes qui viendraient uriner sur ses racines en leur provoquant une infection urinaire !
Effets physiques : Légères nausées, céphalées.
Enseignements : Comme ses immenses racines qui creusent le sol de la forêt, comme son tronc énorme où résonne l’écho du vent, et comme ses gigantesques branches qui caressent le ciel, diéter la Lupuna revient à se connecter d’une façon totale et complète au Vivant, en favorisant à la fois l’ancrage, le cœur, et le cosmique. Cette diète ouvre à des niveaux de conscience élevés, à des expériences mystiques, mais obtenir le savoir de cette plante implique de s’engager véritablement dans la protection de la jungle.
Marosa (Calathea allouia)
Plante du Cœur
Usage médicinal : La Marosa se montre utile pour favoriser la fertilité féminine. On peut aussi en faire des bains de feuilles pour éveiller l’amour.
Plante Maîtresse : Plante rattachée au monde de l’eau, la Marosa travaille sur les blessures sentimentales et émotionnelles, les traumatismes, en nettoyant les mémoires anciennes, même celles en lien avec la généalogie. Grande aide pour les personnes dépressives, elle ouvre le monde de l’amour comme une mère et ouvre le mental, la conscience et le cœur, tout en soignant ses peines. La Marosa emplit le diéteur de joie et lui donne confiance en soi, tout en le rendant plus à l’écoute de son ressenti corporel. Elle développe aussi la part féminine dans le chant.
Mucura (Petiveria alliacea)
Plante de Protection
Posologie : Un verre le soir d’une décoction de la racine.
Usage médicinal : La Mucura fait partie des rares plantes de la pharmacopée amazonienne qu’on dit “bonne pour tout”, une véritable panacée. Antibactérienne, antivirale, antifongique, anti-inflammatoire, vermifuge, immunostimulante, analgésique, diurétique et abortive, elle est aussi très douée pour faire baisser le taux de sucre dans le sang. De plus, elle contient des composés actifs contre certains types de cancers. En usage externe, la Mucura est efficace contre la gale et les tiques.
Plante Maîtresse : Cette plante rend plus réceptif, plus ouvert aux énergies d’autres plantes auxquelles elle est associée, permettant à celles-ci de mieux entrer, de mieux travailler. De plus, elle est salvatrice pour les gens infestés par de mauvais esprits. C’est même la plante numéro un pour se défaire et se protéger de la sorcellerie. C’est une plante de protection, qui brûle les mauvaises énergies grâce au nettoyage qu’elle provoque.
Effets physiques : A haute dose, la Mucura provoque de l’insomnie et devient visionnaire. Conjuguée à l’Ayahuasca, elle engendre une double ivresse, très forte, qui peut durer jusqu’à douze heures !
Effets psychiques : Elle aide à combattre la dépression et l’anxiété, et améliore la mémoire.
Enseignements : La Mucura est une petite plante avec beaucoup de sagesse qui offre au diéteur tout ce qu’elle peut. Elle nous aide à retrouver notre clarté mentale, nous protège de la jalousie des autres, active notre volonté et booste notre envie d’apporter les changements nécessaires à notre vie.
Numan Rao
Plante de l’Amour
Posologie : Deux verres par jour d’une infusion à froid.
Plante Maîtresse : La Numan Rao calme grâce à la lumière qu’elle fait naître dans l’âme de celui qui la diète. De nature féminine, cette plante ouvre à l’amour de soi et des autres, et favorise l’acceptation.
Effets physiques : Rien à signaler !
Effets psychiques : Cette plante apporte la paix et l’harmonie psychique et énergétique à celui qui la diète, ainsi qu’une sensation d’harmonie, de rééquilibrage physique. Elle travaille tout en douceur et est souvent donnée à diéter aux novices.
Enseignements : En renforçant la confiance en soi et en l’avenir, la Numan Rao fait disparaitre l’appréhension envers le futur et favorise l’investissement dans la vie au présent. Elle apprend à travailler sur ses croyances et fait prendre conscience au diéteur du pouvoir créateur de son intention. D’autre part, elle engendre des visions cosmiques lors des cérémonies d’Ayahuasca.
Ojé (Ficus insipida)
Plante du Sevrage Toxicologique
Famille des Palos
Posologie : Une seule micro dose de résine et ensuite un mois au lit, avec une diète stricte, un seau pour faire ses besoin et interdiction de se lever. Contrevenir à ces impératifs signifie jaunisse, gonflement, mort.
Usage médicinal : L’Ojé est un arbre médicinal puissant et redoutable, utilisé contre les parasites intestinaux, le sida ou l’anémie chez les enfants. Il entre aussi en action dans le traitement des addictions. On l’associe souvent au Tabac et à l’Azusena, plante vomitive, pour la désintoxication. Il est antidiarrhéerique, anti-inflammatoire, antihémorroïdal et antiseptique.
Plante Maîtresse : Cette plante apporte beaucoup de lumière grâce à sa médecine très forte et enseigne comment guérir les addictions. Sa sève permet l’acquisition de forces curatives en diète d’apprentissage.
Palos
Plantes de la Structure et de la Verticalité
Conglomérat de différentes plantes médicinales et maîtresses : Renaco (Ficus citrifolia), Killuwiki (Chrysochlamys ulei Clusiaceae), Kamé (Clusia alt. lineata Clusiaceae), Bobinsana (Calliandra angustifolia), Chuchuwasi (Maytenus macrocarpa), Bolaquiro (Potueria Ucuqui), Quilluhuiqui (Reedhia acuminata), Cocobolo (Schinopsis peruana), Acerohuasca (Paullinia sp.), Bachufa (Cordia alliodora)
Particularité : La préparation du mélange Palos consiste en l'utilisation de la tige, de l'écorce, des feuilles et/ou des racines de différentes plantes, cuites dans de l’eau ou simplement macérées.
Posologie : De nombreux verres par jour, pouvant aller jusqu’à plusieurs litres.
Effets physiques : Le remède Palos provoque une chaleur générale chez celui qui le consomme, liée à une nette augmentation de la libido. On ressent aussi des douleurs ostéo-musculaires généralisées, ainsi que des maux de tête.
Effets psychiques : Ce cocktail de plantes engendre des rêves au contenu érotique, telle une affirmation de la virilité. La volonté se fortifie, on a le sentiment de retrouver le sens de la vie et de savoir comment la manœuvrer. Auto-affirmation, sentiment de sécurité et de force physique sont les effets psychiques les plus courants. Les diéteurs rêvent souvent qu’ils sont en train de manier des véhicules puissants, certains avec sécurité, d’autres au contraire avec une perte de contrôle, qui constitue dans ce cas le signal d’avertissement d’un déséquilibre à corriger.
Enseignements : Le Palos enseigne l’indépendance et augmente la confiance en soi, éveille la conscience de sa propre force. Il est très lié à la masculinité. Il donne de la structure et aide à savoir se défendre au niveau physique, mental et spirituel. En réveillant la volonté, il ouvre à la prise de position face à la vie. D’une manière générale, il apporte donc force masculine, verticalité et enracinement.
Piñon Blanco (Jatropha Curcas L.)
Plante de la Lumière
Usage médicinal : Cette plante recèle beaucoup de propriétés utiles pour de nombreuses affections, physiques et psychiques. Elle renforce le corps, l’esprit et l’âme, et est efficace pour traiter problèmes de fertilité chez la femme. Elle soigne aussi les douleurs gastro-intestinales, les rhumatismes, la gingivite, l’herpès et les infections buccales.
Plante Maîtresse : Le Piñon Blanco pratique l’ouverture vers le monde de la lumière. Il est souvent prescrit au tout début du traitement, afin d’effectuer un récurage total. Il contient peu, voire pas d’obscurité, et est donc utilisé pour apporter l’amour et la paix chez celui qui en a besoin.
Piñon Colorado (Jatropha gossypiifolia)
Plante des Rêves
Usage médicinal : Cette plante traite aussi bien les infections internes qu’externes, et traditionnellement, le patient reçoit un traitement avec elle à base de bains de vapeur et de cataplasmes avant d’entrer en diète. Elle peut aussi être prise comme purgatif intestinal. Elle est anti-inflammatoire et antiseptique, et ses feuilles et ses graines sont utilisées comme laxatif et contre les douleurs gastro-intestinales. Le Piñon Colorado a la réputation d’éloigner les mauvais esprits et de les dissuader d’entrer dans les habitations, c’est pourquoi il est courant d’en voir tout autour des maisons dans les villages indigènes. De plus, on utilise sa sève comme cicatrisant pour le nombril des nouveaux-nés, afin que le bébé soit connecté au monde de la médecine dès son arrivée sur Terre.
Plante Maîtresse : Le Piñon Colorado ouvre la dimension des rêves, et possède les deux mondes dans un équilibre fragile entre celui de la lumière et celui de l’ombre. Le diéteur devra faire un choix entre eux, et être très vigilant. Cette plante est donc plus difficile à utiliser pour l’enseignement que le Piñon Blanco.
Enseignements : Cette plante transmet des connaissances de tous les niveaux : air, terre, eau. L’acquisition de son savoir est fréquemment considéré comme incontournable dans l’apprentissage des pratiques de guérison liés aux maux d’ordre spirituel ou à la sorcellerie.
Tabaco (Nicotinia rustica / N. tabacum)
Esprit Masculin par excellence
Psychoactive
Posologie : Cette plante peut être employée pour réaliser une purge avant les cérémonies d’Ayahuasca, et dans ce cas un verre de macérat concentré de mapacho est bu, accompagné ensuite de plusieurs litres d’eau, en vue d’être vomi de fond en comble ; et elle peut aussi être diétée en tant que plante enseignante, et dans ce cas, un petit verre de décoction ou de macérât sera pris deux par jour.
Usage médicinal : Le Tabac est antidysentrique et antispasmodique. Il permet un nettoyage en profondeur des addictions diverses et est utilisé pour la protection.
Plante Maîtresse : Dans l’apprentissage, cette plante est un esprit très fort, et certains chamans nommés Tabaqueros se spécialisent dans son usage. Tout comme l’Ayahuasca, le Tabac est indissociable de la pratique de l’art du guérisseur, car il est le véhicule de son énergie. Le chaman s’en sert pour chanter et mobiliser ses intentions, et les transmettre en le soufflant sur ses patients. Le Tabac agit comme un protecteur, tout en augmentant les effets des autres plantes.
Effets physiques : Cette plante provoque suées, maux de tête, très fortes nausée, insomnie. Au début de la diète, le Tabac rend la personne si faible qu’elle peut à peine se tenir droite.
Effets psychiques : Au commencement de la diète, le Tabac engendre une confusion mentale extrême, renforcée par l’insomnie. Mais dans un second temps, l’esprit se clarifie et l’activité onirique augmente considérablement, avec des rêves fréquemment reliés aux éléments aériens, comme la sensation de vol, de vitesse, de légèreté.
Enseignements : En tant qu’esprit masculin par excellence, le Tabac éveille les vertus masculines de l’âme, c’est-à-dire l’ancrage, la force physique, la structure, la droiture, la verticalité, la clarté mentale et la capacité de se projeter vers l’extérieur.
Le Tabac est un esprit si important qu’il mérite une exploration bien plus approfondie. Je vous invite donc à consulter cet article : A propos de la pratique des Tabaqueros, sur le site de Takiwasi, ou bien encore à regarder cette interview du docteur Jacques Mabit, directeur de Takiwasi : Entretien avec Jacques Mabit sur le Tabac.
Et puisque j’ai moi-même diété le Tabac, voici le récit de ma rencontre avec cet esprit terriblement puissant.
Toé (Brugmansia / datura spp., Ipomoea carnea)
Racine de toutes les Plantes
Psychoactive
Posologie : Au début de la diète, un petit verre par jour, puis on augmente petit à petit la dose jusqu’à deux verres pleins par jour, en fin de matinée et d’après-midi. Il en va de même pour la concentration de la décoction : on commence avec une fleur, puis on en ajoute peu à peu, jusqu’à atteindre quatre fleurs à la fin de la diète. On fait pareil avec les feuilles.
Usage médicinal : Cette plante permet une réparation rapide des os en cas de fracture et soigne les douleurs et les abcès. On l’utilise également pour préparer des parfums.
Plante Maîtresse : Très puissant, le Toé ouvre les visions et enseigne la médecine. Mais il est à réserver aux personnes extrêmement motivées, et déjà bien avancées dans le monde chamanique. Il se diète sur une longue durée, entre six mois et un an. Le Toé peut révéler les secrets de la nature, mais entre violemment en conflit avec l’ego. C’est une plante très difficile, dotée d’un monde obscur important, qui peut se retourner contre le diéteur sans que celui-ci ne s’en aperçoive. Elle est donc très exigeante, c’est la plus dure à diéter. En cas de non-respect de la diète de Toé, un grave accident psychologique est à craindre.
Effets physiques : Le Toé entraîne une paralysie partielle des membres et de la bouche, et perturbe la vision durant sa diète. Il devient difficile de lire les petits caractères par exemple. D’autre part, il endommage la mémoire à court terme, et cause une certaine fatigue.
Effets psychiques : En raison de sa concentration en scopolamine, cette plante cause une sévère altération de la psyché. Le diéteur passe la journée à croire qu’il discute avec des gens qui ne sont en réalité pas là, alors qu’il a du mal à s’exprimer auprès de ceux qui sont présents pour de vrai. Il nage en pleine confusion temporelle et spatiale. C’est pourquoi il doit impérativement être surveillé par le chaman ou un ami tout le long de sa diète. Ses propos et son comportement semblent incohérents (bien que selon son point de vue il n’y ait aucun problème !). Le Toé peut aussi avoir un aspect visionnaire et favoriser les rêves, mais il sera difficile pour celui qui le diète de s’en rappeler, puisque sa mémoire ne fonctionne pas très bien.
Enseignements : Le Toé est une plante de pouvoir, et non de guérison, c’est pourquoi seuls les plus aguerris peuvent tenter de le diéter. Son action majeure est d’engendrer une sorte de reset de la conscience, grâce à son action sur la mémoire, comme si le diéteur pouvait mettre à jour une nouvelle programmation de son esprit, débarrassé des anciens schémas délétères. Il est aussi question de savoir manipuler le pouvoir, dans le sens où celui qui sera parvenu au bout de cet apprentissage très difficile saura ensuite se protéger de toute intrusion de forces qu’il n’a pas choisi de recevoir (comme la mauvaise énergie des autres par exemple, sorte de vampirisme émotionnel).
Plante toxique : Cette plante peut détériorer la vision à jamais et être mortelle si la dose absorbée est trop importante.
Uchu Sanango (Tabernaemontana sananho)
Plante du Futur
Posologie : Un verre tous les deux jours, le matin. Se baigner brièvement plusieurs fois par jour pour contrôler l’effet.
Effets physiques : L’Ushu Sanango entraîne une sensation initiale de chaleur, des nausées, un affaiblissement général, des vomissements et diarrhées occasionnels. Ces effets sont très marqués. Il provoque aussi une excitation sexuelle.
Effets psychiques : Cette plante est très douée pour réduire la mentalisation. Elle tonifie, réaffirme la volonté de celui qui la consomme. Elle permet de rectifier ses erreurs de jugements, et incite à faire des plans concrets pour le futur. On éprouve aussi une sensation d’élimination des idées négatives (purification par le feu). D’autre part, elle rend très irritable et réveille violemment la libido.
Enseignements : L’Ushu Sanango enseigne la droiture, la rectitude dans les actes, en facilitant la prise de décision, à un niveau très concret. Elle nous montre comment être plus exécutif, plus rigoureux, afin de choisir son futur d’une manière volontaire et déterminée.
Ushpawasha Sanango (Tabernaemontana undulata)
Plante de la Mémoire du Cœur
Posologie : Deux verres par jour. Saveur de pourri, d’eau croupie.
Effets physiques : Cette plante entraîne une somnolence et une légère nausée.
Effets psychiques : L’Ushpawasha Sanango augmente l’activité onirique et mémorielle. Elle offre une perception amplifiée de la nature, frisant même l’hypersensibilité. D’autre part, elle provoque un déchargement affectif, c’est-à-dire qu’elle fait rire et pleurer.
Enseignements : En favorisant l’expression et la métabolisation des souvenirs d’importance affective enfouis, cette plante offre une réelle catharsis, ainsi qu’une aide précieuse pour la balance émotionnelle. Elle libère des blocages grâce aux prises de conscience concernant l’enfance, les images parentales, et même sa propre ontogenèse. D’une manière générale, elle harmonise au niveau émotionnel.
POUR ALLER PLUS LOIN…
Borderline : Une série littéraire sur la medicina
Travis, un jeune hors-la-loi en deuil de sa jumelle, part diéter l’Ayahuasca et les Plantes Maîtresses dans la jungle. Mais il réalise qu’il ne pourra se soigner que s’il accepte de plonger au plus profond de ses ombres...
Engagé corps et âme dans une diète de guérison version hardcore, le processus est loin d'être aussi facile que ce qu’il avait imaginé… car l’unique voie de sortie est d’affronter son pire ennemi : lui-même !
ET ENCORE PLUS LOIN !
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Bilan d’un an de blogging pour Le Coin des Desperados
Qu’il s’agisse de mobiliser mes idées les plus fortes pour les partager, faire des recherches pour offrir des informations creusées et détaillées, travailler les images pour qu’elles atteignent cet aspect trash et corrosif, ou encore présenter le boulot d’artistes que j’admire à travers des portraits et des interviews, cet espace qui m’appartient, où je m’exprime comme bon me semble avec un ton qui n’est rien d’autre que moi, moi pur jus, eh bien, c’est devenu une extension de moi-même. Un chez-moi numérique où je me sens terriblement bien…
Quand j’ai ouvert ce blog, je connaissais que dalle au blogging.
J’avais vaguement entendu dire que disposer d’un site d’auteur était le truc à faire en tant qu’écrivain, histoire d’avoir une sorte de vitrine pour ses livres, et depuis mon dernier trip, je caressais l’idée de pouvoir partager mes expériences de voyage et de chamanisme, et mes ressentis sur l’art…
Je commençais aussi à en avoir marre de dépendre de la susceptibilité des algorithmes des réseaux sociaux pour faire passer mes messages. Ras le cul de devoir limer les angles de mon discours pour éviter le lynchage publique. Et puis, fatiguée de voir des conneries circuler sur le net au sujet de choses dont j’ai, moi, une expérience réelle.
J’avais envie d’un espace où je pourrais laisser libre-cours à ma folie, et j’éprouvais aussi le besoin de remettre les pendules à l’heure… et de sonner les cloches de quelques baltringues au passage !
Alors, quand mon petit frère Max, vrai touche-à-tout doublé d’un super graphiste et d’un designer déglingo, m’a relancée pour qu’on s’attèle à la création de ce site, j’étais plus que partante. Et après une année d’existence, le résultat dépasse toutes mes espérances…
Le Coin des Desperados en 1 an, c’est 2 373 visiteurs uniques, 4 256 visites, et 10 586 pages vues… Des clopinettes pour certains, une mine d’or pour moi !
Mais au-delà des chiffres et statistiques dont tout le monde se branle éperdument, ce que je veux raconter ici, c’est mon expérience, mon histoire, et ce que je retire de cette incursion dans un univers jusqu’alors inconnu.
Il est donc temps de revenir sur cette aventure (ouais, chez moi, tout est une aventure) et de faire le point sur le parcours de ce blog, depuis ses intentions primaires jusqu’à ce qu’il représente aujourd’hui.
Bonus : Vous pouvez cliquer sur toutes les images afin de vous rendre directement à l’article qui vous intéresse !
Le Coin des Desperados fête ses 1 An !
La petite histoire du Coin des Desperados…
Quand on démarre un blog, y a des questions qu’on est forcé de se poser : Qui suis-je ? Qu’est-ce que je veux transmettre ?
A ce niveau, j’avais une longueur d’avance. Rodée par l’écriture de Borderline et ma vie d’auteure, j’avais déjà identifié la teneur de ce que je voulais crier au monde depuis mon ordi. De message, j’en ai qu’un seul, le nom de ce blog en est l’expression la plus pure, et il m’est apparu comme une évidence…
Imaginez une sorte de comptoir d’échange ambiance western où se retrouvent tous les pirates de ce bas monde.
Ils rappliquent dans ce rade, après des heures et des heures de route sous le cruel cagnard du désert, poussiéreux, leur cheval à moitié cané, histoire de s’en jeter un derrière la cravate, papoter entre bandits, se vanter de leur dernier larcin et peut-être se taper une pute ou une gamelle de fayots…
Et puis, ils repartent, toujours aussi bourrus et crados, mais au minimum désaltérés, vers un horizon qui ne cessera jamais d’appeler les âmes errantes de leur espèce, un cheval frais et une flasque de gnôle à portée de main.
Les affiches élimées Wanted Dead or Alive avec leur sale trogne dessus jalonnent leur chemin, mais ces gars-là s’en cognent : ils sont de la race des DESPERADOS, ceux qu’ont plus rien à perdre, ceux qui sont libres de faire ce qui leur chante, parce qu’ils n’obéissent plus qu’à eux-mêmes…
Joli cliché, pas vrai ? Ouais, mais j’adore ça, moi !
Donc, un check-point pour les gredins…
Le truc bizarre, c’est que le frangin et moi, on a pas tellement tâtonné pour trouver son identité, sa charte graphique et sa ligne éditoriale (un affreux hybride mêlant art, voyage et psychédélisme). Pareil pour le logo : un crâne avec une coiffe d’Indien, la question ne se posait même pas !
Après trois semaines de taff ultra-intensives, en mixant le tout tels deux savants fous, on est parvenus à mettre au monde une créature originale, affublée d’une esthétique unique, sans pub, sans gêne visuelle qui te sort de l’immersion, sans fenêtre pop-up à la mords-moi-le-nœud pour t’inciter à t’abonner.
Un blog qui ne ressemblait à aucun autre…
Le Coin des Desperados était né !
Ouais, d’accord, mais pourquoi l’avoir créé, ce truc ?
J’ai toujours fui les réseaux sociaux, parce que j’ai jamais éprouvé le besoin d’exposer ma vie à des étrangers, ni de m’intéresser à la leur.
Avant de débarquer sur Twitter pour tenter de me faire connaître en tant qu’auteure (mon premier livre était publié depuis quelques mois quand j’ai réalisé qu’une présence en ligne était inévitable si j’espérais vendre Borderline au-delà du cercle de mes connaissances), j’avais une vision très négative des RS, qui s’est un peu améliorée par la suite. J’ai découvert là-bas des personnes avec qui je me suis liée au-delà du simple rapport auteur/lecteur, et des amitiés sont nées.
Mais après un an d’usage intensif et pas mal de déceptions (c’est toujours pareil, au début c’est tout rose, et puis quand tu creuses…), une frustration et une colère grandissantes ont fini par me posséder.
J’y suis d’ailleurs de moins en moins présente, parce que ça me débecte d’essayer d’attirer l’attention sur moi en criant plus fort que les autres et en travaillant mon image pour la rendre putaclic.
Ce que je poste là-bas se résume principalement au relayage d’articles et quelques promos pour mes livres, et j’y reste pour suivre le travail des artistes qui m’inspirent.
En bref, donc, j’ai réalisé que d’essayer de dire des choses intéressantes sur cette plate-forme faite pour l’instantanéité, au sein du brouhaha mêlant politique de comptoir, polémiques à deux ronds, étalage égocentrique de ses “avancées artistiques" et spam effréné de Personal Branding, bah ça revenait à gueuler dans le cul d’un poney.
What ? Ouais. Tes mots se perdent au fond d’un trou noir de connerie et ont zéro écho.
J’avais envie de mener plus loin les quelques rares débats intéressants que j’avais pu avoir sur Twitter. Envie de creuser mes idées au-delà de la limite des caractères autorisés pour un tweet. Envie de parler de mon expérience, de mes livres, de philo, d’ayahuasca, de tout ce qui me passionne, sans être contrainte de formater mon message pour qu’il ne choque personne, et sans me taper les rageux qu’essayent de me tester alors qu’ils ont pas la moitié de mon expérience sur le sujet.
Ouais, y se trouve que j’ai l’audace de considérer que j’ai des vrais trucs à dire, et donc, l’option blog semblait la meilleure solution.
Et donc, qu’est-ce que t’as découvert en étant aux commandes de ton propre monde ?
Cette zone qui n’appartient qu’à moi, dans laquelle seuls ceux qui sont intéressés par les thèmes que j’aborde et ce que j’ai à dire dessus font l’effort de pénétrer (autant dire que ça écrème direct), m’a offert la latitude dont j’avais besoin pour m’exprimer comme je le sens, sans craindre de provoquer un shitstorm aussi débile que consensuel, comme c’est le cas sur Twitter, dès lors que t’oses ne pas aller exactement dans le sens de la marche (cette putain de marche militaire qui est d’un ennui et d’une “bienveillance” mortels), et aussi sans saouler ceux qu’ont rien demandé avec des trucs très personnels, comme par exemple cette genèse de ma saga (qui au départ était un thread, honte à moi…).
Désormais, au lieu d’aligner des tweets hurlant “Pitié, intéressez-vous à moi !” ou bien “N’est-ce pas que mes idées sont brillantes et que je suis suprêmement intelligente ?”, bah je sors un article.
Si mes intentions premières étaient simplement de développer mes idées et partager mes passions auprès de personnes dont les centres d’intérêt coïncident avec les miens, ce que j’ai découvert, en réalité, c’est que c’est CARRÉMENT DÉMENTIEL de repousser sans cesse ses propres limites en allant de plus en plus loin dans la quête de l’Article Parfait, celui qui fore le thème choisi jusqu’à atteindre l’épicentre d’où jaillit la fascination qu’il provoque chez toi !
Parce que c’est ça que ça fait, de bloguer. Si t’as l’ambition d’offrir aux autres des articles aussi profonds que ceux que toi t’aimerais lire, laisse-moi te dire que c’est avant tout toi-même que tu dois surprendre, toi-même que tu dois convaincre, toi-même que tu dois impressionner !
Et si tu souffres d’un perfectionnisme aussi violent que le mien, bah ça t’amène à créer des post (je hais le terme de “contenu”) qui respire la passion, et ça, mon vieux, ça signifie JACKPOT.
Car si toi tu es passionné, alors tu es passionnant, et donc…
Vas-y, sors-nous ton Top 10 des articles les plus populaires !
Globalement, j’ai pas à me plaindre. La majorité de mes articles rencontre un minimum de 50 lecteurs à tous les coups (les aficionados du Coin des Desperados, qui ne manquent aucune publication). Et franchement, ça me va bien comme base. Savoir qu’il existe déjà 50 tordus qui suivent absolument tout ce que je publie, ça me réjouit !
Mais il y a d’autres articles, particulièrement bien référencés sur le net, ou alors qui ont créé le buzz lors de leur première diffusion sur les réseaux, qui ont carrément pété le plafond…
Pour info, ce Top 10 ne prend pas en compte la page de mes livres Borderline (c’est elle qui défonce tous les scores).
Profession Romancier, de Haruki Murakami : Une Philosophie de l’Écriture
Tout le monde abrite du chaos au fond de soi. Il existe chez moi, et chez vous aussi. Mais dans la vie ce n’est pas le genre de chose que l’on doit afficher, sous une forme concrète et visible. “Si vous saviez quel prodigieux chaos je porte en moi !”. Non, pas de ce type d’étalage en public. Celui qui par hasard tombe sur son propre chaos doit garder la bouche close et descendre seul au plus profond de sa conscience.
Pourquoi cet article marche ?
Les écrivains sont avides de conseils, c’est un truc que beaucoup d’auteurs et de blogueurs ont capté.
Pourtant, les leçons à l’emporte-pièce, ultra-formatées et complètement dénuées d’instinct ou de magie, qu’ils osent diffuser sur les réseaux ou leurs sites - alors qu’eux-mêmes n’ont publié qu’une moitié de roman - n’ont aucune chance d’aider les jeunes auteurs, et pourraient même avoir l’effet inverse…
En lisant ce livre, j’ai découvert la vision d’un romancier aguerri, dénué de prétention et pourtant très inspirant. J’ai donc décidé d’en faire profiter les autres.
Si cet article a rencontré du succès, c’est parce que les conseils proposés par Haruki Murakami sont bons et efficients sans se montrer intrusifs ou directifs. Et parce que les gens kiffent les recettes en 10 étapes !
Une fois que vous vous mettez à choisir comment les gens peuvent et ne peuvent pas s’exprimer, s’ouvre une porte qui donne sur une pièce très sombre dans la grande entreprise, depuis laquelle il est vraiment impossible de s’échapper. Peuvent-ils en échange policer vos pensées, puis vos sentiments et vos impulsions ? Et à la fin, peuvent-ils policer vos rêves ?
Pourquoi cet article marche ?
Tout simplement parce qu’il tire en plein dans le mille, et ose dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.
Je dois avouer que c’était pratique de me planquer derrière ce livre pour parler des phénomènes culturels qui me hérissent, tels que la cancel culture, le wokisme, le culte du like, l’intrusion de l’idéologie dans l’art et les putains de trigger warning.
Mais Bret Easton Ellis s’exprime de toute manière mieux que je ne pourrais jamais le faire à ce niveau, et énonce clairement tout ce qu’il y a à dire.
Je redoutais le lynchage lors de sa première diffusion sur les réseaux, mais c’est l’inverse qui s’est produit : il a été partagé un nombre ahurissant de fois, et beaucoup de gens m’ont remerciée de l’avoir écrit.
Je crois que depuis toujours je sentais qu’on pouvait rien faire de vraiment significatif en restant dans les clous. Qu’il fallait aller au-delà des normes et des frontières qu’on nous certifie comme infranchissables, alors que pas grand-monde ose tout simplement tenter de les dépasser. En tout cas, moi c’est là que j’ai décidé d’aller.
Pourquoi cet article marche ?
Parce que les gens sont des gros voyeurs ! Nan, je déconne, et puis ça m’arrange… Faut croire que ma vie intéresse les autres.
Ce post est souvent consulté via mon Linktree, ce qui m’amène à penser que les gens checkent qui je suis avant de s’abonner à moi sur les RS, ou alors qu’ils éprouvent l’envie de connaître mon background après la lecture de Borderline.
A la base, écrire cette autobiographie me semblait d’un narcissisme achevé, mais je me suis dit, Merde, c’est mon blog, ici, si j’ai envie de parler de moi, autant tout cracher là plutôt que sur Twitter. Si ça t’intéresse pas, tu cliques pas, point barre.
Mais les gens continuent à cliquer.
Quand j’ai commencé à m’intéresser au chamanisme, un nouveau monde s’est ouvert à moi. A l’époque, j’aurais aimé tomber sur un article où les meilleurs livres ayant pour sujet le chamanisme, les plantes de pouvoir et la conscience soient réunis. Aussi, explorateurs des états modifiés de conscience et du royaume végétal, ce guide ultime spécial chamanisme est pour vous !
Pourquoi cet article marche ?
Il marche parce qu’il est très bien référencé sur les moteurs de recherche, et qu’il répond à un besoin, une requête fréquente.
On va pas se mentir, lorsqu’un blogpost fonctionne au-delà du cercle des réseaux ou des abonnés, c’est parce qu’il occupe une vraie place sur le net, tout simplement parce qu’il résout un problème.
Alors bon, trouver des livres sur le chamanisme n’est pas un vrai blème en soi, mais y se trouve que l’offre est pas ouf sur le net à ce niveau, et beaucoup moins creusée que ce top-là.
C’était la première fois que je m’essayais à la création d’un Top, mais c’est un format que j’adore, car il permet la mise en avant de beaucoup d’œuvres d’un coup, autour d’un thème commun, en limitant la taille des reviews, ce qui force à rester concis. Cool comme exercice !
Vous en avez marre de lire des bouquins qui vous ennuient ? Ras-la-casquette de faire défiler des pages sans jamais être surpris ou, encore mieux, choqué ? Vous cherchez des lectures qui vous secouent les puces et vous fassent sortir de cette zone de confort littéraire soporifique où les mêmes histoires prévisibles se répètent à l’infini, et où l’absence accablante de style original et audacieux semble devenue une putain de norme ? Alors, vous êtes au bon endroit. Attention les yeux, voici mon Top 15 dédié aux pires DESPERADOS DU STYLE !
Pourquoi cet article marche ?
Celui-là a défoncé le score et tué le game de mon site lors de sa première diffusion !
183 vues en moins de 24h, c’était carrément ouf pour mon petit blog !
Comment expliquer un tel succès ?
Je crois que les gens en ont plein le cul de lire des trucs sans une once d’originalité ! Mais c’est pas évident de trouver des livres hors-norme quand on ignore où chercher, et je suppose que cette liste accompagnée d’extraits et d’analyses stylistiques donne de sérieuses pistes pour s’écarter un peu de la culture mainstream…
Et vous savez quoi ? Ça m’enchante, et ça me rassure que ce genre d’article ait tant de succès. Parce que ça signifie que les gens cherchent des formes d’art qui sortent des sentiers battus.
Tout lâcher, partir sur les routes du monde pour plusieurs mois, n’emporter avec soi que le strict nécessaire, être légère, libre, dire adieu aux verbes avoir et posséder pour les remplacer par être et expérimenter… Se défaire de l’inutile, de tout ce qui encombre le corps et l’esprit pour s’immerger dans le vécu. Ouais, ça fait rêver sur le papier, mais en pratique, c’est pas si facile à organiser, et c’est une grande voyageuse qui te le dit…
Pourquoi cet article marche ?
Parce que c’est le meilleur sur la question, pardi !
Des check-lists pour le voyage minimaliste, y en a pléthore sur le net, et je dois avouer que c’est pas facile de se placer en pole position, mais y se trouve que celui-ci a l’avantage de proposer des produits simples et surtout économiques, ce qui n’est souvent pas le cas des autres, avec leur polaire en laine mérinos à 70 boules l’unité !
Ajouté à ça, les produits de beauté présentés sont réellement zéro déchet, à la différence d’autres listes qui sont carrément à côté de la plaque à ce niveau ! Et puis, je pense que ça se sent que je sais de quoi je parle, aussi…
De plus, le ton de l’article est fun et décomplexé, et selon moi ça contribue pas mal à son succès.
Pire encore qu’une simple légende, on parle ici d’une figure devenue carrément mythique au gré de ses nombreuses incarnations. Le Trickster ne laisse jamais indifférent. Motivations troubles, propos offensants, humour cruel, comportement borderline, cet archétype est un véritable punk aussi scandaleux que fascinant.
Pourquoi cet article marche ?
Alors, pour celui-ci, on m’a fréquemment demandé la version podcast, et c’est vrai qu’il s’y prête !
L’étude d’un archétype comme le Trickster, qui soit dit en passant m’a procuré énormément de plaisir à rédiger (et qui m’a aussi demandé pas mal de travail de recherche), ce serait un truc intéressant à écouter, un peu comme une émission culturelle, quoi. Il faut reconnaitre qu’il est très complet sans être relou, et j’en suis particulièrement fière !
En plus, mon frangin et moi on s’est vraiment éclatés à travailler les images, et ça doit se sentir… Cet article est aussi beau à regarder que cool à lire !
Je pense continuer à explorer d’autres archétypes (j’avais déjà fait l’Anti-Héros, l’un de mes tout premiers articles), et j’ai d’ailleurs créé une catégorie spécialement pour les accueillir…
Ayahuasca Kosmik Journey : Simulation Virtuelle d’une Réalité Visionnaire
Vous allez VIVRE Ayahuasca Kosmik Journey en même temps que nous, grâce à la vidéo complète du film diffusée ici, en suivant les impressions d’un novice (Ben) pénétrant dans l’univers de l’ayahuasca, accompagné d’une initiée (moi), qui va l’aider à comprendre ses visions et explorer la profondeur de ses impressions… Prenez une grande inspiration et cliquez sur le lien : Bienvenue dans le royaume de l’Ayahuasca !
Pourquoi cet article marche ?
Parce que c’est pas un article, mais une putain de vidéo, ma première, celle qui a inauguré l’ouverture de la chaine YouTube Le Coin des Desperados !
Mon acolyte m’avait parlé d’une cérémonie d’ayahuasca en Réalité Virtuelle qu’il avait eu la chance de tester (oui, ce mec est un lecteur de Borderline, ceci explique cela), et j’ai eu une brutale illumination !
Il fallait qu’on pose un podcast sur cette vidéo, lui le casque sur la tête, en pleine immersion, moi en train d’expliquer la signification des visions !
C’était l’expérience de l’ayahuasca la plus proche de la réalité que je pouvais offrir aux lecteurs de mes livres et de mon blog…
Et ça a marché.
Qu’est-ce que l’art ? A quel moment peut-on parler de véritable création artistique ? Qu’est-ce qui différencie une œuvre qui restera gravée à jamais dans le temps de celle qui ne pourra que divertir puis sombrer dans l’oubli ? Quels sont les mécanismes qui entrent en action dans l’élaboration et l’accueil d’une œuvre d’art ?
Pourquoi cet article marche ?
Alors lui, c’est vraiment le tout premier que j’ai écrit (à la base il se trouvait sur le site d’un ami).
Bien qu’à l’aune de mon évolution en matière de blogging, je le trouve un poil faiblard et nettement trop court, il continue son chemin vaillamment, notamment grâce aux moteurs de recherche (il semblerait que la requête “Art et Conscience” soit plus fréquente que prévue !).
Ça me fait plaisir, même s’il mériterait un petit lifting !
Les idées que j’ai développées dans ce post me tiennent vraiment à cœur, et m’ont d’ailleurs valu plus d’un lynchage sur les réseaux, mais je persiste et signe : ceci est ma vision, et je vous emmerde.
Et puis, faire chier le monde signifie au minimum qu’on défend des idées fortes, et ça, ça me plaît…
Hunter S. Thompson, c’était un malade. Le journaliste le plus déjanté que la Terre ait jamais porté. Ses articles écrits à la première personne, ultra-subjectifs, ressemblent au délire hallucinatoire d’un chtarbé en phase aiguë de delirium tremens. Et pourtant… Si ce mec est devenu l’icône la plus freestyle de la contre-culture, une véritable idole pour tout misérable journaleux affublé d’une machine à écrire, c’est pas pour rien. Sa plume sauvage et incendiaire, son style légendaire et inimitable, et sa vision sarcastique unique d’une Amérique au moins aussi dépravée que lui ont fait de lui le Freak le plus incontournable de tous les temps…
Pourquoi cet article marche ?
Je me suis lâchée, mais alors comme jamais avec ce post !
Il est d’une longueur effrayante, et les images qu’il recèle sont encore plus gonzo qu’Hunter en personne.
Mais quand on est passionné par un artiste comme moi je le suis par H.S.T., impossible de se brider. Et pas envie, surtout. Et vous savez quoi ? Jamais je n’ai trouvé sur le net d’article aussi complet sur lui… Ce qui explique pourquoi de plus en plus de lecteurs commencent à tomber dessus sur Google.
Ceci n’est que le premier d’une nouvelle catégorie nommée Portrait d’Artiste…
Alors oui, avec ce type de contenu long comme le bras et regorgeant de citations, je m’adresse majoritairement aux fans, mais pas que : des lecteurs sont venus vers Hunter S. Thompson grâce à ce post, et j’ai l’ambition de croire que ce genre d’artiste est un exemple super inspirant pour d’autres jeunes artistes…
C’est génial, tout ça, mais c’est quoi le bilan ? Qu’est-ce que t’as appris ?
Pour commencer, j’ai découvert un plaisir carrément dingue à jouer avec ce truc !
Qu’il s’agisse de mobiliser mes idées les plus fortes pour les partager, faire des recherches pour offrir des informations creusées et détaillées, travailler les images pour qu’elles atteignent cet aspect trash et corrosif, ou encore présenter le boulot d’artistes que j’admire à travers des portraits et des interviews, cet espace qui m’appartient, où je m’exprime comme bon me semble avec un ton qui n’est rien d’autre que moi, moi pur jus, eh bien, c’est devenu une extension de moi-même. Un chez-moi numérique où je me sens terriblement bien.
Il représente tout ce que je suis, tout ce en quoi je crois. Parfois je me dis que si je devais crever, la nature de ma personnalité, l’ensemble de ce qui m’a touchée, forgée, transcendée, seraient livrés ici en ultime témoignage.
Le Coin des Desperados, c’est ma dimension à moi, l’espace intangible au sein de la matrice où mon esprit s’ébat, et où mon âme est parfaitement elle-même.
Ce blog a pris une place dans ma vie que j’aurais jamais envisagée. Et ça m’inquiète un peu, parfois, parce que je veux pas perdre de vue que je suis auteure de fiction avant tout. Pour l’avoir vu opérer chez d’autres, j’ai conscience que le fait de pondre des articles au lieu d’écrire son prochain livre porte préjudice à la création, que ce soit en termes de temps, d’énergie, ou encore d’immersion, trois éléments phares que requiert évidemment l’accouchement d’un ouvrage.
Mais je me dis aussi que ça développe ma créativité, que c’est un autre type de réalisation, finalement beaucoup moins chronophage que ces putains de réseaux-toile-d’araignée dans lesquels on s’est tous fait prendre, moi la première. Ce que j’écris ici est là pour durer.
Et puis, ce site est finalement la plus belle porte d’entrée de mon œuvre, et donc ma meilleure pub. Sans compter que mes livres y sont mis en valeur d’une façon unique !
D’autre part, comme je l’ai dit plus haut, quand il s’agit de présenter ses idées au monde, le fait de se contraindre à les mettre en forme organise du même coup ta pensée, et te permet d’aller plus loin que si tu te contentais de réfléchir seul dans ta tête. Ainsi, grâce à l’article sur Nietzsche, mes idées sont prêtes à être incorporées dans Borderline. C’est une autre façon d’affûter mon écriture.
La vérité, c’est que vous apprenez des trucs, mais moi aussi !
Je dois aussi dire que les réactions des lecteurs, qui ont lieu sur les réseaux sociaux - puisque Twitter est à ce jour le canal qui m’apporte le plus de visiteurs (les commentaires ne sont pas en fonction sur ce site. Pourquoi ? Je refuse que des débats aient lieu ici. Cette zone doit rester neutre) - vont souvent bien au-delà de mes espérances, et c’est grâce à leurs partages que Le Coin des Desperados gagne jour après jour en visibilité. J’ai même trouvé de nouveaux lecteurs de Borderline grâce à lui !
Mais le truc, surtout, c’est que ces articles ouvrent sur des sujets que beaucoup d’entre vous ont envie d’explorer, et j’ai reçu pas mal de remerciements pour les infos que je transmets au sujet du chamanisme, notamment.
Le dernier en date, par exemple, la FAQ Ayahuasca, a fait parler de lui lors de sa sortie, certains se montrant très impressionnés, tout en offrant enfin aux personnes intéressées un vrai éclairage sur la question, plutôt difficile à débusquer sur le net.
Ce blog est donc définitivement une super vitrine présentant ce que je suis et mon univers, tout en offrant un avant-goût de ma plume.
Donc désormais, quand il s’agit de parler de mon taff à des inconnus, plutôt que de simplement les envoyer sur Amazon pour y trouver mes livres, je préfère tendre ma carte de visite à l’effigie du Coin des Desperados, tatouée du QR code qui mène directement ici... Et croyez-moi, ça fonctionne. Même les marque-page Borderline que je glisse dans mes livres lors d’une séance de dédicaces ou à l’occasion d’une vente directe sont pourvus de ce fameux QR code !
Ce site est ma fierté, et ça marche dans les deux sens : si vous aimez mes livres, vous kifferez mon blog. Et si vous appréciez mon blog, vous adorerez mes livres…
En bref, en lui donnant naissance, je ne m’attendais pas à tant d’enthousiasme de la part des lecteurs ! Et pour moi, ça veut dire qu’une chose : il existe encore des gens qui rêvent de liberté, et qu’ont pas peur d’approuver les discours parfois virulents ou hors des clous comme le mien. La preuve ultime en est le succès de ma page Tipeee.
Je tiens encore une fois à remercier toutes ces personnes qui m’aident et m’ont aidée, grâce à leurs encouragements, leurs partages, leur fidélité, leur soutien et leur simple présence.
