Diète de Plantes #3 : Accueillir en Soi l’Esprit d’une Plante
Au commencement de la diète, notre plante maîtresse est une graine semée en nous.
Pour que cette graine pousse, elle a besoin d’un terrain favorable. Ce terrain, ce sont nos différents corps : physique, émotionnel, mental et spirituel. La plante doit passer par tous ces niveaux pour s’élever et s’épanouir harmonieusement à travers eux, trouvant à chaque étape les nutriments essentiels à sa croissance et sa santé. Qualité de la terre, eau de pluie saine et régulière, engrais organique, air pur, espace suffisant pour se développer, voire même musique et amour… et, bien sûr, lumière du soleil.
Dans la jungle, on est assurément dans l’environnement le plus propice à cette germination, loin de l’agitation et du brouhaha social, préservé de toute pollution, à ceci près qu’une immense partie des réponses aux besoins de notre plante dépendent de nous et sont sous notre entière responsabilité.
Accueillir en soi l’esprit d’une plante maîtresse ne se résume pas à boire une décoction de racines, éliminer le sel de son alimentation et faire des cérémonies d’Ayahuasca une nuit sur deux. Dépasser l’aspect purement médicinal du rapport au végétal pour entrer dans sa dimension spirituelle implique de se plier au protocole extrêmement stricte établi par les indigènes, et notamment les Shipibo, qui sont considérés comme les docteurs ès diètes de plantes par tout le bassin amazonien.
Les règles alimentaires et comportementales de la diète sont connues par bon nombre d’Occidentaux qui se rendent dans la jungle, mais la plupart ignorent les raisons et les effets réels de ces restrictions, et s’y livrent avec plus ou moins de sérieux sans en comprendre le sens intrinsèque, ce qui explique pourquoi beaucoup en négligent certains aspects en les traitant comme des détails insignifiants… et s’exposent de ce fait à des ingérences potentiellement graves.
Que signifie fondamentalement recevoir en soi la mère d’une plante ? Quelle posture interne adopter face à une aussi improbable rencontre ? Comment faire en sorte d’être le mieux disposé et le plus réceptif aux messages et aux actes de l’intelligence végétale ? Que veut dire croiser ou tordre sa diète, à quels risques sommes-nous confrontés si par mégarde nous bravons l’un des interdits dont regorge la phytothérapie shipibo ? Qu’est-ce que l’obscurité des plantes et comment s’en prémunir ?
Dans ce troisième article du Dossier Spécial Diète de Plantes, nous allons faire le point sur les aspects pratiques essentiels à la réussite d’une diète, en gardant en tête cette métaphore de la graine semée en nous, et des différents niveaux dont il faut prendre soin pour qu’elle puisse monter vers la lumière de la pure Medicina…
Ainsi, la terre qui accueille cette graine devient notre corps physique, épuré de ses toxines, de sa chimie, de ses déchets, rendu réceptif à la vie en train de naître en lui par son absence d’exposition au magma d’informations sensorielles.
L’eau qui l’abreuve devient la pluie de nos émotions, de plus en plus douces et équilibrées, apaisées, car elles ne sont plus la proie de relations humaines perturbantes, des vampires et des parasites énergétiques, et peuvent ainsi se régénérer en embrassant ce qui, en elles, avait été renié ou refoulé.
L’air qui balaye les feuilles de la jeune pousse et caresse son tronc devient le souffle de notre mental, libéré du stress, soulagé des enquêtes labyrinthiques à mener, retrouvant sa fonction d’origine, celle d’inspirer des pensées alignées sur la vibration de la vie elle-même, rayonnante, confiante, pleine de clarté.
Et le feu qui nourrit sa sève, cette lumière d’or que son alchimie interne va transmuter en énergie, ce feu devient le royaume de la Conscience que nous osons enfin contempler, auquel nous sommes enfin reliés, gardien de la sagesse qui seule peut nous offrir d’atteindre ce pour quoi nous avons tant sacrifié : la liberté.