Le seul aspect négatif de ce bilan, c’est le peu de ventes que génèrent mes liens affiliés, en dehors des achats de Borderline (à ce niveau, mes lecteurs ont bien compris que passer par ces liens pour se procurer mes livres m’était bénéfique !). J’aimerais bien que les gens craquent davantage sur les œuvres ou produits que je mets en avant, mais bon, puisque mon objectif n’est pas du tout de vivre de mon blog, mais plutôt d’amener les lecteurs à s’intéresser à mon travail d’auteure de fiction, c’est pas trop grave !
Et y a eu quelques améliorations en chemin ?
J’essaye de prendre en compte les suggestions des lecteurs du Coin des Desperados (ouais, ce site c’est mon joujou, mais j’écris quand même pour que vous me lisiez…).
Donc, vu que le fond noir est désagréable pour les rétines délicates, j’ai mis en place un format AMP pour tous les articles, qui fait qu’ils s’affichent sur fond blanc, d’une manière simplifiée, sur votre ordi ou votre smartphone. Pour que ça marche, il suffit de rajouter “?format=amp” au cul de l’URL, et banco ! Vous voulez voir ce que ça donne ? Testez avec cette page !
Ensuite, j’ai créé une section Archives, accompagnée d’une barre de recherche, afin que vous puissiez retrouver facilement ce qui vous intéresse sans avoir à faire défiler tout le bazar…
Vous aurez aussi remarqué qu’à la fin de chaque article se trouve désormais un carrousel d’articles liés, chouette moyen de mettre la main sur des posts dont le sujet est pertinent pour vous.
J’ai également créé davantage de catégories en plus des Trois Principales (Freestyle, Chamanisme, Road trip), toujours dans une idée de confort de navigation.
La page Me Myself & I s’est aussi payé une petite mise à jour, avec une explication plus nette de l’intention du blog, ainsi que des liens faciles d’accès vers des interviews que j’ai eu la chance de donner !
Le seul truc sur lequel j’hésite encore, c’est la création de pages attenantes à celles de chaque livre de Borderline, réunissant toutes les chroniques qu’ils ont reçues, avec un lien vers le site des chroniqueurs qui leur ont fait cet honneur… Mais beaucoup de futurs lecteurs préfèrent ne pas lire les reviews, histoire d’éviter le spoil ou de se laisser influencer, donc je sais pas.
Hey, c’est quoi tes futurs projets ?
L’idée, avant tout, est de continuer à m’éclater avec Le Coin des Desperados !
La passion est communicatrice, et seul celui qui croit profondément en ce qu’il fait a une chance de motiver les autres, donc mon but est juste de continuer à enrichir ce site avec ce qui me fait vibrer, et si ça vous enflamme vous aussi, alors bingo, tout le monde est gagnant.
Vu que je vais bientôt repartir sur les routes, je suppose que les prochaines publications seront principalement axées Voyage (tant mieux, la section Road Trip est celle qui a le plus besoin d’être étoffée), notamment avec la naissance d’un Nouveau Carnet de Route Latino, et je l’espère d’autres articles de fond qui causent vagabondage d’une manière cool, pratique, poétique ou philosophique !
J’aimerais aussi beaucoup commencer mon Tour du Monde en 80 Plantes, avec des vidéos YouTube que vous retrouverez évidemment sur ce blog avant tout.
L’idée des podcasts est aussi à creuser, pour ceux qu’ont pas le temps de lire les méga-tartines de texte que je peux pas m’empêcher de pondre ! Mais soyons honnête, y a peu de chance que je m’y astreigne durant mon trip, donc on vise plutôt 2023… Et puis je suis un tantinet trop speed, c’est pas super agréable de m’écouter, faut que j’apprenne à me calmer (tu parles).
Mais en tant qu’auteure de fiction, c’est Borderline 5 qui a la priorité. C’est d’ailleurs à cause (ou grâce) à lui que je me rebarre. Parce que seule l’errance pourra lui offrir le combustible dont il a besoin pour l’explosion finale.
Et pour être tout à fait honnête, il est temps que mes yeux quittent un peu les écrans pour se tourner vers le vrai monde, qui n’est jamais aussi beau qu’en voyage…
Donc on continue sur le mode freestyle qui me convient depuis le commencement, vu qu’ici on est pas sur Instagram et que je m’en cogne de séduire le putain d’algorithme en postant comme une acharnée : pas de calendrier de publication, aucune promesse de “contenu” frais régulier, mais des surprises en pagaille selon les caprices de mon inspiration, avec des articles qui vous secoueront les tripes et les neurones chaque putain de fois, ça je vous le garantis !
Stay tuned, donc, Le Coin des Desperados est loin d’avoir dit son dernier mot !
Cette première année de blogging n’était qu’un échauffement… Comptez sur moi pour vous fourguer de la dinguerie en barre dans les mois à venir, et n’oubliez pas de repasser dans Le Coin pour faire le plein d’essence frelatée, quand vous sentez que votre moteur commence à avoir des ratés ou que votre canasson se met à tirer la langue…
Ici, y a toujours ce qu’y faut pour vous requinquer !
Hasta la vista, Guerilleros !
FAQ AYAHUASCA : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir (sans jamais oser demander)
L’Ayahuasca fascine. Et elle fait peur aussi. On entend beaucoup de choses à son sujet, et c’est loin d’être évident de démêler le vrai du faux quand soi-même on ne l’a jamais rencontrée. Entre les gros titres scandaleux et putaclic d’internet et les illuminés d’Instagram en mode secte, comment faire la différence entre info et intox ? Suite à un sondage effectué auprès de mon réseau, et riche de mon expérience personnelle et de mes nombreuses recherches sur le sujet, je te propose ici une Foire aux Questions sur l’Ayahuasca.
L’Ayahuasca fascine. Et elle fait peur aussi.
On entend beaucoup de choses à son sujet, et c’est loin d’être évident de démêler le vrai du faux quand soi-même on ne l’a jamais rencontrée. Entre les gros titres scandaleux et putaclic d’internet et les illuminés d’Instagram en mode secte, comment faire la différence entre info et intox ?
Riche de mon expérience personnelle et de mes nombreuses recherches sur le sujet, je te propose ici une Foire aux Questions sur l’Ayahuasca. Juste histoire d’être sûr que je te raconte pas n’importe quoi, sache que j’ai plus de 100 cérémonies d’Ayahuasca à mon actif.
Voici la liste des 23 questions fréquentes sur l’Ayahuasca auxquelles je vais répondre le plus simplement et le plus honnêtement possible dans cet article :
L’Ayahuasca, c’est quoi ?
L’Ayahuasca est-elle une drogue ?
Des gens sont-ils morts d'avoir pris de l’Ayahuasca ? Est-ce dangereux ? Y a-t-il des séquelles sur le long terme ?
Est-ce que l’Ayahuasca est pour moi ? A t-elle le pouvoir de guérir mes maux ?
Quelles sont les contre-indications à la consommation d’Ayahuasca ?
Comment fonctionne l’Ayahuasca ?
Comment trouver un bon chaman ? Vaut-il mieux pratiquer l’Ayahuasca avec un indigène ou avec un Occidental ?
Que signifie “poser une intention” ? Qu’est-ce que je dois demander à l’Ayahuasca ?
On dit que boire l’Ayahuasca pour la première fois, c’est comme mourir…
L’Ayahuasca, ça fait quoi ?
C’est quoi exactement la transe et les visions ?
Que faire si j’ai trop peur de mes visions d’Ayahuasca et que j’arrive pas à gérer ?
Est-ce que je vais devenir fou ?
Est-ce que je vais gerber et avoir la diarrhée ?
Y a-t'il un risque que je ne revienne pas d’une cérémonie d’Ayahuasca ?
Comment le chaman guérit-il ?
Pourquoi me souffle t-il dessus ?
Pourquoi le chaman aspire t-il sur une partie de mon corps en faisant des bruits dégueux ?
Quel est ce parfum dont-il m’asperge ?
Pourquoi le chaman ne veut pas m’expliquer ce que j’ai vécu avec l’Ayahuasca ?
Est-ce que la prise d’Ayahuasca risque d’accentuer mon traumatisme ? Les problèmes trouvent-ils leur solution dans la prise ?
Est-ce que l’Ayahuasca va complètement me faire changer ?
Une diète d’Ayahuasca, c’est quoi ?
En appendice, j’ai réalisé un lexique qui regroupe tout le vocabulaire autour de l’ayahuasca présent dans cet article. Je t’invite à le consulter régulièrement au fil de ta lecture pour bien saisir les termes employés ici.
Foire aux Questions sur l’Ayahuasca : Guide à l’usage du Débutant
AVANT LA PRISE
1 - L’AYAHUASCA, C’EST QUOI ?
L’idée est de faire très simple, donc je ne vais pas partir dans l’analyse biochimique de l’Ayahuasca. Tout ce que tu as besoin de savoir, c’est que c’est un breuvage constitué de lianes d'Ayahuasca (qui induisent la transe) et de feuilles de Chacruna (qui provoquent les visions grâce à la DMT).
D’autres plantes peuvent entrer dans sa composition, et il est à noter qu’il existe plusieurs variétés d’Ayahuasca qui ne provoquent pas exactement les mêmes effets (c’est minime, cela dit, mais par exemple l’Ayahuasca Cielo est réputée pour favoriser les visions cosmiques).
Cependant, la base, c’est ça.
2 - L’AYAHUASCA EST-ELLE UNE DROGUE ?
Définition de drogue : substance dont les effets psychotropes suscitent des sensations apparentées au plaisir, incitant à un usage répétitif qui conduit à instaurer la permanence de cet effet et à prévenir les troubles psychiques (dépendance psychique) voire même physiques (dépendance physique) survenant à l’arrêt de cette consommation, qui, de ce fait, s’est muée en besoin.
Définition de psychotrope : qui agit, qui donne une direction (trope) à l’esprit ou au comportement (psycho). On appelle “psychotrope” une substance chimique, d'origine naturelle ou artificielle, qui est susceptible de modifier l’activité mentale, sans préjuger du type de cette modification.
L’Ayahuasca n’est ni toxique ni addictive, et en prendre n’est pas toujours une partie de plaisir, c’est même plus souvent un acte de courage. C’est vrai, c’est un puissant psychotrope.
Jan Kounen, cinéaste-ayahuasquero, dans Carnets de Voyages Intérieurs.
J’ajouterais que l’Ayahuasca entre parfaitement dans la définition de “thérapie psychédélique”, c’est-à-dire une psychothérapie utilisant les psychotropes pour traiter certains troubles mentaux.
Et pour couronner le tout, c’est un moyen diablement efficace de se débarrasser des addictions, même les pires, comme celle à l’héroïne. En témoigne le Centre Takiwasi basé à Tarapoto au Pérou, qui se dévoue principalement au traitement des toxicomanes, et dont le taux de réussite des cures de désintoxication est infiniment supérieur à celui de nos cliniques occidentales.
3 - DES GENS SONT-ILS MORTS D’AVOIR PRIS DE L’AYAHUASCA ? EST-CE DANGEREUX ? Y A-T-IL DES SÉQUELLES SUR LE LONG TERME ?
Pour commencer, l’Ayahuasca ne cause aucun dommage physique, qu’il s’agisse de lésions neurologiques, cérébrales ou artérielles, par exemple.
La DMT, principe actif du breuvage Ayahuasca, est une molécule naturelle, déjà présente dans le corps humain.
Elle est produite par la glande pinéale, minuscule organe en forme de pomme de pin niché en plein cœur du cerveau.
Si elle reste étonnement mystérieuse malgré les nombreuses études qu’elle suscite, il est établi que cette glande pourvoyeuse de DMT est à l’origine des rêves et des expériences spirituelles, et qu’elle délivre des doses massives de cette substance au moment de la mort et même plusieurs heures après.
Selon certains théoriciens, l’activation de la glande pinéale et la prise de DMT via les substances psychotropes par les premiers peuples seraient à l’origine de la religion et de la croyance généralisée en l’au-delà.
A quoi sert vraiment la DMT ? Difficile à dire, mais je pencherais pour l’hypothèse d’une porte vers la transcendance planquée en plein centre de nous-mêmes…
Ensuite, la dose létale d’Ayahuasca est évaluée à sept litres d’une décoction normalement dosée. Donc même si t’as pris un breuvage un peu plus concentré, avec la toute petite tasse que t’as bue, y a strictement aucune chance au monde pour que ça te tue.
Faut absolument pas croire ce qui est dit sur le net, genre les gros titres racoleurs sur lesquels on tombe malheureusement quand on tape “Ayahuasca” dans Google. Ayahuasca, la drogue qui tue chaque année des centaines d'Occidentaux ! Putain, ça me fout en rogne ces conneries ! Ma réponse est non, l’Ayahuasca n’est pas dangereuse, même pas au niveau psychologique, bien au contraire… J’y reviendrai un peu plus loin.
Pour conclure, le seul bémol que je mettrais à ça, c’est que les morts dont on entend causer ne sont pas décédés en pleine cérémonie, mais après, dans des circonstances extrêmement troubles dont on n’aura jamais le fin mot de l’histoire. Les journalistes se jettent dessus pour torcher leur papier, évidemment.
D’autre part, parfois, le touriste, c’est pas de l’Ayahuasca qu’il boit, ou alors, de l’Ayahuasca à laquelle auront été ajoutées d’autres plantes, comme le diabolique Toé (plus d’info sur lui dans le Répertoire des Plantes Maîtresses), qui peut être mortel ! Parce qu’il a mal choisi son chaman, que c’est peut-être même pas un chaman du tout qu’il a en face de lui. Et là, ouais, ça craint. Et c’est foutrement dangereux.
On va voir plus loin comment trouver un vrai guérisseur.
4 - EST-CE QUE L’AYAHUASCA EST POUR MOI ? A T-ELLE LE POUVOIR DE GUÉRIR MES MAUX ?
Le désir de prendre de l’Ayahuasca naît souvent d’un appel instinctif, qui n’a rien de particulièrement rationnel. Étant quelqu’un qui respecte l’intuition et croit aux synchronicités, il est évident que selon moi, c’est l’Ayahuasca qui te trouve, et non l’inverse. Sous cette optique, la question ne se pose donc pas.
Cependant, il est tout de même préférable d’essayer d’être honnête envers soi-même et d’analyser un brin son désir. Je vais être claire : si tu penses que l’Ayahuasca est le nouveau trip du siècle, une sorte de saut en parachute spirituel qu’il faut absolument avoir testé avant de crever, bah tu sais quoi, va chier.
L’Ayahuasca, c’est pas une drogue. L’Ayahuasca, c’est une médecine qui mérite tout ton respect.
Et si t’es dans ce cas-là, dis-toi bien que c’est à cause des gens comme toi que les dérives actuelles liées à cette pratique sont en train de dévorer sur pied l’âme du chamanisme et des indigènes qui vont avec, au point de transformer cet outil thérapeutique millénaire en vulgaire récréation instagramable de gamins pourris gâtés, et les indigènes en morfales assoiffés de pognon qui prennent le risque de planter le cerveau des débiles qu’ont eu le malheur de leur fait confiance. Voilà, c’est dit.
Mais je parie que tu fais pas partie de ces gens-là.
Si tu sens que t’es attiré, mais que tu te dis que ça te fait trop peur, il faut que tu comprennes que c’est justement pour ça que tu devrais y aller. Tu sais pourquoi t’as peur ? Ouais, parce que tu vas perdre le contrôle, mais y s’agit pas que de ça.
La vérité, c’est qu’inconsciemment, tu sais qu’il s’agit de te rencontrer toi-même. Et que cette rencontre risque de bouleverser ta vie entière.
Oui, l’Ayahuasca a le pouvoir de guérir tes maux. Mais le pire, c’est qu’elle va même guérir ceux dont tu soupçonnais pas l’existence.
5 - QUELLES SONT LES CONTRE-INDICATIONS A LA CONSOMMATION D’AYAHUASCA ?
Cardiaque ? Oublie.
Traitement à base de médicaments psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères) ? Laisse tomber.
Schizophrène ? Vraiment désolée, mais c'est pas conseillé…
Tendances paranoïaques ou psychotiques ? Non plus.
6 - COMMENT FONCTIONNE L’AYAHUASCA ?
Il faut différencier l’usage traditionnel de l’usage moderne.
Traditionnellement, les indigènes consultent le chaman de leur communauté pour un problème d’ordre physique, psychologique ou spirituel, et le chaman est le seul à prendre l’Ayahuasca afin de lire son patient, de l'ausculter grâce à ses visions au cours d’une cérémonie. L’Ayahuasca est son instrument de diagnostic. Une fois le problème trouvé, soit le guérisseur soigne son patient directement en cérémonie, par le biais de techniques telles que la soplada ou la chupada, soit il lui prescrit une diète de plante médicinale ou maîtresse à faire.
Du côté moderne, c’est-à-dire principalement les Occidentaux qui se dirigent vers l’Amazonie pour faire l’expérience de la chose, le but est un peu différent. Il s’agit plutôt ici d’une quête spirituelle. Alors certes, certains ont des traumatismes qu’ils souhaitent régler, mais ce n’est pas la majorité des cas. Les Occidentaux consomment eux-mêmes l’Ayahuasca, et non plus simplement le chaman, et s’engagent souvent pour diéter durant plusieurs semaines.
7 - COMMENT TROUVER UN BON CHAMAN ? VAUT-IL MIEUX PRATIQUER L’AYAHUASCA AVEC UN INDIGÈNE OU AVEC UN OCCIDENTAL ?
Il y a plusieurs manières de trouver un chaman. De nos jours, on peut facilement réserver une cérémonie d’Ayahuasca ou une diète de plante maîtresse depuis chez soi en surfant sur le net, mais sans pour autant avoir la certitude qu’on aura affaire à quelqu’un de sérieux. En cherchant au Pérou par exemple, aux alentours de Pisac, Iquitos ou Pucallpa, il y a pléthore de retraites chamaniques ou de guérisseurs individuels, sans parler des centres spécifiques comme Takiwasi.
D’autre part, tu dois rester conscient que ce genre de démarche favorise aussi le risque de se trouver embringué dans un “Ayahuasca Tour”, qui, s’il ne te met pas en danger, n’est pas forcément l’expérience que tu recherches. A toi de voir comment tu le sens, et ce qui te rassure. Personnellement, c’est pas du tout pour moi. Pour avoir visité ce genre d’endroit où des Gringos illuminés vantent à tout va les bienfaits de leur “spiritualité”, et pour avoir goûté à des expériences bien plus authentiques, ce n’est pas la méthode que je préconise.
Il y a une époque où je recommandais aux gens de se rendre directement sur place au Pérou et de faire confiance au destin et au bouche à oreille pour dégoter son chaman. Cette époque est définitivement révolue.
Ne serait-ce qu’à Iquitos, il y a 3 centres en particulier qui présentent un risque majeur pour les personnes. Ces centres sont sur le net, dans les premières pages de Google. Sorcellerie, viol, et lavage de cerveau.
Je ne peux pas révéler leurs noms ici, mais crois-moi quand je te dis qu’il faut vraiment se montrer prudent avec ça, parce que les dommages d’un séjour dans ces endroits peuvent être vraiment graves pour toi.
A présent, le seul moyen sûr de trouver un bon chaman, c’est avec une recommandation de quelqu’un qui s’y connait. Point barre.
Mes consultations sont d’ailleurs là pour ça.
Après, pour ce qui est de choisir entre un chaman indigène et un chaman occidental, ma réponse est stricte : un indigène.
Certes, je n’ai connu qu’une seule expérience avec un chaman blanc, un homme très connu et très respecté de surcroît, qui avait le mérite de ne pas se prétendre guérisseur, mais dont le but était simplement d’offrir aux gens la possibilité de boire de l’Ayahuasca dans un lieu très beau, plein de bonne énergie… Mais voilà. Pour moi, ce n’est pas ça, l’Ayahuasca. Peu importe le décor, peu importe la sono canon et les jolies chansons à la guitare dans une maloca ultra clean et super stylée pourvue de chiottes super confortables. Peu importe l’apparat.
Avouons que certains chamans occidentaux ont tout de même suivi une vraie initiation, à base de diète dans la jungle et compagnie, mais je refuse d’admettre que leurs connaissances puissent égaler celle d’un indigène qui, pardonne-moi l’expression, a ça dans le sang. Sans parler des pseudo-chamans qui ne sont là que pour le fric qu’ils peuvent se faire sur le dos des Gringos naïfs et surtout, effrayés de se confronter au vrai truc. Oui, c’est rassurant d’être entre Blancs dans un cadre tout joli et sécurisé, mais soyons cash : je conchie ce délire.
C’est pas que je pense que le truc doive absolument se vivre à la dure pour être authentique. Les malocas dans la jungle sont finalement très accueillantes. Simplement, selon moi, ne pas chercher à s’approprier une tradition en la modifiant suffisamment pour qu’elle rentre dans nos cases d’Occidentaux est juste une forme de respect. Et je terminerais en disant qu’en cas de vrai gros bad trip (j’ai assisté à l’un d’entre eux, ça fait extrêmement peur), seul un vrai chaman sera en mesure de te ramener sur Terre.
Bref, choisis un indigène, pas trop jeune si possible, dont les vibes sont bonnes, et qu’on t’aura recommandé.
PENDANT LA PRISE
8 - QUE SIGNIFIE POSER UNE INTENTION ? QU’EST-CE QUE JE DOIS DEMANDER A L’AYAHUASCA ?
Tu dois te présenter face à l’Ayahuasca avec une intention, c’est-à-dire une requête, une question, un souhait, quelque chose que tu aimerais travailler.
Avant de boire ton verre, tu fermes les yeux, la coupe entre les mains, et tu te concentres pour t’adresser à l’esprit de la plante et lui exposer l’intention qui gouvernera la cérémonie.
Les premières fois, c’est assez simple d'identifier ce qui te taraude, ce qui te bloque, ce que tu veux voir résolu afin d’avancer dans ta vie. Tu peux aussi poser des questions moins personnelles, au sujet de l’univers, de la conscience, de l’âme ou de la mort par exemple. De mon côté, je trouve que ce sont ces questions-là les plus intéressantes, celles qui ouvrent vers des cérémonies grandioses, plutôt que les petites requêtes égocentriques et souvent stupides (tu t’en apercevras, à la longue, ou après une cérémonie justement, où la Plante t’aura montré à quel point tes préoccupations sont stériles).
Ensuite, ça devient plus dur. C’est en effet difficile de trouver des questions à poser encore et encore, surtout durant une diète où tu bois l’Ayahuasca une nuit sur deux durant plusieurs semaines.
L’idée est de te connecter de plus en plus étroitement à toi-même, de chercher à identifier les thèmes qui t’animent en profondeur, à mesure que la diète et les cérémonies les dévoilent. Tu peux aussi te servir des synchronicités que tu observes dans ta vie ou encore des rêves que tu fais pour te mettre sur la bonne piste.
Quoi qu’il en soit, ne demande jamais “rien”. Tu dois faire l’effort de te présenter à l’Abuelita avec une intention, même si t’as parfois le sentiment qu’elle répond à côté. Si tu ne demandes rien, la Plante part en freestyle et tu vas rien comprendre, et sans doute subir grave.
9 - ON DIT QUE BOIRE L’AYAHUASCA POUR LA PREMIÈRE FOIS, C’EST COMME MOURIR…
Dans le chamanisme comme dans beaucoup de rites ou pratiques spirituelles et concepts psychologiques, la mort symbolique est une étape nécessaire à l'évolution inaugurant une métamorphose qui, plus tard, mènera vers une renaissance.
Mais ce n’est pas toi qui meurs. C’est ton ego. Une partie de toi qui fonctionne selon de vieux schémas, voire des traumatismes, que l’Ayahuasca t’aide justement à dépasser.
Plusieurs expériences sont possibles pour une première prise, et d’une manière générale, tu passeras par de nombreuses phases, allant de la peur à l’extase, du mal-être à l’amour infini… Tu peux avoir beaucoup de visions, ou pas du tout.
Mais cette phrase que tous les “experts” de la Plante aiment à sortir aux novices, et qu’ils répètent en boucle comme une légende, comme une épreuve du feu, c’est de la couille en boite. Ça ne veut rien dire, parce que chacun vit le truc à sa façon, et même en supposant qu'exactement la même épreuve se présenterait devant chaque petit nouveau, ce qui est improbable, la manière dont le petit nouveau en question l’appréhendera lui est entièrement personnelle. Ce qui apparaît comme une mort pour certains n’est qu’un passage pour d'autres.
Bref, arrêtez de répéter cette putain de phrase d’un air pénétré alors que, les gars, aucun de vous n’est un expert. Laissez ça aux vrais curanderos, qui eux, ne sortiront jamais de conneries comme ça !
10 - L’AYAHUASCA, ÇA FAIT QUOI ?
Assis dans le noir dans la maloca, les yeux clos, tu viens de boire ta coupe et le chaman est silencieux en face de toi. Un brin tendu mais très concentré, attentif à ce qui se passe en toi et aux bruits de la jungle qui t'entourent, tu respires calmement. Puis, le chaman se met à siffloter. Il émet des mélodies étranges, que tu n’as jamais entendues nulle part. Et ces mélodies ont pour effet de te centrer, d’affûter ton esprit.
Tu te tiens droit. Tu es prêt.
Alors, le guérisseur commence à entonner un icaro. Tu es désormais complètement connecté aux sons qui sortent de sa bouche. Au loin, dans le noir de ton esprit, des formes se mettent à apparaître, furtivement, insensiblement. Elles sont pour le moment difficiles à identifier. On dirait qu’elles bougent, qu’elles dansent. Elles sont… lumineuses ! Bon sang, les voilà qui s’approchent de toi, elles croissent, elles prolifèrent, se multiplient, et elles… ELLES ASSIÈGENT TON PUTAIN DE CERVEAU !
Tu es happé, envahi, étranglé par les visions, oh bordel y a plus de retour en arrière possible !
Ça te fait flipper à mort, ces conneries ! Un kaléidoscope en folie a pris possession de ta tête, ça tourne, ça brille, les fractales se diffractent, la peur et la folie te saisissent, tu vas…
Non. Redresse-toi. Respire. Connecte-toi aux icaros. Lève la tête…
Oui, c’est elle.
C’est ÇA, l’Ayahuasca. Et elle est… effrayante, d’une force stupéfiante, mais surtout… d’une beauté fabuleuse.
Tu vis en elle désormais, laisse-la vivre et s’exprimer en toi. Regarde comme elle déploie son incroyable pouvoir, son imprenable beauté à l'intérieur de toi…
Tu as cessé de penser, de réfléchir. Tu es prisonnier de la pure contemplation. C’est une extase que t’as jamais connue. C’est bon, c’est si bon… Mais… Oh attend, ça tourne pas rond là-dedans. Tu te sens lourd, d’un coup. Plombé. Les visions te filent le tournis. Ça s'accélère. C’est atroce ! Il faut que s’arrête, mon Dieu, ayez pitié ! Et ce putain de chaman qui débite ses chants comme un forcené ! Tu vas…
Putain, tu chopes ta bassine et déverses des litres et des litres de dégueuli dedans, comme si tu venais de boire un tonneau entier, alors que la coupe était toute petite.
Raaah, ça fait du bien, ça te soulage, c’est presque avec joie que tu expulses toute cette merde hors de ton corps, et tu râles presque de plaisir…
Les visions sont toujours effroyablement présentes dans ton cerveau, mais… Voilà. T’as tout dégobillé. T’essuies la gerbe sur les bords de ta bouche, souffles un grand coup et relèves la tête. Et tu entends le chaman se marrer au loin. Enfoiré…
Tu passes à une autre phase du voyage…
Les visions sont moins organiques, moins furieuses, moins physiques. Un monde éthéré, lumineux, s’ouvre désormais en toi. Et tu… tu commences à comprendre des choses. Sans penser, sans les décrire dans ton esprit. Tu les comprends avec ton ventre, avec ton cœur. Avec une partie de toi qui t’étais jusqu’alors inconnue. Un sixième sens ? Une sorte… d'intelligence émotionnelle ou sensitive ?
Ta conscience semble avoir atteint un nouveau niveau. Mais tu perds pas de temps à philosopher. Tu profites juste de cette incroyable ouverture.
Et puis sans savoir comment, voilà que ça repart en bad, des pensées sinistres t’envahissent, un mal-être t’assaille, tu te sens inconfortable avec toi-même, avec… ton mental, ou alors ton ego, peut-être. Tu te remets à gerber, mais ça sort pas aussi bien que la première fois. Tu luttes. Tu suffoques. Et puis, tandis que t’es la gueule dans ta bassine, agrippé à elle comme un perdu, tu crois sentir le chaman se lever. Venir au-dessus de toi.
Il chante pour toi.
Oui, tu le sens, il t’aide à traverser cette horrible phase. Tu te relies aux icaros de toutes tes forces, reconnaissant, éperdu de reconnaissance même, envers le curandero. Tes visions s'apaisent. Et voilà qu’il remue sa chacapa imprégnée de parfum au-dessus de toi, il appuie sur ta tête, souffle dans tes mains, aspire à certains endroits de ton corps comme pour en extraire le mal.
Heureusement qu’il était là…
Tu peux maintenant t’allonger et profiter du reste du voyage, caressé par de jolies visions, promené dans le monde de la Plante par les chants. Tu te sens rené. Né à nouveau, quoi. Tu te sens pur.
Et le lendemain, tu brilles d’une incroyable énergie.
Ça décoiffe, pas vrai ? Mais il arrive aussi qu’il n’y ait que la transe et pas de visions. Ou alors pas d’effet du tout. C’est fréquent pour un novice, et dans ce cas, après avoir attendu une heure, on peut dire au chaman qu’on ne sent rien et qu’on désire une autre tasse.
Pour info, la transe dure en général entre quatre et cinq heures.
11 - C’EST QUOI EXACTEMENT LA TRANSE ET LES VISIONS ?
La transe est un état de conscience modifié assez difficile à décrire... Quelque chose d’hypnotique. Assis sur le sol dans le noir, les yeux fermés, tu es concentré sur ce qui se déroule à l’intérieur de toi, tout en étant connecté aux icaros du chaman. A la fois très réceptif et dans le laisser-aller, cet état favorise l’émergence des visions.
Les visions commencent souvent par des images fractales en 3D qui prennent place en plein centre de ta tête. Très colorées, lumineuses et en mouvement, elles sont sans cesse en pleine métamorphose. Les chants du chaman les font muter, changer de couleurs. Parfois elles se transforment en figures animales, anthropomorphiques ou encore architecturales ou célestes. Mais le truc surprenant, c’est que ces figures souvent abstraites instillent en toi un message….
Si tu veux avoir un vrai aperçu d’une cérémonie d’Ayahuasca, regarde cette vidéo réalisée par Jan Kounen qui simule à merveille cette incroyable expérience, accompagnée de mes commentaires :
Il y a différentes sortes de visions, que Jan Kounen (encore lui) classifie ainsi :
Vision de l’imaginaire, qui ressemble au rêve.
Vision de ton propre monde, qui ressemble au souvenir.
Vision pure, c’est-à-dire vision du monde des esprits, de la mythologie et du cosmos.
Il y aussi deux grandes catégories selon lui :
Visions intérieures :
Tu vois les fameux kené en 3D, c’est l’énergie de la Plante que le chant organise en motifs. Les visions d’animaux comme le serpent en font aussi partie, tout comme les tunnels et les cathédrales.
Visions anthropomorphiques : tu vois le monde des esprits, qui t’apparaissent sous forme quasi humaine car l’Ayahuasca se sert de ton langage pour se faire comprendre.
Les mondes mythiques, les mondes humains des visions spirituelles (voir le Christ ou Shiva par exemple), mondes spirituels non terrestres (oui oui, on parle bien d’extraterrestres).
Visions extérieures :
Tu vois le guérisseur entouré d’esprits, un serpent sortir de sa bouche pour se nicher dans un patient, tu vois ses chants, son visage recouvert de motifs.
12 - QUE FAIRE SI J’AI TROP PEUR DE MES VISIONS D’AYAHUASCA ET QUE J’ARRIVE PAS A GÉRER ?
Respire. Ne reste pas allongé, ça donne de la force aux visions. Assied-toi bien droit, rectifie ta posture. Interrompt le train de tes pensées en te reconnectant à ton corps, en touchant ton ventre par exemple. Ce sont les pensées qui te racontent que c’est dur, que ça fait peur, que c’est violent.
Mais tu n’es pas tes pensées. Tu n’es pas ton mental.
Sois fier comme un guerrier, décide d’affronter. Cette posture physique et cette attitude psychologique vont t’aider à sortir de la boucle. Et montre-toi humble surtout, ne lutte pas, accepte, épouse ce que la Plante te montre. Vomis un bon coup.
Le chaman va venir t’aider, ne t’en fais pas. Il décide souvent de te laisser un peu subir le truc, croupir dans ton jus, pour que tu t’imprègnes de la medicina et apprennes à te renforcer, à faire face, à regarder vraiment ce qui se trame en toi. Mais il finira par venir t’aider, et tu peux même l’appeler si tu as trop peur de ce que tu vis.
Accroche-toi à ses icaros. Connecte-toi de toutes tes forces à eux. Sers t'en comme d’une corde nouée autour de ta taille, qui te tire hors du puits de toi-même et te guide pour traverser le flot de tes peurs.
Ta peur, c’est toi. C’est pas l’Ayahuasca.
13 - EST-CE QUE JE VAIS DEVENIR FOU ?
Nan, tu vas pas devenir fou. Mais l’extrême lucidité dont ton esprit va faire preuve pourra par moment s’apparenter à la folie.
14 - EST-CE QUE JE VAIS GERBER ET AVOIR LA DIARRHÉE ?
Oh que oui, et plutôt deux fois qu’une ! Si cette médecine s’appelle aussi la purga, la purge, c’est pas pour rien !
Ce processus d’évacuation fait entièrement partie du traitement.
Durant la transe, l’esprit est complètement relié au corps, ce qui fait que lorsque tu traverses quelque chose - émotions, sentiments, souvenirs, souffrance psychique - que tu as besoin d’évacuer, dont il te faut te défaire pour avancer et guérir, évoluer, eh bien, c’est par le corps que ça va se passer.
Les indigènes n’ont absolument pas honte de ça, et ils en rigolent même. Tu verras que toi aussi tu vomiras et t'esquiveras pour aller chier sans vergogne, avec l’habitude.
Le truc, c’est qu’il ne faut pas lutter. Plus tu repousses le moment de vomir, plus tu vas stagner dans ton mal-être.
15 - Y A-T-IL UN RISQUE QUE JE NE REVIENNE PAS D’UNE CÉRÉMONIE D’AYAHUASCA ?
Peu importe la difficulté de ce que tu vis, tu dois garder en tête que c’est pour ton bien, que tu dois faire face sans peur, parce que la Plante ne fait que te donner ce dont tu as besoin, qu’elle n’est pas sadique, et qu’elle ne te montre que ce que tu es capable de supporter. On revient toujours d’une cérémonie d’Ayahuasca. Se dire que “ça va passer” peut donc faire office de mantra dans les moments difficiles.
De plus, le chaman est là pour t’aider. Quand tu te sens prisonnier d’une boucle vicieuse, il le sait et vient auprès de toi, chante pour toi, souffle et aspire et t'inonde de parfum, pour te guider, calmer ta transe, et t’aider à traverser.
Mais il faut impérativement être accompagné d’un bon chaman pour ça.
16 - COMMENT LE CHAMAN GUÉRIT-IL ?
Le chaman utilise l’énergie du Tabac et des plantes qu’il a diétées, portée par les icaros qu’elles lui ont appris, pour nettoyer le corps et l’esprit du patient.
Grâce à l’Ayahuasca, qui lui offre une sorte de vision aux rayons X, le corps du patient apparaît au curandero un peu comme une cartographie du ciel.
La peau devient transparente, avec le squelette, les veines et les organes visibles. Et l’énergie qui circule dedans aussi. En l’occurrence, les constellations représentent des nœuds, des blocages d’énergie qu’il doit s’efforcer de détendre, de démêler, de fluidifier, en se servant de ses icaros et de son Tabac, mais aussi de son parfum et de sa chacapa.
En fonction du type de problème, le chaman chante l’icaro de l’esprit de la plante qui convient pour appeler la guérison. Tout son pouvoir est en réalité dans les plantes, celles qu’il a diétées et dont il a incorporé l’esprit. C’est grâce aux chants qu’il peut agir, avant toute chose. Les icaros que les plantes lui ont appris.
Durant son initiation, l’apprenti-guérisseur diète une plante maîtresse, c’est-à-dire une plante qui enseigne. Ce qu’elle lui apprend, c’est une façon de voir, de guérir. Elle le fait au travers de ses rêves, de ce que nous on appelle des hallucinations, ou bien en lui enseignant des chants de pouvoir, ou encore à travers un certain type de pensée du monde ordinaire.
L’idée, c’est qu’il devienne ami avec elle, pour qu’elle lui apporte son aide dans sa pratique. Pour ça, il doit incorporer son essence. Et son essence, son esprit si tu veux, c’est comme une mélodie, c’est pour ça que ses icaros, il les tient des plantes.
Et plus un chaman a diété de plantes, plus il possède d’esprits qui l’aident, plus il a de pouvoir, et plus il a de chants.
Tu comprends ?
17 - POURQUOI ME SOUFFLE T-IL DESSUS ?
Le souffle du chaman, imprégné de fumée de mapacho, véhicule son intention et son énergie de guérison. Le souffle, c’est tout le pouvoir du chaman. Par ses chants, ses soufflements, ses sifflements, il te transmet son énergie et celle des plantes enseignantes qui sont ses alliées pour te permettre de réaligner la tienne.
18 - POURQUOI LE CHAMAN ASPIRE T-IL SUR UNE PARTIE DE MON CORPS EN FAISANT DES BRUITS DÉGUEUX ?
Ceci est l’opposé de ce qui précède. Quand un chaman pose sa bouche sur une partie de ton corps et aspire, il tire hors de toi des énergies néfastes, maladies, pensées, traumatismes. Il te nettoie. Toute la médecine de l’Ayahuasca est une manière de se nettoyer.
Si ensuite il recrache ce qu’il a sorti de toi en vomissant à sec, c’est pour ne pas conserver cette chose néfaste en lui. Pourtant, malheureusement, il en garde toujours une partie, et doit régulièrement aller voir ses vieux maestros pour se nettoyer à son tour…
19 - QUEL EST CE PARFUM DONT-IL M’ASPERGE ?
Simple Agua Florida achetée au marché ou eau florale artisanale préparée par ses soins, le parfum est très utile au chaman, qui y a souvent recours.
Il s’agit de l’essence des plantes, et donc d’un véhicule olfactif de leur esprit et de leurs pouvoirs.
Puisque toute cette médecine s’articule autour d’elles, il est normal que leur odeur soit utilisée aussi en cérémonie. Le chaman te proposera souvent de t’en asperger avant la cérémonie, puis il t’en glissera dans la paume après un passage particulièrement difficile en pleine cérémonie, en appliquera sur ta tête, et t’en soufflera même dessus, parfois sans que tu t’y attendes, afin de t’aider à traverser une phase délicate de la session ou bien pour colmater les canaux encore ouverts dont il a retiré tes mauvaises énergies.
APRÈS LA PRISE
20 - POURQUOI LE CHAMAN NE VEUT PAS M’EXPLIQUER CE QUE J’AI VÉCU AVEC L’AYAHUASCA ?
Les indigènes ne fonctionnent pas comme les Blancs à ce sujet. Alors que les néo-chamans occidentaux incitent les participants d’une cérémonie à revenir oralement sur ce qu’ils ont vécu pour le partager avec les autres et l’expliciter pour eux-mêmes, les indigènes, et notamment les Shipibo, ne croient pas aux vertus de la parole.
Pour eux, ça s’apparente à ramener une expérience transcendante, qui se passe de mots donc, dans les filets de l’ego et du rationalisme. Une erreur de paradigme donc, qu’ils se refusent à commettre.
Les chamans indigènes pensent que les cérémonies se suffisent à elles-mêmes. Que si tu veux d’autres réponses, t’as qu’à attendre la cérémonie suivante pour demander directement à la Plante.
En gros, ils ne font pas de lavage de cerveau, et s'effacent pour que ton rapport avec l’Ayahuasca soit le plus pur possible, comme un langage secret qui n’existe qu’entre elle et toi.
21 - EST-CE QUE LA PRISE D’AYAHUASCA RISQUE D’ACCENTUER MON TRAUMATISME ? LES PROBLÈMES TROUVENT-ILS LEUR SOLUTION DANS LA PRISE ?
Oui, je crois qu’on peut dire ça. Parce que ça fonctionne comme un catalyseur, et aussi une catharsis.
En fait, l’Ayahuasca va se saisir de ce qui cloche et te le mettre sous le nez. Tu vas souvent devoir te confronter, encore et encore, aux choses néfastes qui squattent à l’intérieur de toi, et dont t’arrives pas à te débarrasser d’une façon rationnelle, en faisant usage de ton intelligence. Mais accentuer le traumatisme n’est qu’une première phase. L’idée est que tu le vois enfin pour ce qu’il est, que tu t’en rendes conscient plutôt que de le laisser secréter son venin en sourdine, en le refoulant, en le niant, mais en le laissant finalement vivre en toi à ton insu.
C’est ainsi que fonctionne la medicina. Elle amplifie les troubles et les amène devant la conscience afin qu’ils apparaissent sous leur jour véritable.
Mais ce n’est qu’une étape. Si ton traumatisme est accentué au début de la cérémonie ou dans les premiers temps de ta diète, tu peux être certain qu’à la fin de la nuit ou de la semaine, il aura trouvé sa solution, ou du moins, une piste très sérieuse pour apprendre à vivre avec, si ce n’est t’en débarrasser.
La véritable guérison s’accompagne fréquemment de beaucoup de souffrances et de sacrifices.
Regarder les choses en face, voire même faire resurgir des souvenirs oubliés, s’y confronter, les accepter, pardonner, et puis laisser partir, dire adieu à ce qu’on était, les schémas et habitudes selon lesquels on se définissait, pour changer, grandir, évoluer…
Tout ça, c’est du lourd, et c’est loin d’être facile. L’Ayahuasca t’impose une remise en question totale de ta personnalité, mais aussi de tous les concepts dont t’as été biberonné depuis ton enfance, qu’il s’agisse de la nature de la conscience ou des “valeurs” qu’on t’a inculquées.
L’idée majeure qui supplante tout ça, en réalité, c’est d’être en mesure d’établir une vraie distinction entre le vrai toi et ton mental. Entre ton identité réelle et ton ego.
Je dirais pas que c’est une solution miracle, car il y a un vrai travail à effectuer après, pour intégrer les enseignements. Mais l’Ayahuasca montre la voie.
22 - EST-CE QUE L’AYAHUASCA VA COMPLÈTEMENT ME FAIRE CHANGER ?
J’aimerais répondre oui. On lit beaucoup de témoignages de personnes qui ont soi-disant découvert le sens de leur vie grâce à l’Ayahuasca, après une simple prise, lors d’une première cérémonie isolée. Je dis pas, ça doit exister, mais c’est loin d’être la majorité des cas. J’ai personnellement pris beaucoup d’Ayahuasca, et bu avec d’autres, novices ou confirmés, de toute origine.
La vérité, c’est que non, ils n’étaient pas transformés du jour au lendemain. Et moi non plus.
On aimerait que ce soit plus magique que ça, hein ? Ben non.
Comme pour quasiment tout dans la vie, il y a un travail à fournir, des efforts à engager, pour comprendre et mettre en application ce que la Plante t’a révélé, pour véritablement l’incorporer et en faire une partie de toi, quelque chose d’opérant, un vrai changement.
De plus, j’ajouterais que le savoir révélé lors de la transe à tendance à se faire flou quand on est de retour dans la réalité ordinaire, comme s’il était enfermé à triple tour dans une zone de ta conscience à laquelle t’as accès qu’en étant en mareado. C’est loin d’être facile de retrouver la clé, sans parler de mettre ces enseignements en pratique.
Pour aller plus loin et explorer les bouleversements que l’Ayahuasca provoque en toi, tu peux lire Le Voyage du Héros version Ayahuasca.
23 - UNE DIÈTE D’AYAHUASCA, C’EST QUOI ?
Pour faire simple, une diète d’Ayahuasca, c’est prendre l’Ayahuasca une nuit sur deux sur une période allant de quelques jours à plusieurs semaines. La diète comporte de nombreuses règles : isolement dans un tambo, restrictions alimentaires (pas de sel, pas de sucre, pas de graisse, pas de viande), pas de sexe…
Mais de nos jours, c’est plutôt vers la diète de plantes maîtresses (durant laquelle on fait généralement deux cérémonies d’Ayahuasca par semaine) que les Occidentaux se tournent. Si cette question t’intéresse, je t’invite à consulter le premier article du Dossier Special Diète de Plantes.
Et si tu veux avoir un véritable aperçu de ce que représente une diète, je t’invite à te rendre à cet article qui réunit toutes les sessions d’Ayahuasca que j’ai faites au cours d’une diète de trois mois au Pérou.
Pour conclure, j’aimerais citer l’excellent article : Ayahuasca : l’importance du cadre et de l’intention lors de prise de psychédéliques du site Cairn.info, qui explore des aspects plus avancés de la consommation d’Ayahuasca que je n’ai pas traités ici, tel que les religions modernes autour de la Plante, l’A(rt)yahuasca, ou encore la prise sauvage du breuvage, ainsi que les questions législatives qui l’entourent.
Bon, je pense qu’on a fait le tour ! J’espère que cet article aura répondu aux questions principales que tu te posais au sujet de l’Ayahuasca.
POUR ALLER PLUS LOIN…
Borderline : Une série littéraire sur l’ayahuasca
Travis, un jeune hors-la-loi en deuil de sa jumelle, part diéter l’Ayahuasca dans la jungle. Mais il réalise qu’il ne pourra se soigner que s’il accepte de plonger au plus profond de ses ombres...
Engagé corps et âme dans une diète de Plantes Maîtresses version hardcore, le processus est loin d'être aussi facile que ce qu’il avait imaginé… car l’unique voie de sortie est d’affronter son pire ennemi : lui-même !
ET ENCORE PLUS LOIN !
Comprendre la Medicina des Plantes
Rendre l’Être Humain à la Nature
Le Voyage du Héros version Ayahuasca
Lexique du Chamanisme
Qu’est-ce qu’un icaro ? Que signifie vraiment le mot chaman ? Qu’est-ce qu’une maloca, qu’est-ce qu’un esprit ? Et bon Dieu, qu’est-ce que c’est que cette histoire de réalité ordinaire et non-ordinaire ? L’idée m’est venue qu’il serait temps de mettre à votre disposition une sorte de petit glossaire regroupant tous les termes fréquemment employés dans le monde du chamanisme en général, et dans celui de l’ayahuasca et des Shipibo en particulier…
Qu’est-ce qu’un icaro ? Que signifie vraiment le mot chaman ? Qu’est-ce qu’une maloca, qu’est-ce qu’un esprit ? Et bon Dieu, qu’est-ce que c’est que cette histoire de réalité ordinaire et non-ordinaire ?
L’idée m’est venue qu’il serait temps de mettre à votre disposition une sorte de petit glossaire regroupant tous les termes fréquemment employés dans le monde du chamanisme en général, et dans celui de l’Ayahuasca et des Shipibo en particulier…
Classés par ordre alphabétique, les mots usuels sur lesquels vous ne cessez de tomber au fil de vos incursions mais dont la définition vous échappe toujours, sont ici expliqués d’une façon simple et limpide.
Vous allez enfin apprendre à maîtriser le vocabulaire propre au chamanisme.
Mais attention, ce ne sont pas des définitions de dictionnaire basiques trouvées sur Wikipédia. Riche de ma propre expérience dans le domaine, c’est en vertu de mes connaissances personnelles que ces termes sont présentés.
Le but est de mettre à votre portée des concepts qui peuvent de prime abord sembler obtus, alors qu’il n’en est rien quand on sait les mettre en lumière sans fioritures.
N’hésitez pas à venir fouiner sur cette page de temps à autre, elle sera régulièrement mise à jour en fonction de mes recherches et de vos questions.
Bonus : Le Magnifique Répertoire Illustré des Plantes Maîtresses est désormais disponible.
Les termes courants du Chamanisme expliqués aux Débutants
Abuelita : petit nom affectueux pour désigner l’Ayahuasca qui signifie Grand-Mère. Très utilisé par les indigènes.
Animal de pouvoir : esprit allié d’un Homme, pourvoyeur de force et de santé, qui peut aussi lui servir de guide. Le chaman peut aller le chercher pour un patient lors d’une cérémonie (dans ce cas, il choisira l’animal en fonction des besoins spécifiques de son patient. En effet, chaque animal possède des qualités propres, qui seront ou non nécessaires pour guérir le patient), ou alors l’Homme lui-même, durant un voyage chamanique. Mais bien souvent, l’animal de pouvoir se présente de lui-même.
Arcanas : la pose d’arcanas (protections ou défenses) consiste soit en une imposition des mains sur le front et le dessus de la tête du patient, soit en sopladas, soit en l’usage de la chacapa sur sa tête, son dos et ses épaules, accompagné d’icaros. Cette opération a lieu systématiquement à la fin d’une diète de plantes, afin de fermer le corps énergétique du diéteur et d’y fixer la vitalité des plantes, tout en empêchant les mauvaises entités d’y pénétrer à nouveau. Mais elle peut aussi être réalisée à la fin d’une cérémonie où un gros travail de nettoyage aura été effectué.
Ayahuasca : désigne la liane qui pousse en Amazonie, mais aussi la boisson psychotrope qu’on prépare avec cette liane mélangée aux feuilles de Chacruna. Les lianes d’Ayahuasca ont pour effet d’induire la transe.
Ayahuasquero, ayahuasquera : guérisseur qui consomme rituellement l’Ayahuasca pour acquérir de la connaissance et soigner sa communauté.
Bain de plantes : infusion à froid de plantes médicinales (maîtresses ou non), avec laquelle le patient doit se laver durant sa diète, dans le but de s’imprégner de l’essence de ces plantes. Ces bains remplissent plusieurs fonctions : nettoyer le corps énergétique, protéger de l’intrusion d’entités néfastes, rééquilibrer le psychisme…
Brujo, bruja, brujeria : sorcier, sorcière, sorcellerie. Chaman qui utilise ses connaissances et son pouvoir pour nuire à autrui, selon des visées propres ou parce qu’un client lui en a fait la demande.
Chacapa : hochet en feuilles séchées, souvent fait avec celles du palmier Yarina, dont le chaman se sert pour soigner son patient.
Chacruna : buisson à feuilles poussant en Amazonie, contenant la DMT, molécule naturelle qui provoque les visions. Ces feuilles sont mélangées aux lianes d’Ayahuasca pour produire la potion nommée Ayahuasca.
Chaman : à la fois sage, guérisseur, thérapeute, conseiller, voyant et parfois aussi sorcier, le chaman est un médiateur entre les Hommes et les esprits, capable de naviguer dans la réalité non-ordinaire et d’en ramener des informations qu’il partage avec sa communauté. Dans le monde de l’Ayahuasca, le chaman est un homme ou une femme qui a incorporé l’esprit ou l’essence des plantes qu’il a diétées lors de son initiation, et qui peut donc utiliser leur pouvoir pour guérir les autres et les guider.
Chupada : (succion, extraction) consiste en l’application de la bouche du guérisseur sur une partie du corps du patient, dont il va aspirer les mauvaises énergies, avant de les vomir, littéralement ou métaphoriquement (dans ce cas, le chaman vomit à sec, c’est-à-dire sans rien régurgiter, mais en faisant les bruits). Ce procédé peut prendre place durant une cérémonie ou non. Le chaman commence par avaler de la fumée de tabac afin de mobiliser son mariri et lui permettre de se matérialiser, depuis le pharynx jusqu’à l’extrémité de sa langue. Il le garde ainsi dans sa bouche et commence la chupada. Le picotement qu’il ressent lui indique que la substance commence à faire son travail. Comme un aimant ou une éponge, le mariri attire à lui et absorbe les énergies néfastes du malade. Ensuite, le chaman recrache le mariri contaminé dans lequel le mal est emprisonné, à grand renfort de raclements de gorge et vomissures à sec. L’avaler serait bien sûr éminemment dangereux, voire mortel. L’opération est souvent répétée plusieurs fois de suite, jusqu’à extraction complète du mal. Parfois, des éléments de protection tels qu’un morceau d’écorce de cannelle ou de camphre, ou de l’eau citronnée, sont pris en bouche avant toute l’opération, afin d’empêcher que le mariri intoxiqué soit avalé par erreur. Quand le mal se situe dans des zones du corps difficiles d’accès ou encore dans les parties intimes (ce qui est assez fréquent), le chaman use d’un petit tube pour aspirer. Enfin, l’opération se conclut par une soplada de Tabac afin de refermer le corps énergétique du patient.
Croiser sa diète, la casser ou la tordre : ne pas respecter les impératifs et les interdictions alimentaires et comportementales dictées par le chaman, ce qui engendre des interférences énergétiques dangereuses pouvant déboucher sur des désordres physiques, émotionnels, psychiques ou spirituels, parfois sans possibilité de guérison.
Curandero : guérisseur traditionnel d’Amérique du Sud (du verbe curar, soigner en espagnol).
Diète : processus de guérison ou d’apprentissage, allant de quelques jours à plusieurs mois. Isolement, diète alimentaire très stricte, interdits comportementaux, prise de plantes maîtresses sous différentes formes, cérémonies à répétition, la diète est un protocole long et fastidieux dans lequel on s’engage pour se soigner avec les plantes ou pour apprendre à soigner avec les plantes.
DMT : diméthyltryptamine. Substance psychotrope naturellement présente dans de nombreux organismes comme les plantes ou les êtres humains.
Esprit : entité du monde invisible. Il peut s’agir de plantes maîtresses, d’esprits de différentes sphères (comme celle de la medicina), ou encore d’extraterrestres ou d’animaux. Le voyage chamanique, c’est la capacité d’entrer en contact avec le monde des esprits, et des essences. Le mot “esprit” est souvent connoté négativement par les Occidentaux, comme l’esprit des revenants qui nous hantent. Ce n’est pas le cas dans le chamanisme. Bien sûr, il existe des entités néfastes, mais bien souvent, il y a plutôt une ambivalence. Par exemple, les plantes maîtresses ont deux mondes, un monde obscur et un monde lumineux. Les autres esprits aussi, comme le Chullachaki, très fameux chez les Shipibo.
Icaro : mélodie que chante le chaman durant les cérémonies d’Ayahuasca. Outil thérapeutique, ce chant sert à soigner et guider le patient. Ce sont les plantes maîtresses, durant les diètes, qui apprennent les icaros au chaman. Ces mélodies constituent leur essence, leur esprit, leur énergie. Selon le besoin du patient, le chaman va chanter l’icaro de la plante qui lui est nécessaire. Il y a des icaros pour ouvrir les visions, redresser l’ivresse, nettoyer, se connecter à différents mondes… Voici un icaro de Guillermo Arevalo “Kestenbetsa”, maestro de Jan Kounen.
Kené : motifs géométriques qu’on observe dans les visions d’Ayahuasca et dans l’art et l’artisanat shipibo, dont les femmes ont le secret. Le langage qui s’articule dans ces motifs serpentants est propre à chaque femme. On dit que c’est l’Anaconda originel Ronin qui le leur a transmis. Cependant, chaque plante possède aussi son propre motif, et les Shipibo sont capables de chanter l’icaro correspondant aux kené rien qu’en les regardant.
Kushma : tunique traditionnelle en coton, brodée de motifs kené, portée par le chaman durant les cérémonies.
Madre : autre nom de l’Ayahuasca qui signifie Mère.
Maestro : maître chaman, enseignant.
Maloca : hutte cérémonielle, souvent de forme circulaire, où se déroulent les cérémonies d’Ayahuasca.
Mapacho : tabac noir amazonien, qui se présente sous forme pure, à placer dans une pipe, ou alors dans des grosses cigarettes faites à la main.
Maraca : instrument de musique constitué d’une calebasse remplie de graines, emmanchée sur un bâton.
Mareacion, être mareado ou mareada : ivresse, transe de l’Ayahuasca. Être mareado signifie être sous l’emprise des effets de la Plante.
Mariri, ou Yachay : signifie “savoir” en quechua. Il s’agit d’une substance étrange, observable physiquement, sorte de phlegme ou de bave visqueuse que le chaman conserve en permanence dans son estomac, et qu’il peut régurgiter quand il le souhaite. Le mariri est le savoir-pouvoir matérialisé dans son corps qui va lui servir pour les opérations de chupada. Le chaman forme et entretient son mariri en avalant la fumée de Tabac, c’est-à-dire en la déglutissant jusqu’au fond de son estomac, où se trouvent ses énergies de guérison. Le mariri est donc un agglomérat d’énergies curatrices accumulées au fil du temps, dont la nature est à la fois physiologique, énergétique et spirituelle. Lorsqu’il veut le régurgiter pour une opération rituelle, il lui faut à nouveau avaler de la fumée de tabac avec vigueur, puis la roter bruyamment. Le mariri peut aussi être transmis directement du maestro à son disciple.
Medicina : désigne l’Ayahuasca en elle-même, mais aussi le paradigme qui englobe le monde de l’Ayahuasca, les esprits qui lui sont associés, les diètes, les plantes… Tout cela s’appelle le Monde de la Medicina ou la Sphère de la Medicina.
Monde d’en-bas, Monde du milieu, Monde d’en-haut : dans le chamanisme, il y a trois mondes, qui sont des plans spirituels. Celui d’en-bas, où vivent les esprits animaux, les plantes maîtresses et les anciens chamans. Celui du milieu, notre monde ordinaire, animé de luttes de pouvoir incessantes. Et celui d’en-haut, éthéré, lumineux, où se trouvent les esprits avancés, spécialisés, souvent disposés à apporter leur aide.
Perfume : parfum, eau florale artisanale préparée par le chaman ou achetée sur un marché (Agua Florida).
Plante Maîtresse, ou Plante Enseignante, Plante Sacrée : à la différence des simples plantes médicinales, dont l’esprit est considéré comme “faible”, les plantes maîtresses sont dotées d’un esprit fort et ont de ce fait la capacité de s’adresser aux diéteurs et aux chamans afin de les faire entrer dans leur monde, de leur apprendre leurs secrets, leur transmettre leur pouvoir et surtout leur enseigner à guérir, au travers d’états modifiés de conscience tels que les rêves et la maeracion. C’est par le biais de la diète initiatique (et dans une moindre mesure, de la diète de guérison) que l’Homme entre en contact avec l’esprit-mère de ces plantes, dans une relation directe passant de “corps à corps”. En Amazonie, les seuls professeurs sont les plantes, c’est PAR elles et AVEC elles que toute médecine est rendue possible. L’essence de ces plantes est apparentée à une mélodie, le fameux icaro, véhicule sonore de leurs pouvoirs thérapeutiques, c’est donc par l’entremise de l’apprentissage d’icaros que le chaman forme son arsenal d’outils curatifs en réalisant de nombreuses diètes de plantes. Ces esprits alliés lui enseignent à guérir et il fait appel à eux lors des cérémonies d’Ayahuasca pour emboîter leurs vertus directement dans le corps énergétique des patients, en chantant leur essence... Voici l’inventaire des plantes maîtresses d’Amazonie.
Pouvoir : pouvoir des plantes, pouvoir du chaman, pouvoir personnel. Le pouvoir des plantes, c’est leur essence, leur esprit, que le chaman incorpore afin de guérir, notamment grâce aux icaros qu’elles lui apprennent durant sa diète. Le pouvoir du chaman est à double-tranchant : il peut s’en servir pour guérir (dans ce cas il est curandero) ou pour faire le mal (il est alors brujo). Les armes de défense et d’attaque sont les mêmes. Le pouvoir personnel d’un Homme réside tout entier dans sa volonté.
Rapé : tabac en poudre à priser.
Réalité ordinaire : état de conscience basique de l’être humain, réalité de tous les jours.
Réalité non-ordinaire : dimension du monde et de la conscience uniquement accessible via un état de conscience modifié, que ce soit par l’usage de psychotropes ou encore via le rêve, l’hypnose, la méditation, le son des tambours…
Selva : jungle.
Soplada : (soufflement) consiste à souffler du Tabac ou du parfum, soit sur le patient, soit sur une plante, soit sur un remède de plantes. Dans le cas de la soplada d’un remède, la fumée chargée de l’intention du guérisseur (des énergies qu’il convoque et veut transmettre) active et potentialise les vertus de la plante, en augmentant ses vibrations et en appelant son esprit. Avant une cérémonie d’Ayahuasca, le patient est systématiquement protégé de l’intrusion des mauvaises énergies et des entités néfastes par la fumée de mapacho soufflée sur différentes parties de son corps, celles de grande concentration énergétique : épaules, poitrine, haut du dos, sommet de la tête, appelée couronne. Sur cette zone, le chaman use de son poing comme d’un tube pour souffler de manière forte et précise, ou bien il souffle en positionnant sa bouche directement au niveau de la fontanelle, ses mains tenant la tête du patient. Cette technique permet de faire descendre dans le corps l’énergie qui stagne au niveau du crâne. Il souffle aussi sur le bout des doigts du patient qui tient ses mains jointes comme pour une prière, et devra ensuite ramener la fumée vers son visage pour s’en oindre. Ces endroits sont très sensibles et se chargent facilement d’énergie négative, il faut donc les protéger avant d'ouvrir l’espace rituel. Lors d’une cérémonie d’Ayahuasca, la soplada met en relation les corps énergétiques du chaman et de son patient, grâce au Tabac qui les connecte. En utilisant son énergie et celle de l’esprit du Tabac, mais aussi celle de ses maestros, des plantes qu’il a diétées ou encore de ses ancêtres, le chaman charge sa pipe ou son mapacho avec ses icaros. C’est de cette manière que la fumée possèdera des qualités qui vont directement agir sur le corps énergétique du patient. A la fin de la cérémonie, le Tabac sera soufflé sur les pieds et les jambes du patient afin de refermer son corps.
Transe : état de conscience modifié qui permet l’accès à la réalité non-ordinaire.
Tambo : cabane, le plus souvent avec une structure en bois, un toit en feuilles de palme et des “murs” en moustiquaire, posée directement sur le sol en terre battue. C’est dans ce refuge en pleine jungle que l’on s’isole durant une diète.
Visions : images mentales en 3D provoquées par l’ingestion d’Ayahuasca. C’est la DMT contenue dans les feuilles de chacruna qui en est la cause. Il en existe de toutes sortes : abstraites, fractales, kaléidoscopiques, ou au contraire plus réalistes, comme un rêve. On peut aussi observer des figures anthropomorphiques, animales ou extraterrestres, ou bien encore des formes qui s’apparentent à l’activité biomoléculaire. A noter que ces visions n’ont rien à voir avec la quête de vision des Indiens natifs. Voici une cérémonie d’ayahuasca virtuelle réalisée par Jan Kounen, pour mieux comprendre ce que sont les visions.
Pour aller plus loin…
Le Top 20 des Vidéos sur le Chamanisme, les Enthéogènes et les États modifiés de Conscience
FAQ AYAHUASCA : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir (sans jamais oser demander)
Le Voyage du Héros version Ayahuasca
Le Top 15 des Livres sur le Chamanisme
La Gardienne de la Plante : Collaboration Artistique entre une Sauvage et un Alchimiste
Bruno et moi, c’est l’histoire de deux cramés de la cervelle qui se croisent sur un réseau et se reconnaissent instantanément en se faisant un petit clin d’œil de connivence, comme deux drogués égarés dans une soirée guindée qui décideraient d’aller s’enfiler une trace de coke dans les chiottes ultra classes de leur hôte, avant de mettre les bouts bras dessus bras dessous pour finir la nuit dans un rade bien pourri où l’un comme l’autre se sentirait beaucoup plus à l’aise…
Bruno et moi, c’est l’histoire de deux cramés de la cervelle qui se croisent sur un réseau et se reconnaissent instantanément en se faisant un petit clin d’œil de connivence, comme deux drogués égarés dans une soirée guindée qui décideraient d’aller s’enfiler une trace de coke dans les chiottes ultra classes de leur hôte, avant de mettre les bouts bras dessus bras dessous pour finir la nuit dans un rade bien pourri où l’un comme l’autre se sentirait beaucoup plus à l’aise...
Quand Bruno Leyval et Zoë Hababou jouent les Mécanos de la Transcendance
Et comme tout junkie éprouvant un certain respect pour le junkie qui se trouve en face de lui, on s’est mis à partager nos plans. A se raconter nos histoires de camés. Nos expériences bonnes et mauvaises avec notre dope à nous, celle qui nous envoie en l’air, nous transcende, nous traîne dans les limbes, nous fait ramper pour obtenir notre dose : l’Art.
C’est pas qu’on exerce exactement sur le même terrain, lui et moi. Bruno suit la Voie de l’Encre (et d’un tas d’autres trucs que je serais bien en peine de décrire), et moi, je trace la route de l’Écriture. Tandis que lui dessine ses visions à grands traits noirs, moi, je me perds dans les labyrinthes cognitifs et les métaphores.
Mais la défonce qu’on recherche en nous livrant à nos différents médiums est la même : La Transcendance.
C’est marrant, mais quand on demande aux gens en général et aux artistes en particulier ce qu’ils espèrent trouver dans l’Art, c’est rarement ce concept qui est désigné. Bruno et moi, qu’est-ce qu’on met derrière ce mot ?
L’idée, ou plutôt la sensation viscérale envahissant le corps et la conscience, d’un franchissement, d’un dépassement, d’un écartèlement qui entraîne celui qui en est victime au-delà du perceptible et de l’intelligible. Quelque chose qui le sort de lui-même, et le largue à portée des rivages inconnus du Sublime. Ouais, tout ça s’apparente bel et bien à une défonce.
Développer de la puissance dans son art n’est pas donné à tout le monde. J’imagine qu’il faut d’abord en avoir été témoin ailleurs pour être foutu d’en engendrer soi-même.
De la puissance, y en partout dans le monde, sous de multiples formes. Mais encore faut-il avoir les yeux qu’il faut pour la percevoir. Une certaine disposition, une soif qui nous aimante à elle. Je pense pas vraiment qu’il s’agit d’un entraînement. Je pense au contraire que c’est la rencontre avec cette puissance qui nous débouche le regard et transforme à jamais notre appréhension… d’absolument tout.
Après, bien sûr, les camés de la puissance, les accros de la transcendance sont du genre à mettre tout en œuvre pour la faire (re)vivre en eux. Ils éclusent un nombre effarant de produits (dope, voyages, expériences spirituelles, lectures, musiques) pour la retrouver, et font tirer la langue à un tas de dealers (artistes) pour qu’ils arrivent à leur en fourguer. Avant de comprendre que le meilleur moyen de foutre la main dessus et d’en acquérir une réserve inépuisable, c’est de la produire soi-même dans le labo de son âme en mode Breaking Bad pour jamais se retrouver en rade et faire planer le monde avec une nouvelle came bleue cristal.
Mais il s’agit pas que de le faire planer. Ça, c’est bon pour les débutants de la dope qu’ont pas conscience que ce qu’ils se foutent dans le cornet possède un pouvoir bien plus beau que celui de simplement les faire sortir d’eux-mêmes.
Après être sorti, l’idée, c’est de rentrer. De ramener à l’intérieur de soi le Sublime qu’on a contemplé pendant de trop brèves secondes de déconnexion.
L’idée, c’est de reconnecter.
Imaginez une sorte de Mécanicien d’Enfer en mode steampunk, affairé dans la salle des machines, à suer de la gueule derrière son cambouis sous son casque en acier crasseux. Ce Mécano, c’est le Style. C’est lui qui fait la jonction entre l’inconscient et le conscient. Entre l’intérieur et l’extérieur. Entre la puissance cachée, et l’Homme. C’est lui qui provoque la Transe.
Eh ouais, on en arrive au Chamanisme, autre point de ralliement entre Bruno et moi. Que tous les deux on ait connu des expériences de ce genre n’est pas vraiment le problème, en fait. N’importe quel artiste, qu’il ait été ou non en contact avec un chaman ou ce qui s’en approche, est en mesure d’atteindre ce niveau où l’Homme communique avec la Conscience Universelle. Le chamanisme, c’est rien de plus, en réalité. Même si c’est déjà énorme pour le commun des mortels.
Évidemment, c’est carrément plus facile de pénétrer sur cet étrange territoire si on a eu la chance d’être initié par un guide, comme ça a été le cas pour Bruno et moi. Cela dit, ce n’est pas le chamanisme qui crée en l’Homme le pouvoir de transcendance et la capacité de l’engendrer. Il ne fait que révéler ce qu’il porte en lui.
La création artistique est une transe. L’artiste est forcé d’entrer dans un état de conscience non-ordinaire pour capter son œuvre et la transcrire. Comment parler à l’Homme de l’Infini si on n’a pas soi-même la tête dedans ? Comment véritablement mettre au monde une œuvre qui résonnera dans le cœur de l’humanité si soi-même on est déconnecté de ce qui la constitue ? Il faut trouver son plus petit dénominateur commun, les racines les plus ancestrales, les plus primitives qui croissent vers le bas et vers le haut, celles qui nous relient et nous ancrent et celles qui nous élèvent et nous transcendent…
Monde d’en-haut, Monde d’en-bas, c’est des notions qui appartiennent au chamanisme, tout ça, mais aussi à la religion, à la philosophie, à la psychologie. A la totalité entière de l’Homme, psychique et corporelle. Oui, c’est un territoire indigène et sauvage, parce qu’on est tous des indigènes. Carl Jung parle d’Inconscient Collectif.
Et il est aussi le premier à avoir évoqué la réalité de la synchronicité, qui n’a rien d’une stupide notion New Age. Je suis sûre que la majorité d’entre vous a déjà vécu cette sorte d’expérience troublante qui relie passé, présent et futur en un déferlement de sens insensé.
D’ailleurs, c’est peut-être la raison qui fait que vous êtes sur cette page…
Notre collaboration, à Bruno et moi, au-delà de l’affection personnelle et du délire entre drogués intoxiqués par la même came, est une expérience de synchronicité, comme il en existe beaucoup entre artistes. Le truc qui la rend unique, c’est l’inspiration mutuelle qu’elle a provoquée.
Mes histoires de chamans, de jungle et d’ayahuasca, mon côté sauvage et excessif et mes livres au style agressif ont donné à Bruno l’idée du personnage de la Gardienne de la Plante, qui prend place au sein de son œuvre la Rose de Jéricho, au sujet de laquelle je l’ai interviewé dans Wanted Dead or Alive : Bruno Leyval, Artiste-Guerrier de la Voie de l’Encre.
Et ce qu’il a déterré en croquant mon corps et mon âme est un matériau tout simplement stupéfiant.
Écoutez un peu ça :
Quelques semaines après avoir terminé cette collab, je me suis procuré l’ouvrage Femmes qui dansent avec les Loups. Et bordel, j’ai halluciné dès la première page, dont l’introduction a pour titre : Chanter au-dessus des Os (si vous ne comprenez pas ma surprise, remontez deux dessins en arrière). Mais ça ne s’arrête pas là. Dans la suite de l’ouvrage, l’auteure fait référence à La Huesera (Femme aux os), La Trapera (la Ramasseuse) ou encore La Loba (la Louve). La légende d’une femme qui arpente les routes (tiens tiens) à la recherche d’os de loups, pour ensuite reconstituer le squelette dans sa totalité. Puis, assise face aux os, elle réfléchit au chant qu’elle va chanter. Quand elle l’a identifié, elle l’entonne, et le loup revient à la vie.
Très surprenant, quand on sait que c’est précisément de cette manière que je conçois et décris mon processus d’écriture, pas vrai ?
(je déconne pas, la vérité est dans Les Entrailles de Borderline rédigé bien avant toute cette aventure)
Le fait est que poser pour lui m’a aussi ouverte à un aspect de moi-même dont je n’avais pas forcément conscience, que ses dessins m’ont révélé. Mais ce n’est pas là-dessus que j’ai envie de m’étendre. Il était très agréable de sentir en moi l’éveil de la Guerrière, et de réaliser que son essence, son énergie m’imprégnait bien plus que je ne l’imaginais, même quand j’étais franchement down comme à l’époque où j’ai pris la pose. Bruno a eu le regard qu’il faut, celui dont je parlais il y a quelques minutes. Il a perçu la puissance en sommeil. Et il me l’a montrée.
Vous la voyez, vous aussi, pas vrai ?
Le truc important, c’est que ces esquisses m’ont prouvé que j’étais bel et bien reliée à l’Universel. Que l’Archétype de la Femme, de la Guerrière, de la Chamane et de tout ce qui constitue la beauté et la force du Principe Féminin, existait véritablement en moi, peut-être d’une façon aussi criante que dans ces dessins.
Cette révélation a inauguré une sorte de renaissance.
Ce dessin en particulier, que j’appelle personnellement Grand-Mère Feuillage, présente un visage sans âge, presque sans genre. C’est marrant, j’ai à la fois l’impression de contempler mon ancêtre, et la vieille femme que je pourrais devenir si j’arrêtais de fumer plus d’un paquet de clopes par jour.
C’est comme si Bruno était capable de capter l’Universel dans son sujet, et de le dessiner pour que tout le monde, même son inconscient sujet, le voie.
C’est pour ça que je l’appelle l’Alchimiste.
Il a transformé la pauvre fille plombée que j’étais au moment de la séance de pose en or, en Déesse qu’a rien d’une bombasse de base mais qui au contraire présente tous les atours de la sagesse et de la folie qui va avec.
J’espère du fond du cœur que notre collaboration ne va pas s’arrêter là. J’espère trouver lors du voyage qui m’attend cette puissance de jaguar présente dans ses dessins, cette force qui semble m’appartenir en propre, tout en faisant partie du tout bien plus vaste de la condition humaine.
J’espère être en mesure de faire vivre, et de maintenir vivante en moi cette Conscience détachée de l’ego qui est le seul lieu où j’accepte d’exister, la source infinie à laquelle s’abreuve mon inspiration.
Merci encore Bruno pour cette révélation. Et merci à vous d’avoir écouté mon histoire.
Carnet d’ayahuasca : La Récap’
Le trip s’interrompt brutalement. Peut-être qu’un jour je prendrai le temps de publier ici le récit des autres cérémonies d’ayahuasca vécues durant cette diète auprès de mon chaman shipibo. Et peut-être pas. Il y a tant de choses à dire et à écrire. Mais surtout, il y a tant de choses à VIVRE. Et ça, le fait de vivre, ça implique de lâcher l’ordinateur et les trucs du passé pour y aller à fond. Aujourd’hui je cumule près de 80 cérémonies d’ayahuasca. Et les raconter sur ce blog me semble dénué de sens. Malgré tout, je ne retirerai pas les épisodes du Carnet d’ayahuasca de ce site. Ils pourraient inspirer des personnes prêtes à se lancer dans cette voie, ou en aider d’autres à comprendre les mystères du chamanisme.
Le trip s’interrompt brutalement. Peut-être qu’un jour je prendrai le temps de publier ici le récit des autres cérémonies d’ayahuasca vécues durant cette diète auprès de mon chaman shipibo. Et peut-être pas.
Il y a tant de choses à dire et à écrire. Mais surtout, il y a tant de choses à VIVRE. Et ça, le fait de vivre, ça implique de lâcher l’ordinateur et les trucs du passé pour y aller à fond.
Aujourd’hui je cumule près de 80 cérémonies d’ayahuasca. Et les raconter sur ce blog me semble dénué de sens. Malgré tout, je ne retirerai pas les épisodes du Carnet d’ayahuasca de ce site. Ils pourraient inspirer des personnes prêtes à se lancer dans cette voie, ou en aider d’autres à comprendre les mystères du chamanisme.
Quoi qu’il en soit, faite bon voyage. Dans ce monde-ci ou dans l’autre…
Carnet d’ayahuasca #1 : Ouverture de Diète : Éclaircis mes intentions
Carnet d’ayahuasca #2 : Dis-moi ce que je cherche, Abuelita, en faisant une diète avec toi
Carnet d’ayahuasca #3 : Fais-moi rencontrer mon Animal de Pouvoir
Carnet d’ayahuasca #4 : Fais-moi visiter le Monde d’en-bas
Carnet d’ayahuasca #5 : Fais-moi découvrir le Monde d’en-haut
Carnet d’ayahuasca #6 : Dis-moi ce que je dois savoir en ce qui concerne mon futur
Carnet d’ayahuasca #7 : Fais-moi voir l’Infini
Carnet d’ayahuasca #8 : Harmonise mes circuits de Conscience
Carnet d’ayahuasca #9 : Fais-moi voir le huitième niveau de la Conscience
Carnet d’ayahuasca #10 : Inspire-moi
Carnet d’ayahuasca #11 : Apaise mon cœur
Carnet d’ayahuasca #12 : Fais de moi une Guerrière
Carnet d’ayahuasca #13 : Fermeture de diète : Inscris en moi l’Énergie de la Diète
Carnet d’ayahuasca #Pause entre deux diètes : De Cuzco à San Francisco
Carnet d’ayahuasca #14 : Ouverture de Diète : Réveille mon Moi Profond, fais-moi aller plus loin dans le Monde de la Medicina
Carnet d’ayahuasca #15 : Montre-moi ce que je veux vraiment, et dis-moi comment l’obtenir
Carnet d’ayahuasca #16 : Préparation de l’Ayahuasca : Montre-moi comment travaille la Numan Rao (plante diétée) avec moi
Carnet de Route : La Récap’
Tous les épisodes du Carnet de Route réunis au même endroit. Elle est pas belle la vie ?
Carnet de Route #1 : Arrivée à Lima, Pérou
Carnet de Route #2 : Lima m’emmerde
Carnet de Route #3 : Nuit solitaire dans le désert de Paracas
Carnet de Route #4 : Nazca et le Mexicain
Carnet de Route #5 : Survol des lignes de Nazca, momies de Chauchilla, oasis de Huacachina, Cerro Blanco
Carnet de Route #6 : Vague à l’âme à Arequipa
Carnet de Route #7 : Cabanaconde, le Yamil me les brise
Carnet de Route #8 : Descente de la mort dans le Canyon del Colca
Carnet de Route #9 : Les gamines qui chantent tristement, Puno, Lac Titicaca
Carnet de Route #10 : Soirée coke à Copacabana, Bolivie, Lac Titicaca
Carnet de Route #11 : Paraît que je suis timbrée
Carnet de Route #12 : Première rencontre avec l’Amazonie, Villa Tunari
Carnet de Route #13 : S’occuper d’animaux sauvages, Réserve Inti Wara Yassi
Carnet de Route #14 : Un roman écrit sur la route
Carnet de Route #15 : Mon pote l’Anglais s’en va et moi je taffe avec les singes
Carnet de Route #16 : Départ de la jungle, galère de bus, arrivée à Sucre
Carnet de Route #17 : Un anniversaire à Tupiza, western bolivien
Top 15 des Romans au Style qui Déboite
Vous en avez marre de lire des bouquins qui vous ennuient ? Ras-la-casquette de faire défiler des pages sans jamais être surpris ou, encore mieux, choqué ? Vous cherchez des lectures qui vous secouent les puces et vous fassent sortir de cette zone de confort littéraire soporifique où les mêmes histoires prévisibles se répètent à l’infini, et où l’absence accablante de style original et audacieux semble devenue une putain de norme ? Alors, vous êtes au bon endroit. Attention les yeux, voici mon Top 15 dédié aux pires DESPERADOS DU STYLE !
Vous en avez marre de lire des bouquins qui vous ennuient ?
Ras la casquette de faire défiler des pages sans jamais être surpris ou, encore mieux, choqué ?
Vous cherchez des lectures qui vous secouent les puces et vous fassent sortir de cette zone de confort littéraire soporifique où les mêmes histoires prévisibles se répètent à l’infini, et où l’absence accablante de style original et audacieux semble devenue une putain de norme ?
Alors, vous êtes au bon endroit. Et je vais vous dire, vous êtes pas prêt pour l’artillerie ultra balèze que j’ai réunie pour vous dans cet article…
Attention les yeux, voici mon Top 15 dédié aux pires DESPERADOS DU STYLE !
Invention de nouveaux langages, argot éhonté, ponctuation et syntaxe anarchiques, sans compter les thèmes carrément barrés choisis par ces auteurs que rien n’effraie sinon la normalité…
Cet article vous présente 15 livres et 15 auteurs qui n’ont en commun qu’un seul truc : un monstrueux je-m’en-foutisme envers les règles les plus primaires et les mieux établies de la littérature !
Révolution à eux seuls, ces artistes souvent décriés à leur époque ont fini par devenir des piliers dans leur domaine, des références, des monuments, et pour cause : ils ont eu les couilles de n’en faire qu’à leur tête, suivant leur instinct, au mépris du qu’en-dira-t-on et de la critique, pour engendrer des œuvres à l’originalité spectaculaire.
Ces œuvres sont réunies ici, chacune présentée avec sa couverture, son résumé, un extrait particulièrement représentatif de sa bizarrerie, et mon analyse stylistique.
Et je parie qu’après les avoir dévorées, vous ne verrez plus jamais la littérature du même œil…
Les livres les plus oufs jamais écrits en matière de style, d’audace et de torture du langage !
Résumé éditeur
L'Orange Mécanique restera sûrement l'un des romans les plus marquants de son temps, parce qu'il est notre époque. Ne serait-ce qu'à ce titre, on peut assurer qu'il demeurera, tout comme le film qu'en a tiré Stanley Kubrick, longtemps d'actualité.
Alex, “l'humble narrateur et martyr” et aussi le héros de l'histoire, est le parfait produit d'une civilisation où la violence est devenue habituelle, non pas l'expression d'une révolte, mais l'expression tout court, manifestée par le langage et les actes de certains, exercée en représailles par les gens du Bien et de l'Ordre, passivement subie par la masse. Civilisation d'aveugles titubant et distribuant ou recevant les coups dans une nuit absolue. Les adolescents comme Alex (il n'a pas quinze ans) ont été élevés dans cette violence. Leurs bandes terrorisent la métropole et se terrorisent entre elles.
Mais le jour où Alex, qui est un pur à sa façon, est lâché par ses “drougs” (copains) et arrêté par les “milichiens” de la “rosse” (police), c'est pour être jeté dans une autre violence, celle des prisons. Et quand on essaie sur lui des méthodes nouvelles de “récupération” sociale et de rédemption, c'est au viol de sa conscience qu’on procède scientifiquement, par le conditionnement, et à des fins de propagande politique...
L’extrait
On avait les poches pleines de mouizka, si bien qu’on n’avait vraiment pas besoin, histoire de craster encore un peu de joli lollypop, de tolchocker un vieux veck au fond d’une impasse et de le relucher baigner dans son sang tout en comptant la recette et la divisant par quatre, ni de faire les ultra-violents à cause d’une viokcha ptitsa, toute grisaille et tremblante dans sa boutique, pour vider tiroir-caisse jusqu’aux tripes et filer en se bidonskant. Mais, comme on dit, l'argent n’est pas tout.
Mon analyse
Inutile de vous faire un dessin, pas vrai ? Ce court extrait incarne à lui seul toute l’originalité et toute la démence de cet incroyable roman ! Franchement, fallait oser ! Vous vous demandez à quoi riment ces mots inconnus, super nombreux, qui sillonnent chaque putain de phrase au point de carrément créer un nouveau langage ? Anthony Burgess s’est inspiré du russe et du manouche pour enfanter ce nouvel argot qui semble si naturel dans la bouche du narrateur, Alex. Et le truc le plus dingue, c’est qu’il finit par nous devenir évident, à nous aussi. La première surprise passée, ce livre se lit avec une grande fluidité, et y se trouve que ça claque, en fait. Ça déchire à mort, au point qu’on s’étonne d’employer nous-mêmes cet étrange langage en privé !
Le fait que le narrateur s’exprime d’une manière tout à fait personnelle et inédite lui offre une dimension de réalité supplémentaire, et nous incite à pénétrer sa sphère, à nous glisser dans sa version de la réalité, et à, si ce n’est le comprendre, du moins nous sentir plus intime, voire dans une promiscuité relativement malsaine, avec les actes monstrueux auxquels il se livre. Si ce roman n’était pas écrit à la première personne, d’une part, et si ce langage nouveau n’existait pas, d’autre part, il nous serait certainement moins facile de nous identifier à lui, au point de le juger moins sévèrement que ce qu’il mérite…
C’est un coup de maître de la part de l’auteur ! Déjà parce qu’il fallait avoir les couilles de le faire, et ensuite parce que ça n’a rien de gratuit. En effet, au fil de la lecture, on réalise qu’Alex est finalement lui aussi victime d’un système dont sa façon de parler n’est que la marque extérieure. La brutalité d’un monde déshumanisé et le viol de la conscience dont parle ce livre, on se les prend de plein fouet, et le propos final est aussi triste qu’alarmant…
Bref, je terminerai en disant qu’il est inutile de savoir parler russe pour capter ce qui se dit, mais qu’un glossaire est tout de même disponible à la fin de l’ouvrage, plus par humour que pour aider à la compréhension.
Résumé éditeur
Ils sont quatre amis inséparables qui ont en commun une enfance, une ville, des voisins, le chômage. Et surtout une dévotion appliquée pour une seule et unique héroïne en forme de seringue. On entend ces quatre-là, on les écoute : chacun raconte son Edimbourg, entre deux pintes de bière, après un fix, avant une tasse de thé, ou pendant une baston à coup d'aiguilles à tricoter taillées en pointe. On voit les corps mangés par le virus, la drogue, les hallucinations, et puis quelque chose se détache : on est d'Edimbourg, mais comme on est de Fresnes ou de la Santé. Il faut s'échapper.
L’extrait
Sick Boy ruisselait ; il tremblait. Moi, posé là, à fond dans la télé, j’ignorais l’enculé. Il me foutait le cafard. J’essayais de me concentrer sur le Van Damme.
Ce genre de films c’est réglé comme du papier à musique : d’abord l’inévitable accroche dramatique, ensuite ils font monter la tension en introduisant le fils de pute en chef et les premières bribes d’une intrigue mal foutue. Là, Jean-Claude devrait pas trop tarder à latter à tout va.
- Rents. Faut que j’aille voir Mère Supérieure, ânonne Sick Boy en secouant la tête.
- Oh, je fais.
Si seulement ce fils de pute pouvait gicler ailleurs et me laisser tranquille avec Jean-Claude. N’empêche, dans pas longtemps ce sera mon tour d'être en manque et si cet enculé va pécho seul et revient chargé, il va me forcer à faire la manche. Si on l’appelle Sick Boy c’est pas qu’il est tout le temps en chien, mais parce que c’est un putain d’enculé.
Mon analyse
Et vas-y les gros mots, et vas-y l’argot, et vas-y l’absence de négation ! Et encore, ceci n’est qu’un extrait. Ce roman étant polyphonique, plusieurs personnages s’expriment, chacun avec sa façon propre de dégrader la langue (y en a un notamment qui ponctue toutes ses phrases de “enfin, j’veux dire, t’sais ?” qui écorche carrément les nerfs, à la longue, comme le ferait un pote à nous qu’on a sans cesse envie de reprendre sur ses putains de fautes de syntaxe !). Mais voilà, qu’est-ce que vous voulez, ces mecs sont des toxicos d’une pauvre banlieue écossaise, et si on tient à être cohérent, pas d’autre choix possible que… ça.
Irvine Welsh a révolutionné le roman, avec ce truc, ouvrant la voie vers une torture de la langue qui, si elle déplaît fatalement aux indécrottables partisans de la supposée “noblesse” de l’expression romanesque, n’en demeure pas moins existante, et réelle. Déjà en action dans la rue. Et vous savez quoi ? Moi, ça me plaît.