Mais cette petite plante en train de se créer en nous, dont la tête se tend dans l’effort de quitter les ténèbres, guidée par la lumière de la Medicina qui l’appelle et l’attire depuis le ciel, cette petite plante est fragile, et il suffit d’un choc infime pour qu’elle s’écroule ou ne pousse plus droit… Présence d’un nuisible, terre polluée, tempête soudaine, vent qui frappe, soleil trop vif. Elle a besoin d’engrais, de protection, et d’un tuteur : fonctions que le chaman, avec ses icaros, ses arcanas, ses conseils et sa bienveillance, doit remplir.
En définitive, respecter les règles de la diète, c’est s’assurer d’être connecté à la Medicina de notre plante. Sa lumière, et non ses mondes obscurs… Car c’est uniquement grâce à la lumière que s’opère la vraie magie. Sans cette force d’amour qui guide, enseigne et guérit, aucune vie n’est possible.
Ce Dossier se présente en 7 parties :
#1 : Comprendre la medicina des plantes - Cartographie d’une médecine multidimensionnelle
#3 : Accueillir en soi l’esprit d’une plante - Les règles fondamentales d’une diète de plante maîtresse
#4 : L’Alliance cœur-esprit-volonté - Clarifier et densifier ses intentions lors d’une retraite
#5 : L’Art de rêver dans la selva - Travailler dans le monde onirique des plantes
#6 : L’Alchimie dans la rencontre avec les plantes - Apprendre à lire le Grand livre de la Nature
#7 : Idées magiques et conseils surprenants pour optimiser sa diète - Pratiques de magie et de psychomagie
Les règles fondamentales d’une diète de plante maîtresse
S’HYBRIDER AVEC UNE PLANTE
Accueillir en soi l’esprit d’une plante, c’est accepter d’utiliser son propre corps comme interface de rencontre entre deux consciences. Dans le contexte d’une diète, ingérer une plante maîtresse signifie inviter dans sa chair une intelligence étrangère qui va agir et s’exprimer en nous, et qui restera ensuite dans notre sang.
Pour offrir un lieu d’expression à cette intelligence et parvenir à capter ses messages, il faut être ouvert, poreux énergétiquement, afin que la plante diétée puisse pénétrer profondément en nous. L’idée maîtresse d’une diète est de revenir à un état originel de perception, tel celui d’un nouveau-né, hyper sensible à l'imprégnation de nouveaux savoirs et vierge de toute préconception.
Accepter cette fragilité passagère, sorte de défragmentation totale parfois chaotique, signifie accepter de se lancer dans un réapprentissage du corps et de ses sensations, tout en apprivoisant une partie de nous-mêmes que nous avons peu l’habitude d’utiliser : notre yoshin, instance spirituelle inconsciente, qu’il s’agira de révéler, de développer et d’intégrer peu à peu à notre conscience ordinaire tout au long du processus de diète. C’est cette dimension de notre être qui va entrer en contact avec la dimension invisible de notre plante, et enclencher un dialogue avec elle.
Pour atteindre cet état bien particulier, la diète comporte un ensemble de règles qui visent à activer cette grande réceptivité et cette sorte de mutation intérieure qui nous fera passer au double statut humain/yoshin.
Le principe premier d’une diète est de se relier à l’ibo de sa plante — son maître, sa mère, qui est à la fois la matrice invisible et l’instance spirituelle qui gouverne son espèce — afin qu’il nous soigne et nous enseigne.
La mère des plantes étant par nature incorporelle, c’est en passant par nos divers filtres biologiques, nos croyances, les archétypes inscrits dans notre psyché, les valeurs culturelles et les structures symboliques qui sont les nôtres, qu’elle va trouver comment nous communiquer ses messages, se laissant appréhender, percevoir, sentir et écouter selon des modalités adaptées à nous. La rencontre entre humain et végétal peut donc s’envisager comme un acte de co-création ; celui d’une interface intime où deux intelligences donnent naissance ensemble à un langage, et peut-être même à un monde, n’appartenant qu’à elles…
Bien sûr, il existe un certain consensus sur l’aspect spirituel des plantes maîtresses, que les Shipibo partagent, mais ça ne signifie pas pour autant que les Gringos qui ne perçoivent pas les esprits végétaux selon les traits anthropomorphiques ou zoomorphiques décrits par les Shipibo n’aient pas accès à eux. Puisque le cadre symbolique de chaque individu joue un rôle déterminant dans la perception du monde invisible, il est assez naturel que chaque Gringo qui entre en contact avec la mère des plantes le fasse d’une façon personnelle.