Je considère même que d’écrire de cette façon, avec un style qui colle au plus près de la réalité, c’est offrir une voix aux laissés-pour-compte et autres méprisés du système. Nan, tout le monde ne s’exprime pas avec des saloperies de fleurs plein la bouche, et refuser de tordre le langage de la “rue” pour le faire correspondre à une certaine idée de la beauté ou de respect de la langue ou de je ne sais quelle connerie est pour moi une visée honorable. Sans compter qu’une fois de plus, le roman en ressort grandi. On a l’impression d’être en plein cœur du quotidien misérable et désespéré de gars infoutus de trouver le moindre sens ou la moindre valeur à la vie, ce qui, pardonnez-moi, est clairement représentatif de cette putain d’époque.
Résumé éditeur
“Le regard que j’ai toujours porté sur Los Angeles est celui d’un autochtone. Je n’ai jamais vu cette ville comme une terre étrangère dépeinte par des écrivains venus d’ailleurs. C’est là que j’ai grandi. Les données que je récoltais, je les passais au crible, je les transfigurais comme un gamin peut le faire…”
James Ellroy poursuit la psychanalyse sauvage de sa vie et de sa ville natale à travers une série de textes percutants, qu’ils soient intimes, documentaires ou de fiction. Il y aborde une variété de sujets allant de la boxe aux crimes sexuels, en passant par la justice, la peine de mort et bien sûr, lui-même. Refusant la complaisance, il se montre totalement sincère, provoquant, inventif. Il a créé une langue et un style qui n’appartiennent qu’à lui, le style Ellroy.
L’extrait
Je m’installe. L’immeuble est rempli d’immigrés clandestins bruyants. Ma piaule est deux fois plus petite qu’une cellule. J’ai l’impression d’être en cabane. Les immigrés me flanquent la trouille. L’immeuble a des airs de planque pour malfrats ou d’hôpital psychiatrique. Je picole pour arriver à m’endormir et j’avale des poppers le lendemain matin.
Les voix reviennent. Je me bouche les oreilles et je me cache dans mon lit. J’ai l’impression que les résistances électriques de ma couverture chauffante sont des micros espions. Je les arrache et je les jette contre le mur.
Le plancher est miné et couvert de pièges à loups. Je me cache dans mon lit et pisse partout dans les draps. Les Voix persistent. Je lacère mon oreiller et je m’enfonce du caoutchouc mousse dans les oreilles.
Je fuis.
Mon analyse
Alors, ce qui saute aux yeux immédiatement ici, c’est l’enchaînement de phrases extrêmement courtes, tout à fait représentatives du style de James Ellroy, et du sentiment d’étouffement qu’elles engendrent. Tout “défenseur de la bonne manière d’écrire” vous le dira : il n’est pas conseillé de faire ça ! Normalement, on est supposé varier le rythme des phrases et des paragraphes, ne pas répéter “je” comme c’est fait ici, et aussi ne pas dire que les immigrés sont flippants !
Mouais. Normalement (qui a inventé cette foutue norme ?!). Cela dit, le “style Ellroy”, haché, parfois emprunté au style documentaire ou journalistique, souvent très descriptif ou informatif, même quand il s’agit d’évoquer des émotions ou un bad trip, comme ici, est aujourd’hui salué par le monde entier, et cet auteur est une putain de légende ! Alors, certes, cette étrange manière d’écrire est souvent justifiée par les thèmes abordés : comptes-rendus de scènes de crime, profusions de faits et détails liés à un meurtre, enquêtes policières… Coller au plus près des faits semble la chose à faire. Mais le truc se corse quand on entre dans la sphère privée, comme par exemple quand l’auteur raconte son enfance et son adolescence à Los Angeles, faites de branlades, de larcins, de violations de domiciles, de revues pornos et de fantasmes glauques de baise avec des femmes mortes par homicide.
Et il se passe un truc surprenant. Bien que le style informatif du roman ne nous incite absolument pas à entrer en empathie avec le narrateur, puisqu’au fond, il ne s’agit que d’une liste de faits, sans réelle pénétration de sa psyché, eh bien, c’est ce qui arrive quand même. Par un procédé aux ficelles impossibles à identifier, en on vient à être à notre tour pris à la gorge et enseveli par cette sorte d’hystérie monomaniaque qui est la marque de fabrique de James Ellroy. Et l’absence d’autocomplaisance qui signe l’expression de ses souvenirs fait naître en nous une sorte de dureté, un brin choquée, un brin émue, qui perdure en nous bien après avoir reposé le livre.
Résumé éditeur
C'est en 1967, dans le magazine anticonformiste Open City, qu'un poète presque inconnu commença de publier une chronique régulière. Avec une brutalité rarement égalée, doublée d'une superbe indifférence au scandale, il y exprimait sa révolte contre la société américaine, le pouvoir, l'argent, la famille, la morale. L'alcool, le sexe, les échos d'une vie marginale et souvent misérable y étaient brandis comme autant de signes de rupture...
Depuis lors, l'auteur des Contes de la folie ordinaire, de Au sud de nulle part, de Pulp, disparu en 1994, est devenu célèbre. Ce Journal n'est pas seulement un des sommets de son œuvre, c'est un classique de la littérature contestataire, qui conserve, aujourd'hui encore, toute sa force, toute sa fraîcheur.
L’extrait
il (nan, pas de majuscule, NDLR) y avait un fils de pute qui ne voulait pas les lâcher, tandis que les autres gueulaient qu’ils étaient raides, la partie de poker était terminée, j’étais sur ma chaise avec mon pote Elf à mes côtés, en voilà un qui a mal démarré dans l’existence, enfant il était tout malingre, des années durant il a dû garder le lit passant le plus clair de son temps à malaxer des balles de caoutchouc, le genre de rééducation complètement absurde, et quand un jour, il a émergé de son pieu, il était aussi large que haut, une masse musculeuse rigolarde qui n’avait qu'un but : devenir écrivain, hélas pour lui son style ressemble trop à celui de Thomas Wolfe qui est, si l’on excepte Dreiser, le plus mauvais écrivain américain de tous les temps, moyennant quoi j’ai frappé Elf derrière l’oreille, si fort que la bouteille m’a échappé (il avait dit quelque chose qui m’avait déplu), mais quand il s’est redressé j’ai récupéré la bouteille, du bon scotch, et je lui en ai remis un coup quelque part entre la mâchoire et la pomme d’Adam… (to be continued).
Mon analyse
Tous ceux qui ont lu Bukowski considèrent qu’il y a un avant et après Buko. Je ne sais pas si un auteur, avant ou après lui, s’est jamais lâché de cette façon. Il y a une énorme différence entre dire qu’on n’en a rien à foutre de la critique, et oser le mettre en pratique. Lui, il l’a fait, autant dans sa vie que dans son rapport avec les éditeurs, et, ce qui nous intéresse ici, dans son écriture. Au-delà des thèmes abordés (alcoolisme, pauvreté, paris, putes, boulot de merde et désespoir), c’est la façon dont il les aborde, son angle d’attaque, qui les rend si percutants.
L’impression est la même que si un compagnon éphémère de beuverie te racontait ses malheurs entre deux lampées de scotch. Et ça, c’est loin d’être facile à atteindre. On se demande s’il se contentait de se foutre devant sa machine à écrire et de narrer la dernière connerie qui lui était arrivé, exactement comme ça venait, sans aucune recherche de mise en forme ou d’efforts de langage, ou bien s’il devait travailler à rendre ce style si vivant. Je pencherais évidemment pour la première solution. Mais le truc, c’est que la majorité des écrivains se sentent plus ou moins contraints à écrire différemment de la manière dont ils parlent. Pas lui. Et il y a eu beaucoup d’imitateurs, mais personne n’a atteint son niveau, ce qui prouve la difficulté d’être libre dans son art. Ni plus ni moins.
Je ne vais pas m’étendre indéfiniment sur le sujet, Charles Bukowski est trop connu pour ça, mais je conclurai en disant que cet homme a su élever au rang de la noblesse toute une parcelle de l’humanité qui se trouve dans l’ombre, les marginaux, les trimards, les alcoolos et les miséreux, et qu’il leur a donné, à travers ses écrits, une réalité qu’on ne peut plus nier, et qu’on pourrait même admirer. Ouais, le nihilisme a des burnes.
Résumé éditeur
Vue kaléidoscopique de l'Amérique depuis un bus conduit sous acide, Acid Test est une invite à un voyage sans retour. En 1964, Tom Wolfe s'embarque avec un groupe de marginaux californiens, les Merry Pranksters, dans leur bus scolaire conduit par Ken Kesey (auteur de Vol au-dessus d'un nid de coucou) et Neal Cassady (héros de Sur la route de Jack Kerouac). Organisation de concerts-happenings (les Acid tests) et consommation de LSD au cœur du voyage, les rencontres avec les Beatles et Tim Leary, confrontations hilarantes avec la police et trips divers se télescopent ensuite dans un joyeux chaos.
Chronique empathique et distanciée, Acid Test donne à revivre la gestation et l'expansion du mode de vie hippie. Né de la rencontre d'un intellectuel mondain et de pionniers de l'aventure intérieure, il éclaire l'Amérique des années soixante depuis un symbole, la culture psychédélique qui culminera à Woodstock. Au fil des pages, voyager dans le bus devient alors plus qu'un plaisir : une urgence, car le talent de conteur socioréaliste de Wolfe fait de la soif d'expériences contagieuse des Pranksters une épreuve initiatique moderne.
L’extrait
Ils étaient remontés dans l’autobus et avaient repris le chemin de La Honda, sous le bon vieux soleil estival de Big Sur, un soleil gelé, nul n’avait besoin de le préciser : c’était du sérieux, maintenant, pas comme les autres, c’te merde-là, préféraient-ils ajouter, pour tout commentaire, comme pour conjurer… l‘Indicible. On était en pleine parapsychologie. Comme lorsque Sandy, après avoir fait près de trois cent kilomètres sur les routes du Sud Dakota, avait regardé la carte fixée au toit de l’autobus, et les avait vus marqués d’une ligne rouge… Sandy ::::: Il était reparti au pays du Lavage du Cerveau, où les Blouses Blanches ne comprendraient jamais, au grand jamais, d’où il revenait… Cette Ville du Bout du Monde, la Ville-Limite, où ils se retrouvaient tous maintenant...
Mon analyse
Désolé Buko, moi Tom Wolfe, je le kiffe ! Faut dire que lui et Hunter S. Thompson sont tout de même à l’origine du “nouveau journalisme” dont ce livre en particulier est le témoin. Pas sûr que cet extrait soit suffisamment représentatif de la dinguerie phénoménale qu’est ce livre, alors je vais tenter de vous faire saisir le truc : c’est bien simple, ouvrir cet ouvrage, c’est monter à bord du bus des Merry Pranksters et se prendre des giclées d’acide plein les dents en une montée continue.
L’absence de distanciation entre la narration et ce qui est rapporté, le côté “pris sur le vif”, LES MOTS EN MAJUSCULES, l’impossibilité de différencier ce qui fait partie de la défonce et la réalité, la fonte, même, de la supposée réalité dans celle de la vision des Merry Pranksters, font de cet ouvrage un trip psychédélique à part entière ! Regardez la fin de l’extrait, le Lavage de Cerveau, les Blouses Blanches, rien qu’avec ça, on capte qu’il s’agit de concepts appartenant aux personnages de ce livre (qui ont tous existé, puisqu’il s’agit de l’immersion d’un journaliste dans leur monde), comme des références personnelles, ce truc qu’on partage avec ses amis les plus proches, un souvenir ou une idée commune qu’on n’a même plus besoin d’expliciter parce que, bordel, tout le monde sait de quoi on parle !
Voilà le pouvoir de ce livre. C’est un billet d’entrée dans une autre réalité, et aussi le témoignage d’une époque, d’un état d’esprit, que vous et moi n’aurons jamais la chance de connaître. Une fois de plus, ce miracle en revient au style de Wolfe. Un auteur qui n’aurait pas été en mesure de lâcher les chevaux comme ça, d’oser écrire avec la même folie que ce qu’il était en train de vivre, n’aurait jamais pu toucher la saveur et la vérité de cette époustouflante virée hallucinatoire !
Résumé éditeur
James, vingt-trois ans, a cramé sa jeunesse dans le crack et dissout son enfance dans l'alcool. A la suite d'un ultime black-out, il est hospitalisé dans une clinique du Minnesota. Dans le service de soins intensifs, il rencontre Lilly, une jeune fille aux yeux bleus et clairs comme des promesses d'avenir. Mais le démon est encore là, et chaque crise d'angoisse, de paranoïa ou de manque lui rappelle qu'il a un combat à mener. Pour elle, pour ses parents, pour sa survie...
Dans un récit au style cathartique et poignant, James Frey nous dévoile le vrai visage de la drogue : cette araignée d'acier tapie sous la peau ; ce monstre à satisfaire, et qu'il faut détruire avant qu'il ne vous dévore...
L’extrait
Je me recroqueville sur le sol, terrassé par les images et les bruits. Des choses que je n’ai jamais vues ni entendues et dont j’ignorais l’existence. Elles sortent du plafond, de la porte, de la fenêtre, de la table, de la chaise, du lit, du placard. Elles sortent de ce putain de placard. Des ombres noires et des lumières vives et des éclats bleus, jaunes, rouges comme le rouge de mon sang. Elles s’approchent de moi et elles crient et je ne sais pas ce qu’elles sont mais je sais qu’elles aident les bestioles. Elles me crient dessus. Je me mets à trembler. Trembler trembler trembler. Mon corps tout entier tremble et mon cœur bat à se rompre, je le vois sauter dans ma cage thoracique et je transpire et ça pique. Les bestioles s'insinuent dans ma chair, se mettent à me mordre, j’essaie de les tuer. Je me griffe la peau, m’arrache les cheveux, je commence à me mordre. Je n’ai pas de dents et je mords et il y a des ombres et des lumières vives et des éclats et des cris, des bestioles des bestioles des bestioles. Je suis perdu. Putain je suis complètement perdu.
Je hurle.
Mon analyse
La narration au présent n’est pas toujours des plus faciles à manier, mais elle permet une instantanéité que les temps du passé n’autorisent pas. C’est la volonté de James Frey, de nous plonger en plein cœur d’une cure de désintox, et précisément dans la tête de celui qui la vit. Des phrases souvent courtes, des dialogues avec les soignants réduits au minimum (pas de description de leur expression, même pas de putains de tirets quadratin), pas d’analyse du ressenti du narrateur : juste les faits d’une réalité au sein de l’esprit et du corps.
Une crise de delirium tremens comme dans l’extrait, le besoin viscéral de mettre la main sur n’importe quelle défonce pour s’apaiser, le corps qui fout le camp, la froideur déshumanisée de l’hôpital, le vide des patients, la simplicité d’une relation amoureuse naissante entre deux êtres perdus au sein du manque…
Il existe des styles qui évoquent beaucoup avec très peu (Moins que zéro de Bret Easton Ellis (article sur lui ici) en tête de file), et qui utilisent justement cette sorte de vide pour refléter quelque chose qui existe en dessous de l’apparente vacuité. Tenez, en ouvrant le livre au hasard je viens de tomber sur ça : Je fume et je bois jusqu’à en perdre conscience. J’adore ça, je hais ça.
Difficile de faire plus concis, pas vrai ? Et pourtant… On comprend au travers de ces deux simples phrases, toute l’ambiguïté, cet étrange amour-haine qui colonise le corps et l’esprit d’un drogué, cet oubli, cette perdition qu’on désire et qu’on exècre, qu’on vénère tout en la détestant. Ici réside la beauté et la puissance de ce livre. De la retenue qui hurle à travers nous.
Résumé éditeur
Acérée, viscérale, l'écriture de Craig Davidson nous entraîne dans un univers singulier et parfois violent : celui des situations extrêmes, des paris perdus d'avance et des rêves inachevés. Mais à cette dureté, l'écrivain allie l'émotion et la compassion envers des êtres blessés dont il sonde les corps, les cœurs et les âmes avec une redoutable efficacité et une incroyable sensibilité. Comme dans la nouvelle titre, où un jeune boxeur participe à des combats clandestins pour expier une faute terrible qui a bouleversé sa vie…
L’extrait
Nous combattons à mains nues, ou quasiment. Quelques nostalgiques voient ça comme un retour en arrière, vers l’époque où les dockers baraqués se battaient sur des barges ancrées dans le port de New York. Ce n’est pas tant un retour en arrière qu’une régression. Un combat de chiens. Pas d’arbitre. Pas de compte de dix. Le gagnant, c’est le dernier qui reste debout. Coups du lapin, coups bas, énucléations, coups de boule - j’ai un jour vu un hameçon déchirer le visage d’un homme, de la lèvre au haut de l’oreille. Les combattants enrichissent les bandages de leurs mains avec du papier de verre, ils les trempent dans de l’essence de térébenthine ou bien ils enroulent du barbelé autour de leurs phalanges.
Je me bats à la loyale. J’essaie, en tout cas.
Mon analyse
Ici, pas de style proprement révolutionnaire dans sa forme, ni de marques criantes d’originalité. Avec Craig Davidson, ça se joue à un autre niveau.
Est-ce que vous ressentez la rugosité du ton, la dureté et l’intransigeance de la réalité décrite ici ? Est-ce que vous voyez ces hommes dont parle l’auteur, ces vieux dockers sur le port, le papier de verre sur les bandages, ces chiens qu’on livre à un combat qu’ils n’ont pas voulu mais qu’ils mèneront jusqu’à la mort ? Vous sentez, le coup porté à votre pommette qui vous arrache toute la gueule, vos dents en train de branler dans leurs alvéoles, le goût du sang qui emplit votre bouche ?
Oui, vous le sentez. Je n’ai rien de plus à ajouter.
Résumé éditeur
“Peu importe en quoi vous croyez, le fukû, lui, croit en vous.” Le fukû, c'est la malédiction qui frappe la famille d'Oscar, une très ancienne légende dominicaine. Oscar, rêve de mondes fantastiques, s'imagine en Casanova ou Tolkien, tombeur des îles et génie des lettres... au lieu de quoi il grandit et grossit au fond de sa classe et de son New Jersey, binoclard fou de SF, souffre-douleur obèse et solitaire.
Et ses seuls super pouvoirs sont ses voyages dans le temps et l'Histoire : celui de sa mère, Beli, fuyant Saint-Domingue et la dictature de Trujillo, la fugue de sa sœur Lola et son retour au pays à lui. Ses pas ramenés inexorablement par le fukû, le destin, le désir, ou l'amour, à ses origines et à sa fin.
Fantaisiste en diable, passe-muraille de langues et de mondes, La Brève et Merveilleuse Vie d'Oscar Wao pourrait n'être que la saga tragicomique d'une famille dominicaine aux États-Unis, si elle n'était pas surtout une explosion romanesque, une source intarissable et jouissive d'invention littéraire.
L’extrait
Contentons-nous de dire que, cet été-là, la petiote se retrouva dans un cuerpazo tellement hallucinant qu’il semblait n’avoir pu être conçu, en toute conscience, que par un pornographe ou un dessinateur de bandes dessinées. Chaque quartier à sa tetùa, mais Beli leur aurait fait de l'ombre à toutes, c’était la Tétùa Suprema : ses tetas étaient des globes si invraisemblablement titanesques que les âmes généreuses prenaient leur porteuse en pitié, et que tous les hétéros des environs étaient poussés à remettre en question leur misérable vie. Elle avait la poitrine Luba (95DDD). Et que dire de son culo supersonique, qui arrachait les mots de la gueule des négros, faisait sauter les fenêtres de leur putain de chambranle ? Un culo que jalaba mas que una junta de buey. Dios mio ! Même votre humble Gardien, tombant sur de vieilles photos d’elle, n’en revient pas que ç’ait été une telle bombe atomique.
- Ande el diablo ! s’écriait La Inca. Hija, bon sang, qu'est-ce que tu manges ?
Mon analyse
Quand je suis tombée sur ce bouquin, croyez-moi, j’ai éructé de rage en pensant aux miens, et j’ai maudit les misérables péquenauds qui avaient osé me dire que les quelques mots d’espagnol que j’avais employés méritaient une traduction en bas de page ou encore un putain de lexique à la fin pour “mieux comprendre” ce à quoi je faisais référence. Su puta madre, j’aurais même pas dû les mettre en italiques, ces saloperies, et je songe déjà à une réécriture de Borderline en mode castellano furioso !
Bref, c’est pas le sujet… Junot Diaz l’a fait, lui, et nulle trace d’italiques ou de lexique, bordel ! Et le truc, c’est que vous comprenez parfaitement ce qu’il dit, pas vrai, même en ne parlant pas un traître mot d’espagnol ? Les gars, c’est du génie ! Ce livre est une putain de bombe, et c’est grâce à son style unique que c’est le cas ! Je commence fortement à croire que l’identité d’un peuple (ici, les Dominicains) et la réalité qui est la sienne sont énormément construites autour de leur langue, de leurs expressions propres, leurs exclamations, leur argot, leurs références uniques, bref, je vais être claire : sans cette intrusion de l’espagnol dans l’écriture de l’auteur, le monde dominicain n’aurait pas été traduit convenablement, et il nous aurait été impossible, à nous, étrangers, d’y pénétrer et à plus forte raison de le comprendre. Qu’il s’agisse des croyances comme le fukû, du côté caliente des mecs de cette île, de la monstruosité du dictateur Trujillo, bref, rien de tout ça n’aurait possédé cette force de vérité d’une existence au-delà de la nôtre sans ce style osé et profondément unique.
C’est quelque chose que je n’ai vu nulle part ailleurs, peut-être à cause de la frilosité des éditeurs qui tiennent à ce que le public comprenne absolument tout d’une œuvre sans avoir à fournir le moindre effort neuronal, mais je tiens à saluer le travail de Junot Diaz. Dans un sens, il a créé lui aussi un langage nouveau, en mixant le vocabulaire de chaque langue pour en faire ressortir la force et l’unicité. Chapeau, mec !
Résumé éditeur
On annonce à Las Vegas une convention de toutes les brigades des Stups d'Amérique. Le Docteur Gonzo s'y précipite et découvre... “des centaines de flics des Stups lâchés dans l'enfer du jeu !” et au milieu donc, Hunter S. Thompson, buvant d'énormes rasades de bourbon, fumant des joints, sniffant de la coke, cassant des ampoules de poppers sous son nez au milieu des conférences, passant soixante-dix heures sans dormir, ne rentrant dans sa chambre que pour délirer des heures sur sa machine à écrire et balancer le résultat final à Rolling Stone...
Las Vegas parano est un scandale. Et un classique américain sauvage, délatté, un bouquin d'où on ne ressort pas entier, comme si la lecture provoquait des altérations du cortex, ou comme si le savant salmigondis de mots tressés à un rythme frénétique avait le pouvoir de provoquer un flash-back d'acide chez le lecteur.
L’extrait
Je pris le buvard et le mangeai. A présent, mon avocat tripatouillait la salière qui contenait la cocaïne… l’ouvrait… en renversait partout… puis se mettait à crier en agitant ses pattes en l’air, tandis que notre belle poudre blanche s’envolait par-dessus l’autoroute et le désert. Un petit déglingueur très coûteux qui partait en tourbillon au-dessus de la Great Red Shark.
- Oh, nom de Dieu ! gémit-il ; t’as vu ce que le Seigneur vient de nous faire ?
- Seigneur mon cul ! m’écriai-je. C’est toi qui viens de faire ça ! T’es qu’une pourriture d’agent de la brigade des Stup ! J’ai bien vu comment tu t’y es pris dès le début, sale dégueulasse !
- Fais attention à ce que tu racontes, déclara-t-il. Et voilà qu’il me pointait soudain sous le nez un énorme magnum .357 noir. Un de ces colts Pythons à canon court et barillet en biseau. C’est pas les vautours qui manquent par ici ; ils ne te laisseront pas un brin de viande sur les os d’ici le lever du jour.
Mon analyse
Las Vegas parano est un livre culte, mythique, que pourtant bien peu de jeunes lecteurs connaissent, c’est pourquoi j’attire encore une fois votre attention sur le cas bien spécial du Docteur Gonzo.
Il y a quelque chose de surprenant dans le style de cet auteur : l’alliance de la dinguerie la plus déjantée à une poésie qui brille d’une étrange nostalgie et d’une sorte de désenchantement qui ne la rendent que plus touchante. C’est loin d’être évident de savoir marier deux aspects si éloignés du spectre de l’écriture. D’un côté, on fait face aux délires immersifs et diablement drôles d’un mec tripé, et de l’autre on contemple avec peine la philosophie désabusée d’un homme qui nous parle de croyances perdues et de causes oubliées. Et ça, sans à-coups, avec une parfaite symétrie dans la narration.
Les personnages sont timbrés et mémorables, leurs dialogues sont à se tordre, et la réalité hallucinée dans laquelle ils évoluent nous agrippe pour devenir la nôtre (ouais, je sais que j’insiste là-dessus pour chaque ouvrage présenté ici, mais voilà selon moi l’essence d’un bon roman : il te chope et t’entraîne dans son monde), ce qui fait de Las Vegas parano un monument unique au sein de la littérature de la dope. Souvent, dans ce genre de livres, c’est l’aspect dépressif qui est mis en avant. Ici, c’est l’inverse, et bordel ça vaut le détour !
Mais ça ne se résume pas à ça. L’auteur sait mettre son intelligence au service de son style, et ses étincelantes métaphores, sa cruauté parfois, et son humour cynique tout en restant hilarant mettent en lumière certains aspects de l’humanité que seul un œil aussi acéré que le sien pouvait percevoir.
Je veux rien entendre, allez lire l’article sur lui ! Ouste !
Résumé éditeur
Un village, dans le sud des États-Unis, le plus isolé et le plus désertique. Dominant toute l'existence de ce village, une communauté religieuse figée dans les préceptes les plus archaïques, secte apocalyptique de dégénérés. Sur le village et sur la secte tombe une pluie continue, Déluge qui témoigne jour après jour de la condamnation. Pour quelle faute ? C'est l'embarras du choix qui s'offre au dieu qui s'en soucierait, car ils sont tous effroyables, alcooliques à demi fous, imprécateurs baveux, assassins, sadiques, une sorte de sous-monde à l'abandon. Seul, en dehors de ce monde, aimant son frère mort, Euchrid Euchrow demeure un homme.
Baigné dans la culture de ce Sud profond des États-Unis, Et l'âne vit l'ange est un roman fascinant écrit par un rocker halluciné et doux, un roman inspiré aux marges du mystique.
L’extrait
Trois frères corbeaux gras tournent, à la queue leu leu, découpant un cercle dans le ciel trouble et meurtri, traçant de rapides boucles sombres dans les denses volutes de fumée.
Longtemps le couvercle de la vallée fut d’un bleu limpide, mais aujourd’hui, par Dieu, ça gronde. D’où je gis, les nuages semblent préhistoriques, vomissant de grandes bêtes sans visage qui s'élèvent en spirales et disparaissent, comme ça, en haut.
Et les corbeaux volent toujours, tournent toujours, mais plus près maintenant - plus près encore - plus près de moi maintenant.
Ces corbacs sournois sont des oiseaux funestes. Ils m’ont suivi comme une ombre, toute ma vie. Maintenant seulement, je peux lever les voiles. Avec mes yeux.
Mon analyse
Bon alors là, je vais pas vous mentir, j’ai vraiment peur de m’attaquer à l’analyse stylistique d’un tel morceau ! Mélange de parlé péquenaud et de termes bibliques, symbolisme malaisant, violence latente, mysticisme teinté de folie, je sais pas, c’est comme si Nick Cave avait pris l’envers de la Bible, ou alors la Bible décryptée par des bouseux consanguins, avec tout ce que ça implique comme fautes de compréhension, engendrant l’application d’une cruauté la plus primaire qui soit ! On alterne entre expressions du plus pur pécore et haut phrasé qu’on imagine davantage dans la bouche d’un homme d’Église. Ce livre me fait penser au prêche d’un de ces charlatans qui grimpent sur des caisses de bois pour enjoindre le public de neuneus qui leur fait face de venir se faire guérir par le miracle de la foi, ou encore d’acheter cette lotion qui leur promet à la fois de retrouver leur vigueur sexuelle, des cheveux sur le caillou et une récolte prospère.
Bref, ce livre est un délire halluciné dans le propos comme dans la forme. Et bien que j’adore la zik de Nick Cave (dont les paroles incarnent déjà une étrange tendance au mariage du mystique et d’une sourde violence), jamais j’aurais cru que le lascar serait capable de pondre un tel OVNI littéraire !
Faut le lire pour comprendre.
Résumé éditeur
Que peut-on faire d'une maison - et à plus forte raison de deux - quand, depuis son enfance, on préfère dormir à la belle étoile ? Libre enfant de Monterey, le paisano Danny se sent accablé par son héritage. La rencontre de son ami Pilon lui fournit une solution. Il lui louera une de ses maisons. Pilon recrute Pablo pour payer le loyer dont il n'a pas le premier sou, Pablo à son tour... et de fil en aiguille tous les amis de Danny sont réunis sous un de ses toits. La vie est belle, le vin bon, le cierge volé à saint François mal mouché et la maison en bois. Elle flambe, mais les amis en sont quittes pour la peur et le remords. Ce qu'ils entreprennent pour dédommager Danny et ce qui s'ensuivra pour eux, pour les poules de la voisine, le garde-manger du cabaretier Torrelli ou le trésor du Pirate, autant d'aventures périlleuses ou cocasses qui font de Tortilla Flat une chronique pétillante d'humour.
L’extrait
En temps utile, le médecin scolaire écouta le rapport indigné de l’infirmière. Il prit sa voiture et monta un jour jusque chez Teresina Cortez, pour en avoir le cœur net. Comme il traversait le jardin, les grouillants, les rampeurs et les trébuchants composaient une symphonie de cris stridents. Arrivé à la porte ouverte de la cuisine, il vit de ses propres yeux la vieja se diriger vers le fourneau, tremper une grosse louche dans une marmite et parsemer le sol de haricots bouillis. Le vacarme cessa instantanément. Les grouillants, les rampeurs et les trébuchants se mirent à l'œuvre avec un silencieux affairement, glissant d’un haricot à l’autre et ne s'arrêtant que pour le manger. La vieja retourna à son fauteuil pour quelques instants de répit. Sous le lit, sous les chaises, sous le fourneau, les enfants se traînaient avec l’application de petites punaises. Le docteur resta deux heures, car son intérêt scientifique s’était piqué au jeu. Il partit en secouant la tête.
Il secouait encore une tête incrédule en rédigeant son rapport : “Je leur ai fait passer tous les tests d’usage (dents, peau, sang, squelette, yeux, coordination). Messieurs, ils se nourrissent de ce qu’on peut appeler un poison lent et, cela, depuis qu’ils sont nés. Messieurs, je vous l'affirme, je n’ai de ma vie vu des enfants plus sains.” Son émotion lui montait à la gorge : “Les petits imbéciles, se dit-il les larmes aux yeux, je n’ai jamais vu des dents pareilles, au grand jamais.”
Mon analyse
Steinbeck, c’est Steinbeck, tout le monde vous le dira. Pourtant, je trouve que cet auteur est capable de grands écarts surprenants dans son style, au travers de ses différents livres. Peut-être est-ce dû à une traduction infidèle, mais je dois reconnaître que si j’avais pas su que c’était lui qui avait écrit Les raisins de la colère et Tortilla Flat, jamais j’aurais pu soupçonner que c’était l’œuvre d’un même auteur. Mais y a aucune raison de s’en alarmer, bien au contraire.
Y a beaucoup d’écrivains qui se contentent de répéter une formule qui marche, mais pas Steinbeck. Faut croire que ce type aimait sortir de sa zone de confort et se surprendre lui-même. Quoi qu’il en soit, Tortilla Flat, c’est l’un des rares livres à m’avoir fait marrer toute seule (je suis plutôt dure à cuire). Pourquoi ? Parce qu’il est conté comme une fable mettant en scène des êtres un peu naïfs, innocents même dans leur roublardise. Vous voyez ce genre de films à l’ancienne, quand y avait pas encore le son, et qu’on voyait une scène en noir et blanc, avant qu’un écran noir apparaisse avec le dialogue ou une exclamation écrits dessus (du style, scène d’une femme qui surprend un voleur de poules dans son jardin, met les mains sur les hanches l’air vénère, puis on lit : “Sale gredin ! Comment osez-vous ? Décampez ou je vous donne du bâton !”) ?
Voilà le délire. Ce livre me fait songer, grâce à son style bonhomme et les petites réflexions mignonnes et marrantes qui l’émaillent, à un conte ou une fable ayant pour but d’illustrer une leçon de morale, tout en subtilité, et une fois de plus avec un humour tendre et touchant.
C’est un style unique, que je n’ai jamais vu ailleurs, même pas chez le même auteur. Et il réussit ce tour de force qu’on apparente au comique véritable : celui de nous émouvoir au travers du rire.
(et ouais, y a aussi quelques mots d’espagnol ici et là, gnark gnark)
Résumé éditeur
Un homme se réveille un matin dans un lit d’hôpital, victime d’une overdose, sous un nom qui n’est pas le sien. Daniel Fletcher a déjà vécu cette situation, mais la dernière fois il s’appelait Eric Bishop, et la fois d’avant Christopher Thorne…
Faussaire de génie traqué par les hôpitaux psychiatriques, la police et la mafia, le héros endosse pour leur échapper des identités à l’infini. Pour chacune d’elles, il fabrique des preuves nouvelles : noms, papiers, adresses postales, et jusqu’à ses souvenirs… Une fuite en avant qui va vite s’enrayer.
A mi-chemin de Fight Club et de Memento, ce récit d’un homme qui se fuit est un très beau texte sur le corps et le vertige de l'identité.
L’extrait
Novembre 1986. Une année chargée. Vicodin. Imaginez-vous au réveil, le nœud au ventre matinal suivi de la routine habituelle :
Douche.
Café.
Bouchons.
Radio libre antenne.
Enfer.
Maison.
Boisson.
Mais là vous souvenez que c’est dimanche. Ces quatre secondes d’explosion de soulagement c’est à ça que ressemble le Vicodin pendant six heures. Mais surdosez et vous vomissez à vide, une paire de poings vous essorant l’estomac comme un chiffon mouillé, des traînées de salive chaude pendant à votre bouche tandis que vous essayez de remuer vos membres en vain. Les mots se heurtent à votre cerveau comme une mer de détritus bouillonnant contre une jetée, sans ordre, sans connexion. Doigts. Nom. Entendez.
Mon analyse
Bien que tout le livre ne soit pas comme ça, on remarque ici une forme stylistique très précise qui n’est pas si courante. Je tiens d’ailleurs à préciser que c’est cet extrait qu’a choisi Chuck Palahniuk dans son livre Consider this (sorte de manuel d’écriture non traduit en français à ce jour) pour illustrer le conseil de style d’un des chapitres : Plonger le lecteur en employant le “vous” dans une atroce réalité (ici, l’optique de se rendre dans l’enfer du quotidien et du boulot), puis l’en faire sortir (c’est dimanche, pas de boulot, ouf) afin qu’il éprouve du soulagement. Et enfin, télescoper cette sensation sur le propos du livre (voilà l’effet du Vicodin). Rien que ça, c’est déjà une putain de leçon de style, dont on n’est pas forcément conscient si y a pas Chuck pour nous l’expliquer…
Si l’on comprend déjà la puissance d’un tel procédé, et l’emploi de celui-ci au tout début du livre, alors on mesure la maîtrise du style de Craig Clevenger. Mais au-delà de ça, cet auteur fait quelque chose qui le place dans mon top absolu, alors que je viens juste de le découvrir. S’agit-il de style pur et dur ? Difficile à dire.
Fréquemment dans le livre, le protagoniste est en consultation auprès de différents psychiatres, ce qui explique justement pourquoi il les connaît si bien, et lit si clair dans leur jeu, tout en cherchant à les induire en erreur et à les mettre sur de fausses pistes. C’est au moment des dialogues que se révèle le brio de l’auteur. Énormément de descriptions des plus infimes gestes ou expressions, postures, inflexions de voix des psychiatres, mouvements des yeux. En gros, le narrateur décrypte leur langage corporel, ce qui est déjà fascinant à suivre. En parallèle de ça, il analyse aussi le sien, explique pourquoi il répond ceci ou cela, pourquoi il tourne les yeux, pourquoi il décide de garder le silence. C’est une partie d’échecs époustouflante à suivre, du jamais vu !
Et pour conclure, ce livre détient un élément que je place au-dessus de tout dans la littérature, très présent dans l’œuvre de Chuck Palahniuk aussi : les références au réel. Oui, c’est une partie essentielle du style. L’auteur fait des va-et-vient entre les faits qui se déroulent, ses pensées, et des notions qui existent dans la réalité, comme par exemple, les questionnaires psychologiques dont usent les psychiatres pour évaluer l’état mental d’un patient, en vue de déterminer s’il est fou ou non. Ces nombreuses références à des choses qui existent en dehors du monde du livre lui donne une écrasante densité, un poids, un impact, qu’il n’aurait jamais eu sans cela.
Voilà pourquoi les auteurs confirmés, qu’il s’agisse de Stephen King, Haruki Murakami (un article sur lui ici) ou encore Chuck Palahniuk (et un sur lui ici), préconisent de collecter sans cesse des faits afin de s’en servir dans leurs ouvrages. Un style vivant, c’est un style qui se nourrit du vécu.
Résumé éditeur
Green River, le plus ancien pénitencier du Texas. 3 000 détenus s'entassent dans un labyrinthe de granit et d'acier. Dans cette architecture conçue pour stimuler les fantasmes paranoïaques de ses occupants, le docteur Klein, accusé à tort du viol de son ancienne maîtresse, est un homme respecté. Et il doit sortir de prison bientôt. C'est sans compter sur l'émeute qui se prépare, attisée par le directeur même du pénitencier, et qui va mettre le feu aux énergies contraintes depuis des années. Face à l'explosion de violence qui se prépare, Klein pourra-t-il sauver sa peau - et sa dignité - sans devenir lui-même une bête sauvage ?
Tim Willocks, psychiatre anglais, nous emporte ici à un rythme de transe vers les zones les plus dangereuses de l'esprit humain. “Étourdissant. Peut-être le plus grand roman jamais écrit sur la prison. Un voyage en enfer superbement maîtrisé” - James Ellroy
L’extrait
Un million d’années de prison avaient patiné la surface des dalles en granit, lisses et graisseuses, profondément incrustées de crasse et de désespoir. John Campbell Hobbes, le directeur, en suivant pesamment l’allée centrale du bloc B, sentait dans ses os l’empreinte des générations de pas traînants. Dans sa gorge, un goût âcre de sueur rance et de glaire infectée, les vapeurs mêlées du haschisch et de la souffrance humaine, concentrée, hyperdistillée et conservée des dizaines d’années sous la haute verrière qui formait une voûte géante au-dessus des trois niveaux de cellules surpeuplées. Là où on envoyait les hommes se mettre à genoux, là où ceux qui refusaient apprenaient à le faire.
Mon analyse
Tim Willocks est un génie du verbe. Peut-être est-ce sa formation de psychiatre ou encore celle de karatéka qui lui ont offert la clé d’une telle maîtrise, mais ce que fait ce mec est tout bonnement à chialer (surtout en tant qu’écrivain, car il est évident qu’on ne peut même pas caresser l’espoir de s’approcher un jour d’un tel niveau…).
Sa marque de fabrique ? Plonger en plein chaos dans la psyché de ses personnages torturés, en entraînant le lecteur dans un tourbillon invraisemblable où une morale défaillante se confronte à l’instinct animal ! Si les auteurs découverts précédemment avaient tendance à contourner la psychologie dans des styles plutôt minimalistes et épurés, Tim Willocks, lui, c’est carrément l’inverse, et les lianes étrangleuses dévorant les esprits prisonniers de leurs méandres et luttant contre eux-mêmes n’ont aucun secret pour lui !
Sans être pour autant alambiqué ou démesurément tortueux, le style de ce romancier nous fait éprouver l’histoire avec tous nos sens : narration rocailleuse et malsaine, comme le montre cet extrait, asphyxie dans une folie rampante, odeur nauséabonde et putréfiée d’une prison, et surtout, embrassement total de l’esprit de TOUS les personnages qu’on rencontre, qu’il s’agisse du directeur de prison, des détenus, des fous, des infirmiers, de ceux qui servent de putes aux chefs de clan, des gardiens… Lire Green River, c’est trouver le don de métamorphose. Et seul un style si personnel, si impliqué, truffé de métaphores aussi parlantes que malaisantes, pouvait engendrer cette expérience grandiose.
Je déconne pas. Ce livre est mythique. Lisez-le.
Résumé éditeur
En 1940, à la parution de ce chef-d’œuvre maudit, Raymond Chandler fut le seul à reconnaître une pépite dans “ce récit sordide et complètement corrompu”, mais parfaitement crédible, “d'une petite ville de Caroline du Nord”.
Unique à plus d'un titre - il sera le seul jamais écrit par son auteur - ce roman de la Dépression est peut-être le plus brutal et le plus cynique jamais écrit à cette époque ; un univers de violence, de luxure et de cupidité où tout le monde triche, en croque, en veut.
James Ross, né en 1911 en Caroline du Nord aux États-Unis et mort en 1990, est l'homme d'un seul livre. Une poire pour la soif, paru en 1940, se trouve à mi-chemin, entre Jim Thompson et Fantasia chez les ploucs de Charles Williams. Un grand classique.
L’extrait
- Ben je vais vous le dire. Faisait déjà pas mal de temps qu’il buvait comme un trou dans le sable, je parle de comment qu’il buvait avant que son foie se mortifie sous lui. Ça faisait bien six mois qu’il était saoul, l’époque que je vous cause. Et pis voilà qu’un soir, y faisait déjà nuit, je vais le voir pour lui demander si des fois il voudrait pas me prêter son mulet le lendemain, pour labourer avec. J’arrive à la porte de derrière et je tape dessus. Je tape et je tape et j’appelle, et finalement qu’est-ce que je vois, un canon de fusil qui sort de la porte, pointé sur moi. Un canon Long Tom, même que c’était. Ben j’aime autant vous dire, l’avait beau avoir fait une chaleur pas chrétienne ce jour-là, j’ai quand même eu le frisson tout partout. Coagulé comme la mort, j’étais, tellement que j’avais l’effroi. Et pis je vois m’sieur Bert là au bout du fusil, derrière. Blanc comme un linge, qu’il était, et des gouttes de sueur tout partout sur la figure, comme la rosée sur une pastèque. “Qu’est-ce que tu me veux, tête d’enfer”, qu’y me fait comme ça. J’avais tellement la frayeur, moi, je pouvais pu causer.
Mon analyse
Beaucoup d’auteurs vous le diront : il est très difficile de rendre le langage parlé sans que ça sonne faux, trop outré ou trop guindé, et de nombreux romanciers pourtant célèbres admettent que cet exercice de style se solde souvent, même dans leurs œuvres publiées, par un désastre. Alors certes, ici il s’agit d’un dialogue, mais tout le livre est comme ça. Le narrateur s’exprime peut-être un peu moins à l’arrache que celui qui cause dans cet extrait, mais à peine. Et le rendu est : fa-bu-leux.
Pourtant… c’est l’une des raisons qui ont refusé l’accès de James Ross à la reconnaissance du public. Désormais considéré comme génialissime, et culte, ce livre, bien qu’ayant été publié, l’a empêché de faire carrière dans la littérature. Le truc, c’est qu’à l’époque on considérait qu’écrire au sujet de gens trash faisait du livre un livre trash (ah mais attends… Non, rien n’a changé !). Écoutez l’auteur : Mon seul but était de dire les choses comme elles étaient, ni plus ni moins, et laisser le lecteur se former une opinion ou en tirer une morale, s’il y tenait absolument. En tout cas, moi je ne faisais pas de morale.
Revenons au style. J’ai lu pas mal de bouquins dont l’histoire se passe chez les pécores, dans des petits bleds paumés des États-Unis, mais ce roman est différent. Le style est si vivant, sans aucune fausse note, avec un sens du rythme dans le phrasé si évident, comme en témoigne l’extrait, qu’on a bel et bien l’impression d’y être. C’est quelque chose que j’aimerais souligner : l’importance de la forme qui s’accorde au fond. Inévitablement, ça te fera pas le même effet de lire une histoire de cowboys si l’auteur n’est pas fichu de retranscrire le phrasé de ces gens-là. Une histoire, ce n’est pas simplement des mots qui racontent. Il faut qu’elle incarne un état d’esprit, une époque, un lieu, et ça, mon vieux, ça passe avant tout par le style. Une histoire de cowboys doit te faire chausser tes santiags, et humer la poussière autour de toi, et même ce brin d’herbe dans ta bouche et la sale haleine de ton cul-terreux de voisin de tabouret de saloon.