Dans tous les cas, cette alliance inter-espèces ne s’improvise pas. Boire la sève d’un arbre maître ou la décoction des feuilles et des racines d’une plante maîtresse n’est pas suffisant pour convoquer son esprit. C’est le rite encadrant la récolte, la préparation et la prise du végétal qui va le faire passer du statut de substance médicinale à celui d’esprit enseignant. Bien loin d’une superstition, ce rite est comparable à un protocole scientifique certifié. C’est à ça qu’on fait référence lorsqu’on parle de “technologie du sacré”.
En Occident, la science réduit les plantes à une matière inerte dont le mode d’admission est passif, ce qui limite drastiquement leurs qualités thérapeutiques et laisse complètement de côté leurs capacités d’enseignement. Les plantes sont broyées, leurs principes actifs isolés et imités artificiellement, et on les prescrit à des malades sans exiger d’eux un quelconque investissement personnel.
Pour les Shipibo, cette approche laborantine est un pur non-sens. Elle transforme les plantes en clones sans âme, vulgaire marchandise complètement dénaturée d’où l’essence des plantes est absente, alors que c’est précisément elle qui est thérapeutique.
Leur usage holistique de la phytothérapie, notamment dans le cadre de la diète de plantes, se place à contre-courant total de cette approche. Dans leur pratique, la récolte est toujours faite dans le respect, et des chants et des sopladas de Tabac sont réalisés afin de canaliser l’esprit de la plante, seul moyen pour que le remède agisse sur les plans psycho-émotionnel et spirituel du malade.
Et ajouté à ça, les Shipibo demandent au malade de s’engager auprès de sa plante, et d’interagir avec elle, sans quoi il n’obtiendra aucune amélioration de son état…
Voilà qui redéfinit totalement notre rapport au monde des plantes, mais également au monde médical. En dévoilant des possibilités d’échange inter-espèces et en réhabilitant la responsabilité du malade dans sa guérison, la Medicina shipibo révèle un paradigme tout à fait inédit pour la pensée occidentale.
Mais comment accepter de se laisser envahir, dans sa plus profonde intimité, par une entité inconnue dont la conscience semble si différente de la nôtre ? Pour un Gringo, cette fusion avec une intelligence végétale qui va nous pénétrer et venir s’hybrider à nous, et avec laquelle il va falloir créer un langage spécifique, peut apparaitre comme une expérience intrusive, à la fois mystique et très déstabilisante, qu’on ignore comment aborder.
Ça tombe bien. La diète est un protocole strictement encadré par de solides piliers que les Shipibo vont nous transmettre, gage de sécurité mais aussi clé de communication, qui vont nous permettre de vivre cette expérience de l’alliance avec un végétal dans toute son ampleur.
Et l’axe fondamental d’une diète de plante réussie, avant même d’aborder la question du régime alimentaire et des restrictions comportementales, c’est celui de la posture intérieure du diéteur, engagé corps et âme dans sa phytothérapie participative…
LE CORPS-MAISON SYMBOLIQUE ET LES PLANTES-INVITÉES
NETTOYAGE ET PURIFICATION DU CORPS
Comme on l’a vu dans le premier article de ce dossier, dans le paradigme shipibo, le corps est la structure fondamentale qui reçoit en elle les dimensions supérieures, qu’elles soient humaines comme l’esprit, les émotions, la volonté, ou non-humaines comme les mères des plantes. L’objectif d’une diète est d’apprendre à incorporer, assimiler, incarner les enseignements transcendants de notre plante pour leur donner vie dans la matière de notre existence. Logiquement, on va donc commencer par préparer le corps pour cette entreprise.
La métaphore la plus employée par les Shipibo pour décrire l’attitude juste à adopter avec les plantes maîtresses lors d’une diète, c’est celle du corps-maison et des plantes-invitées. Et elle est on ne peut plus parlante ! Quand on s’apprête à recevoir des invités chez soi — et d’autant plus les invités de marque que sont les mères des plantes —, il serait irrespectueux de les accueillir dans une maison sale et en désordre.
Les esprits ont la réputation d'être capricieux (certains diraient même précieux !), ils apprécient qu’on leur montre une certaine déférence. Or, les recevoir dans un endroit chaotique risquerait de les contrarier et de les pousser à s’enfuir, il n’y aura donc aucune chance d’en faire des amis. C’est pourquoi il nous faut avant tout ranger et nettoyer l’espace d’accueil, notre corps, en éliminant tout ce qui l’encrasse, comme par exemple l’alcool, la graisse, le sucre, afin d’en faire un lieu confortable, agréable, harmonieux, dans lequel ils seront à l’aise et auront envie de s’attarder.
Dans ce contexte, le régime alimentaire et les pratiques qui le soutiennent servent donc à purifier le corps pour le préparer à la rencontre avec les esprits. La nourriture est contrôlée, des plantes purgatives et vomitives sont prises, des bains et des saunas de végétaux sont réalisés, dans le but de faire du corps-maison un lieu accueillant, c’est-à-dire réceptif, au royaume végétal.
C’est ainsi qu’on crée un espace de soin intérieur consacré à l’introspection et à l’initiation, où l’esprit des plantes aura plaisir à rester.
RÉCEPTIVITÉ ET DISPONIBILITÉ DE L’ESPRIT
Mais nettoyer sa maison n’est pas suffisant pour accueillir convenablement ses invités ; il faut aussi se rendre disponible pour eux. Quand on reçoit quelqu’un, on doit avoir du temps et de l’énergie à lui consacrer, être pleinement présent, satisfaire ses besoins et ses requêtes, et lui offrir toute notre attention.
Parfois aussi, on doit savoir laisser le silence s’installer entre nous, pour s'imprégner mutuellement de nos émotions. La communication entre Hommes et Végétaux passe majoritairement par un langage non-verbal, bien sûr, qui se tisse en subtilité. De même qu’il faut du temps pour apprendre à connaître une personne, s’habituer à sa façon de parler, à l’énergie qu’elle dégage, mais également sentir ce qu’elle sent, voir le monde à travers ses yeux, être en confiance à ses côtés pour accepter de se livrer, apprendre à connaître une plante ne se fait pas du jour au lendemain.
Une relation solide, franche et durable, se bâtit pas à pas, et celle qu’on va nourrir avec la plante qu’on diète suivra les étapes d’une rencontre réelle : nettoyer et ranger sa maison pour lui offrir un lieu de séjour agréable, attendre son arrivée, l’accueillir avec respect, être 100% disponible pour elle, écouter ses paroles, s’ouvrir à sa vision du monde, commencer à partager des choses intimes sur soi, et pour finir nouer une vraie amitié.
C’est là qu’entre en scène la nécessité de l’isolement, cette solitude en pleine jungle qui nous rend véritablement ouvert, attentif et disponible à la rencontre. Si les Shipibo insistent tant sur l’importance de la concentration lors d’une diète, sur le fait d’avoir son intention bien claire en soi et de ne pas se laisser distraire par les parasites du mental, c’est pour répondre à cette posture interne. Sans concentration, inutile d’espérer attirer les esprits.
Dans la réalité de la diète, la métaphore déborde son cadre pour prendre vie dans le réel.
Notre tambo, ce petit abri précaire réduit à l’essentiel, dépouillé de tout superflu, devient notre corps-esprit. Tendu dans l’attente de l’arrivée de notre plante, notre attention tout entière se concentre sur la porte s’ouvrant vers l’univers de la selva, entrée symbolique qui crée le passage entre deux royaumes, celui des Hommes, et celui des plantes.