Dans ce livre, ça sent le tord-boyaux tout juste distillé, la cupidité des paysans dont la récolte est foutue par un caprice du climat, et l’orgueil de ceux qui se croient mieux vernis que les autres.
Résumé éditeur
“Quand je revois mon enfance, le seul fait d'avoir survécu m'étonne. Ce fut, bien sûr, une enfance misérable : l'enfance heureuse vaut rarement qu'on s'y arrête. Pire que l'enfance misérable ordinaire est l'enfance misérable en Irlande. Et pire encore est l'enfance misérable en Irlande catholique.”
C'est ce que décrit Frank McCourt dans ce récit autobiographique. Le père, Malachy, est un charmeur irresponsable. Quand, par chance, il trouve du travail, il va boire son salaire dans les pubs et rentre la nuit en braillant des chants patriotiques. Angela, la mère, ravale sa fierté pour mendier. Frankie, l'aîné de la fratrie, surveille les petits, fait les quatre cents coups avec ses copains. Et, surtout, observe le monde des adultes.
La magie de Frank McCourt est d'avoir retrouvé son regard d'enfant, pour faire revivre le plus misérable des passés sans aucune amertume.
L’extrait
Après une soirée passée à boire de la porter dans les pubs de Limerick, le voici qui descend la ruelle d’une démarche incertaine en chantant sa chanson préférée. Somme toute, il tient la grande forme et a l’idée de faire mumuse un moment avec le petit Patrick qui a juste un an. Oh, le mignon petit gars ! Il l’aime, son papa ! Il rigole quand Papa le lance en l’air ! Houp-là, petit Paddy, houp-là, tout là-haut en l’air dans le noir et qu’il fait noir, oh, crédieu, voilà que t’as loupé le môme à la descente et le pauvre petit Patrick atterrit sur la tête, gargouille un brin, pleurniche et puis devient tout calme. Grand-mère se traîne hors du lit, alourdie par l’enfant qu’elle porte dans son ventre, ma mère. Elle soulève avec peine le petit Patrick. Elle laisse échapper un long gémissement en voyant l’état de l’enfant et se tourne vers Grand-père. Fiche-moi le camp ! Ouste ! Si tu restes ici une minute de plus, je m’en vais chercher la hache, cinglé d’ivrogne ! Bon Dieu, tu m’enverras finir au bout d’une corde ! Fiche le camp !
En homme qu’il est, Grand-père ne se laisse pas démonter. J’ai le droit de rester chez moi, dit-il.
Elle se rue sur lui et le voilà terrifié par ce derviche tourneur qui porte un enfant amoché dans ses bras, et un autre, en pleine santé, qui gigote dans son ventre… Il quitte la maison en titubant, remonte la ruelle et ne s'arrête pas avant d’avoir atteint Melbourne, Australie.
Le petit Pat, mon oncle, ne fut plus jamais le même après ça. Il grandit un peu ramolli du cerveau, avec une jambe gauche allant d’un côté et le reste du corps de l’autre.
Mon analyse
Ça annonce la couleur, pas vrai ? Eh ouais, Frank McCourt et son enfance misérable en Irlande sont carrément tordants, et ce serait cool que davantage de romanciers en prennent de la graine ! En général, les récits d’enfance sont soit geignards, soit mal joués, soit carrément inacceptables parce que l’auteur prête à son moi enfant une maturité dont même le plus con d’entre nous ne croirait jamais qu’il l’ait possédée ! Faut dire, c’est galère. Déjà, se remémorer cette connerie du passé doit pas être aisé. Ensuite, faut renoncer à l’idée de se présenter comme plus malin que le petit débile qu’on était à l’époque. Enfin, faut faire preuve d’un sacré second degré et d’un sens aigu de l’autodérision pour nous la décrire comme le fait McCourt !
Sans blague, ce livre est poilant à mort ! Entre les clichés de parents irlandais (le père alcoolique, la mère gémissant au coin du feu), les curés tordus, la famille timbrée, la galère de la pauvreté et la découverte de la sexualité au sein d’une communauté entachée de chrétienté, y a de quoi se marrer, mais le tour de force de ce bouquin, c’est encore une fois le style, bien sûr ! L’extrait est je pense assez parlant, pour le coup. Et c’est que ça, tout le bouquin !
On comprend facilement pourquoi il a rencontré un tel succès, et le plus dingue, c’est que la suite est aussi bonne que le début (on suit Frank de retour aux States dans sa difficile vie d’étudiant boutonneux puis de prof incapable d’inspirer le respect aux petits connards d’Américains).
Résumé éditeur
Une bande d'ados sectaires, venus d'un mystérieux pays totalitaire, débarquent aux États-Unis pour un séjour linguistique. Sur fond d'échanges culturels, ils décryptent l'american way of lite pour mieux infiltrer le pays et mettre en œuvre une action terroriste sans précédent, opération Dévastation.
Comme toujours, Palahniuk souffle le chaud et le froid, titillant les nerfs du lecteur jusqu'à la limite du supportable : de l'angoisse au burlesque, il n'y a qu'un pas qu'il franchit à grand renfort d'humour déjanté. Servis par un langage aussi malmené pour l'occasion que nos idées reçues, les rapports d'opérateur numéro 67, alias Pygmy, sont un délice du genre : s'y dessine une Amérique inculte, fermée sur elle-même, indolente et goinfre jusqu'à l'épuisement. Par contraste, la conviction de ces jeunes fanatiques, le caractère implacable de la haine qui les anime saisit le lecteur d'effroi.
Dans ce petit bijou d'indécence, Palahniuk poursuit le travail de dépeçage des fondements de la culture de masse américaine en mettant en scène ce grand cauchemar qui la tenaille, celui du terrorisme.
L’extrait
Tous doivent chant-sonner chants stupides, autrement pas collège, pas haute physique-mathématique, pas formation. Obligation chanter désir prendre place sur spectre arqué fréquences lumineuses formées par précipations, chant-son ekzact telle Judy Garland, sordide martyresse, marionnette sacrifiée par machine divertissement capitaliste combinée complekse pharmaceutique.
En-cas pas chant-sonner, tous jeunes condamnés pauvreté. Privés possible avancement, possible panouissement.
Mon analyse
Fallait oser. Et beaucoup de gens, qu’il s’agisse de critiques littéraires ou de lecteurs, considèrent qu’il a été trop loin.
Avant de revenir sur Pygmy en particulier, j’aimerais évoquer la carrière de Chuck Palahniuk (je suis fan, oui, vous l’aurez compris, son écriture a énormément influencé la mienne, comme j’en parle dans cet article). Depuis ses débuts, ce romancier s’exerce à pousser les bornes au-delà des limites. Des exemples ?
Dans Monstres Invisibles, la narration est explosée dans une chronologie erratique parfois difficile à suivre, et les personnages s’expriment avec une syntaxe tout ce qu’y a de personnelle.
Dans Survivant, le décompte des pages commencent par la fin. Le numéro 1 en bas de page se trouve donc logiquement à la toute fin de l’ouvrage, ce qui correspond au récit (un homme enregistre son témoignage sur la boite noire d’un avion qui n’a presque plus de carburant et va bientôt s’écraser).
Dans Peste, roman polyphonique, plusieurs personnages témoignent au sujet d’un autre personnage, se livrant à des récits qui se contredisent mutuellement parfois.
Et enfin, dans A l’estomac se trouve une nouvelle qui cause de nombreux malaises, vomissements, évanouissements, chaque fois que Chuck Palahniuk la lit en public, tant elle est malaisante. Je l’ai lue, je confirme. Elle fout incroyablement mal à l’aise. C’est très choquant.
Bref, le romancier est un kamikaze. Et Pygmy ne fait que confirmer la direction volontairement au-delà de toute limite qu’il fait prendre à l’ensemble de son œuvre.
Mais rien n’est gratuit. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet, car vous pouvez comprendre par vous-mêmes. Le vocabulaire qui est celui du narrateur de Pygmy n’est pas anodin. Une fois de plus, les mots utilisés conditionnent la compréhension de toute une culture, et sa critique, en l’occurrence. Comme dans tous les livres présentés ici, le style (qui inclut donc vocabulaire, temps, choix de narration, rythme et emprunts à d’autres langues) est le fondement majeur, et je dirais même le message essentiel, de ce qu’on ose appeler une œuvre d’art.
Pour aller plus loin…
Borderline : Saga complètement freestyle
Tu croyais que j’allais te laisser sans faire au moins une fois ma propre pub ? Tu rêves, trésor… S’il y a bien une chose dont ma saga Borderline peut se targuer, c’est d’avoir un putain de style, et d’ailleurs mes détracteurs utilisent précisément cet argument pour me… détracter.
Chronologie éclatée, absence de négation, langage cru, propos choquants, mots d’espagnol sans lexique, bref, autant dire que je m’en prends plein la gueule, mais la vérité, c’est que mes lecteurs, eux, c’est précisément ça qu’ils aiment…
Alors, si les livres que je viens de te présenter t’attirent ou que t’en as déjà lu pas mal, y a de fortes chances que mes bouquins à moi te plaisent. Prêt pour une expérience BORDERLINE ?
La page qui lui est dédiée sur ce blog se trouve ici.
(ou clique sur chaque livre pour découvrir son univers très bizarre…)
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Carnet d’ayahuasca #16 : Seizième Cérémonie
Comme beaucoup de chamans, Wish prépare son ayahuasca une fois l’an, ce qui lui permet d’avoir des réserves suffisantes pour tenir dans les montagnes andines où il vit la majorité du temps, sans avoir à revenir dans la jungle. Ce séjour ici à San Francisco avec moi était l’occasion de se mettre à l’ouvrage, il a donc fallu aller chercher du bois pour pouvoir cuisiner (ouais, comme dans Breaking Bad) une semaine durant.
Virée en pirogue, cargaison de bois et préparation de l’ayahuasca
Comme beaucoup de chamans, Wish prépare son ayahuasca une fois l’an, ce qui lui permet d’avoir des réserves suffisantes pour tenir dans les montagnes andines où il vit la majorité du temps, sans avoir à revenir dans la jungle. Ce séjour ici à San Francisco avec moi était l’occasion de se mettre à l’ouvrage, il a donc fallu aller chercher du bois pour pouvoir cuisiner (ouais, comme dans Breaking Bad) une semaine durant.
La préparation de l’ayahuasca (mélange de lianes d’ayahuasca et de feuilles de chacruna) nécessite des tonnes de bois, parce que la marmite doit bouillir des heures et des heures à feu extrêmement vif, et qu’on enchaîne les marmites, évidemment, jour après jour.
Vu le nombre de clients qu’a Wish, il lui faut des litres d’ayahuasca pour honorer ses cérémonies toute l’année. Mais du bon bois bien sec et bien résistant, qui donnera de bonnes flammes, ça se trouve pas si facilement dans la jungle, alors on est partis en expédition avec son oncle et son cousin pour aller en acheter dans un autre village, plus bas sur le fleuve.
Son oncle possède une pirogue à moteur, et c’est lui qui nous y a conduits. La pirogue était prisonnière des sortes de marais près des rives du fleuve, et les trois mecs ont miséré leur race pour la sortir de là, poussant dans l’eau des marécages, forçant l’avancée avec des bâtons, nous faisant passer quasiment dans les arbres qui poussaient dans l’eau.
C’était une putain d’immersion, et j’ai été impressionnée par les machines de guerre que sont ces types de la jungle !
Une fois parvenus sur le fleuve, on s’est embarqués pour une merveilleuse heure de voyage.
Les trajets en pirogue en pleine Amazonie me rendent carrément dingue. Ça te transforme en quelqu’un d’autre. C’est difficile à expliquer, mais il se passe des choses en toi qui n’ont rien à voir avec tes courants de pensée habituels. T’es pas simplement contemplatif, ça va au-delà de ça.
C’est comme… comme si tu rentrais dans la matrice d’où tu viens, que tu renouais avec l’âme primitive qui gronde toujours en toi malgré les années de dressage.
Une sorte de soif, et de faim sauvage te possède, pour tout ce qui t’entoure. Tu observes les arbres au-dessus de toi avec l’envie d’y grimper en y plantant tes griffes, l’eau sous la pirogue avec la volonté de t’y plonger jusqu’aux abysses, le courant qui caresse tes doigts de pied comme si ta mère ancestrale jouait avec toi. Le chant de la jungle te nourrit d’un pouvoir régénérateur, un souffle, un lavement.
C’est absolument unique, et chaque fois que ça m’arrive, j’ai la sensation de pouvoir mourir en paix, parce que j’ai connu ça.
Arrivés au village, on a discuté le coup avec la famille qui allait nous vendre le bois, posés sur un banc face au fleuve. Quelle chance de parler espagnol et d’être en mesure d’échanger pour de vrai avec ces gens qui ont une vie si différente de la mienne !
Mais à force, je dois dire que je trouve ça presque normal. Je discute comme si j’étais née ici, et rien dans le comportement des gens que je rencontrent n’indique qu’ils me considèrent comme une sale gringa. Ils sont ouverts, rigolards. Mais c’est peut-être l’affection que Wish me porte ouvertement qui force leur respect, le fait qu’il me présente d’emblée comme… autre chose qu’une vague touriste.
Après avoir papoté pendant pas loin d’une heure, on a chargé la pirogue de tronçons de bois, en faisant des aller-retours incessants, jusqu’à ce qu’elle soit pleine à ras de la gueule.
Et c’est le lendemain qu’on a commencé à cuisiner. Pour info, les lianes d’ayahuasca induisent la transe, mais ce sont les feuilles de chacruna, porteuses de DMT, qui provoquent les visions. Et l’ayahuasca ne se met pas telle quelle dans la marmite, faut d’abord l’écraser à fond pour que son essence s’infuse bien dans l’eau. C’est un taff carrément épuisant de matraquer ces lianes au marteau... et qui ruine les mains !
Sa mère, je me suis récoltée une putain d’ampoule entre le pouce et l’index à force de cogner dessus comme une perdue ! Mais je suis franchement contente de pouvoir boire une medicina que j’ai contribué à créer.
Intention : Montre-moi comment travaille la Numan Rao avec moi
Entre la Numan Rao, la Malva (qu’on a aussi récoltée avec Wish sur son terrain, sorte de feuille qu’on écrase dans de l’eau, qui donne une potion gélatineuse à boire, et qui nettoie les poumons), la Hierba Luisa et la tisane spéciale méditation de la mère de Wish (il lui a demandé de la préparer pour moi), je me sentais très détendue.
J'ai le sentiment qu'on peut pressentir comment sera la cérémonie. Ou alors c'est juste toi qui influes sur le truc. Je savais que l'oncle de Wish, que j'avais beaucoup apprécié en allant chercher le bois, viendrait ce soir, et ce mec avait de bonnes ondes. Très rieur, le genre qui te met à l’aise direct, un petit homme avec un bon cœur, qui sait écouter les autres.
En plus on allait boire l'ayahuasca qu'on avait préparé nous-mêmes, dont on s'était imprégnés via sa fumée, qu'on avait écrasé à coup de bout de bois et de marteau et qui m'avait valu cette grosse ampoule que Wish avait fait cicatriser avec la sève du Pinon Negro. J'ai d'ailleurs aussi goûté les graines du Pinon Blanco. Bref, le terrain était bon.
J’étais littéralement encerclée et pénétrée par le pouvoir des plantes, et j'étais aussi impatiente de connaître les chants du tonton.
J'étais très concentrée, à nous trois on formait un cercle parfait, avec l’oncle à ma gauche et Wish à ma droite. Mes visions se sont ouvertes quand le tonton a rejoint Wish dans les chants. La façon dont il chantait me faisait penser à un truc chinois. Cette voix comme une guimbarde, tremblotante, presque grésillante, mais tellement belle. Très différente de celle de Wish.
Au début, on aurait dit qu'ils chantaient chacun de leur côté, suivant leur propre mélodie. Ça faisait quand même un peu penser à du canon, même s'ils chantaient des trucs différents. Et puis leurs voix et leurs mélodies ont fini par se rejoindre, en une fusion grandiose.
Mes visions étaient celles, classiques, de l'ayahuasca, mais vu que ça faisait longtemps que j'en avais pas eu, je les ai appréciées à fond, surtout avec cet icaro si puissant qu'ils entonnaient à deux. Leurs voix m’ouvraient un monde élevé, d’une brillance presque douloureuse.
Si les cieux existent, et s’ils doivent ressembler à quelque chose, je jure qu’ils n’auraient pas d’autre visage !
Je me suis mise à me balancer, et puis j'ai posé les mains à plat sur le plancher, les jambes toujours en tailleur, et je me suis balancée encore plus, en suivant le mouvement avec ma tête. C'était tellement bon, tellement fort ! Et puis je sais pas trop comment, je crois que c'est l’oncle qui a commencé à taper sur sa cuisse, et moi aussi je me suis mise à chantonner, timidement au début, et puis de plus en plus. Rama kaya kaya ka, kaya kaya ka... Je connaissais bien ces chants, même s'ils étaient trop complexes pour que je puisse les mémoriser en entier, mais leur côté répétitif aidait, surtout les dernières phrases des strophes qui sont répétées trois-quatre fois.
Alors, je me suis mise à taper sur le plancher de la maloca du bout des doigts, d'abord doucement, et puis carrément, jusqu'à m'en faire mal. Le rythme était très rapide, mais il fallait que je le fasse, et c'était tellement bon, de sentir cette puissance, d'y participer, de l'éprouver dans mon corps ! Il me semblait que les visions se calmaient quand je faisais ça, et je me suis dit que ça devait être ça, de diriger le truc, d'apprendre à manier l'énergie de la plante.
Ensuite j'ai tapé sur ma cuisse, mais ce n'était pas assez puissant alors j'ai tapé sur ma poitrine, au niveau du plexus, fort, encore et encore, comme pour faire entrer l'énergie du chant à l'intérieur de moi. Et puis juste avant la fin de la chanson, comme si je pressentais le truc, j'ai croisé les mains sur mon cœur, et Wish a dit une sorte de bénédiction, en espagnol, toujours dans son chant.
Et je me suis véritablement sentie bénie…
J'étais redescendue, il m'était à nouveau possible de pouvoir fumer un mapacho. C'était le fait de m’être enflammée comme ça qui avait contrôlé le pouvoir de la plante, j’en étais sûre. De chanter, ou du moins d'essayer, de suivre le rythme. C'est vraiment différent de juste subir les visions allongé comme une merde.
Je savais que le plus gros de la cérémonie était passé. Wish a joué de la guitare et son oncle a suivi au chant. Ils me faisaient penser à un duo de blues, des mecs super rodés, du genre de ceux qui se parlent et déconnent avec le public en même temps qu'ils jouent, se renvoyant la balle, se congratulant mutuellement, se faisant des blagues. Trop cool, et on a rigolé comme des malades à plusieurs reprises !
Pour finir Wish a entonné cette chanson que j’aime tellement, qui parle d’un jeune homme qui a perdu son amour et s’en va sur un bateau pour ne jamais revenir… Le tonton semblait ému, même s’il rigolait encore face à l’ingénuité de la jeunesse que symbolise ce morceau. C’était extrêmement touchant, d’être leur témoin.
Peu de temps après, on a rejoint la maison pour fumer encore quelques mapachos avant d’aller dormir, et ma mareacion est revenue. Wish avait mis de la musique classique, très délicate, et tandis qu'il me parlait je voyais des fleurs et des plantes croître…
Je les voyais sur son visage…
Carnet d’ayahuasca : La Récap’
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Carnet de Route #17 : Deux Mois Et Huit Jours
Rien que d'envisager les deux putains de journées que j’allais me taper là-bas me foutait les boules. Arrivée à Potosi, je me suis dégoté une sorte de cellule monacale de un mètre sur deux, avec du plancher et un vieux matelas mou qui donnait sur une cour à l’allure sinistre. J’ai été faire un tour en ville et je me suis acheté à bouffer, du pain, des bananes, du yaourt à boire, puis je me suis cloitrée, résignée.
Un anniversaire à Tupiza, western bolivien
Les jours qui viennent de passer n’ont pas été faciles et par la force des choses, j’ai été obligée de m’adapter. Et je me rends compte que c’est exactement ce que je cherche, en fait. Être capable de réagir à l’instinct et de jongler avec des situations nouvelles, dans un environnement sans cesse changeant où j’ai aucun repère, et ainsi réveiller des forces, des capacités que j’avais pas besoin de mettre en œuvre dans la sphère sécurisée où je vivais avant. C’est pas si simple de se transformer au sein de la routine, quand on a pour seule arme un esprit ramolli par des années de jeux à répétition avec des gens qui s’y complaisent et s’y enlisent. Pas étonnant que j’étais en train de péter un câble.
Ici, les choses sont ce qu’elles sont mais y a que moi pour décider de ce que je vais en faire. Et la peur est en train de disparaître. Au final, c’est plutôt jouissif de se laisser aller dans le courant du hasard et de faire des choix en un clin d'œil. C’est un jeu qui se joue rapidement. L’esprit y possède sans doute un petit rôle, mais je pense qu’on a davantage affaire à l’instinct, à l’intuition, et encore une fois au hasard d’un choix pris sur un coup de tête parce que c’est précisément ce que requiert la situation. Une personne passe, tu vas lui causer ou non, et le futur en dépend, sans que tu saches à quoi t’attendre, ce que t’y gagnes ou ce que t’y perds. Une fois les dés lancés, le truc suit sa route et t’as plus qu’à courir derrière sans même avoir le temps de te demander si t’as pris ou non la bonne décision. Tout s’enchaîne, sans cesse t’es confronté à de nouveaux choix à prendre très vite, et quand enfin te voilà, plusieurs jours plus tard, seul et en mesure de t'interroger sur le cours des événements, tu ne peux que constater avec fascination l’imbrication inextricable du destin, et te dire que tout est à sa juste place (alors qu’au fond t’en sais rien, pas vrai ? Mais c’est l’impression que ça donne).
C’est un jeu que j’aime beaucoup. Impossible de savoir si j’y joue bien ou pas, mais je dois pas m’en tirer trop mal puisque j’adore ça. Et désormais, je refuse de juger ce que je suis en train de vivre. Je me contente de jouer avec les cartes qu’on me donne, et au fond c’était sans doute pareil dans l’autre vie. On croit avoir un pouvoir, mais on se contente de réagir tant bien que mal.
On dirait que je commence à apprendre la patience et l’acceptation. Moi ! Franchement, c’est un comble.
J’ai quitté Sucre avec mon linge tout propre et mes boutons et autres piqûres de moustique en train de cicatriser. Après deux nuits dans cet hôtel, j’avais déjà une forte envie de me tirer pour aller voir ailleurs. Je savais précisément où je voulais aller, mais avant ça je devais obligatoirement passer par une autre ville qui me disait rien, mais j’allais devoir faire avec, et plus que je l’imaginais. D’emblée, le chauffeur de taxi m’avait mise en garde : le lendemain, inutile de chercher à prendre un bus, c’était les élections, toute la ville serait enfermée chez elle à je ne sais quoi foutre (regarder la téloche ? Picoler pour le vainqueur ou le vaincu ?). OK, prends ça dans les dents. Rien que d'envisager les deux putains de journées que j’allais me taper là-bas me foutait les boules. Arrivée à Potosi, je me suis dégoté une sorte de cellule monacale de un mètre sur deux, avec du plancher et un vieux matelas mou qui donnait sur une cour à l’allure sinistre. J’ai été faire un tour en ville et je me suis acheté à bouffer, du pain, des bananes, du yaourt à boire, puis je me suis cloitrée, résignée.
J’ai lu en boucle mes guides de voyage, seules merdes que j’avais à lire, et la première journée est passée. Le soir j’ai été dans un resto végétarien et j’ai maté un bout des Monthy Python avec le patron. La deuxième journée a été encore plus hardcore, une véritable épreuve de patience pour les nerfs, mais l’idée de me barrer le jour d’après m’a aidée à tenir. Et le lendemain, enfin, je me suis levée tôt et je me suis tirée. Mais je suis quand même arrivée trop tard au terminal, les bus pour Tupiza partaient encore plus tôt. Je vous dis pas la rage. J’ai failli prendre un bus pour une autre destination qui m’arrangeait pas du tout vu les connexions, de dépit, quoi, mais Dieu soit loué c’était trop tard pour celui-là aussi. Pleine d’amertume, je me suis traînée vers un hôtel juste en face du terminal. L’idée de retourner dans cette putain de cellule de prisonnier me révoltait, mais cet hôtel-là était trop cher, j’avais pas le choix, c’est donc la mort dans l’âme que j’ai hélé un taxi et suis retournée dans mon cloître la queue entre les jambes. La patronne m’a dit que je pouvais récupérer la même piaule, qu’elle avait pas encore été nettoyée (génial…). Retour à la case départ.
Alors fuck off. Pou compenser, je me suis payé un putain de petit dej et deux bouquins, histoire de tenir le coup. Ça n’avait rien de raisonnable au vu de mon budget super ric-rac, mais parfois dans la vie faut savoir se faire plaisir, merde ! En plus j’ai découvert que je savais lire l’espagnol. J’avais fait exprès de prendre deux livres que j’avais déjà lus (L’Alchimiste et un autre de Paulo Coelho) histoire de pas être trop paumée, de pouvoir deviner les mots que je comprenais pas, et en fait j’adore lire dans cette langue ! Et j’ignore comment mais cette saloperie de journée est passée. Le lendemain j’étais tellement flippée que je me suis réveillée super en avance. La porte de la cour était fermée. J’ai dû faire tout un foin pour que la patronne se lève m’ouvrir. J’ai pris un taxi. Il était 6h du mat. J’étais toujours aussi fébrile en attendant le bus qu’avait évidemment une heure de retard, l’enculé, à fumer clope sur clope. C’était mon anif et je voulais à tout prix atteindre Tupiza le jour même, cet endroit qui me faisait rêver depuis les quelques photos que j’avais vues dans mon guide, où la terre est rouge feu et pleine de cactus.
Dans le bus, il faisait une chaleur à crever, et au début j’étais contente car la zic n’était pas trop merdique, mais je sais pas comment une autre musique a été mise par au-dessus, et c’était une abomination tonitruante, cumulé avec la chaleur, j’ai bien failli tuer quelqu’un.
Lors de la pause, j’ai entendu deux nanas parler français, alors je leur ai glissé au milieu des klaxons et des gens qui gueulaient dans la rue : Ils aiment le bruit, ici, pas vrai ? L’une d’entre elle m’a répondu : On est d’accord, c’est pas nous qui hallucinons ! Je pensais pas que ça irait plus loin, mais va savoir pourquoi quand on a débarqué je les ai collées en leur demandant où elles allaient et on a choisi un hôtel ensemble, un hôtel cher (10 euros la nuit, une dinguerie pour moi, puisque c’est mon budget journalier normalement) avec une piscine et un buffet petit dej, mais je leur ai dit que c’était mon anniversaire et que fuck.
On a papoté un peu dans la chambre en prenant nos quartiers. Les filles se sont montrées étonnées que j’aie pas profité de mon séjour à Potosi pour visiter les mines (seule attraction touristique de ce bled de merde, no comment). Elles m’ont raconté ce qu’elles avaient vu : des mecs qui triment leur race jour après jour, se défoncent à l’aguardiente après le boulot, et meurent à 40 ans des suites de toutes les saloperies qu’ils inhalent à la mine, et bien souvent à moitié aveugles à cause de cette fameuse eau-de-vie qu’ils s’envoient pour tenir. J’étais révoltée qu’on puisse envisager de considérer ça comme une “étape à ne pas manquer d’un voyage en Bolivie”, mais elles semblaient penser que leur démarche n’avaient rien de voyeuriste, que c’était au contraire une façon de soutenir ces hommes… Ces hommes qui sont heureux de mourir jeunes parce que leur famille, veuve et enfants, toucheront une pension à vie pour leur sacrifice. Je crois que je préfère ne rien dire à ce sujet.
C’est à la piscine qu’on a croisé l’Allemand. De loin, je l’ai pris pour un sportif prétentiard avec son ventre musclé et ses lunettes de soleil. Il s’est aperçu qu’on causait français et s’est approché pour faire connaissance. Il vit en France, en fait, vraiment pas loin de chez moi, et il a un tel débit de paroles que très vite on a été au courant de toute sa life. Ce mec a débuté son trip au Canada. Il fait tout à vélo. Il a taffé un moment en Floride, à Key West, à réparer des bateaux, histoire de refaire du fric pour poursuivre le voyage jusqu’ici, et il projette d’aller jusqu'en Terre de Feu, à l’extrême sud de l’Argentine. Il était cool alors on s’est mis d’accord pour tous se retrouver le soir au resto. Ça a été une putain de soirée. Pizzas, bières, clip de Michael Jackson à la télé (trop de la chance, je suis fan !), et une putain d’ambiance. Une soirée d’anniversaire dont je me souviendrai toute ma vie !
Et vous savez quoi ? Aujourd’hui, à l’aube d’un nouveau jour, avec cette terre rouge splendide incendiée par le soleil que j’observe depuis la fenêtre, je me dis que tous ces contre-temps n’avaient en réalité pas d’autre but que de me faire arriver ici au moment parfait. C’est ça, que moi j’appelle le destin.
© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés
Wanted Dead or Alive : Bruno Leyval, Artiste-Guerrier de la Voie de l’Encre
Des feuilles blanches tatouées d’encre qui nous font pénétrer dans un monde où l’Homme, le Sacré, l’Animal et la Nature s’entre-dévorent et fusionnent pour révéler l’essence une qui préside à la vie. Deux histoires qui se croisent et s’influencent par-delà le temps et l’espace : celle de l’enseignement d’un chaman à son disciple au pied d’une montagne sacrée, et celle de Phoenix et Vlasta, couple ouvrier d’une usine d’armement peinant à concevoir un enfant. Un projet tentaculaire de Bruno Leyval : La Rose de Jéricho.
Des feuilles blanches tatouées d’encre qui nous font pénétrer dans un monde où l’Homme, le Sacré, l’Animal et la Nature s’entre-dévorent et fusionnent pour révéler l’essence une qui préside à la vie.
Deux histoires qui se croisent et s’influencent par-delà le temps et l’espace : celle de l’enseignement d’un chaman à son disciple au pied d’une montagne sacrée, et celle de Phoenix et Vlasta, couple ouvrier d’une usine d’armement peinant à concevoir un enfant.
Un projet tentaculaire de Bruno Leyval, artiste total vrillant en freestyle dans toutes les directions, qu’il s’agisse de ses médiums d’expression ou des messages si vifs et si complexes exsudant de son œuvre : La Rose de Jéricho.
J’ai tendance à penser qu’aucune rencontre n’est fortuite, mais je dois reconnaître que c’est assez rare de croiser un autre spécimen dont les racines s’enfoncent si précisément dans le même terreau.
Cette interview nous a entraînés, Bruno et moi, vers un dialogue métaphysique qui interroge le rôle et la place de l’artiste dans ce monde, la nature de l’Homme, la signification du chamanisme, l’essence d’une œuvre d’art…
A la fois très intimiste et férocement universelle, cette discussion à la frontière, à la jonction entre deux mondes, ouvre le regard vers l’univers qui existe tout au fond de nous, un monde oublié ou perdu que les nombreux dessins de Bruno exposés ici sauront faire renaître à la conscience de chacun.
Quand l’Encre se fait Fille de Sorcier : La Rose de Jéricho
Salut Bruno ! C’est vraiment cool que t’aies accepté cette interview. Ça fait un moment que je te suis sur les réseaux, même si je me rappelle plus précisément comment la fascination que ton taff exerce sur moi a débuté. J’imagine que t’avais tweeté un de tes fameux dessins à l’encre de Chine, probablement une sorte d’être à mi-chemin de la racine et du sorcier, et que mon cœur a bondi, comme s’il reconnaissait ce signal d’alarme qu’il guette en permanence, lui susurrant : Ce mec-là sait de quoi il parle… J’aimerais que tu te présentes, comme tu le sens, à ta sauce, quoi.
Salut Zoë. En effet, nous nous suivons depuis un certain temps sur les réseaux et c’est certainement pour les mêmes raisons : on parle de la même chose, d’une manière différente, avec nos propres médiums, nos propres expériences, mais avec la même essence, la même sonorité…
Pour la présentation, voici la partie background classique : je suis un artiste qui approche du demi-siècle avec un long parcours chaotique. Je dessine depuis l’enfance, tous les jours, tout le temps.
Peu à peu, le dessin est devenu une forme de méditation qui s’est imposée naturellement comme une pratique spirituelle et qui accompagne mon chemin intérieur.
Pendant plus de 20 ans, j’ai travaillé dans l’ombre pour perfectionner mon art et mon médium de prédilection : l’Encre de Chine. Sans avoir fait le moindre plan de carrière - après avoir créé et entretenu un blog sur les arts et cultures alternatives pendant plusieurs années, ma carrière artistique a décollé et j’ai bossé pour des grandes marques et exposé dans pas mal de pays.
Bon, maintenant que j’ai bien saupoudré mon parcours avec un sac de paillettes, passons aux choses sérieuses : malgré cette réussite, j’ai toujours pensé que l’art devait servir à quelque chose, à autre chose que d’être exposé au-dessus de la cheminée d’un collectionneur obèse qui s’en servira comme moyen de spéculation. J’ai donc profité de cette réussite pour voyager et participer à des projets qui ont un sens, socialement et humainement - la lutte des minorités, l’écologie, les réfugiés… J’ai décidé de garder mon boulot “alimentaire” pour avoir une totale liberté dans le choix de mes projets, pour être à l’abri financièrement et totalement indépendant.
Parallèlement, à la naissance de mon fils en 2009, j’ai débuté ce long voyage avec la ROSE DE JÉRICHO, un projet multimédia initiatique tentaculaire qui est sans aucun doute le projet d’une vie…
La première chose qui me vient à l’esprit te concernant, c’est un peu ce que prônait déjà Jim Morrison en son temps : la proximité qui existe entre le chaman et l’artiste. Quand on se laisse happer par tes esquisses, celles-ci semblent receler un pouvoir que je qualifierais de “chamanique”, c’est-à-dire celui de nous faire entrer en contact avec un aspect du monde qui paraît sourdre d’une partie de l’âme avec laquelle on est très peu en contact, et qui, pourtant, parle à notre subconscient comme s’il s’agissait de ses racines. Elles évoquent un langage primitif, archaïque, avec lequel on a comme qui dirait perdu le lien, mais qui continue à vivre en nous, et que tes dessins rappellent à la vie. Quel est, selon toi, le lien entre un chaman et un artiste ? Qu’est-ce qu’ils ont en commun ?
Ah, ce bon vieux Jim. À chacune de mes errances dans la capitale, je ne manque pas de lui rendre visite au Père Lachaise. J’aime les sépultures, qu’elles soient des pierres tombales ou des cendres disposées en pleine nature… J’aime ces lieux de connexion avec les âmes.
Tu utilises les termes “langage primitif, archaïque… ” je dirais un simple retour à la simplicité et à l’essence de la vie.
Dans mon travail, j’essaye de puiser tout au fond de mon être afin de me reconnecter à la vibration commune qui nous unit tous, le son primaire, le OM. La proximité entre le chaman et l’artiste, c’est le pouvoir de se connecter à d’autres dimensions. Ils ont en commun ce processus, cette quête de la vérité intérieure, cette envie d’unicité avec le vivant, ce désir d’être TOUT. Les Lakotas ont une expression pour cela : Mitakuye Oyasin (Nous sommes tous reliés).
Voici ce que j’ai écrit en première page de mon site : En Occident, la pratique du chamanisme naît d'un désir de se reconnecter à soi, pour soi. Dans les traditions autochtones, il est essentiel de se reconnecter à l'autre, pour l’autre.
En partant de cela, si on fait le parallèle entre le chaman et l’artiste, dans le cas occidental (se reconnecter à soi, pour soi), l’artiste crée pour lui, pour son nombril, pour être reconnu et adulé, pour gagner un max de thunes… C’est très narcissique et gorgé de compétition, un désir d’être le plus grand, le plus beau, le plus riche… C’est très proche de notre vision occidentale capitaliste et individualiste… De la grosse merde en fait !
Dans la vision autochtone (il est essentiel de se reconnecter à l'autre, pour l’autre) l’artiste crée pour l’autre, sans désir de gloire et sans prétention, de façon complètement altruiste. C’est une voie qui me correspond mieux, un chemin que j’ai emprunté il y a bien longtemps et dont j’essaye de ne pas dévier.
J’ai connu la “gloire”, les tapis rouges… Cela ne m’a pas rendu heureux, bien au contraire.
Peindre pour une grande marque dans un hôtel particulier parisien ça te met à l’aise financièrement, ça flatte ton ego, mais en aucun cas ça te fait grandir humainement et spirituellement.
Peindre en Inde pour et avec des réfugiés tibétains au pied de l’Himalaya, ça place ton art à un niveau supérieur, tu te connectes à autre chose…
Voilà pour moi le lien entre l’art et le chamanisme, une simple question de vision des choses. L’art, tout comme le chamanisme, à un fort pouvoir de guérison, alors, que tu sois artiste ou chaman, si tu as le don, à toi de savoir comment tu veux l’utiliser.
Selon tes propres mots, le thème principal de ton œuvre est la renaissance, incarné tout entier par la Rose de Jéricho, plante mexicaine sacrée, capable de survivre à la sécheresse. Mais la renaissance, c’est quelque chose de très complexe, qui s’articule autour d’un nombre effarant de concepts intriqués les uns dans les autres. Transmigration des âmes, transmission via la naissance d’un enfant, passation de pouvoir et de savoir d’un maître spirituel à son disciple, sans même parler de la capacité propre à l’être humain, cette force personnelle, vive et sublime, qui nous permet de nous transformer… Est-ce que tu penses que l’art peut aider l’Homme à appréhender ce concept, pour tenter de l’appliquer dans sa propre vie ?
Mais nous sommes, nous les êtres humains, une espèce complexe. Contrairement à l'ensemble du vivant, nous voulons toujours être plus que ce que nous sommes simplement.
Si pour l'éléphant, le corbeau ou le grand chêne, la vie se résume à subvenir aux besoins vitaux, se reproduire et mourir, l'humain ne s'en contente point. Il se questionne sans cesse sur le passé et le futur en omettant de la sorte de privilégier le présent et de le vivre pleinement. Il ne se satisfait jamais de l'essentiel mais désir acquérir et accumuler, créant ainsi une multitude de troubles psychologiques et autres névroses.
Par-dessus tout, l’humain essaye de comprendre pourquoi il est là et quel est le but de sa vie.
De cette ignorance naît l’occultation de la mort car s’il y a une fin, à quoi bon vivre ? Alors on se crée des mythes, des croyances pour pallier tout cela, pour donner un sens, un espoir, pour se rassurer…
Mais en fin de compte, la mort fait partie de la vie, tout simplement, et c’est ce qui la rend si précieuse, si riche et si lumineuse.
Dans un projet comme Rose de Jéricho, j’essaye de croiser toutes ces croyances, ces pratiques, ces cultes… pour en extraire une universalité, une source commune à tous les êtres vivants.
Je pense que l’art peut aider celui qui désire comprendre où est sa place mais seul celui qui ne cherche pas finit par trouver.
Un truc qu’on partage tous les deux, c’est nos références artistiques et humaines : Carlos Castaneda et sa série de livres stupéfiante à base de quête initiatique et de plantes psychotropes, Hunter S. Thompson, écrivain et journaliste (voire diable de Tasmanie) aussi timbré que brillant, Marilyn Manson, qui incite les ados à devenir leur propre et unique référence à coup de slogan nietzschéen, ou encore Bret Easton Ellis, que je vais pas me fatiguer à présenter... De véritables pointures, donc, qui ont au moins un point en commun : tout le monde les prend pour des tarés. Alors voilà ma question : Selon toi, qu’est-ce qui rapproche la folie de la création artistique ?
Cela vient certainement du statut spécial que la société offre à l’artiste, le côté marginal et bohème, le mythe de l’artiste maudit à la Rimbaud, Modigliani ou Artaud…
Tous les artistes que tu viens de citer sont issus d’une autre génération, d’un autre temps, un temps révolu. Un temps de libération et d’orgie, de révolution culturelle et de folie, un temps où Janis Joplin sortait avec Jim Morrison, où les hippies léchaient des arbres à Haight-Ashbury, où Jack Kerouac s’effondrait complètement bourré devant la librairie City Lights Booksellers and Publisher de Lawrence Ferlinghetti à San Francisco… Un temps où Hunter S. Thompson ruinait - comme les Stones, les hôtels de Las Vegas…
J’ai été biberonné avec cette époque, cette culture, cette musique. Je me souviens de la première fois où j’ai découvert la musique des Doors, de Pink Floyd ou des Stooges, quel choc. Et puis il y a eu la poésie d’Allen Ginsberg, la folie de Ken Kesey, Las Vegas Parano de notre cher Hunter, Le Postier de Bukowski, Jodorowski avec El Topo… Et bien sûr l’hallucination totale en lisant L'Herbe du Diable et la Petite Fumée de Carlos Castaneda.
Pour le commun des mortels, tous ces artistes, écrivains et autres cinéastes, sont des gens à part, des tordus majestueux ou de simples fous dangereux, des déviants issus d’une époque déviante. Ils sont le fruit d’une lutte, des luttes soixante-huitardes.
Il y a aussi un paramètre important dans cette équation : le star-system. Même s’il touche plus la musique et le cinéma, quand un artiste connaît la gloire, qu’il est adulé et porté au panthéon, son cerveau commence à griller lentement. Comment ne pas switcher ? Tu te retrouves avec des milliers - voire des millions - de fans, et tout ce que tu fais est analysé, scruté, décortiqué… Ta parole devient évangile et ta voie devient celle de ton troupeau… C’est très sectaire, en fait.
Les gens ont besoin de modèles, d’idoles, que ce soit un chanteur, un écrivain ou une statue kitsch d’un gros bonhomme assis en lotus. À mon petit niveau, j’ai connu les effets de la reconnaissance artistique et je peux te dire qu’il faut être solide dans sa tête pour ne pas basculer dans la folie. Tu te retrouves plongé dans un monde parallèle où tout le monde te lèche le cul et le pire, c’est que c’est agréable ! (rires)
Tu finis par te croire supérieur, exceptionnel et tu agis en fonction, en diva cocaïnée. C’est super malsain en fait. Sans parler des drogues et autres addictions qui les ont tous rendus cinglés. Tout cela fait donc partie de cette mythologie de l’artiste et de la folie créatrice.
Néanmoins, si tu analyses en profondeur le truc, d’un point de vue strictement personnel, je pense sincèrement qu’être artiste c’est être complètement cinglé ! C’est réellement une pathologie, un dérèglement cérébral. Ce n’est pas normal.
Qu’est-ce qui pousse un être à avoir une telle obsession pour la création, ce besoin de dessiner tous les jours, tout le temps ?
Ce qui est normal c’est de se foutre dans son canapé avec des chips et une bière à mater Netflix, non !?! L’art est une malédiction, un sacrifice, une punition ! Il te pousse à te remettre sans arrêt en question, à t’interroger sans cesse, à te combattre intérieurement… Il pousse à la lutte contre soi-même. Il est source d’insatisfaction perpétuelle, de découragement chronique, d’abandon…
L’artiste désire transmettre quelque chose, exposer ses œuvres au monde dans l’espoir d’être remarqué, que son message soit vu, entendu et apprécié…
C’est très narcissique en fait. S’il désire faire de l’art de façon altruiste, commence alors un véritable cauchemar car il ne cesse de se mentir. Forcément, même si c’est pour une cause, une lutte, il cherchera à être récompensé pour son action : des honneurs, des likes sur Instagram, etc…
L’art est une excroissance nombriliste. Aujourd’hui bien plus qu’hier avec toute cette merde de réseaux sociaux.