L’allégorie et le réel se confondent et commencent à fusionner, une communication entre esprit et matière s’installe, invitant les mères à se condenser dans notre réalité…
Sachant que l’ibo se manifeste par des signes subtils, tels que les rêves, les émotions, les visions, les insights, ou encore les synchronicités, il faut savoir lui prêter une oreille constante, et ceci ne peut se faire que loin du brouhaha incessant de la vie sociale, dans le silence intérieur. Il s’agit d’apprendre à écouter des éléments auxquels on est d’ordinaire peu attentif.
C’est ainsi que, petit à petit, la voix de notre plante se fait plus claire, plus précise, plus forte. Des souvenirs enfouis rejaillissent, portant en eux un message essentiel au sujet de notre présent. Les rêves deviennent de plus en plus lucides, changent de nature, passant de vague bataille avec son inconscient à lieu privilégié de transmission. En cérémonie d’Ayahuasca, les visions nous entrainent vers des dimensions du savoir inconnues. Les synchronicités émergent.
Les informations transmises par l’ibo de notre plante trouvent leur chemin en nous, un début d’alliance commence à naître, accompagné du sentiment d’un travail important accompli main dans la main.
Selon les scientifiques, rester pendant de longues périodes dans le silence et cesser d’utiliser le langage verbal réduit l'activation de certains circuits du cortex cérébral qui, dans un état de conscience ordinaire, rendent les fonctionnalités rationnelles prédominantes. En limitant partiellement la pensée logique, la sphère intuitive et instinctive — généralement refoulée dans notre vie quotidienne d'Occidental — s’éveille, et nous lui portons naturellement plus d’attention, ce qui favorise l’entrée en contact avec l’autre monde.
D’autre part, il faut noter que cette pensée métaphorique à laquelle nous invitent les Shipibo nous incite à une certaine visualisation, à une personnification mentale de notre plante, ce qui à son tour va éveiller dans notre inconscient des réponses dans nos rêves et nos visions. Offrir un cadre symbolique et structurel à l’ibo lui fournit ainsi un cadre “matériel” pour se manifester.
Reste à savoir faire la différence entre ce qui vient réellement de la plante qu’on diète, et ce qui vient de nous…
RECONNAÎTRE LA MANIFESTATION DE L’ESPRIT D’UNE PLANTE
Notre plante peut utiliser tous nos sens pour communiquer avec nous : sensations physiques, odeurs, voix, sentiment de présence, que ce soit dans la réalité ordinaire du tambo, au cours d’une marche dans la selva, ou bien dans le monde onirique ou celui, visionnaire, de l’Ayahuasca. Mais elle se manifeste également en utilisant notre psychisme, nos pensées, nos émotions, ou via des mouvements internes encore plus subtils, que nous devons apprendre à reconnaître.
Si l’on en croit les Shipibo, ce sont les plantes elles-mêmes, en des temps immémoriaux, qui leur ont appris à les diéter, afin de pouvoir leur transmettre leurs enseignements. Peu à peu, des pratiques rituelles ont été élaborées afin de renforcer toujours davantage la qualité du contact entre consciences humaine et végétale. La diète est donc un protocole assurant la pureté de la communication avec le monde des esprits.
Apprendre à se laisser guider par les messages de notre plante, suivre ses instructions, adopter les nouvelles façons de travailler qu’elle nous suggère, c’est ça qui va nous permettre d’avancer dans la connaissance, qu’il s’agisse de la connaissance de soi en diète de guérison, ou bien de la connaissance de la médecine en diète initiatique. Toute la subtilité est de savoir faire la distinction entre les transmissions qui viennent de l’ibo et celles provenant de l’ego. Un piège complexe à éviter.
Il existe des gardes-fou établis par les Shipibo pour contrecarrer cette méprise, qui nous entraînerait immanquablement vers le côté obscur des plantes, thème que nous aborderons plus loin dans cet article.
Ces trois mesures de sécurité sont les suivantes :
Nous préparer en nettoyant notre corps et en purifiant notre psychisme avant l’entrée en diète, mettre en place un cadre rituel.
S’assurer de la sincérité de notre démarche, de notre détermination et de notre attitude respectueuse envers le monde spirituel.
Nous inciter à l’intégration de l’expérience.
On a déjà parlé de la préparation, et nous évoqueront l’intégration un peu plus loin, alors ici on va se concentrer sur le deuxième point, c’est-à-dire notre disposition intérieure face à la diète. Pour tout dire, c’est un aspect si fondamental dans la réussite d’une diète de plantes que l’article suivant de ce dossier lui sera entièrement consacré.
Pour le moment, concentrons-nous sur l’importance majeure de notre engagement dans le travail thérapeutique qui s’annonce.
L’IMPORTANCE DE L’ENGAGEMENT PERSONNEL : UN CONTRAT SIGNÉ AVEC LE MONDE INVISIBLE
Entrer en diète signifie établir un contrat entre trois intervenants : nous, le chaman, et la plante. Seul le respect de ce contrat pourra garantir le succès de la diète.
Le temps passé dans la jungle, avec une date de début et une date de fin, encadré par les rituels d’ouverture et de fermeture de diète, est inclus dans le contrat. Cette durée précise, établie dès le départ, doit absolument être respectée, peu importe les doutes qui surgissent en chemin, car c’est cette durée qui fournit aux plantes et aux Hommes un cadre au sein duquel accomplir leur tâche commune.
Pour le chaman, honorer sa part du marché veut dire prendre soin de nous avec bienveillance et dévouement, et faire de son mieux pour nous connecter avec l’ibo de notre plante, par ses chants, par les pratiques thérapeutiques qu’il va réaliser sur nous, par les remèdes qu’il va nous proposer en cours de route afin de nous ouvrir toujours davantage, mais aussi en “redressant” notre diète régulièrement, tout en respectant certaines règles de son côté, comme par exemple, ne pas avoir de rapports sexuels durant toute la durée de notre diète, ce qui nous exposerait à une interaction énergétique dangereuse.
Pour la plante, le contrat stipule qu’elle devra répondre à notre intention dans le temps imparti à la diète, sous réserve que, de notre côté, on se dédie tout entier à l’initiation, en se rendant indisponible à tout le reste.
C’est un geste très fort, de tourner le dos à tout ce qui n’entre pas dans le cadre de sa croissance… De choisir volontairement d’investir tout son temps et toute son énergie à guérir, à apprendre, à évoluer. Naturellement, les enseignements reçus seront à la mesure de notre investissement — on pourrait dire du sacrifice consenti —, même si l’on ne s’en rend pas forcément compte tout de suite.
Il faut parfois des années pour réaliser que notre plante a bel et bien accompli sa part du marché, car ses transmissions sont telles des graines qui germeront quand le terrain leur sera favorable, mais qui pourront aussi rester en sommeil si on ne fait pas l’effort de l’intégration une fois de retour à la maison...
Comme on le verra dans le chapitre sur l’Alchimie, l’apprentissage est souvent hiérarchisé : il commence par s’enraciner dans le corps, avant de monter vers le niveau émotionnel, puis psychique, pour enfin s’épanouir vraiment dans notre dimension spirituelle. L’inverse arrive également : on vit des expériences mystiques très élevées dont on comprend profondément le sens, mais il faudra des années avant de faire “descendre”, d’incorporer ce savoir et de l’incarner dans la vie quotidienne…
Dans un sens ou dans l’autre, il faut avoir confiance dans le fait que les transmissions de notre plante sont enregistrées et stockées quelque part en nous, et nous seront accessibles lorsqu’elles pourront être véritablement intégrées. Un peu comme des pièces de puzzle éparses qu’il nous faudra réassembler pour enfin accéder à l’image finale.
Cependant, il arrive aussi que les révélations soient données dans un ordre quasi linéaire, dans les rêves qui se suivent, les cérémonies qui reprennent là où les précédentes avaient terminé, et qu’on se sente évoluer rapidement, avec logique, vers toujours plus de connaissance de soi.
Quoi qu’il en soit, il faut avoir foi dans le contrat signé et être persuadé que l’objectif qui préside à notre diète sera accompli à la fin du processus enclenché.