Ton œuvre assume totalement son côté chamanique, et tu la décris toi-même comme une “quête spirituelle personnelle, un projet artistique se renouvelant sans cesse”. A une époque, t’as été à la rencontre de traditions que très peu d’entre nous connaissent. Tu m’as parlé du Tibet, et des Navajos notamment. Est-ce que tu te souviens de ce qui t’y a poussé ? De quelle manière ça a transformé ton œuvre et ton message ?
Pour une raison qui m’échappe, j’ai toujours eu une attirance pour les peuples autochtones, pour leur culture, leurs luttes… Vers 17 ans, j’ai rencontré mon premier guide, une personne qui m’a fait découvrir la richesse des peuples amérindiens et qui m’a présenté mon second guide qui lui, m’a initié au chamanisme. Ce fut une révélation. Cela ne m’a plus quitté. Après des années de lecture - un véritable travail anthropologique (rires) - j’ai décidé qu’il était temps de partir à la rencontre de ces peuples. La vie m’a offert cette opportunité.
L’impact de ces voyages et des rencontres qu’ils ont engendrées est immense sur la personne que je suis devenue. J’ai eu la chance de faire des rencontres mystiques qui m’ont profondément marqué, inspiré, transformé…
Que ce soit une femme Navajo en Arizona, un vieux Chinois dans Chinatown à San Francisco ou le Dalaï Lama au pied de l’Himalaya, toutes ces rencontres ont été des étapes de transformations profondes, des passages d’un état à l’autre et elles ont eu des répercutions immenses sur ma vie, sur mon quotidien et bien sûr, sur ma spiritualité.
Tout mon travail est basé sur une quête de découverte, de transmission et de partage. Connaître l’autre pour se connaître soi-même… C’est un désir d’ouverture vers l’extérieur et vers l’intérieur, un désir d’universalité.
Tout cela se synthétise aujourd’hui dans cette œuvre tentaculaire qu’est la Rose de Jéricho.
Il y a beaucoup de double-sens dans tes dessins, et une véritable intrication des opposés, comme la vie et la mort, la fin et le début, le désir et la haine… Mais on sent qu’il s’agit d’une boucle, d’un cycle, assez bien représenté par le fameux Ouroboros, serpent qui se mord la queue symbolisant un paradoxe : à la fois autodestruction et résurrection, autofécondation, mais aussi lien entre monde terrestre (serpent) et monde céleste (cercle), sorte d’union entre deux opposés, comme le Yin et le Yang. Il y a un côté karmique aussi, qui rappelle l’éternel retour de Nietzsche peut-être, ou encore la roue des existences du samsara… Sans compter ces deux histoires qu’on suit en parallèle, dans le monde contemporain à l’usine d’armement et dans un passé archaïque. Est-ce que cet aspect de la Rose de Jéricho reflète ta façon de considérer la vie, quelque chose que tu aurais appris au sujet de l’existence ?
Tout est cercle, tout est cyclique, tout n’est que répétition. Nous vivons, nous mourrons, puis nous devenons autre chose, une renaissance, qu’elle soit physique ou spirituelle - un animal, un humain, de l’engrais qui aidera une floraison, de la poussière qui s’accrochera sur la roche, un esprit dans une rivière… C’est une question de philosophie, de croyance, d’expérience et de chemin…
J’injecte dans le projet de la Rose toutes mes réponses mais surtout, toutes mes questions.
Je n’ai absolument aucune certitude. Je n’ai fait que l’expérience de certaines choses et j’en ai tiré mes conclusions. Pour moi, oui, tout est cyclique et la mort par exemple, qui fait intrinsèquement partie de la vie, n’est qu’un passage, une étape de plus. La mort est la seule issue possible de la vie…
Tout est impermanence et l'attachement aux choses impermanentes s'avère être la cause de la souffrance. Nombre de personnes que nous côtoyons sont dans une bonne situation générale. Néanmoins, elles ne sont pas heureuses, elles dépriment, elles sont perdues. Elles cherchent une alternative, veulent plus de choses et se détruisent pour les obtenir. Elles nous disent que ce n’est pas la vie qu’elles ont souhaitée. Qu’elles ne trouvent plus leur place et qu’elles s’enfoncent peu à peu…
Beaucoup de belles réussites sociales et matérielles se sont retrouvées anéanties, car ces personnes souffraient profondément du décalage entre l’image qu’elles offraient et leur nature profonde. Nombre de gens se sont également perdus dans toutes sortes de croyances, de dérives sectaires et autres cultes imaginaires. Cherchant des réponses à leurs errances, elles ont trouvé réconfort dans des chimères… Dans toutes sortes de paradis artificiels…
Si vous voulez réellement vous libérer de cette spirale négative et de vos névroses, redevenir ce que vous êtes vraiment et ressentir la force de la vibration universelle, alors n’essayez pas de vous construire une nouvelle identité plus agréable ou d’emprunter des chemins de traverse qui ressembleront plus à des fuites en avant, mais réfléchissez plutôt aux causes qui vous emprisonnent…
Les barrières mentales sont la cause première de votre souffrance, elles vous empêchent d’être aligné, d’être en phase avec vous-même.
Nous nous habituons au mensonge. Pas au mensonge qui consiste à tromper les autres, mais celui qui nous pousse à nous mentir à nous-même. Puis on avance, étape par étape, mensonge après mensonge, pour finir par se consumer à force de n’être qu’un autre et de ne pas être simplement soi.
L’individualisme est un mensonge. Le culte de la personnalité est un leurre. À quoi bon être le meilleur si on n’est pas soi ?
Le sacrifice est un autre thème central chez toi, qui me touche particulièrement. Depuis longtemps, je suis parvenue au constat qu’il faut sacrifier une partie de soi pour pouvoir renaître, aller au-delà de soi, des ses schémas comportementaux, psychologiques… Dépasser ses croyances limitantes et quitter sa putain de zone de confort. Je pense que d’oser abandonner une partie de soi est la décision la plus rude et la plus significative d’une vie. Est-ce que c’est un truc que t’as toi-même expérimenté ? Dire adieu, volontairement, tuer un ancien toi pour te transcender ? En tant qu’artiste, à quelle sorte de sacrifice doit-on être préparé ?
Le sacrifice est primordial, pour toutes les remarques que tu viens d’énoncer dans ta question. La vie est faite d’abandons constants, de déchirures perpétuelles. Les croyances nous enferment, les dogmes nous lobotomisent, les règles nous limitent…
Et puis il y a le mental et toutes ses barrières, un ensemble de critères qui agissent comme des obstacles puissants entre ce que nous sommes réellement au fond de nous, et l’image mentale que nous pensons être la réalité. Depuis la naissance, des critères comme l’éducation, la famille, l’environnement ou encore la société, construisent des barrières mentales qui s’enracinent profondément en nous et nous coupent de la substance essentielle de la vie. Ces barrières nous voilent l’esprit et nous entraînent sur le mauvais chemin, nous éloignent de notre voie intérieure et finissent par nous ronger, comme le ver ronge le fruit.
Voila pourquoi le sacrifice est essentiel dans notre progression… Sacrifier une part de nous qui freine les autres… Nous sacrifier nous, pour devenir l’autre… Le Soi.
Pour un artiste, le sacrifice peut prendre de multiples formes : financières, qualité de vie, vie de famille… Mais si nous nous concentrons sur le côté purement artistique, alors le sacrifice peut se nicher dans la répétition. L’art peut nous emprisonner. Il faut savoir s’éparpiller pour mieux se recentrer.
La construction d’une œuvre est comparable à une plante protéiforme à plusieurs ramifications. Quelques œuvres hésitantes comme des accident puis, mentalement se forme un vague cheminement. Heureux celui qui se contente d’une formule plaisante, éternellement répétée, qui le met à l’abri de toute tempête cérébrale. Il déroule simplement à l’infini un concept qui un temps, a fait de lui un artiste dans le vent. Les tableaux s’enchaînent et se ressemblent comme les sourires qui se figent sur les visages de ses fidèles clients. Pourquoi se torturer, donnons-leur simplement à manger !?!
La création d’un langage personnel, identifiable à souhait, devient la pierre angulaire d’un désir d’histoire. Rare est celui qui bifurque en plein vol. Rare est celui qui assassine son médium. Rare est celui qui ose la métamorphose. Il faut tenter l’entrée du labyrinthe et se perdre mille fois pour trouver son chemin.
J’aime l’idée d’effacer les automatismes du confort et de rayer les certitudes moelleuses pour engranger une renaissance avec comme tout bagage, le maigre patrimoine qu’est l’essence.
L’essence, cette lueur enfouie au fond de l’être qui vous pousse chaque matin vers des contrées lointaines, de nouveaux paysages mystiques peuplés de chimères argentées. La fulgurance d’un trait jeté sur le papier qui, comme une première goutte de sang, vous entraîne vers l’inconnu – parfois le chaos, mais qui est tellement plus enrichissant que la douleur confortable de la stabilité du quotidien. À fleur de peau, dans une transe à demi maîtrisée, s’ouvre alors devant les globes mous bien écarquillés, un univers intérieur ou tourbillonnent les trois règnes dans une danse synchronisée.
Bon, je ne sais pas si j’ai été très clair mais, comme dit Jodorowsky : Désolé, je me suis enthousiasmé ! (rires)
Dans ton histoire, la cérémonie qui se déroule dans la montagne sacrée est reliée au couple qui veut avoir un enfant. C’est quelque chose que je connais, cet espace-temps symbolique, où une action qu’on mène dans l’esprit produit des conséquences dans le monde physique. Est-ce que tes expériences chamaniques t’ont fait pénétrer dans un niveau de conscience qu’on peut qualifier de quantique, et que c’est ça que tu essaies de rapporter ici ?
J’essaye en effet de lier des personnages entre eux et cela malgré le fait qu’ils évoluent dans une dimension variable. Leurs chemins sont liés et les actions des uns entraînent des manifestations chez les autres. Dans la Montagne Sacrée, maître et disciple effectuent un rituel qui se répercute sur le couple citadin qui essaye vainement de procréer. Le sacrifice des uns devient le miracle des autres… La Rose de Jéricho est le lien, le moyen de connexion entre les protagonistes.
C’est une image puissante qui nous ramène à un paramètre très terre à terre dans la mesure où au quotidien, nos actions, notre façon de consommer par exemple, à de fortes répercussions à l’autre bout du monde.
Quand tu es heureux de trouver un vêtement pas cher dans la boutique au coin de ta rue, tu n’imagines pas la misère qui se cache derrière sa fabrication… Le sacrifice des uns devient le miracle des autres…
Pour en revenir à ta question, quand tu te retrouves au bon endroit, avec les bonnes personnes et en plein milieu d’un flux puissant d’énergies, forcément il se passe des choses. Que ce soit en terres Navajo, en Inde avec le peuple tibétain en exil ou dans une forêt de l’est de la France avec un guérisseur, tu peux être amené à pénétrer dans un “autre monde”, un espace que certains qualifieraient de parallèle.
On peut également parler de modification de la conscience, de transes ou d’expériences mystiques… Peu importe. J’ai en effet vécu ce genre d’expériences mais je ne souhaite pas forcément m’étaler sur ces instants forts et très personnels. En revanche, je peux te donner ma vision “chamanique” ou plutôt mystique qui découle de ces expériences. J’ai écrit un texte sur le sujet il y a quelque temps, en voici un extrait :
J'aime l'idée d'un mysticisme qui échappe aux carcans dogmatiques, un mysticisme sans religion. J'aime cette façon de désigner des expériences spirituelles, des états de transcendance, de modification de la perception et de pleine conscience qui échappe à toute croyance. Un éveil à une réalité plus haute et infinie dont le concept qui fait abstraction de la théologie, de l'idée de Dieu ou du divin, peut être décrit comme un “mysticisme athéiste” et dont la vision première est tournée vers les forces universelles, ces énergies vibratoires qui amplifient notre connectivité avec les autres formes de vie, avec l’environnement et les “esprits” de la nature.
Cela fait prétentieux de se citer soi-même mais franchement, ta question me renvoie à ce texte et je ne vois pas comment te décrire les choses autrement.
Je profite de cette tribune pour dénoncer toute cette mode liée au chamanisme. Aujourd’hui si tu tapes “chamanisme” dans ta barre de recherche, tu tombes sur une multitude de charlatans, pseudo-chamans à la mords-moi-le-nœud, qui te proposent pour la moitié d’un bras de devenir chaman en cinq leçons en téléchargeant un PDf foireux. Franchement, c’est de la pitrerie ! On s’improvise pas chaman, on n'est (naît) ou on n’est pas !!!
Certains personnages de ton œuvre n’ont pas de visages fixes, pas d’apparence stable. Leurs traits mutent et pourtant ils conservent leur essence. Honnêtement, je crois que c’est un truc que peu d’artistes seraient en mesure d’accepter, tant ils sont attachés à la représentation visuelle de leurs persos. Est-ce que tu peux m’expliquer ce choix, cette position artistique, en somme ? C’est une manière pour toi de te rapprocher de la nature humaine, du fond commun qui anime l’humanité ?
Je n’ai aucun problème avec l’individu en tant que tel. Nous sommes tous uniques et précieux et c’est une très grande richesse. C’est même tout à fait essentiel.
Dans toute l’histoire de l’humanité il n’y aura qu’une Zoë, un seul être qui soit toi, comme toi, et c’est toi, ici et maintenant. C’est merveilleux, non !?!
Mais au-delà de cela, l’individualisme est également une source de problèmes, que cela soit entre les gens, les communautés, les ethnies ou à l’échelle d’une espèce entière. Donc, ne pas donner une apparence claire c’est pour moi un moyen d’universaliser chaque personnage, de dépasser le genre, la couleur de peau, l’origine, l’enveloppe corporelle et l’individualisme qu’elle reflète pour valoriser l’unicité qui nous anime tous, qui vibre en nous.
Considérer l’ensemble de l’humanité comme une entité indivisible, liée par la même essence universelle me semble essentiel.
J’aime à penser que si nous avions tous cette vision de l’humanité, nous la respecterions plus profondément et l’autre, l’étranger, deviendrait automatiquement l’ami, le frère…
Après, il y a quand même beaucoup de personnages qui gardent relativement la même apparence, les mêmes codes vestimentaires et/ou apparats, pour une question de lisibilité. En ce qui concerne la Muse de la Résurrection – qui est censée représenter sous forme humaine la Rose de Jéricho, c’est en effet très particulier : elle est l’incarnation de la féminité, de la résistance physique aux éléments et à la douleur, et elle est l’entité mystique de l’histoire. Elle se doit d’être multiple car elle est à la fois microcosme et macrocosme. Puisqu’elle est immortelle, qu’elle détient ce pouvoir de renaissance / régénérescence, c’est à travers elle que je questionne les concepts liés à la vie et à la mort, la vieillesse et la beauté, la normalité, la différence… Elle est la mère, la femme, l’amante, la lune, la terre, le lien à la nature et au sacré... C’est en la représentant multiple que j’essaye de détecter son essence universelle. Sur le plan artistique, en tant que Muse – concept forcement lié à l’art et à l’artiste - c’est à travers elle que soufflent tous les désirs de magnifier la nature et de mettre en valeur le corps et les plaisirs charnels.
Le personnage du pèlerin me parle beaucoup, peut-être parce que je considère Travis, le protagoniste de Borderline, comme une sorte de joueur de flûte de Hamelin. Un martyr venu apporter la bonne parole, mais que personne n’a envie d’écouter. Est-ce que pour toi, l’artiste est celui qui ouvre le passage ?
L’artiste ouvre des portes. Les portes de William Blake, de Jim Morrison… Les portes de la perception d’Aldous Huxley.
L’artiste est un chercheur, un découvreur, un explorateur. Il consacre sa vie à la détruire au nom de l’art.
L’artiste est un hypersensible, une éponge prête à tout absorber et par conséquent, il devient le martyr de ses émotions. Il vit tout et de manière amplifiée et puis il amplifie tout car sa perception l’est. Comme je te l’ai dit, l’art est une malédiction.
T'hésites pas à aller loin dans tes dessins, au risque de choquer (ces œuvres-là ne sont pas encore dispo sur ton site). Je peux me tromper, mais par moment tu sembles te diriger vers un art transgressif, où des thèmes et des images qui, à l’évidence, ne seront ni compris ni acceptés s’entrecroisent… S’agit-il de subversion, ou bien t’as juste pas envie de restreindre ton message à quelque chose de socialement safe ? La bravade des interdits, l’audace artistique, qu’est-ce que ça veut dire, pour toi ?
J’essaye de créer des œuvres qui servent réellement le projet, sans me soucier du regard des autres. Si cela implique des images explicites - voire hard -, si elles me paraissent nécessaires, alors je n’hésite pas une seule seconde.
Nous sommes plongés dans une époque aseptisée, moralisatrice et modératrice - la cancel culture fait bien son taf - et il est difficile de montrer certaines œuvres sur certains supports, difficile de les montrer à l’unité, sans contexte. Imagine que je poste sur Twitter une œuvre très explicite sexuellement, elle va apparaitre individuellement dans le flux des tweets entre un chat qui se casse la tronche d’un plan de travail et une info conspirationniste sur le covid…
Non, ce n’est pas possible, il y aura forcément un problème de lecture, un problème de profondeur.
Je réserve donc ces œuvres à mon site le temps venu et à une publication papier traditionnelle qui sera plus apte à les mettre en valeur esthétiquement et intellectuellement. D'ailleurs pour info, je travaille à l’élaboration d’un gros bouquin qui rassemblera les dix premières années du projet.
Après, l’art est fait de transgressions, c’est son carburant. Il se doit de casser les codes, remettre en question la société et ses valeurs, qu’elles soient saines ou putrides.
Je ne conçois pas la création sans liberté. Se mettre des freins, se brider au nom de la morale, de la bien-pensance, ce n’est juste pas possible. Je vomis cette époque puritaine et délétère. C’est tellement fake. Le peuple en meute qui déverse sa haine sur quelqu’un en le jugeant déviant pour une parole, une œuvre… Et qui le soir, dans l’intimité feutrée de leurs appartements, ne sont pas forcement des saints… Laissez-moi rire !
La nature tient un rôle majeur dans ton œuvre, qui met en évidence le lien existant entre elle et l’Homme. A vrai dire, tous tes dessins sont empreints d’animisme, comme cette femme chrysalide. Et même chez ce couple coupé d’elle, on la sent encore, par son absence, et dans le côté anthropophage de Vlasta... Il semble s’agir d’une force qu’on sent autour de soi, mais aussi en soi. Quel est le rôle de la Nature dans ton œuvre ? Un dieu, une essence, une finalité ?
Cette femme chrysalide est tout un symbole.
Chez les insectes, la chrysalide est un symbole puissant de transition. Elle est le stade de développement intermédiaire d'un individu, l’état entre la larve et le stade imaginal. C’est une réelle métamorphose qui se déroule en plusieurs phases jusqu’à la transformation et l’envol.
Nous pouvons nous inspirer de ce processus pour notre propre transformation. Nous sommes pareils à une chrysalide - physiquement bien sûr, mais également intérieurement. Le processus physique de la vie est ainsi. Nous naissons, grandissons, évoluons puis mourrons. En procédant par étapes successives, irrémédiablement, nous avançons ainsi d’un état à l’autre jusqu’à la mort.
Tout comme la chrysalide, nous avons la possibilité de transformer notre corps, nous avons le pouvoir d’effectuer cette métamorphose à l’intérieur.
La recherche d’intériorité et la connaissance de soi peuvent suivre ce même chemin, jusqu’à la transcendance et la sagesse, jusqu’à l’éveil.
Cette œuvre est certainement, inconsciemment, une tentative de nous remettre à notre place, en tant qu’espèce. Quand nous regardons un singe ou une limace, nous ne voyons qu’un singe et une limace. Peut-être que pour eux également, en nous regardant, ils ne voient qu’un humain parmi d’autres humains. En fin de compte, nous ne sommes qu’une infime parcelle de la création, une espèce parmi tant d’autres mais, avec une différence majeure, nous l’avons oublié et agissons comme si nous étions seuls et que tout nous appartenait.
Là est notre plus grosse erreur, celle de s’être coupés de notre environnement et de la dimension mystique de la nature.
Il nous faut réapprendre à écouter le chant du vent et à vivre en harmonie avec les autres espèces qui peuplent notre jardin d’éden. Cela peut paraître puéril de dire cela, voire utopiste, mais c’est une évidence, une loi naturelle !
La nature vibre en nous et nous ne sommes que ses enfants. Je vois la nature comme une mère, une divinité primordiale qui enfante de nombreuses créatures. C’est l’essence par excellence.
On a parlé ensemble du labyrinthe qui te ramène toujours au même endroit, de l’alchimiste qui va à l’autre bout du monde pour découvrir qu’il avait son trésor avec lui depuis toujours, mais qui a eu besoin d’accomplir tout un voyage initiatique pour être prêt à le voir, à le comprendre, et à l’accepter. Quand je contemple tes dessins naît en moi le sentiment qu’une vie entière est nécessaire, et peut-être plusieurs, avant d’être un jour en mesure d’appréhender le mystère et la beauté de la connaissance, et aussi, de l’existence, de cette démence spectaculaire et sublime qu’est la conscience. J’ai une dernière question pour toi, très personnelle, parce que je cherche encore mes réponses. Comment faire renaître au quotidien ce que les plus belles cérémonies chamaniques nous ont enseigné ? Comment retrouver en soi le lien perdu qui nous unit aux autres, et au monde ?
J’ai rencontré plusieurs personnes dans ma vie que je pourrais qualifier de guides. Des érudits qui connaissaient beaucoup de choses sur des sujets comme la spiritualité ou le chamanisme. Ces personnes m’ont beaucoup inspiré. Mais laisse-moi te raconter une histoire qui m’est arrivée.
Lors de mon séjour en Inde, j’ai rencontré un jeune cireur de chaussures qui voulait s’occuper de mes vieilles baskets. Je lui ai fait part de mon intention de m’en séparer prochainement et que je ne voyais pas l’utilité de les cirer. Il m’a demandé de le prévenir quand je les jetterais. Étonné, mon regard s’est alors porté sur ses pieds nus. Ce fut pour moi une première leçon. Nous avons entamé la discussion. Il me demanda d’où je venais et si j’avais une voiture, une maison, une famille, des enfants… Je lui ai dit que j’avais un jeune fils.
- Va-t-il à l’école ? me demanda-t-il.
- Bien sûr ! lui répondis-je, c’était tellement évident pour moi.
- Je ne suis jamais allé à l’école, m’avoua-t-il en me regardant dans les yeux, sans aucun signe de tristesse.
Il me regarda longuement et finit par me dire :
- Vous, dans vos pays, vous avez tout à l’extérieur. Nous, ici, on a tout à l’intérieur. Votre intérieur est tellement vide.
Dans la vie, sur notre chemin, on croise des personnes qui nous accompagnent d’un point à un autre. C’est une bonne chose. Mais ce jour-là, ce jeune garçon sans chaussures venait de m’accompagner vers ma transformation. Après des décennies de travail intérieur, il était mon guide ultime, celui qui a ouvert la dernière porte. Nous pouvons emprunter divers chemins dans l’existence. Certains seront plus ou moins agréables, d’autres rudes et parsemés d’obstacles. Tout ces chemin mènent quelque part bien sûr, mais seul celui qui conduit à la rencontre de soi nous mène à la lumière.
Chercher c’est se perdre… Alors ne cherche plus, car tu es déjà sur le chemin…
Bruno Leyval et moi avons collaboré le temps d’une séance de pose. Ce qui en est ressorti, c’est le personnage de la Gardienne de la Plante, qui prend place au sein de son œuvre.
L’article consacré à cette sauvage expérience se trouve ici.
Carnet d’ayahuasca #15 : Quinzième Cérémonie
C'était pourtant comme une sorte de voyage, comme de survoler des mondes par la pensée, se rendre en esprit dans plein de lieux différents pour visiter des communautés humaines de toutes sortes. Je voyais beaucoup de gens provenant vraisemblablement de cultures diverses, des tribus ou des villageois, toujours réunis en petits groupes. Ils me regardaient eux aussi, me faisant souvent face, comme s’ils pouvaient percevoir ma présence spirituelle. Le problème, c'est qu'à chaque fois, dans chaque groupe, il y avait un intrus.
Intention : Montre-moi ce que je veux vraiment, et dis-moi comment l'obtenir
Je pensais à mon livre avec cette intention, et j'espérais que l’ayahuasca allait me montrer comment appliquer pour de vrai la loi de l'attraction dans ma vie, qu'elle m’aiderait à me visualiser ayant déjà atteint mon but, vivant de ma plume, le cœur apaisé. Tu parles.
Même si je me dis maintenant qu'elle a quand même répondu à mon intention, à sa manière à elle, et que ce qu’elle m’a montré est un aspect du désir qui s’agite en sourdine dans les tripes de tout artiste avide de gloire, quelque chose qui rampe et gronde à l’intérieur, animé de mouvements animaux, voraces et saccadés… Quelque chose qui n’a rien de joli.
Je me suis à moitié renversé la tasse dessus en buvant, c’est malin, mais je craignais qu’il y ait encore des morceaux dégueulasses dedans, comme pour la cérémonie d’avant. Mais y en avait pas en fait.
Rapidement, la transe m’a prise en assaut et je me suis allongée pour partir dans un trip très étrange. Est-ce qu’il s’agissait d'un rêve, ou de visions ? Difficile à dire... Ces visions-là n’avaient rien de commun avec celles auxquelles j’étais habituée. Elles n’étaient ni abstraites, ni en 3D, mais au contraire d’une réalité… monstrueuse.
C'était pourtant comme une sorte de voyage, comme de survoler des mondes par la pensée, se rendre en esprit dans plein de lieux différents pour visiter des communautés humaines de toutes sortes. Je voyais beaucoup de gens provenant vraisemblablement de cultures diverses, des tribus ou des villageois, toujours réunis en petits groupes. Ils me regardaient eux aussi, me faisant souvent face, comme s’ils pouvaient percevoir ma présence spirituelle.
Le problème, c'est qu'à chaque fois, dans chaque groupe, il y avait un intrus. Un être qui se démarquait des autres. Une sorte d'avorton avec des proportions étranges, un visage mongoloïde, ou alors à moitié atrophié à certains endroits du corps.
Je percevais direct qu'y avait un truc pas net chez lui, et ça me mettait grave mal à l’aise. Mais le pire, c'est quand il se mettait à sourire, toutes dents dehors. Avec une lueur franchement diabolique dans les yeux, et quelque chose de carnassier dans le rictus. Dans toutes les communautés, invariablement, les intrus étaient là, et ils étaient effrayants, et révulsants aussi. Infiniment perturbants.
Pourtant, ils semblaient tout à fait légitimes, puisque chaque groupe avait le sien, et que les gens qui les entouraient ne manifestaient aucune peur ou révulsion à leur égard. Je peux pas vraiment dire que j’avais peur, cela dit. Parce que mes visions allaient trop vite pour ça, sans doute. J’arrêtais pas de découvrir de nouveaux villages, de nouvelles tribus, et chaque fois que je réalisais que l’intrus était encore là, et qu’il dévoilait ses dents pour me sourire, hop, ça passait à un autre groupe.
Mais je dois quand même avouer que cette transe-là, et cette espèce de rêve visionnaire entièrement nouveau pour moi, m’étaient très inconfortables.
Mais le pire, c’est quand je suis sortie pisser dans la jungle, après être un peu redescendue mais encore mareada, et qu’en fermant les yeux, accroupie près du sol, je me suis vue ramper en m’accrochant aux herbes, grattant la terre, les doigts tordus, les cheveux dans la gueule, à la manière de Samara dans The Ring. Mais avec quelque chose du jaguar aussi, dans ce déplacement félin.
Ça a été très bref, mais suffisant pour me plonger dans un trouble sans nom. Qu’est-ce que ça voulait dire, putain ?
En me repositionnant près de Wish sur ma couverture, j’ai vomi tout ça presque immédiatement, avant de repartir pour… autre chose. Toujours incapable de rester assise, je me suis rallongée et la plante m’a immergée dans des sables mouvants, au sein de visions (classiques cette fois-ci) très très organiques, d’un vert terreux, tel un berceau de lianes et de serpents. C'était très fort, et je respirais profondément pour essayer de contrôler l’effet de cette transe totalement physique, que je sentais dans mon ventre comme si ces lianes et ces serpents se trouvaient à l’intérieur de lui.
C’était une connexion surprenante, et qui au fond n’était pas si désagréable. J’étais entièrement reliée dans mon corps aux visions qui prenaient place dans ma tête, et j’avais la sensation que tout ça, c’était l’ayahuasca. Que j’avais fusionnée avec la plante, au point de me transformer en végétal à mon tour, avec l’énergie de la jungle exsudant de moi, par ma peau, par mon esprit, et que c’était aussi elle qui faisait battre mon cœur…
Wish a fini par intervenir, en apposant ses mains sur mon estomac et mon plexus, tout en continuant à chanter ses icaros, et ça a complètement modifié ce que j’étais en train de vivre.
Allongée, les yeux toujours clos, j’ai vu de l’or sortir de sa bouche, de ses chants, et de ses mains. J’ai vu son énergie se déverser en moi. J’ai réalisé le taff qu’il effectuait en cérémonie, la façon dont il chassait les ombres de mes souterrains, avec ses paroles répétitives et précipitées, puis comment il remplaçait ces ombres par de l’or, comme s’il engendrait une armure de bijoux et la rentrait dans mon corps pour me rendre plus forte et me protéger de l’intérieur.
Je me suis alors mise à comprendre des choses. Ces intrus. Ces freaks au sein des groupes. Cette vision de moi, rampant au sol, mélange de sorcière et de jaguar. Ces lianes et ces serpents qui m’étranglaient avec délice tout en croissant à l’intérieur de moi.
Tout ça, c’était l’avidité de l’artiste. Ce mélange d’unicité, cette place à part au sein de l’humanité, de pouvoir sorcier couplé à un désir latent de puissance, enfiévré et maladif, qui le faisait se tordre de désir, l’asservissant parfois jusqu’à le faire ramper au sol, tout en produisant dans ses tripes un plaisir orgiaque et malsain, telle la strangulation censée rendre la jouissance plus profonde…
Je me disais que c’était probablement le risque encouru à vouloir réussir comme écrivain. Ce sombre désir de gloire, cette soif amère de reconnaissance…
Elle était là, la leçon de cette nuit-là. Et ça n’avait rien d’agréable.
Vers la fin, je suis tombée dans un étrange état de vide, le bide en vrac, à être mal. J’aurais certainement dû me rendre direct aux chiottes pour évacuer par une bonne diarrhée cette triste descente en flammes que l’enseignement de l’ayahuasca avait infligé à mes ambitions artistiques, mais j’étais encore trop mareada pour envisager cette virée. Je sais pas si j'avais vraiment des visions, mais je pouvais pas sortir de la transe.
Et même après m’être décidée à franchir le pas, au retour j'étais toujours mal, et surtout vide. Ce vide étrange, sans fond, que je connaissais malheureusement trop bien, et qui a perduré longtemps après la cérémonie.
J’ai quand même trouvé la force de demander à Wish qui étaient ces intrus que j’avais vus. Il m’a répondu qu’il s’agissait de sorciers, et que c’était pour ça que chaque tribu en avait un. Il semblait plutôt satisfait que je les ai rencontrés par moi-même…
Plus tard dans la nuit, toujours dans la maloca, alors qu’on disait plus rien depuis un moment, on a entendu des cris et des hurlements très puissants dans la selva. Un brin alarmée, quand même, j'ai demandé à Wish si c'était des singes qui gueulaient. Il m’a répondu que non (évidemment, j’aurais dû m’en douter, et en réalité je le savais au fond de moi. Je savais ce que c’était).
Il m’a dit que c’était les esprits des sorciers. Transformés en loups.
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Carnet de Route #16 : Deux Mois et Quatre Jours
Et je regarde en arrière, ce mois de dingue que je viens de vivre en Amazonie en pleine saison des pluies, à m’occuper d’animaux sauvages comme dans mes rêves de gosse, et tout ce qui m’est arrivé depuis seulement deux mois que je suis partie, et je me demande pourquoi j’ai tant de chance, est-ce qu’il y a quelqu’un là-haut, une force quelconque qui se démène pour que ma vie coïncide enfin avec ce que j’ai toujours voulu qu’elle soit ?
Départ de la jungle, galère de bus, arrivée à Sucre
Ça a été la misère pour quitter cette putain de jungle. Et Dieu sait qu’il était temps de se tailler. Y avait plus d’eau à Vegas depuis une semaine, à cause de la pluie torrentielle qu’avait fait péter une canalisation, et les moyens qu’on trouvait pour se laver étaient de plus en plus désespérés.
J’ai d’abord fait comme pas mal des villageois qui ne doivent pas disposer de douche, et je suis partie avec mon maillot de bain et ma serviette à la cascade où un torrent d’eau plus ou moins propre te décape le scalp gratos, en compagnie d’une demi-douzaine de locaux lavant leur gosses et leur linge et se foutant pas mal que l’eau pleine d’Omo aille direct dans la rivière (dans laquelle nous on balançait la merde des singes et la javel, d’ailleurs. Vive la contamination !).
Un soir il flottait tellement fort que j’avais pas la moindre envie de me traîner à la cascade, alors j’ai carrément pris une douche sous la pluie, postée sous une gouttière (ou plutôt un trou du toit) de Vegas. Et le dernier jour, il pleuvait pas mais j’avais la flemme alors j’ai pris un seau qui traînait dans la cours, plein d’eau de pluie, et me le suis vidé sur la tronche. Ouais, j’en étais là. C’était mieux que rien, et même franchement indispensable après le genre de journée que je me tapais, à charrier des seaux de fruits à travers la jungle, nettoyer la merde et me faire pisser dessus à longueur de temps par Danielito, en transpirant toute la journée.
En plus, impossible de faire sa lessive (pas d’eau) et à force c’était hardcore de remettre constamment la même chemise imbibée de pisse et imprégnée de merde, encore humide de la veille et de la pluie de la nuit. Ma peau commençait à présenter des signes de réactions épidermiques bizarres, à me démanger, à boutonner, mais la cause pourrait être n’importe quoi, de toute façon l’environnement entier dans lequel j’étais plongée était une aberration totale à l'hygiène de soi. Des tas de volontaires avaient chopé des parasites intestinaux super coriaces et se gavaient d’antibios, et à vrai dire je m’en tirais pas trop mal avec mes piqûres de moustiques et de sand-flies et mon espèce d’eczéma.
Ça sentait la fin, et j’étais heureuse de repartir. J’ai été dire au revoir aux singes et aux tejones avec une drôle de boule dans la gorge, triste à l’idée que la majorité de ces petits gars allaient poursuivre leur vie dans une cage à cause de la connerie des Hommes…
Certes, au départ, mon projet était de partir vers l’est et de continuer dans la jungle, vers un bled qui me tentait énormément, mais j’ai attendu trois plombes un bus qu’est jamais venu pour aller dans cette direction (plus tard j’ai compris qu’il était bloqué en amont). J’étais en nage, pour changer, plantée comme un navet au bord de cette route, et la pluie recommençait à tomber, alors je me suis dit : Eh merde, j’en ai plein le cul ! et j’ai traversé la route. En moins de deux, j’étais dans un minibus partant pour l’endroit opposé, d'où j’étais arrivée un mois plus tôt et où je voulais à priori pas refoutre les pieds (je déteste revenir sur mes pas, ça me donne le sentiment de ne pas avancer), mais fallait s'adapter et fallait surtout que je me tire. C’est vrai, quand j’ai décidé de me barrer, faut juste que je me barre, je peux pas attendre trois heures qu’un putain de bus daigne ramener ses fesses. En plus tous les gens à qui je demandais m’ont filé des réponses différentes, donc c’était hors de question que je poireaute en attendant un bus hypothétique.
Donc OK, je prends le minibus et arrivée au terminal de Cochabamba illico je décide d’enchaîner direction Sucre. Un premier bus, et ensuite un deuxième, de nuit. On roulait pas depuis une demi-heure qu’on a été forcés de s'arrêter. Et là je me suis rappelée que cette satanée route était tout le temps inondée, effondrée ou je ne sais quoi (j’avais entendu des mecs du refuge raconter qu’ils avaient galéré 5 à 10 heures, sans déconner, le temps que ça se débloque, et arriver en pleine jungle à 4h du mat, sympa comme délire), et je me suis dit : Eh remeeeeeeerde, je vais jamais arriver à quitter cette foutue jungle !
Le premier arrêt a duré une trentaine minutes, et les deux ou trois fois d’après un peu moins, et putain on y est arrivés. Je crois que j’ai eu du bol encore une fois. Débarquée au terminal, je me suis fait agrafer par un mec qui voulait de toutes forces me vendre un billet. Moi je demandais : C’est combien ? et il me répondait pas et était déjà en train d’écrire sur le papelard, et moi je répète : Combien c’est ? (ho, ça va de se faire entuber). Il finit par me dire le prix, alors je me casse. Faudrait voir à arrêter de me prendre pour un con. Deux secondes après, j'ai trouvé une autre compagnie qui vendait des billets bien moins chers. Merde à la fin.
J’avais rien bouffé de la journée, mais dans mon larfeuille j’avais qu’un billet de cinquante et une pièce de un, et je savais d’expérience qu’il était inutile de tenter d’acheter un petit truc avec le bifton parce qu’ils ont jamais de monnaie dans ce pays, et d’un autre côté je crevais d'envie de pisser et ça coûtait précisément un sol. Dilemme. J’ai acheté un petit pain avec cette pièce mais en fait j’avais toujours autant envie de pisser, et dix heures de transports, ça allait être rude, jamais je tiendrais toute la nuit. J’allais pas pouvoir dormir. Dehors y avait des gens partout, impossible de s’isoler derrière un bus ou quoi. Alors j’ai accosté un vieux et je lui ai dit : C’est stupide mais tu sais pas où je pourrais trouver un coin pour pisser ? J’ai plus de pièces et à l’intérieur ils veulent absolument pas que je paie avec mon billet.
Il m’a regardée avec un air mi-consterné mi-compréhensif (je sais c’est dur de se représenter mais c’est bien ça) et il m’a filé une pièce. Cool. Je l’ai balancée à la dame pipi qui m’avait jetée deux minutes plus tôt et au vu des litres que j’ai évacués c’était pas du luxe. Je suis ressortie de là, j’ai fumé deux clopes à la chaîne histoire de tenir les dix heures du trajet, et j’ai grimpé dans le bus, heureuse et soulagée avec ma vessie vide, ma nicotine dans le sang et mon bout de pain dans l’estomac.
La route était super cahoteuse et c’était franchement dur de pioncer. Je me retournais d’un côté et de l’autre. A un moment j’ai eu conscience que le bus était arrêté et je me suis vaguement demandé si c’était normal ou si c’était encore un blocage mais en fait c’était mieux pour tenter de dormir alors je suis repartie en somnolence, mais quand j’ai rouvert les yeux le bus était toujours à l’arrêt. J’ai regardé ma montre, il était 6h du mat, heure à laquelle on était censés arriver. Quoique ça m’arrangeait, ça me faisait chier d’arriver trop tôt dans une ville endormie avec ma gueule de gringa. Quand je me suis à nouveau réveillée, il était 8h. Toujours pas bougé. Ils nous ont fait descendre le temps que le bus et les autres qui étaient devant empruntent un détour moins boueux, et on est remontés. Enfin.
C’est ma deuxième nuit dans cette ville, qui est très mignonne, dans un hôtel à mille lieux de Vegas. Tout est sec, propre et douillet. Même mon vieux linge ramené de la jungle, encore plein de pisse et de merde, que j’ai fourgué à la laverie du coin (j’ai eu peur que la meuf refuse mon sac. Avant de l’amener, je me suis rendue compte qu’il était était gavé de fourmis) sent maintenant si bon que j’arrive pas à le croire.
Merde, que demander de plus ? Et je regarde en arrière, ce mois de dingue que je viens de vivre en Amazonie en pleine saison des pluies, à m’occuper d’animaux sauvages comme dans mes rêves de gosse, et tout ce qui m’est arrivé depuis seulement deux mois que je suis partie, et je me demande pourquoi j’ai tant de chance, est-ce qu’il y a quelqu’un là-haut, une force quelconque qui se démène pour que ma vie coïncide enfin avec ce que j’ai toujours voulu qu’elle soit ? Cette liberté, cette indépendance à faire pâlir d’envie tous les jeunes de cette foutue planète, cette audace folle avec laquelle je tiens les rênes de mon destin, je peux les sentir dans mon corps et dans mon esprit, comme une puissance qui n’appartient qu’à moi, dont je peux disposer selon tous mes caprices…
Et pourtant, il y a quelque chose, en sourdine, qui ne cesse de me rappeler que tout ce que je fais, tout ce que je pense, n’est en réalité que la transformation en acte et en pensée d’un chemin tracé pour moi, qui me préexiste, auquel je me livre tout entière parce que je sais que je suis au bon endroit, au bon moment.
© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés
Dans le sac d’une Desperada : La Check-list de la Liberté
Tout lâcher, partir sur les routes du monde pour plusieurs mois, n’emporter avec soi que le strict nécessaire, être légère, libre, dire adieu aux verbes avoir et posséder pour les remplacer par être et expérimenter… Se défaire de l’inutile, de tout ce qui encombre le corps et l’esprit pour s’immerger dans le vécu. Ouais, ça fait rêver sur le papier, mais en pratique, c’est pas si facile à organiser, et c’est une grande voyageuse qui te le dit…
Tout lâcher, partir sur les routes du monde pour plusieurs mois, n’emporter avec soi que le strict nécessaire, être légère, libre, dire adieu aux verbes avoir et posséder pour les remplacer par être et expérimenter…
Se défaire de l’inutile, de tout ce qui encombre le corps et l’esprit pour s’immerger dans le vécu.
Ouais, ça fait rêver sur le papier, mais en pratique, c’est pas si facile à organiser, et c’est une grande voyageuse qui te le dit.
J’ai mis des années à roder mon sac à dos, à partir avec toujours trop, à enrager d’avoir à porter toutes ces choses dont je ne croyais pas pouvoir me passer. Et c’est au fil du temps que j’ai appris à n’emporter avec moi que l’essentiel, c’est-à-dire, ce que je suis absolument sûre d’utiliser.
C’est marrant, mais c’est justement le fait d'être une voyageuse au long cours qui m’a menée au minimalisme, dans ma vie de tous les jours, et encore plus en road trip.
Et tu sais quoi ? Quand t’as goûté à cette sorte de liberté, t’as plus la moindre envie de revenir en arrière.
Le minimalisme, c’est valoriser l'expérience au lieu de la consommation.
Se détacher du matériel, séparer le besoin de l’envie, se défaire du superflu. C’est claquer son fric pour du vécu, des expériences qui marquent à jamais, plutôt que des objets qui n’apportent aucune satisfaction durable. C’est garder en tête que si on part, loin, longtemps, c’est pour vivre et se sentir vivante, grandir et évoluer en s’adaptant, rester ouverte aux imprévus plutôt que d’être une psychopathe qui envisage toutes les situations à l’avance en farcissant son pauvre sac de trucs débiles “juste au cas où”.
Le minimalisme, c’est revenir à l’essentiel de l’humain, et transformer sa vision et surtout son expérience du bonheur.
Cet article va t’apprendre à préparer le sac à dos parfait pour un voyage en mode backpacker, dans n’importe quel pays du monde, qu’il dure quelques mois ou plusieurs années. Tu tiens ici la liste ultime de la vagabonde indépendante et libre, prête à fouler les chemins de la planète sans rien ni personne pour entraver son rêve en train de prendre vie, droit devant elle…
T’es prête, la desperada ?
Voilà ce que tu vas trouver dans la Check-list Parfaite de la Voyageuse Minimaliste :
Trousse de toilette spéciale baroudeuse écolo
Kit de survie de la warrior
Fringues de sauvageonne minimaliste
Équipement de base de la voyageuse aguerrie
Pharmacie no stress de la fille cool
Appareils numériques light
Camping et Trek bien réfléchis
Voyager avec son Âme, sa Chatte et son Couteau
(cette liste peut aussi convenir aux hommes, il leur suffira de retirer deux ou trois petits trucs)
Pour info, seuls les liens Amazon sont affiliés. Si tu passes par eux pour te procurer les articles vraiment cool que je te conseille, bah moi, ça m’aide à fond. A repartir en voyage, à amortir les frais de mon blog, et à publier mes livres, par exemple. Et ce, sans te coûter un centime supplémentaire. Alors n’hésite pas à cliquer.