Enfin, pour nous, le contrat stipule de respecter l’ensemble des règles dont on va voir la liste plus loin, mais aussi d’adopter une posture interne sur laquelle il est important de s’arrêter ici, car elle est déterminante dans l’expérience qu’on va vivre.
C’est là qu’intervient la nécessité de poser une intention.
A notre arrivée dans la jungle, le guérisseur va nous demander nos raisons de solliciter l’autre monde, afin de s’assurer de notre sérieux et de notre sincère volonté de guérir, mais aussi d’estimer notre attitude vis-à-vis des plantes et le respect que nous sommes prêt à leur témoigner.
Bien que les Shipibo tolèrent que l’on soit simplement curieux envers le monde invisible, ce n’est pas non plus une démarche qu’ils encouragent. Pour eux, soit on veut guérir, soit on veut devenir chaman, il n’y a pas vraiment d’entre-deux.
Cependant, par la force des choses, ils ont dû apprendre à s’adapter aux requêtes des Occidentaux, dont beaucoup se rendent en diète dans une intention d’accomplissement personnel ou d’exploration mystique. Traditionnellement, les gens avaient peur de l’Ayahuasca et jamais ils ne l’auraient bue par simple curiosité. Pareil pour la diète de plantes : le retrait hors du monde qu’elle impose, avec son régime alimentaire stricte et son abstinence sexuelle, n’est pas une chose dans laquelle ils s’engageaient volontiers, car cela implique une longue période sans pouvoir travailler et prendre soin de sa famille. De plus, ceux qui s’y livraient ne le faisaient que pour se soigner, pas dans un but d’évolution.
Le chaman était celui qui intercédait pour eux auprès des esprits, et il n’était pas question de les rencontrer soi-même.
A présent, la déferlante du tourisme chamanique a changé la donne, les Shipibo se sont donc mis à offrir des retraites dédiées à la réalisation spirituelle, et même leur langage s’en est trouvé modifié, incluant désormais des termes propres au courant New Age… Pour autant, ils n’apprécient vraiment pas la désinvolture et la paresse, et s’ils acceptent de s’engager avec nous, alors nous devrons travailler pour de vrai.
Lors d’une de mes diètes, il y avait un participant présent pour un problème d’addiction à la ganja et à l’alcool. Après quasiment deux mois de diète, il n’avait pour ainsi dire pas avancé, manquant de concentration, faisant des entorses au régime alimentaire en allant voler des fruits à la cuisine dans la nuit… Il était bientôt temps pour lui de quitter le centre, et il n’avait qu’une idée en tête : boire un coup à peine sorti.
La veille de son départ, les chamans lui ont appris que la plante qu’il avait diétée ne tolérerait pas qu’il boive à nouveau. S’il s’y risquait, il s’exposerait à des risques extrêmement graves de réactions physiques pouvant entrainer sa mort. En apprenant ça, il l’a pris comme un sale tour joué par les guérisseurs, et dans un sens, c’était en effet le cas. Ils avaient fait en sorte qu’il respecte la promesse qu’il s’était faite à lui-même, qu’il le veuille ou non.
Quand je parle du sérieux de notre démarche, voilà ce que je veux dire ; les chamans ne sont pas là pour rigoler et s’ils sentent que nous nous moquons de la Medicina, ils n’hésiteront pas à nous le faire payer…
Mais pire encore qu’une curiosité mal placée ou une volonté défaillante, l’intention de se servir des plantes pour apprendre la sorcellerie et gagner un pouvoir de manipulation n’est pas bien accueillie, du moins par les vrais curanderos qui nous refuseront leurs services, ou bien au contraire, décideront d’entrer dans notre jeu pour nous confronter à notre noirceur et nous livrer pieds et poings liés aux plantes, qui, selon leurs propres termes, nous puniront !
Et je peux vous garantir qu’ils en riront ensemble ensuite, en se tapant dans le dos du mauvais coup qu’ils nous auront fait !
Un chaman voit clair dans nos intentions, peu importe comment nous tentons de les camoufler. Raison de plus pour se montrer honnête au sujet des raisons qui nous ont conduit face à lui.