D’autre part, tous les produits recommandés ici, je les ai testés en condition réelle, on ne me paye pas pour en faire la pub. Tu vas découvrir des sites bio et zéro déchet, des trucs Décathlon vraiment pas chers, et du matos de qualité qui te servira aussi dans la vie quotidienne.
Trousse de Toilette Spéciale Baroudeuse Écolo
On va pas se la jouer.
Quand on est une meuf, la trousse de toilette peut facilement devenir le pire fléau d’un trip, celui qui transforme ton sac en âne mort et ton dos en charpie.
Ouais, parce que c’est bien bon, de voyager, mais c’est-à-dire qu’on a envie d'être jolie quand même, aussi freestyle qu’on se prétende. Si par hasard on croisait la route d’un cowboy solitaire, on aimerait autant éviter de le faire fuir, quoi…
Mais laisse-moi te dire une chose, cocotte : y a carrément moyen d'être clean et belle sans se coltiner trois tonnes de produits de beauté. Si si.
Et au-delà de la légèreté de la liste qui suit, sa qualité essentielle est qu’elle se compose en majorité de produits zéro déchet, qui ne pourriront pas la nature si tu te laves dans une rivière en pleine jungle et ne généreront presque aucun déchet plastique.
Si tu voyages pour voir les beautés du monde, c’est pas pour le bousiller derrière avec ton gel douche crado et ton shampoing plein de silicone, pas vrai ?
L’avantage des produits qui entrent dans ma trousse de toilette spéciale baroudeuse écolo, c’est qu’ils sont solides, sans emballage, et qu’ils durent bien plus longtemps que la moyenne.
Avec eux, tu vas réduire drastiquement le poids de ton sac à dos, ton impact environnemental, et les merdes que tu te fous sur la tronche.
Visualise…
Une desperada super badass, qui se lave à la rude avec un bon vieux savon, se soigne aux huiles essentielles, se fond dans la nature comme une jolie sauvage, et sourit crânement aux pauvres filles bien synthétiques qui se traînent un sac à dos de la mort juste pour… rien, en fait.
C’est parti !
Savon de Marseille : Le vrai de vrai, à l’huile d’olive, fabriqué en France. Tu le coupes en trois, tu le mets dans une petite boite en métal, et t’es propre pour pas un rond, et ton linge aussi (ouais, y a rien de mieux pour laver les fringues, en plus).
Shampoing solide : Ça te fait des cheveux de ouf grâce aux poudres de plantes ayurvédiques, sans plastique ni dedans et ni dehors.
Brosse à dents en bambou Ecobamboo : Plus légère qu’une brosse en plastique, et carrément plus écolo quand tu la jettes.
Dentifrice solide Pachamamaï : Pourquoi transporter un gros tube de pâte alors que ce petit galet dure super longtemps, te fait les dents clean pareil et pèse que dalle, hein ?
Déodorant solide Pachamamaï : Adieu l’aluminium, celui-ci fonctionne très bien, et dure des mois.
Crème désaltérante Aroma-zone (ou n’importe quelle crème bio, en fait) : Celle-ci a l’avantage d'être très efficace avec juste une pression, sous n’importe quel climat (froid intense ou chaleur extrême) et la contenance du flacon t’assure plusieurs mois de tranquillité.
Baume à lèvres Aroma-zone : Très réparateur, sent super bon, dure longtemps malgré sa petite taille.
Huile essentielle Tea Tree et Lavande Aspic : Inutile d’embarquer cinq flacons d’huile essentielle pour parer à tous les maux, celles-ci sont multi-usage, et suffisent à soigner boutons, coupures, piqûres de moustique, coup de soleil, maux de gorge...
Brosse à cheveux Tek : Petite et légère.
Coupe menstruelle : C’est le moment de l’adopter, tu la vides deux fois par jour, pas de fuite, pas de déchets, pas d’achat de tampons.
Rasoir et lames de rechange : Un tout petit modèle.
Pince à épiler.
Coupe-ongles.
Optionnel :
Lingettes : Pas écolo mais ça dépanne, faut avouer !
Eyeliner et rouge à lèvres : Moi je prends, parce que j’aime être sexy même en plein désert.
Crème solaire et lotion anti-moustiques : A toi de voir. Sache quand même que les produits anti-moustiques vendus sur place seront toujours plus efficaces que les trucs français. Et perso, je mets pas de crème solaire.
Kit de Survie de la Warrior
L’aventurière qui se respecte doit être équipée pour l’indépendance et le mode survivor.
Et ça, ça passe par un petit équipement de base solide et sûr. Si tu veux rouler ta bosse de travelleuse hors des sentiers battus, dans des conditions parfois un peu hard, tu dois être en mesure d’assurer ta sécurité et dans une certaine mesure, ton confort.
L’idée n’est toujours pas de se charger d’un tas de gadgets soi-disant ingénieux dont tu ne te serviras à l’évidence jamais, style chargeur à énergie solaire, couteau-suisse de la mort (à quoi peut bien servir cette putain de pince ?!), ou encore loupe pour faire du feu, mais bien de faire le point sur le matos de base véritablement utile, auquel tu auras recours dans de nombreuses situations.
Avec la liste du kit de survie de la warrior, tu vas faire des économies et tu seras parée pour l’aventure !
Gourde Bambaw : Légère, en acier inoxydable, la plus économique du marché. Tu la remplis le matin à l’hôtel, tu fous une pastille de micropur dedans, t’attends une demi-heure, et tu peux boire n’importe quelle eau, sans acheter de bouteilles plastique. Mais le chlore du micropur, beurk ? Ouais, sauf que dans beaucoup de pays du monde, l’eau en bouteille que t’achètes n’est pas de l’eau de source, mais de l’eau purifiée. Donc ça revient au même, sauf que tu produis pas de déchet, et que t’es pas dépendante des magasins. Tu prépares ta gourde comme une grande et t’es tranquille pour la journée.
Serviette microfibre Décathlon : Ne pèse rien, sèche même pliée, et en très peu de temps.
Couteau Leatherman : Une marque sûre. Compact et maniable, tu gardes ce schlass toujours sur toi dans la poche de ton jean, et si un connard montre un quelconque signe de folie, tu le plantes.
Corde à linge : Pour faire sécher tes fringues lavées à la main, dans ta piaule à l’hôtel, en camping, ou en pleine nature.
Frontale Décathlon : Coûte que dalle, dure longtemps, indispensable dans beaucoup de situations.
Cadenas : Pour protéger ta piaule si tu débarques dans un hôtel pourri dont les portes ne ferment pas, ou encore ton casier dans un dortoir.
Guide Lonely Planet en broché : En broché, oui, pas en e-book. Seule entorse à la règle du poids, pour avoir testé les deux, fais-moi confiance, le vrai livre est indispensable. Plus facile à annoter, à feuilleter, et les cartes sont plus grandes et claires, ce qui s’avère extrêmement précieux pour tracer et visualiser ton itinéraire. D’une manière générale, oublie le Routard et autre Petit Futé. Les guides Lonely Planet sont des tueries. Ultra-documentés sur les hôtels (pour tous les budgets, même vraiment ric-rac), les restos, les prix des taxis, les horaires de bus, les parcs nationaux, les choses à faire et à voir, les climats des pays selon l’époque, les papiers utiles, la pharmacie, les maladies, la monnaie locale, les possibilités de parcours selon le temps que t’as devant toi, même hors des sentiers battus… Avec eux, tu peux pas te sentir perdue, même en voyageant seule.
Adaptateur prise universel : Oui, penses-y. Les systèmes électriques varient selon les pays.
Clé USB : Pour décharger tes cartes mémoires des photos, par exemple.
Carte de crédit N26 : Une banque en ligne allemande “spécial voyageur” avec plein d’avantages, même si elle coûte un peu cher chaque mois : tu peux payer avec sans frais, retirer du fric à frais réduit, t’as une assurance annulation de vol, rapatriement et compagnie pendant les trois premiers mois de ton voyage, l’application est parfaite pour checker tout de suite tes dépenses, tu peux changer le code, si on te la vole et retire du fric sur ton compte t’es assurée… Bref, tu m’as comprise.
Fourchette-cuillère 2 en 1 : Bien utile pour éviter les couverts en plastique et surtout manger ce que t’achètes au marché.
Briquet : En tant que fumeuse j’ai toujours le mien mais je précise pour les autres.
Ceinture cache pognon : Vraiment cool. Dis-toi que si tu voyages hors des sentiers battus, tu vas te balader avec beaucoup de cash sur toi, parce que tu vas faire le plein dans les grandes villes avant d’aller dans des petits villages perdus où y a pas d’ATM, et où, évidemment, les hôtels et restos ne prennent pas la carte. Donc tu plies tes billets en languettes et tu les planques dans la poche à fermeture éclair dissimulée dans la face cachée de la ceinture. Et surtout, en cas de vol de ton sac ou de ton porte-monnaie, t’as une petite réserve pour survivre et te payer un bus jusqu’à l’Ambassade ou un taxi jusqu’au commissariat. Perso, je laisse toujours au moins 100$ dedans.
Kindle ou Liseuse : Comme ça t’as toujours de quoi lire sur toi et tu peux même t’acheter des nouveaux livres avec une simple connexion wifi.
Permis de conduire international : Ça peut servir si tu comptes louer une caisse. C’est gratuit, faut juste faire la demande à ta mairie.
Carnet de vaccination : Même si on te le demande jamais, en fait, mais dans le doute, c’est pas ça qui pèse lourd. Les vaccins ne sont pas obligatoires, sauf la fièvre jaune pour le Brésil, alors à toi de voir.
Une boite de capotes !
Fringues de Sauvageonne Minimaliste
Ouais, là, on va rigoler. Mais t’es une vraie desperada ou pas ?
On a toujours tendance à embarquer trop de vêtements, histoire de parer à toute situation…
Mais il se passe un truc marrant quand on trace la route pendant un moment : petit à petit, on réalise qu’on s’en balance de remettre encore et encore le même T-shirt et le même jean, et à vrai dire on se sent de plus en plus à l’aise dans son uniforme de voyageuse à l’arrache.
Comme dirait Tyler Durden, mon héros minimaliste, tes fringues retrouvent leur fonction primaire : du tissu qui te protège, et basta. Tu t’aperçois que t’es toujours toi-même (et même peut-être pire que toi-même) sans tes habits de poupée censés te définir. T’en as plus rien à foutre, en fait.
T’es là pour vivre, pas pour paraître.
Alors résiste à l’envie de prendre des trucs en rab au cas où. Enfile ton jean, ton débardeur et tes pompes de guerrière, coche la check-list de la sauvageonne minimaliste et deviens une véritable badgirl qui se fond dans le paysage. Souviens-toi que tu n’es pas tes vêtements, définitivement.
1 jean : Quand tu le laves (pas trop souvent, garde la poussière, c’est plus cool) tu mets le legging.
1 short : Pour la plage et les climats hot. Évite de te balader avec en ville, joue pas les allumeuses, tu t'éviteras pas mal d’ennuis.
1 legging ou pantalon fluide : Pour être à l’aise à l’hôtel et éviter les moustiques dans la jungle.
2 débardeurs : Ça suffit. En coton, un peu lâches, tu schlingueras moins.
1 T-shirt : Le doudou que t’adores, c’est celui-là qu’il faut prendre.
1 polaire près du corps : Ça réchauffe bien.
1 gros polaire à fermeture éclair ou 1 sweat large à capuche, à foutre au-dessus du premier polaire : Pas besoin de manteau avec ça. Si t’as froid, l’idée est d’empiler les couches. Débardeur, T-shirt, premier polaire, second polaire, K-way… Ça fonctionne, tu verras.
1 K-way : Oui, même si tu pars pour les Tropiques. Ça flotte sa race, là-bas.
1 chemise : Utile pour dissuader les moustiques de te piquer ou éviter les coups de soleil, sans que ça tienne trop chaud.
3 paires de chaussettes : Ça suffit. Non, t’en changes pas tous les jours, t’es une desperada ou une chochotte ?
10 culottes : Oui alors là, comparé à beaucoup de minimalistes qui préconisent de n’en prendre que deux (une sur toi et l’autre lavée qui sèche), je dis non. Prends au moins une semaine de culottes d’avance. Tu vas voir, en pleine Amazonie, si l’unique autre culotte que t’as va sécher si vite, avec l’humidité ambiante. Et puis tu pars pas non plus pour faire ta lessive tous les jours et repartir avec du linge mouillé dans le sac. Nope. Tu feras ton linge tous les dix jours, dans un lieu qui s’y prête, où il fait chaud et sec de préférence. Et de temps en temps à la laverie, quand toutes tes fringues ont besoin d’un récurage intensif.
1 soutif : Un petit truc léger sans rembourrage, qui sèche tout seul.
1 brassière : Pour le cheval ou les treks.
1 paire de Havaïanas : Indispensable pour se laver dans les douches crados sans choper une mycose des orteils et traverser des rivières avec des cailloux qui piquent au fond.
1 paire de Birkenstock : Meilleure marque de sandales au monde, encensée par tous les voyageurs ! Solides, durables, confortables, tu vas les surkiffer, tes birk !
1 paire de chaussures de rando : J’aime bien les Salomon, surtout ce nouveau modèle. Elles sont un peu chères, mais le confort, la résistance et l’étanchéité sont garantis avec cette marque, et quand t’es partie pour un trek en pleine jungle, crois-moi, ça mérite l’investissement ! Prends-les pas trop montantes, c’est celles que tu vas mettre la majorité du temps, tu dois te sentir très à l’aise avec.
1 maillot de bain : Ou pas, on peut aussi se baigner en culotte noire.
1 Paréo : Plus léger qu’une serviette de plage, et puis tu fous pas du sable sur ta serviette de toilette comme ça.
1 casquette ou 1 chapeau : Que ce soit dans la jungle, le désert ou encore en haute altitude, un couvre-chef est bien souvent indispensable pour éviter l’insolation.
Équipement de Base de la Voyageuse Aguerrie
Après moult voyages et différents essais de sacs (comme tout le monde, j’ai commencé par le ridicule 80 litres qui pesait 18 kilos, carrément suicidaire, avant de parvenir à faire baisser la taille et le poids sur mon dos jusqu’à atteindre le 40 litres pour 8 kilos), j’ai fini par trouver LE SAC A DOS IDÉAL qui convient au trip au long cours que je pratique, et les astuces pour l’organiser de la façon la plus optimale possible.
L’idée sur laquelle tous les baroudeurs chevronnés se retrouvent est celle-ci : plus tu prends un gros sac, plus tu vas le remplir.
Et en voilà une autre : plus tu pars longtemps, moins tu prends d’affaires, parce que tu vas les laver ou les renouveler sur place.
Si tu vises de voyager léger avec moins de 10 kilos sur le cul, alors oublie ce fichu sac de 80 litres qui te fait de l'œil, et que tu te figures être celui des “vraies travelleuses”.
Nan, sans dec, oublie-le.
Déjà parce qu’il pèse en lui-même super lourd, ensuite parce qu’il coûte over cher, et enfin parce que c’est tout bonnement inutile.
Beaucoup de minimalistes aiment l’idée de prendre un sac qui passe en cabine, pour éviter la soute (plus rapide de repartir de l’aéroport, pas de risque de perte de bagages…).
Oui. Mais.
Si tu veux ton rasoir et ton couteau, bah t’es forcée de le mettre en soute, ton sac. Autrement ces enfoirés de l’avion te prennent pour une putain de terroriste. Et tu le prends, ton couteau, on discute pas. Je t’épargne la bombe lacrymo et le sifflet anti-viol, mais pas le schlass. Et pareil pour le rasoir. Hors de question d’acheter des merdes en plastique jetables sur place.
Donc on y va pour l’équipement de base de la voyageuse aguerrie :
Sac à dos Forclaz 40 litres Décathlon : Il est noir, il a pile-poil la bonne taille, il s’ouvre comme une valise pour éviter le boxon, il est confortable, il est pas cher, il est solide. Et il est livré avec sa housse de protection imperméable pour le protéger de la pluie et de la crasse des soutes d’avion ou de bus. Je te fais un dessin ?
Sacs organisateurs de voyage : Alors ça c’est une découverte que j’ai faite y a quelques années et dont je ne peux plus me passer ! Ces petits sacs en tissu de forme rectangulaire permettent d’organiser tes fringues facilement et de les ranger dans ton sac à dos sans que ce soit le bordel.
Petites trousses imperméables : Servent pour ranger tous les petits éléments : passeport, chargeurs et cartes mémoires, produits de toilette, médocs…
Petit sac léger et pliable : Indispensable. C’est celui que tu vas garder sur toi tout le temps, devant, comme un bébé kangourou, tandis que le gros sera derrière sur ton dos. Ce petit sac, tu mets tes objets de valeur dedans, appareil photo, fric, ordi, mais aussi guide de voyage et liseuse, parce que lui, tu l'abandonnes jamais. Quand tu prends un bus ou un avion, c’est le gros qui part en soute, surtout pas celui-là. Et ne le perds jamais de vue. Ne le mets pas dans les filets au-dessus des sièges du bus. Enroule-toi autour de lui si tu pionces durant le trajet. Et sache qu’il te servira aussi durant un trek. Les hôtels acceptent souvent de garder ton gros sac dans leur consigne si tu réserves une nuit à ton retour, et toi tu pars crapahuter avec juste le nécessaire dans ton petit sac tout léger.
Pharmacie No Stress de la Fille Cool
Je ne vais pas m’étendre indéfiniment sur la question des médocs.
Je me contenterai de dire que si tu suis les conseils des guides de voyage ou des toubibs, tu vas partir avec une trousse à pharmacie énorme et tu te serviras à peine de la moitié.
D’autre part, sache que dans beaucoup de pays, tu peux acheter les médicaments selon tes besoins, presque à l’unité, c’est-à-dire pas la boite entière comme chez nous, mais selon la durée de ton traitement. Et à un prix bien plus économique.
Et puis, il suffit de connaitre quelques bons remèdes naturels qui ont fait leurs preuves pour venir à bout des possibles désagréments que tu pourrais rencontrer sur place, style turista, parasites intestinaux et piqûres de moustiques.
Mais ça peut avoir un côté rassurant de se dire qu’on a ce qu’y faut sur soi, sans avoir à courir chez le médecin en cas de pépin. Un antibiotique à large spectre, par exemple, peut sauver la vie en cas de blessure grave si t’es perdue en pleine jungle…
Mais en vrai, tu crois que ça va t’arriver, ça ? Non.
Mais je ne suis pas docteur. Il est évident que si tu pars pour ton premier trip, tu seras tentée d’emporter avec toi tout ce qu’il faut pour parer à tous les maux de la Terre. Alors à toi de faire tes choix.
Dans cette pharmacie no stress de la fille cool, je te propose juste mes indispensables à moi, des choses auxquelles t’aurais pas forcément pensé, mais que ma pratique du terrain m’a apprises.
Pour le reste, check ton guide de voyage selon ta destination, demande conseil à ton doc, et avise.
Charbon actif : Un remède entièrement naturel pour venir rapidement à bout des problèmes digestifs et intestinaux, les intoxications de toutes sortes, et qui dézingue même les parasites les plus coriaces !
Argile verte : Parfaitement efficace contre la turista, inutile de chercher plus loin. Et puis tu peux t’en servir pour te faire un petit masque de beauté de temps à autre, et même soulager une entorse…
Antiallergique bilastine : Ça me sauve la vie quand je suis dévorée par les moustiques. Je ne suis pas le traitement complet. Je prends juste un cachet quand mes piqûres me démangent trop et recouvrent tout mon corps. Un cachet, et les boutons dégonflent, ça me gratte plus, ça passe. Je les économise, et n’en prends un que quand ça devient vraiment insupportable.
Paracétamol : Pour le mal de tronche ou la fièvre, c’est quand même important.
Les fameuses huiles essentielles de Tea Tree et Lavande Aspic conseillées plus haut, qui servent de désinfectant, cicatrisant, et possèdent des propriétés antibiotiques.
Sachet unique d’antibios pour infection urinaire : Dans les pays chaud et humide, c’est fréquent d’en choper une si l’hygiène est pas top et qu’on s’hydrate pas correctement. Et perso, ça me rend dingue. Je trouve ça invivable. Alors quand une cystite s’annonce, je prends le sachet, et c’est réglé.
Micropur, en pagaille : Un tout petit cachet à dissoudre dans l’eau, et tu peux BOIRE partout.
Appareils Numériques Light
Bon, pour ce qui concerne la high-tech, j’imagine que t’es déjà équipée et que tu te passeras de mes conseils.
Certains se contentent de leur smartphone pour tout, et il est vrai que de nos jours, ceux-ci font d’excellentes photos, permettent de surfer sur internet tranquille, d’écouter de la zic et compagnie.
Du coup, si tu comptes pas taffer sur place en mode digital nomad, je ne peux que t’inciter à ne prendre que ton smartphone.
Personnellement, je préfère avoir mon appareil photo Canon compact parce que j’ai besoin de clichés de qualité élevée pour mon blog (j’embarque toujours deux batteries pour pouvoir assurer).
J’ai aussi plein de cartes mémoires d’une très bonne marque, Sandisk (les autres se ruinent dans les climats hard, trop froids, trop chauds, trop humides, et tu perds tout, ça m’est arrivé, c’est affreux), de 32GB, ce qui m’évite de me limiter ou de me prendre la tête sur le stockage. Je mitraille à fond et je fais le tri une fois rentrée.
J’emmène aussi un PC portable très léger (non, pas un MacBook Air), un Asus pas cher qui pèse un kilo, pas plus, avec une bonne housse et basta. Mais c’est parce qu’en tant qu’écrivain, je travaille sur place. Si ce n’est pas ton cas, tu pourras très certainement t’en passer.
Avoir un ordi sur soi est toujours générateur de stress : peur qu’on te le chourre, peur qu’il s’abime, davantage de poids dans le petit sac que tu portes devant toi…
Bref, réfléchis bien à la question, et encore une fois, ne prends que l’essentiel.
Camping et Trek bien réfléchis
Selon le type de voyage que tu prévois, tu vas aussi peut-être avoir besoin d'équipement de camping.
Sache que tu peux toujours louer ce dont t’as besoin pour un trek sur place, à moindre coût, ce qui t’évite de trimballer une tente, un sac de couchage, un tapis de sol, un réchaud et des gamelles en permanence.
La vérité, c’est que peu importe combien light et compact peut se prétendre ce matos, il sera toujours lourd et encombrant, et te contraindra à prendre un sac plus grand, que tu te sentiras obligée de remplir de trucs “au cas où” jusqu’à l’escalade des fameux 18 kilos !
Mais voilà… Pour mon premier trip par exemple, j’ai décidé sur un coup de tête de me taper toute l’Argentine du nord au sud, mais j’ignorais que les tarifs des hôtels seraient bien plus élevés là-bas qu’au Pérou ou en Bolivie. Heureusement, j’avais ma tente ultra-légère et mon sac de couchage -10 degrés. J’ai acheté un tapis de sol sur place. Et je me suis fait tout le pays en camping. C’était une putain d’expérience, mais la contrepartie, c’est que j’ai maudit un milliard de fois mon sac à dos d’être si lourd…
Désormais, je ne prends plus ces équipements. En tant que minimaliste, je sais qu’en cas de nécessité, je louerai ou achèterai ce dont j’ai vraiment besoin sur place, en m’adaptant. Je préfère réagir au coup par coup, plutôt que de tout prévoir en amont.
C’est une autre manière d’envisager la vie.
Alors à toi de voir. Il existe de nos jours des équipements très légers, très compacts, mais qui sont franchement chers. Va chez Décathlon, tu verras.
Souviens-toi juste que pour voyager léger, tu dois être certaine de n’embarquer avec toi que ce que tu es absolument sûre d’utiliser.
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Carnet d’ayahuasca #14 : Quatorzième Cérémonie
Tous ces sons d'insectes, d'oiseaux, de branches et de feuilles. Entendre ça de cette façon-là, c’est inexplicable, la sensation que ça peut faire. Même le mot “connexion” semble faible pour décrire une telle chose. Les yeux fermés, je me suis accroupie sur le plancher en face du feu, et j’ai écouté, et écouté encore. Je pouvais plus sortir de cette écoute, et j’en avais pas envie. Le feu m’avait convoquée ici, j’en étais sûre, il m’avait fait sortir de la maloca intentionnellement pour que je vienne écouter la jungle. Qui avait fait ce feu ? Cette question me tarabustait un peu. Je savais qu’il s’agissait de quelque chose de... différent.
San Francisco, en pleine jungle !
Les oiseaux m’ont réveillée. Le matin dans la jungle, ça chante et ça sifflote dans tous les coins. L’air était frais, les moustiques plutôt calmes. J’ai bu un peu de flotte en me fumant un mapacho, puis je me suis lavée dans la douche dehors en frissonnant, puisant des baquets d’eau dans le seau prévu pour ça et m’aspergeant avec.
D’après ce que m’a dit Wish, l’eau courante ne vient que deux fois par jour, et quand c’est le cas on remplit des seaux en prévision des coupures et surtout des bouteilles d’eau filtrée. Ici au Pérou ils ont un ingénieux système de filtration au charbon qui se pose direct sur le robinet. L’eau coule lentement, mais elle est pure, alors on peut en faire des réserves.
C’est très sommaire, ici, mais y a quand même des toilettes sèches et une cuisinière au gaz disposée sur le sol en terre, à côté d’une table en bois, sous un toit de palme. De toute façon pour le peu que j’ai le droit de bouffer, ça fera l’affaire.
Quand Wish s’est levé on a été faire un tour au village. Les habitations s’étendent sur les bords de la piste principale, et tout au bout, il y a un pont immense qui survole la jungle et mène à un ponton où on peut se baigner dans le fleuve. Inutile de dire qu’on en a bien profité.
L'après-midi, on a été récolter des plantes avec Wish. Il a taillé à la machette la racine suspendue de la Numan Rao, qui pousse à l’extérieur du sol et s’accroche aux autres arbres, plante maîtresse que je vais diéter en plus de l’ayahuasca.
De retour, on s'est mis à gratter l'écorce, pour ensuite peler la partie marron jusqu'au blanc tendre du bois. Ensuite il a coupé les différents morceaux en tronçons, les a taillés en deux.
La diète de la Numan Rao se fait de deux façons : on boit l’eau dans laquelle a macéré l’écorce, et on se lave avec les autres parties. C’est ce qu’on appelle un bain de plantes. Pas de savon, pas de shampoing, mais de l’eau infusée à froid avec la plante maîtresse, mais aussi des feuilles, des racines, des fleurs et du citron vert, récoltés directement sur le terrain du chaman. On peut pas faire plus zéro déchet. Et ça sent bon !
On s'est arrosés avec la préparation, sans se sécher derrière, en laissant les feuilles collées à nos corps. Quelques temps après on a bu la tisane. Ça sent la cannelle et le clou de girofle, et c’est super bon.
Je la prends trois fois par jour. J'ai dit à la plante que j'entamais une nouvelle diète et que je voulais aller plus loin dans la medicina.
La Numan Rao est une plante à l’esprit féminin, qui ouvre à l'amour, apaise et donne confiance. En me baignant avec et on la consommant régulièrement, le but de la diète est d’incorporer son essence.
Ouverture de diète
Intention : Réveille mon moi profond, fais-moi aller plus loin dans le monde de la Medicina
Wish m'a donné une petite tasse d'ayahuasca. Tant mieux, parce que celle-ci contenait des morceaux... Je sais pas si c'est un bug dans la cuisine, mais déjà qu’en temps normal cette sacrée potion est infâme, là c’était carrément hard d’en venir à bout sans gerber direct.
Les visions ne sont pas vraiment venues. Mais j'ai vécu quelque chose d'intense, et de très intéressant.
J'ai commencé par sombrer dans une transe très lourde, qui m'a contrainte à m'allonger. Mais comparé à d’autres cérémonies où cette station couchée t’embarque dans les tunnels de ton subconscient, à lutter contre des visions vertes électriques démoniaques, cette fois-ci, ça n’a pas été un calvaire. Je me sentais au contraire pleine de force et très déterminée.
Sans savoir pourquoi, j’ai ramené mes bras devant moi, pour les croiser devant, chaque main sur une épaule, comme un chef Indien des plaines du Dakota, et d’une manière ou d’une autre j’ai compris l’importance et surtout la signification de cette position.
Ce moyen de s’affirmer, cette attitude de guerrier. Je l’ai tenue longtemps, complètement connectée aux icaros, recevant leur pouvoir sans vaciller.
Je me suis redressée pour vomir puis je suis restée assise, très centrée, très droite, dans une posture de méditation incroyable. La rectitude de ma colonne vertébrale était d'une intensité merveilleuse. Je me suis étirée, j'ai apposé ma main sur mon front, comme je le fais fréquemment désormais, mes épaules se sont secouées d’elles-mêmes comme souvent aussi quand mes ailes se mettent à percer.
Et là, j’ai aperçu des flammes dehors. Quelque chose de rouge dansait à côté de la maloca.
C’était quoi encore, ce délire ? J’ai regardé Wish, mais il était silencieux et semblait plongé dans une méditation profonde, alors j’ai rien dit et suis sortie voir, croyant que l'encens anti-moustiques était en train de faire flamber le plancher devant les chiottes.
Il y avait un feu dehors, juste en face de l'endroit où s’arrête le plancher. Un petit feu entouré de pierres. Qui en était l’auteur, et pourquoi les flammes s’étaient soudain élevées comme ça ? C’était la première fois que je sortais dehors durant une cérémonie, en étant encore mareada.
Et alors, j'ai entendu la forêt. Le vrai chant de la Selva.
Tous ces sons d'insectes, d'oiseaux, de branches et de feuilles. Entendre ça de cette façon-là, c’est inexplicable, la sensation que ça peut faire. Même le mot connexion semble faible pour décrire une telle chose.
Les yeux fermés, je me suis accroupie sur le plancher en face du feu, et j’ai écouté, et écouté encore. Je pouvais plus sortir de cette écoute, et j’en avais pas envie. Le feu m’avait convoquée ici, j’en étais sûre, il m’avait fait sortir de la maloca intentionnellement pour que je vienne écouter la jungle. Qui avait fait ce feu ? Cette question me tarabustait un peu. Je savais qu’il s’agissait de quelque chose de... différent.
Je suis restée un très long moment dehors, les yeux ouverts ou fermés, hypnotisée par le son, tous ces croassements, ces vrombissements, ces grésillements… Les flammes ont disparu, il restait plus que deux braises qui me regardaient. Les yeux du serpent.
Leur envoûtement était d’une puissance rare, paralysante, et je les regardais la bouche ouverte, complètement déchirée par la transe, en continuant à écouter. J’étais capturée, perdue dans ces yeux rougeoyants, branchée sur la selva, et c’est seulement quand les braises se sont éteintes que je suis revenue à mon corps.
Je suis retournée à l’intérieur me chercher un mapacho mais fallait que je ressorte, c’était trop beau dehors, j’étais trop bien là-bas. C’était là-bas que ça se passait. Jamais de ma vie, même avec tout ce que j’avais vécu, j’avais été à ce point possédée par quelque chose.
J'ai songé qu'il faudrait que je le mette dans le livre. Quand la forêt appelle Travis, dès qu'il ferme les yeux. C'était ça qu'il devait ressentir. Et aussi qu'il faudrait que ça lui arrive durant une cérémonie. J'avais des pensées très profondes au sujet de Borderline. Je vais devoir m’atteler à transcrire tout ça.
Assise dehors, pompant avidement mon mapacho, j’ai entendu Wish entonner cette fameuse chanson à la guitare, celle qui dit : Antes yo vivía, perdido perdido. Pero Raíz de la Tierra, su misterio me ha cambiado (avant je vivais perdu, perdu, mais, Racine de la Terre - l’ayahuasca donc - ton mystère m’a fait changer). Et moi aussi, depuis mon plancher face à la forêt, j'ai commencé à chanter. À force, je connais tous ses morceaux. Mais j’ai été interrompue par quelque chose qui s’est mis à siffler, longuement, dans les arbres devant moi.
Bien sûr je savais pas de quoi y s’agissait. Cet esprit siffleur (dont Wish m’avait parlé quelque temps auparavant) ou quoi que ce fût ne semblait pas mauvais mais sa présence était tout de même dérangeante pour moi. C'est ma première rencontre avec un esprit. Et puis y a eu de plus en plus de sons que je parvenais pas à identifier, à rattacher à des trucs qui existeraient dans la réalité ordinaire.
Quelque chose qui approchait. Des branches cassées. Des courants d’air. Des pas.
J’ai résisté tant que j’ai pu, mais la peur a fini par prendre le dessus et j’ai préféré rentrer dans la maloca, demandant direct à Wish qui avait fait ce putain de feu. Il en savait rien, mais ça avait pas l’air de le traumatiser. Il se conduisait comme si rien d’anormal ne se produisait en ce moment même là-dehors.
J’étais animée de l’étrange certitude que ce feu n’avait existé que pour moi, que pour me convoquer dehors, et l’absence de réaction de Wish ne faisait rien pour m’en dissuader. Quand je fermais les yeux, je voyais encore le chant de la jungle. Je le voyais dans ma tête, et je me demandais comment c’était possible de ne pas le voir, en fait. Comment j’avais fait pour ne pas être possédée par lui plus tôt.
J'ai pensé à l'esprit de mon livre, à la façon dont il tourne autour de la maloca. J'étais un peu paumée, et j'en venais même carrément à douter de l'existence du feu. Je me demandais si, comme dans ma saga, au petit matin, il n'y aurait plus aucune trace de lui.
On a parlé des esprits avec Wish. Il m’a fait remarquer qu’y avait deux esprits siffleurs, celui que j’avais entendu et un autre un peu plus loin. L’autre esprit que j’avais capté, celui qui détruisait les branches, était selon lui une entité ambiguë. Il m’a appris qu’y avait des tombes pas loin, et un petit étang qui possédait aussi son esprit, sans compter les iboros, gardiens de la selva, qui pouvaient souhaiter me rencontrer, ou ne faisaient que passer.
Il est sorti pisser en me lançant par-dessus son épaule :
- A ver si los duendes me llevan a mi (voyons voir si les gardiens m’emportent, moi).
Il est revenu sans dommages.
On papotait depuis un moment quand les flammes ont repris dehors. Grâce à la lumière qu’elles produisaient, j’ai vu qu’y avait plein de nouvelles branches dans le feu. Là, j’ai vraiment eu un raté.
- C’est pas vrai, putain, c’est toi qui viens de remettre du bois dans le feu ?
- Carrément pas.
J’étais sidérée.
- Tu sais une fois une de mes cousines a accouché et on a trouvé plein de nourriture et d’offrandes pas loin de la maison dans les bois, et je peux te jurer que ça venait d’aucun d’entre nous. C’est comme ça. Les esprits font ce genre de chose, parfois.
Il m'a raconté pas mal d'histoires datant de l’époque de son apprentissage, les initiations qu’il a faites ici même, pour devenir chaman, auprès de son grand-père. J'adore ces moments où on cause tous les deux comme ça. Les souvenirs et le vécu qu’il me transmet sont d’une rareté et d’une richesse inouïe.
Ce matin on s'est purgés à la hierba luisa, sorte de grosse tige d’herbe verte qui pousse sur le terrain de sa mère, et qu’elle a préparée pour nous, de bon matin. Une bassine de 10 litres pleine devant toi, un pichet de plastique à la main, tu plonges ton truc dedans, et tu bois, tu bois, tu bois. Au bout de cinq pichets tu te mets à vomir le trop plein. Un dégueulis bien clean, un peu mousseux. Tu mouches du nez, aussi. Ça sort de partout. Et puis tu rebois, encore et encore, jusqu'à ce que ta bassine soit vide.
De la purge pure et dure.
Mais voilà comment ça marche, une diète. Faut que le terrain soit propre.
© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés
Carnet de Route #15 : Un Mois et Vingt Jours
Moi je m’occupe des capucins, y en avait trois au début, bientôt prêts à être relâchés en pleine nature, afin qu’ils reprennent leur vie libre, et puis le petit dernier est arrivé, Danielito, clairement traumatisé et effrayé au dernier stade. Il s’est de suite pris d’affection pour moi et donc je passe ma journée avec lui sur le dos en train de m’étouffer avec ses petits bras qu’il tient crochetés autour de mon cou, à serrer comme un maboule dès qu’un autre singe fait mine de s’approcher ou que je fais un mouvement trop brusque, et surtout à me pisser dessus chaque fois qu’il a trop peur (c’est-à-dire quinze fois par jour).
Mon pote l’Anglais s’en va et moi je taffe avec les singes
L’Anglais et moi, on était devenus pas mal pote. On avait vite pris l’habitude d’aller dîner ensemble le soir, au Puma, le resto du village où se retrouvent tous les volontaires, et de se taper deux bières (les modèles extra-larges qu’ils servent ici) qu’on partageait l’une après l’autre. Ils passent toujours de la bonne musique dans ce rade, notamment du jazz qu’il adorait, et c’était un putain de bon moyen de décompresser après les journées éreintantes qu’on se cogne dans la jungle. On parlait de plein de trucs, du processus artistique, de comment changer sa vie. Il m’a dit un truc qui m’a marquée au sujet de la création, quelque chose que j’avais pas capté toute seule. Je sais plus trop comment, mais je lui ai demandé pourquoi les génies et les fous étaient si souvent associés et confondus. Selon lui, c’est parce que ces deux types de personnes sont capables de se concentrer si totalement sur leur vision que le monde alentour finit par disparaître. Ils savent se dédier tout entiers à une chose unique, qu’eux seuls peuvent percevoir, mais qui acquiert pourtant une importance telle sur leur vie qu’ils en oublient de manger, de dormir, ou encore d’entretenir un quelconque rapport humain ou social. J’ai trouvé ça beau, et pertinent. Je crois que j’aimerais devenir ce type de personne.
Hier c’était son dernier soir et je suis tombée sur lui, assis sur un banc du village avec une bouteille de rouge, en train de regarder ce qu’il avait filmé avec les singes du Mirador, sa place à la réserve. Je me suis assise avec lui et on a sifflé la bouteille à deux, ce qui était en définitive la meilleure façon de se faire des adieux en bonne et due forme. C’est comme ça les voyages. On se croise, on squatte la même fréquence quelque temps, et puis chacun reprend sa route, s’en va poursuivre ses propres chimères, tracer une nouvelle ligne droit devant.
J’ai les boules qu’il se soit barré, maintenant je partage ma piaule avec un Australien qui ressemble à un Marine, exactement le style de mec que je peux pas saquer.
Je taffe avec les singes moi aussi désormais, au Monkey Park, là où se trouvent les spécimens les moins agressifs, que les locaux peuvent venir visiter comme dans un zoo. Des singes, y en a aussi en bas, une trentaine, près de la clinique vétérinaire. Des pauvres petits bonhommes dans des cages, traumatisés ou malades, qui nécessitent des soins constants, et d’autres encore au Mirador où travaillait l’Anglais. Des singes araignées, très violents pour cause de mauvais traitements encore une fois, les noirs avec des longs bras et des longues queues.
Moi je m’occupe des capucins, y en avait trois au début, bientôt prêts à être relâchés en pleine nature, afin qu’ils reprennent leur vie libre, et puis le petit dernier est arrivé, Danielito, clairement traumatisé et effrayé au dernier stade. Il s’est de suite pris d’affection pour moi et donc je passe ma journée avec lui sur le dos en train de m’étouffer avec ses petits bras qu’il tient crochetés autour de mon cou, à serrer comme un maboule dès qu’un autre singe fait mine de s’approcher ou que je fais un mouvement trop brusque, et surtout à me pisser dessus chaque fois qu’il a trop peur (c’est-à-dire quinze fois par jour). Je subis ça d’une façon relativement stoïque. Ce gosse a besoin d’être rassuré, et il va mettre du temps à s’adapter, à trouver ses marques et s’émanciper un peu.
Malgré tout, c’est génial d’être au milieu de ces petits êtres et d’essayer de communiquer avec eux, même si ça représente un taff épuisant de s'en occuper. Le matin quand on arrive, on prépare les seaux de fruits qu’on monte tout là-haut dans la jungle où se trouve le Monkey Park. Sur le chemin faut faire gaffe de pas se faire agresser par les singes sauvages bien évidemment attirés par la bouffe, et notamment ne surtout pas regarder l’Alpha Male de cette petite troupe dans les yeux, car il y verrait un signe de provocation et pourrait nous mordre et nous déchirer les tendons du poignet comme il l’a fait avec un ancien volontaire. Arrivé là-haut, on vide les seaux dans les mangeoires et toute la jungle se précipite pour bouffer, ce qui est toujours agréable à regarder : singes-araignées, capucins, singes-écureuils et oiseaux font disparaître la tonne de fruits en quelques minutes, et nous pendant ce temps-là on est censés nettoyer les cages des capucins et des gros singes qu’on ne libère que le temps du repas. Leurs cages sont dégueulasses, de la merde partout, et faut y aller à grandes eaux sans jamais parvenir à un résultat satisfaisant… Un truc qui me chagrine : les singes ont des bouts de tissu en guise de couette ou de doudou, et chaque jour on doit les laver à la javel pour éviter les parasites et les infections, mais l’eau des bacs où on les lave va directement… dans la rivière, ouais, celle qui passe sous le pont. Faudra m’expliquer le délire… J’ai de plus en plus de mal à le faire, et je vois pas l’intérêt de sauver des animaux pour pourrir chaque jour l’écosystème où on est censés les relâcher ensuite…
Bref, une fois les cages propres, on balade les singes en laisse dans la jungle histoire qu’ils se défoulent un peu. J’adore les voir courir, grimper aux arbres, puis sauter sur mes épaules, m’agripper, jouer entre eux. Puis c’est déjà la pause de midi, on les remet en cage, on descend bouffer, et au retour rebelote les seaux de fruits et la promenade. Et puis c’est la fin de journée et tant mieux parce que fatalement après tout ça, avec la chaleur, l’humidité, la pluie, les sand-flies (pire que les moustiques, c’est des espèces de petites mouches qui piquent à tout heure du jour et laissent des marques rouges qui démangent sa mère à fond), la pisse de singe dans le dos, les bottes lourdes de terre, et le crapahutage dans la jungle, t’en peux plus.
Mais je regrette pas d’avoir décidé de squatter un mois dans cet endroit. C’est une réelle immersion dans ce pays, une manière vraiment unique de vivre et ressentir la Bolivie et l’Amazonie que j’aurais pas connue autrement. Et puis maintenant je sais ce que c’est une averse tropicale, ça dure des nuits entières sans faiblir, ça tonne comme si c’était la fin du monde, et tes fringues puantes pleines de merde de singe, tes chaussettes pendues devant la fenêtre de ta piaule sur un pauvre fil accolé à la moustiquaire ne veulent pas sécher, alors tu mets et tu remets le dernier T-shirt qui te reste jour après jour et ça schlingue à mort mais tu t’en branles puisque tout le monde sent aussi fort que toi. Au fond j’adore être fringuée n’importe comment, sentir la sueur, être couverte de boutons d’insectes et transpirer sans faire même y faire attention parce que maintenant je suis habituée à ce climat de fou.
Et je veux jamais oublier la sensation de plénitude que j’éprouve chaque matin aux aurores, quand je traverse le pont pour aller bosser, et chaque soir après ma journée de taff, quand je suis lessivée et dégueulasse pour rentrer à Vegas. Lessivée mais heureuse, apaisée, comme je l’ai jamais été de ma vie. Comme si j’étais là où je dois être, et c’est tout. Je veux pas oublier ça.
© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés
Hunter S. Thompson : La Voie du Gonzo
Hunter S. Thompson, c’était un malade. Le journaliste le plus déjanté que la Terre ait jamais porté. Ses articles écrits à la première personne, ultra-subjectifs, ressemblent au délire hallucinatoire d’un chtarbé en phase aiguë de delirium tremens. Et pourtant… Si ce mec est devenu l’icône la plus freestyle de la contre-culture, une véritable idole pour tout misérable journaleux affublé d’une machine à écrire, c’est pas pour rien. Sa plume sauvage et incendiaire, son style légendaire et inimitable, et sa vision sarcastique unique d’une Amérique au moins aussi dépravée que lui ont fait de lui le Freak le plus incontournable de tous les temps…
Hunter S. Thompson, c’était un malade. Le journaliste le plus déjanté que la Terre ait jamais porté.
Ses articles écrits à la première personne, ultra-subjectifs, ressemblent au délire hallucinatoire d’un chtarbé en phase aiguë de delirium tremens. Et pourtant…
Si ce mec est devenu l’icône la plus freestyle de la contre-culture, une véritable idole pour tout misérable journaleux affublé d’une machine à écrire, c’est pas pour rien.
Sa plume sauvage et incendiaire, son style légendaire et inimitable, et sa vision sarcastique unique d’une Amérique au moins aussi dépravée que lui ont fait de lui le Freak le plus incontournable de tous les temps.
Quand on tient un blog qui cause liberté, desperados, art et dope, à un moment ou à un autre, notre fameux Docteur en Journalisme Gonzo s’impose comme une évidence (en fait je pense à lui depuis le début, ce qui fait de lui une sorte de Père Fondateur, j’imagine). Et puisque, selon ses propres mots, quand on démarre un plan drogue, la tendance, c’est d’y aller à fond, je vais pas vous ménager.
Qui était Hunter S. Thompson ?
Vous allez tout savoir sur ce journaliste complètement barré, accro à la dope et au Wild Turkey, qui maniait la plume aussi bien que les flingues !
A la fin de cet article, vous vous demanderez comment vous avez fait pour vivre jusque-là sans jamais avoir goûté à la distorsion de la réalité que ce mec crée tout autour de lui partout où il passe…
Et si vous n’êtes pas trop bêtes, vous vous procurerez les livres de ce reporter désaxé aussi imprévisible que réjouissant.
Buy the ticket. Take the ride.
GONZO, WHAT THE FUCK ?
Le vrai reportage gonzo exige le talent d'un maître journaliste, l’œil d'un photographe artiste et les couilles en bronze d'un acteur.
Si le terme Gonzo était un arbre, alors Hunter S. Thompson serait le chien qui a pissé tout autour pour le marquer comme son territoire, observant d’un œil amusé les autres cabots tentant timidement de s’en approcher.
Ce n’est pas lui qui a inventé ce mot, mais seul lui est parvenu à en faire sa marque de fabrique, jusqu’à devenir son unique représentant et porte-parole.
Gonzo, c’est le dernier poivrot encore debout après une nuit de biture, celui qui continue à saouler ses potes écroulés sur le comptoir ou accrochés à la cuvette des chiottes avec ses monologues décousus, demandant à 7h12 du matin où se trouve l’after. Quand on connaît la descente légendaire qu’avait ce mec, qui vivait quasiment une bouteille de Wild Turkey à la main, on peut dire que ça lui va bien.
Mais Gonzo, c’est surtout une forme de journalisme.
Ouais, avant d’être écrivain, Hunter était surtout journaliste, et c’est d’ailleurs ce qui le caractérise le mieux, ayant toujours galéré à pondre une œuvre qui n’ait été commandée par un quelconque journal auparavant. Mais vu sa personnalité tapageuse et insoumise, fatalement, quand H.S.T. part pour un reportage, on ne peut pas s’attendre à recevoir un article propret et ordinaire.
C’est simple, ce mec n’a jamais été sage. Même tout gosse, c’était un vrai fils de pute : mise à sac de stations-service, faux kidnapping, destruction de boîtes aux lettres… Et puis plus tard à l’armée, en tant que chroniqueur sportif, où il a commencé à développer son style subjectif, bien loin du ton basique et détaché des revues habituelles, affirmant haut et fort ses opinions politiques alors qu’on lui avait rien demandé, jusqu’à se foutre à dos toute la base… Comme le dit McKeen, son biographe, dans Hunter S. Thompson Journaliste & Hors-la-loi :
Il incarne un personnage de journaliste moderne, toxicomane et déjanté, qui n’hésite pas à se mettre en scène comme l'élément principal de ses reportages.
Et c’est justement ça le pivot de l’histoire : dans tous ses articles, Hunter S. Thompson est au centre du récit.
Bien loin d’un reportage qui se veut rationnel et impartial, animé d’un ton impersonnel pour coller au plus près des faits, ce mec aimait se retrouver en plein milieu du truc, impliqué jusqu’au cou. Pire encore, ses reportages, invariablement, finissaient par devenir la furieuse épopée désespérée d’un pauvre journaliste accablé par l’ampleur de sa tâche (et probablement aussi par toute la dope qu’il s’enfilait), à moitié incompétent et toujours complètement à balle, luttant pour parvenir à faire son boulot.
En d’autres termes : trouver l’histoire devenait l’histoire elle-même. Et Hunter se retrouvait à écrire sur la difficulté d’écrire.
Mais au fond, cette manière carrément nouvelle d’aborder le journalisme lui offrait un avantage certain sur ses confrères. Au-delà de son style survolté et de ses aventures déchaînées (que les lecteurs adoraient), son angle d’attaque l’autorisait à poser des questions bien loin des clichés langue de bois et de la nécessité de citer ses sources, qu’il en profitait pour remettre en question, d’ailleurs. En gros, il transformait ses lecteurs en complices, se rapprochant d’eux, les faisant entrer dans la danse de la collecte des faits.
Ce dont je parle, dans le fond, c’est de la Réalité Mécanique du Journalisme Gonzo… soit la Subjectivité Totale par opposition à cette exigence bidon d’Objectivité.
Sous ses faux airs de timbré à la masse peinant à “couvrir l’évènement”, H.S.T. était en réalité un génie de l’audace et de l’astuce. Et surtout, un très sérieux citoyen, vraiment au fait de la politique, et engagé, de surcroît. Mais le truc, c’est qu’il osait dire (et même crier) la vérité, révélant les aspects les plus immondes des politiciens et des Américains en général. Même si ouais, on se souvient surtout de lui pour ce personnage hilarant qu’il dépeignait lui-même ainsi : journaliste au bout de sa vie, sans cesse tourmenté par les délais, barattant un article, fourrant du charabia tordu dans le Mojo Wire (sorte de faxe), victime de deadlines brutales, à la merci d’éditeurs sauvages et obscènes à l’autre bout de la ligne.
RAOUL DUKE, ALTER (ATION D’UN) EGO
Un journaliste plongé dans le gonzo est comme un junkie ou un chien minable ; il n’y a pas de remède connu.
Ceux qui ont lu ou vu Las Vegas Parano (adapté au cinoche par Terry Gilliam avec Johnny Depp en Thompson et Benicio del Toro en Acosta) n’ont pas pu oublier ce fameux Raoul Duke, alter ego d’Hunter, nom de plume sous lequel il écrivait souvent.
Si vers la fin de sa vie ce personnage lui a franchement couru sur le haricot (d’une, les fans étaient incapables de faire la différence entre lui et le vrai Hunter, et attendaient de lui qu’il se comporte exactement comme ce dégénéré irrécupérable. De deux, Duke s’est transformé en personnage d’une bande dessinée, Doonesbury de Garry Trudeau, sorte de drogué patibulaire largement inspiré par l’aspect public de Hunter, ce qui avait le don de le pousser à la limite de l’effondrement nerveux pour cause de rage infernale), il avoue lui-même que cet alter ego était le véhicule adéquat pour s’exprimer. Et chez H.S.T., ce terme signifie “dire ce que personne d’autre n’oserait dire”.
C’était moi qui parlais, vraiment. C’était mes citations.
On n’en doute pas, vieux, et c’est d’ailleurs ce qui fait que sa voix était unique et si remarquable.
A cette époque (les années 60, en gros), le Nouveau Journalisme émergeait, avec des gens comme Tom Wolfe par exemple (je ne peux que vous inciter à lire Acid Test. Vraiment.), figure de proue incontestée qui a entraîné Norman Mailer et Truman Capote dans son sillage, marquant une ligne bien nette avec le journalisme de base. Des enquêtes nerveuses, des reporters immergés jusqu’à la gueule dans l’évènement, possédant leur propre ton, leur propre vision dénuée de cette recherche acharnée d'objectivité chère au journalisme mainstream ennuyeux au possible.
Mais même au sein de cette mouvance, Hunter S. Thompson était différent, “métayer du Gonzo”, traçant sa propre route, n’écoutant que sa muse à lui. En vrai autodidacte qu’il était, il ne copiait personne.
Et ça marchait. Ça marchait même du feu de Dieu. Quand Jan Wenner, directeur et rédacteur en chef du magazine Rolling Stone, a enfin reconnu son potentiel (et le fric qu’il pourrait se faire grâce à lui), après des années de vaches maigres et de lutte frénétique auprès des éditeurs et directeurs de feuilles de choux, la carrière d’Hunter a fusé vers le firmament jusqu'à le transformer en légende. A partir de là, les lecteurs étaient accros.
Peu importe ce qu’il écrivait, parce que peu importait l'évènement qu’il était supposé couvrir : l'évènement, c’était lui.
Il écrivait sur les difficultés qu’il y avait à être lui, et les gens en redemandaient. Ça, c’est du génie. Quand le style d’un auteur est si percutant, sa vision du monde si unique, que tout ce qui compte, c’est sa manière de raconter, même s’il s’agit de la foire au bétail d’un bled de L’Iowa.
Le seul compte-rendu qu’il avait à faire, en définitive, c’était sur lui-même. Et connaissant les propensions du bonhomme à provoquer une tornade n’importe où qu’il aille, on savait que tout finirait mal, et que lui-même finirait presque à terre, accablé de malchance, assailli par les bizarreries d’un monde encore plus fou que lui, à s’acharner pour écrire un papier dont le sens primaire s’enfuyait de plus en plus loin…
Hunter entraînait ses lecteurs dans sa folie. Et à ses côtés, le monde changeait radicalement de face.
ALCOOL, DROGUE ET DEPRAVATION
Je déteste me faire l'avocat des drogues, de l'alcool, de la violence ou de la folie, mais en ce qui me concerne, ça m'a toujours réussi.
Ouais, H.S.T. se défonçait et picolait pour de bon. Peut-être pas autant que ce fameux Raoul Duke (il a lui-même admis que Las Vegas Parano est une fiction qui n’a pas été écrite sous l’emprise de la drogue), mais vraiment pas loin derrière.
Quelqu’un l’a décrit comme un croisement à demi-fou entre un ermite et un diable de Tasmanie. L’image me semble rudement bonne.
Imaginez un mec qui se lève vers 16h de l’après-midi, demande à sa femme de lui faire un petit-déj monstrueux à base d’œufs brouillés, de saucisses et d’une demi-douzaine de pamplemousses, qui passe le reste de l’aprem dans son transat à fumer des clopes, des joints et à s’enfiler quatre sortes d’alcool, avant de se traîner vers sa machine à écrire, vers 2 ou 3 heures du matin, en continuant à picoler et en s’enfilant des amphés jusqu’aux petites heures du jour, pianotant comme un acharné, et ce, parfois, pendant des jours et des jours d’affilée sans dormir, aussi. Voilà.
On dira ce qu’on voudra, mais Hunter était quand même une sacrée machine de guerre, à tel point que Ralph Steadman, célèbre illustrateur gallois connu pour ses caricatures outrancières, hideuses et hilarantes, qui lui a servi d’acolyte pour plusieurs reportages, était soulagé de ne pas partir avec lui pour Vegas, tant il craignait de ne pas en revenir (faut dire qu’une fois H.S.T. lui avait fourgué de l’acide sur un bateau et ça avait dégénéré, sans compter la démence qu’avait été le premier évènement qu’ils ont couvert ensemble, le Derby du Kentucky).
Parlons-en, de Las Vegas Parano, “une équipée sauvage au cœur du rêve américain”.
A la base, l’idée (officielle) était d’écrire un article sur la Mint 400, course de moto dans le désert du Nevada, puis sur une convention de procureurs anti-drogue, et, enfin, on sait ce que ça a donné… Oui, l’œuvre la plus folle et la plus aboutie de Thompson, accompagné d’Oscar Acosta (son Avocat a vraiment existé, et je vous recommande de lire Mémoires d’un Bison, seule œuvre de ce mec disparu une nuit en mer alors qu’il était à bord d’un cargo de contrebandiers entre le Mexique et les States, et par ailleurs activiste intraitable du Chicano Power et brillant avocat), que Hunter décrit en ces termes :
Un dangereux voyou avec une tête pleine d’acide Sandoz, un 357 Magnum chargé la ceinture, un homme de main/garde du corps toujours à ses côtés, et la déconcertante habitude de vomir sous la véranda, comme des projectiles, des geysers de sang rouge vif toutes les trente ou quarante minutes, ou chaque fois que son ulcère ne pouvait plus accueillir davantage de tequila.
Grâce au personnage fictif de Raoul Duke, Hunter repousse bel et bien toutes les limites du Nouveau Journalisme, comme le dit son biographe, et Las Vegas Parano est devenu ce récit spectaculairement déjanté de la quête du rêve américain, avec un narrateur au cerveau bouffé par les drogues, qui ne dormira pas tout du long de la semaine de cette terrible aventure journalistique. Et si écrire a toujours été compliqué pour ce Gonzo Boy, en rédigeant Vegas, il a déclaré se sentir comme défoncé :
Je n’ai pas encore trouvé de dope qui vous fasse monter aussi haut qu’être assis à un bureau à écrire.
Et j’ajouterai que lire ce bouquin déclenche le même effet.
Le fait est que bien peu d’artistes sont en mesure d’assumer pleinement, voire d’incarner véritablement, le personnage ou l’alter ego qu’ils ont créé. Si H.S.T. était fou d'Hemingway, c’est clairement parce que, comme le souligne Haruki Murakami, Hemingway faisait partie de ces auteurs qui se nourrissent de choses exceptionnelles pour avoir du combustible d’écriture. Et qui d’ailleurs, finissent par s'essouffler sur le tard quand ils vieillissent. Hunter est pile poil dans cette mouvance.
Allez, voici un extrait d’une lettre écrite à un ami, histoire que vous pigiez à quel point ce mec était barré :
Mais ce n’est pas juste ce larcin sans queue ni tête ; la soirée dans son ensemble a été l’une des plus effrayantes et des plus typiques depuis belle lurette. Elle a commencé vers 5 heures, quand je me suis mis à picoler, et s’est terminée ce matin vers 5 heures quand je me suis écroulé dans mon canapé. Pendant ces douze heures, j’ai réussi à me brouiller avec plusieurs personnes du boulot, à me ridiculiser avec la fille avec laquelle je sors, à dépenser 6 dollars en taxis, à descendre une bouteille de scotch, à me vautrer à peu près cinq fois dans la fontaine du Plaza avant que la police ne m’en sorte - j’ai été à deux doigts de passer la nuit au tombeau (en taule) -, à réveiller les habitants de tout un immeuble à l’angle de la Cinquième Avenue et de la Cinquante-Cinquième Rue, à terroriser un appartement rempli de nanas que je connais dans ce même immeuble, à m'aliéner sauvagement les deux compagnons qui s’étaient tapé toute cette odyssée avec moi, et à paumer une journée entière d'écriture à cuver, le lendemain.
Légende vivante, cinglé cramant la vie par les deux bouts, incapable de ne pas payer de sa personne pour son art, Thompson, depuis Hell’s Angels, qui l’a véritablement lancé, s’implique tant et plus dans la voie qu’il a choisie.
Quel journaliste aurait osé s’infiltrer chez les Angels, démons furieux des routes californiennes, réputés pour leur violence et leur absence de morale, pendant un an, pour écrire un papier sur eux, un article (qui s’est transformé en livre) qui ne se contente pas de répéter les clichés mensongers et faciles circulant sur le compte de cette bande de hors-la-loi chevelus, mais qui creuse en profondeur, allant jusqu’à accueillir des Angels dans son salon avec sa femme et son gosse dans la chambre d’à côté ?
Personne. Mais lui, il l’a fait.
Comme le confesse Ralph Steadman après la couverture du Derby du Kentucky (très justement titré The Kentucky Derby Is Decadent and Depraved) :
Ce n’est pas autour de nous que nous avons déniché le visage “décadent et dépravé”. Nous avons simplement regardé dans le miroir, c’est là que nous avons vu la décadence et la dépravation.
Sans doute s’agit-il du prix à payer pour aller au bout de la voie qu’on a choisie.
Et en vérité, ça paye. Cet article sur le Derby est considéré comme révolutionnaire dans l’histoire du journalisme, celui qui fonde véritablement le journalisme Gonzo. Quand on connaît le background du truc (Ralph et Hunter, entre dope, alcool et scandale, ont à peine assisté à la course, et Hunter a dû utiliser de vagues notes gribouillées à la va-vite et incohérentes pour le rédiger), il est stupéfiant de constater que ce texte ait pu devenir une sorte de nouvelle norme. C’est fou, hein, le pouvoir du freestyle et de l’originalité ?
Mais je tendrais à croire que quand Thompson écrit, au sujet de son avocat dans Las Vegas Parano :
Prototype personnel de Dieu, mutant à l’énergie dense jamais conçu pour la production en série. Il était le dernier d’une espèce : trop bizarre pour vivre mais trop rare pour mourir…
… c’est en réalité à lui-même qu’il fait référence.
Et peut-être à tous ces freaks qui osent aller au-delà des lois.
STYLE : YEAH BABY, YOU GOT IT…
La musique a toujours été pour moi une question d’énergie, de carburant. Les gens sentimentaux parlent d’inspiration, mais en fait ils veulent dire carburant.
Et on en arrive à son style, qui fait entièrement partie de ce qu’il est.
Chacune de ses déclarations, privées ou publiques, mériteraient de figurer dans un roman, et nombre d’entre elles sont devenues cultes, tant sa manière d’être et de parler est la même que la voix qu’on écoute dans ses livres.
Ses répliques les plus connues pourraient même constituer des slogans du Freak Power, ou du moins de tout desperado qui se respecte. Même les lettres dont il inondait… tout le monde (un bon nombre réunies dans Gonzo Highway, correspondance la plus savoureuse qui soit. Hunter savait qu’il allait être connu, il écrivait pour la postérité, et a donc pris soin, depuis son plus jeune âge, de faire des copies carbone de TOUTES ses lettres) méritent le prix du style le plus wild et le plus enragé de cette fichue planète. Ses injures en particulier font preuve d’un esprit venimeux, vif et sournois, qui manie les métaphores comme un sabre laser pour laisser ses interlocuteurs sur le carreau, ahuris et déconcertés par sa verve cinglante et précise (je rigole pas, lisez Gonzo Highway, j’ai pas la place ici pour reproduire ses lettres désopilantes et incendiaires).
Et ça se retrouve dans ses autres textes, évidemment. Les beaufs, les crétins et l’Amérique en général en prennent tous pour leur grade, pas de jaloux.
Son regard d’aigle acéré, aussi précis qu’une balle, dresse le tableau d’un pays noyé dans l’absurde et le grotesque, qui sonne incroyablement vrai...
Mais entre les phrases assassines débitées avec un rythme de mitraillette et les divagations hilarantes d’un drogué éberlué par la life, on trouve aussi de sublimes envolées dont la poésie et le cœur, je dirais même la foi, font fulminer de jalousie les tentatives émasculées de ses confrères. Comme le dit un critique du New York Times :
Presque tout ce qu’il écrit fait pâlir ce qui se publiait à l’époque.
Voici l’exemple le plus connu, le plus révélateur de ce type d’envolée, qui se trouve dans Las Vegas Parano :
Étranges souvenirs par cette nerveuse nuit à Las Vegas. Cinq ans après ? Six ? Ça fait l'effet d'une vie entière, ou au moins d'une Grande Époque - le genre de point culminant qui ne revient jamais. San Francisco autour de 1965 constituait un espace-temps tout à fait particulier où se trouver. Peut-être que ça signifiait quelque chose. Peut-être pas, à longue échéance… mais aucune explication, aucun mélange de mots ou de musique ou de souvenirs ne peut restituer le sens qu'on avait de se savoir là et vivant dans ce coin du temps et de l'univers. Quel qu'en ait été le sens…
L'histoire est dure à connaître, à cause de toute la merde qu’on rajoute ; mais même sans être sûr de l’“histoire”, il paraît totalement sensé de penser que de temps à autre, l’énergie de toute une génération mûrit en une longue et belle fulguration, pour des raisons que personne ne comprend vraiment sur le coup - et qui rétrospectivement, n’expliquent jamais ce qui s’est en fait passé.
(...)
Il y avait de la dinguerie dans toutes les directions, à n’importe quelle heure. Si pas de l’autre côté de la baie, alors en traversant le Golden Gate ou en descendant la 101 sur Los Altos ou La Honda… On pouvait faire naître des étincelles partout. Il y avait un fantastique sens universel que tout ce que nous faisions était bien, d’être en train de gagner…
Là était, je crois, le moteur - ce sens de la victoire inévitable sur les forces de la Vieillesse et du Mal. Non pas dans un quelconque sens mesquin ou militaire ; nous nous passions de cela. Notre énergie allait simplement l’emporter. Ce n’était pas la peine de se battre - de notre côté ou du leur. C’est nous qui avions la force d'impulsion ; nous chevauchions la crête d’une vague haute et magnifique…
Et maintenant, moins de cinq ans après, vous pouvez grimper sur une colline escarpée de Las Vegas et fixer l’Ouest, et avec les yeux qu’il faut, vous voyez presque la ligne de haute marée - cet espace où la vague finit par se briser avant de redescendre.
Et puisqu’on est parti dans les citations grandioses, en voilà une, toujours dans le même livre, qui symbolise l’aspect dope, ce coup-ci :
Là réside l’avantage principal de l'éther : il vous fait vous comporter comme le soûlard du village dans quelque primitif roman irlandais… perte totale de toutes capacités motrices de base : vision embrouillée, aucun équilibre, langue paralysée - rupture de toute coordination entre corps et cerveau. Ce qui ne manque pas d’intérêt, car le cerveau continue à fonctionner plus ou moins normalement… à dire vrai, vous vous voyez vous comporter de cette déplorable manière, mais vous ne pouvez rien y faire. Mais personne ne peut tenir l’autre trip - la possibilité que le premier débile venu avec un dollar quatre-vingt-dix-huit en poche entre au Circus-Circus et apparaisse soudain en plein ciel par-dessus le centre de Las Vegas en faisant douze fois la taille de Dieu et hurlant ce qui lui passe par la tête. Non, ce n’est pas une bonne ville pour les drogues psychédéliques. La réalité elle-même y est trop déformée.
Le schéma récurrent de ses textes est donc, comme le dit McKeen : sa place au centre de l’histoire, la présence d’envolée dans le fantasme, et le recours à un comparse. Et le schéma récurrent de son processus d’écriture : seul dans un motel avec sa machine ou entouré de gens chez lui, des amphés et du Wild Turkey à gogo, nourri de rock et de cigarettes, parfois s'enchaînant 100 heures de taff ininterrompu sans dormir (comme pour Hell’s Angels), mais le plus souvent… galérant pour écrire.
Faut comprendre que, pour lui, écrire était une performance, qu’il soit seul ou entouré. Un ami décrit sa procédure :
Il s’asseyait à la table avec une Selectric devant lui, coudes bien sur les côtés, et puis il avait cette espèce de décharge électrique et il se mettait à taper. Une phrase, puis il attendait de nouveau, les bras dehors, il avait une nouvelle décharge et il tapait une autre phrase (...) ce qu'il essayait de faire, c’était contourner les points de vue pesants, les idées reçues, les clichés, tout ça pour parvenir à quelque chose davantage lié à son inconscient et à sa perception immédiate des choses. Il voulait en quelque sorte sortir la phrase avant que quoi que ce soit n'interfère avec elle en fait de convention ou de préconception. L’idée de base était que l’histoire fonctionnerait comme une sorte de moteur à combustion interne, avec tout du long un flux constant d’explosions d'intensité plus ou moins égale.
Cette citation révèle l’essence qui nourrit son style. L’expression la plus pure et la plus directe d’une vision, débarrassée des clichés, libérée de toutes normes ou conventions, même personnelles. Une création en lien direct avec l’inconscient.
C’est ce que j’essaie de dire au sujet de cet homme. Sa démarche était fondamentalement honnête. Et quand il a compris qu’il pouvait “s’en sortir” (terme très important pour lui, qui signifie à la fois “s’extirper des situations merdiques” dans lesquelles il se trouvait sans arrêt et à la fois “s’en sortir en tant qu’écrivain”, c’est-à-dire écrire réellement ce que vous voulez écrire) en créant une œuvre qui lui corresponde, en adéquation avec lui et ses valeurs, il a totalement abonné l’idée de se mouler dans le schéma classique de l’article qu’attendaient des gens de chez New York Times par exemple. Et il a enfoncé le clou encore plus fort, affirmant toujours plus cette personnalité singulière et hors du commun suscitant la vénération de hordes de fans.
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de te dire ce que j’éprouve envers le principe d’individualité. Je sais que je vais devoir passer le reste de ma vie à l’exprimer d’une manière ou d’une autre, et je pense que j’y parviendrai au mieux sur les touches d’une machine à écrire.
Comme quoi, on peut parvenir à tracer sa propre route carrément loin des rails, et être admiré pour ça.
FREAK POWER, H.S.T. SHÉRIF !
Dans une société fermée où tout le monde est coupable, le seul crime est de se faire choper. Dans un monde de voleurs, le seul péché définitif est la stupidité.
Hunter S. Thompson était convaincu que le journalisme freestyle et hors-la-loi auquel il se livrait était la forme la plus pure et surtout la plus authentique de journalisme. Pourquoi ? Parce qu’il menait ses enquêtes loin des sources habituelles, et que selon lui, les faits et la vérité n’ont que peu d’accointances, comme il le dit lui-même au sujet du Derby du Kentucky “couvert” avec Steadman :
Contrairement à presque tous les autres de la presse, nous nous fichions éperdument de ce qui se passait sur la piste. Nous étions venus voir se produire les véritables animaux.
Et il est vrai que ce qu’il met en lumière, lui, c’est le background du truc. Les coulisses. Ce qui se trame derrière le décor. Et si on regarde bien, toute son œuvre tourne autour de ça, qu’il s’agisse de la campagne politique de Nixon ou encore de la vraie vie des Hell’s Angels.
Pas étonnant que ses lecteurs soient accros à son style. On pourrait penser que ce mec n’était qu’un égocentrique imbu de lui-même et surtout infoutu de simplement rapporter des faits objectifs. Égocentrique, il l’était, et à ce niveau sa vie personnelle et surtout ses relations de couple sont plutôt effrayantes, mais il n’en demeure pas moins qu’il était effroyablement cultivé et très au fait de la politique. La vraie politique. C’est-à-dire, ce qui se déroule derrière la chose aseptisée et bon enfant qu’on nous fourgue comme la supposée “réalité”.
En bon Trickster qu’il était, la bombe H.S.T. faisait tomber les masques pour révéler l’immondice sous-jacente de tout le truc, et bien souvent l’absurdité gênante ou hilarante du discours ou du comportement des véritables guignols. Ceux qui étaient sur scène à se pavaner devant un peuple d’Américains aussi crédules que trépanés.
Thompson était un chercheur de Vérité.
Et on ne peut passer à côté de la profonde intelligence que ses textes dévoilent. Finalement, le prisme qu’il propose au lecteur, sous ses airs biaisés et très personnels, nous fait voir le monde d’un œil acéré et lucide.
Comme souvent, et comme déjà vu dans l’article sur l’Anti-héros, le regard d’un être qui se situe un pas à côté de la fanfare du monde, impliqué jusqu’à la garde comme l’était Hunter dans ses récits et pourtant toujours en marge, nous offre une optique décapante et très révélatrice du spectacle auquel on assiste.
L’éthique très personnelle selon laquelle il vivait, cette solitude intrinsèque qui est la malédiction de ceux qui choisissent de créer leurs propres règles, ont fait de lui une sorte de témoin du rêve américain en train de s’échouer.
Et pourtant, Thompson n’était pas cynique, même s’il aurait eu toutes les raisons de l’être. Il y croyait si fort qu’il a même tenté, en 1970, de se faire élire shérif de son bled (remportant presque la moitié des suffrages), devenant le leader incontesté du Freak Power (le logo représente un poing qui tient un bouton de peyotl, cactus à mescaline, drogue qu’il adorait). Mais c’est quoi, le Freak Power ? Pour info, freak signifie monstre, mais je vais laisser H.S.T. s’exprimer sur le sujet :
Comment des déviants et des monstres peuvent-ils agir ensemble pour accomplir quoi que ce soit ? Ce serait un groupe par définition incompétent, impuissant, un bruyant bazar, un fourre-tout débordant d’énergies folles incapable de se concentrer sur un objet quelconque.
J’utilise le mot freak dans un sens positif et sympathique. Dans le contexte sinistre et effroyablement éclaté de l’Amerika de 1970, beaucoup de gens commencent à comprendre qu’être un freak est une option honorable.
Les réalités tordues du monde dans lequel nous essayons de vivre se sont combinées pour que nous nous sentions entrer dans la peau de freaks. Nous discutons, nous manifestons, nous faisons des pétitions - mais rien ne change.
Une poignée de freaks tentent une expérience définitive, peut-être atavique, dans l’idée d'imposer un changement par le vote… et s’il faut appeler ça le Freak Power, ma foi… qu’à cela ne tienne.
Bon, même s’il n’a finalement pas été élu, sans doute qu’en tant qu’artiste, ses œuvres étaient pour lui la meilleure manière de gérer la déconfiture du monde, comme cette phrase tend à le faire penser :
Si certains se tournent vers la religion pour y trouver du sens, l'écrivain, lui, se tourne vers son art pour imposer du sens ou pour extraire le sens du chaos, et ainsi l'ordonner.
LE COUP DE LA PANNE
Je suis quelqu’un qui souffre, je l’ai toujours été. Nous binons une route tortueuse. Elle est dure, surtout si on veut être un criminel.
Thompson avait un rapport à l’écriture qui va vous surprendre. Je crois qu’on peut dire que ce mec était affligé du syndrome de la page blanche de façon constante.
Pour commencer, il avait un mal fou à respecter les délais imposés pour rendre un papier au journal qui l’avait commandé, et nombre de ces commandes n’ont d’ailleurs jamais été honorées (bien qu’il ait cramé tout le budget alloué à son reportage de manière extravagante et souvent effrayante !).
Ensuite, il avait besoin d’une sorte de protocole assez précis pour parvenir à se mettre en train : picoler, être entouré d’amis ou de relations de travail qui l’aidaient à se motiver et à mettre en forme ses articles. Bien souvent, Hunter écrivait des bouts de textes épars, sur n’importe quel support, et c’était à ses collaborateurs de se démerder pour mettre le produit final en forme, créer les liaisons entre les passages du récit, bref, reconstituer le puzzle insensé qu’il avait produit selon les aléas de son inspiration capricieuse.
Beaucoup pensent que c’est la raison pour laquelle il nourrissait cette obsession envers la chanson de Bob Dylan, Mister Tambourine Man, supplication d’un artiste à sa muse, calvaire que H.S.T. subissait en continue. Seul Las Vegas Parano a été relativement simple pour lui. Voyez plutôt comment il en parle :
J’ai toujours considéré qu’écrire était le travail le plus haïssable qui soit. Rien n’est drôle quand il “faut le faire”... C’est donc un trip sacrément rare, pour un auteur enfermé qui doit payer son loyer, que de se mettre à un boulot qui, même rétrospectivement, était du début à la fin un truc super, une branlade de première.
Faut croire que ce type ne s’épanouissait véritablement que dans le Gonzo, et c’est bien dommage qu’il ait pas pu le mener aussi loin qu’il le voulait, comme le laisse entendre ces mots :
Ce que je visais, avec ça, c’est cette technique psychédélique/photographique de journalisme instantané : un brouillon écrit sur place à vitesse grand V en évitant corrections, relectures, coupes et fioritures, le tout prêt pour la publication. Dans l’idéal, j’aimerais quitter le théâtre des opérations, et envoyer par courrier mon carnet de notes au rédac’ chef, lequel le porterait à l’imprimerie sans y apporter la moindre modification.
D’autre part, malgré sa légende en train d’enfler et la horde de fans de tout âge qu’il a su se mettre dans la poche, il a galéré financièrement quasiment toute sa putain de vie. Et jusqu’à ses 35 ans, quand je dis galère, c’est pas un euphémisme. J’imagine que c’est pour ça qu’on lui doit cette phrase, qui fera rire beaucoup d’écrivains imbus de leur personne :
Seul un imbécile a jamais écrit pour autre chose que l’argent.
Et celle-ci, écrite à Faulkner :
Aussi loin que je regarde, il me semble que le rôle, le devoir, l’obligation, et en effet le seul choix de l'écrivain, aujourd'hui, est de mourir de faim, aussi honorablement et avec autant de panache que possible.
Et pourtant… il ne lui est jamais venu à l’idée de faire autre chose de sa vie.
Depuis très jeune, Hunter a gravité dans l’univers du journalisme, mentant même au sujet de son âge pour se faire embaucher par le canard local du Kentucky quand il n’avait que 14 ans. Ses premiers romans n’ont jamais trouvé preneur, Prince Jellyfish et Rhum Express, écrit à Porto Rico (ouais, Thompson a passé un an en Amérique du Sud, Pérou, Bolivie, Brésil, sillonnant le continent et s'embarquant sur des cargos dans la jungle avec sa machine à écrire en tant que correspondant du National Observer), et il a dû attendre ses vieux jours avant qu’ils soient enfin publiés. C’est Hell’s Angels, à la base simple commande d’article qui s’est transformée en livre quand les offres de publication ont déferlé, le faisant passer un an avec eux, qui lui a offert un début de renommée, mais là encore, le fric qu’il espérait ne s’est jamais vraiment matérialisé.
Mais voilà sa vision des choses. Cette citation provient d’une lettre écrite à un ami quand il avait 21 ans, à l’armée :
De la façon où vont les choses, je serai écrivain. Je ne suis pas sûr d'en être un bon, ni même de gagner ma vie comme ça, mais jusqu’à ce que le pouce du destin ne me presse contre terre en disant : “Tu n’es rien”, j’en serai un.
Même Las Vegas, qui est pourtant son plus grand succès, est une commande qui a été rejetée. Et Hunter n’a pas manqué de le foutre dans les dents du directeur du journal qui avait osé dédaigner une telle pépite :
Tôt ou tard vous verrez ce que votre appel a mis en route. Le Seigneur agit selon des voies merveilleuses. Cet appel a été la clé d’une défonce massive. Le résultat est encore en l'air, et ne cesse de monter. Quand vous verrez la boule de feu, souvenez-vous que c’est de votre faute.
Il était très rancunier envers… tout le monde, et surtout ceux qui n’étaient pas capables de reconnaître la valeur de son travail. Il s’est même brouillé avec Jan Wenner après deux reportages calamiteux. Le plus drôle c’est celui de Saigon, où ce crétin, en chemise hawaïenne et Converses au milieu des soldats, une bière à la main et la tête farcie d’acide, a failli se faire plomber le cul par les Vietnamiens. Mais il n’empêche qu’il faisait un sacrément bon boulot, quand bien même il a miséré avant d’être reconnu.
Je suis en train de me demander si l’idée d’écrire pour être connu ne revient pas au même que de travailler pour devenir riche.
La seule façon humaine de s’en sortir est de faire son truc dans son coin, de l’abandonner sur place, et de laisser le soin à celui qui tombera dessus de piger. Mais c’est une voie plutôt duraille, emporter le morceau d’une encolure alors que personne ne regarde, si la presse n’est pas dans les parages pour dire à la cantonade : Dites, il y a un type qui se la donne rudement, là, tendons-lui la pogne, filons-lui éventuellement un prix ou deux. Il me semble que, pour ça, il faut une troisième couille.
Bref, la vie n’était pas simple pour lui, et heureusement que malgré son sale caractère et son égocentrisme forcené, il avait des amis proches de lui qui le reboostaient. Mais c’est le privilège des êtres uniques, profondément originaux : on leur passe à peu près tout, parce qu’on ne peut pas se passer d’eux… J’adore cette réplique d’un critique littéraire :
Son personnage de célébrité scandaleuse donnait à ce qu’il écrivait l’allure d’un récit des tribulations d’un homme seul face au système. Entre ses mains, l’évènement le plus simple pouvait se transformer en épopée. Hunter va à Wal-Mart (chaîne de supermarché américain) - on sait aussitôt qu’il va y avoir du sport !
SUCCESS STORY A L’AMÉRICAINE
Hunter faisait naître la même admiration que l’on éprouve pour un coureur surgissant à poil aux funérailles de la reine Victoria.
Comment devient-on une légende ? Comment Hunter S. Thompson a-t-il fait pour se hisser au niveau d’icône de la contre-culture, éminent représentant du Freak Power, lui qui n’était qu’un petit vandale du Kentucky, un type viré de l’armée pour insubordination, un mec dégagé d’un journal pour cause de destruction à coup de pied de distributeur de bonbons, à qui on a dit : Vous avez l'esprit vif mais vous semblez ne pas vous soucier des liens à entretenir au sein de la communauté ?
Voilà pourquoi :
Après avoir l’avoir lu, le monde n’a plus la même gueule.
Chaque évènement sans envergure semble porter en lui les prémisses d’un drame spectaculaire, et on s’attend à voir déferler le désastre et s'enchaîner les dégâts comme si on était à la place de ce bon vieux Raoul Duke. Parce que la distorsion de la réalité imposée par ce mec semble en vérité révéler l’absurdité fondamentale de la vie, et qu’elle contamine nos neurones comme si on avait nous ici “la tête déglinguée par quelque monstrueuse drogue”, comme il dirait.
Ouais, le vrai Art à ce pouvoir-là. Celui de transformer notre perception de la réalité. Même sans dope.
Ce genre de regard qu’un artiste nous prête, c’est quelque chose de précieux. Quelque chose qui ne peut pas être reproduit par des poseurs singeant les galères et le ton du Gonzo, présumant bêtement qu’il suffit de jouer les journaleux dépassé par sa tâche et vaguement alcoolisé pour engendrer un texte au maximum aussi bon que le plus merdique des siens. Absolument pas, bande de nazes. Son enchantement va bien au-delà de ça.
Voici ce que dit de lui David Halbertsam en préface de Gonzo Highway :
Il possède une voix unique en son genre. Il est lui-même et personne d’autre. Personne d’autre que Hunter, en effet, n’a présidé à la création de Hunter. D’une certaine manière, il a trouvé sa voix et a su, avant quiconque, qu’elle était particulière. Une voix inimitable, et je ne peux concevoir pire travers pour un jeune journaliste que d’essayer d’imiter Hunter. C’est le lot des authentiques originaux. Dans son créneau, il n’y a de place pour personne d’autre. Ce que dévoilent ces lettres, par ailleurs, c’est à quel point il est difficile d'être un original. Il ne pouvait opter pour une voie différente, contrairement à ses prétendus successeurs, qui ont essayé de l’imiter le temps d’un bref tour de piste avant d’aller tenter leur chance à Hollywood pour empocher un copieux pécule de scénariste. Il n’existait pas de niche facile à occuper, pour lui, ni à l’époque ni aujourd’hui.
D’autre part, H.S.T. a su, comme certains musiciens de l’époque ou encore quelques auteurs beat comme Jack Kerouac, toucher au cœur l’esprit et l’âme d’une époque, faire éclater les questionnements et les vérités animant chaque Homme quelque que soit son âge ou sa provenance, parvenant à être populaire et adulé par des jeunes alors que lui-même était déjà un vieux schnock ou pire, mort.
La liberté est quelque chose qui meurt sauf si elle est utilisée.
Et lui, nom d’un chien, on peut dire qu’il savait vivre libre, et faire naître ce désir de folie chez les autres.
LA MORT COMME PHILOSOPHIE DE VIE
La vie ne doit pas être un voyage en aller simple vers la tombe, avec l'intention d'arriver en toute sécurité dans un joli corps bien conservé, mais plutôt une embardée dans les chemins de traverse, dans un nuage de fumée, de laquelle on ressort usé, épuisé, en proclamant bien fort : quelle virée !
Hunter était obsédé par l’idée de la mort et pensait qu’il mourrait à 27 ans.
Au lieu de ça, il s’est quand même traîné jusqu’à 68 balais, âge auquel il s’est suicidé d’une balle en pleine tête. Sa santé était vraiment merdique sur la fin, et il devait se déplacer en fauteuil roulant.
Sans doute que sa maxime, j’ai entrepris dès mon plus jeune âge de vivre aussi peu de temps que je pourrais, aura en définitive fonctionné.
Cela dit, cette réplique d’Iggy Pop nous lance sur une autre piste :
Hunter ne s’est pas suicidé, Hunter a suivi la voie du samouraï.
S’il se sentait, selon ses propres mots, comme “une adolescente prisonnière du corps d’un vieux toxico”, c’est parce qu’il avait la volonté d’évoluer sans arrêt. Et ça n’allait jamais assez vite à son goût. Aussi, quand son corps l’a finalement lâché au point de le rendre presque impotent et lamentablement tributaire des autres, il a choisi de se barrer dans un autre monde.
Si la folie était son maître, quand il n’a plus été possible de la servir, alors, en avant Seppuku. Lui qui avait toujours été dingue de flingues, au point de dédicacer ses livres au calibre .45 à des étudiants tremblotants d’admiration en visite chez lui à Woddy Creek, ma foi, son geste semble en accord parfait avec la philosophie âpre et obstinée qui a toujours été sienne. Hunter respectait “ceux qui bravent les tempêtes de l’existence et qui vivent, et non ceux qui restent prudemment sur le rivage en se contentant peureusement d’exister”.
N’être personne d’autre que toi-même - dans un monde qui fait tout son possible, nuit et jour, pour faire de toi quelqu’un d’autre - signifie livrer la plus dure des batailles qu’un être humain puisse livrer ; et ne jamais cesser de lutter.
E.E. Cummings, citation à laquelle H.S.T. s’identifiait fortement.
La dernière lettre adressée à son fils devrait être le leitmotiv de toute une génération :
Redresse-toi. Botte-leur le cul. Apprends à parler l’arabe. Aime la musique et n’oublie jamais que tu descends d’une longue lignée de chercheurs de vérité, d’amants et de guerriers.
Guerrier. Le mot a été prononcé.
Cet homme n’a jamais cessé de lutter, persistant à croire en lui et en la valeur de son art pendant des années et des années avant d'être enfin reconnu, imposant aux autres sa vision de la liberté, luttant férocement contre la connerie humaine, nageant à contre-courant de tout ce qu’on attendait de lui, conservant envers et contre tout sa foi en la Vérité, bien différente de celle qui est communément admise dans cette putain de société. Sa vie entière est une ode brutale à l’originalité.
Ces mots sont magnifiques :
Je reste convaincu bien évidemment que c’est une erreur de jouer un rôle ou de vouloir s’adapter à un système erroné, et j’ai l’intention de continuer à vivre comme bon me semble.
Alors au lieu d’imaginer un vieux bougre se tirant une balle dans sa cuisine, fermez les yeux et voyez plutôt le jeune homme qu’il a été, réalisant son suicide idéal :
Je descendrais cette route de montagne à 195 km/h et continuerais tout droit, fracassant la barrière et suspendu au-dessus de tout ça… Et je serais là, sur le siège avant, entièrement nu, une caisse de whisky à côté de moi et une de dynamite dans le coffre… à appuyer sur le klaxon, lumière pleins phares, je resterais là, en plein milieu de l’espace, un petit instant, bombe humaine, puis je tomberais dans ce foutoir d’aciéries. Ce serait une sacrée explosion, énorme.
Et parce qu’écouter Hunter S. Thompson parler du Gonzo est presque aussi jouissif que de lire ses livres (et bordel, vous êtes encore là, vous ? Foncez acheter LAS VEGAS PARANO, putain !), voici une interview de lui.
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