Poser une intention forte et sincère est donc de mise, peu importe sa nature du moment qu’elle est authentique, portée à la fois par le cœur, l’esprit et la volonté.
SAVOIR ÊTRE HUMBLE
Plus que tout, sans doute, l’humilité est la vertu la plus importante à nourrir en diète de plantes, car c’est la seule posture adéquate lorsqu’il est question de se lancer dans l’inconnu, et à fortiori, dans la rencontre avec une intelligence dont on ignore tout.
L’humilité est la seule attitude qui reflète une véritable ouverture.
Oublier un peu son paradigme habituel, savoir mettre sur pause ses certitudes, ses croyances, ses attentes, ses projections, mais aussi son besoin de tout comprendre et de tout expliquer tout de suite en surmentalisant nos expériences, s’en remettre à des puissances supérieures avec confiance, s'abandonner entièrement à ce qui advient le moment venu, embrasser la complexité de ce qu’on vit sans user des béquilles à penser réconfortantes du rationalisme, mais aussi prêter l’oreille sans jugement au mode de pensée différent du nôtre qu’est celui des Shipibo, sans doute est-ce là l’ouverture la plus grande dont on puisse faire preuve le temps d’une diète de plantes, et elle s’articule autour du sentiment d’humilité, à l’encontre totale de l’arrogance de l’ego et de sa volonté de pouvoir.
Si l’on cherche sans cesse à apposer ses grilles de lecture ordinaires, ses catégories mentales et ses méthodes basiques de classification et d’analyse sur ce qu’on est en train de vivre, alors il est fatal qu’on passera complètement à côté de l’expérience profondément unique qui nous est offerte.
Être humble en diète, c’est refuser de laisser notre ego s’emparer des messages des plantes pour se les approprier comme s’ils émanaient de sa propre “sagesse”. Cette tendance à l'inflation de l’ego — si commune dans le monde spirituel d’aujourd’hui, qui nous fait croire que, parce que nous avons reçu une transmission ou vécu une expérience transcendante, nous sommes des élus des plantes — doit être détectée et déracinée le plus vite possible, au risque de chavirer dans le monde obscur des végétaux où tout est question de pouvoir et de manipulation.
Heureusement, les chamans shipibos sont très doués pour ça, et savent comment remettre l’ego à sa place. Mais de notre côté, seule l’humilité la plus pure pourra nous permettre, à nous, de faire preuve de discernement et d’écarter d’emblée toute mentalisation de l’ego qui cherche à s’alimenter.
Identifier les voix trompeuses qui nous gouvernent n’est pas toujours aisé, mais c’est seulement après l’avoir fait qu’on peut considérer qu’on est vraiment en contact avec la mère de notre plante, et que c’est bien sa voix à elle qu’on écoute…
L’INTELLIGENCE ET LA SAGESSE DES PLANTES
Et en définitive, établir la différence entre nos multiples voix intérieures et la voix de notre plante n’est pas si difficile, car l’intelligence de l’ibo ne peut pas se comparer à la nôtre, tant elle est extraordinaire ! Elle est très nettement supérieure à celle dont on peut faire preuve dans notre conscience ordinaire, et suscite chaque fois la surprise.
La façon dont elle élabore une stratégie unique pour nous aider, surpassant de loin les prétentions et capacités des chamans eux-mêmes, les formes qu’elle emploie pour communiquer avec nous, le matériel psychique et émotionnel qu’elle va exhumer pour mettre son message à notre portée, ne peuvent qu’amener à penser que l’on fait face à une intelligence cosmique… dont les chamans ne sont que les agents, dont le rôle est d’établir les conditions favorables à ce qu’elle puisse agir, s’exprimer, et surtout être reçue, dans toute son ampleur.
Ici, j’aimerais citer un long texte trouvé sur le site de Takiwasi, car il s’agit à mes yeux du plus bel hommage jamais rendu à la sagesse végétale :
Cette intelligence ne juge pas, elle n'a pas un ton de reproche, elle est pleine de bienveillance mais sans complaisance, généreuse mais exigeante, pleine de sagesse et orientée vers le bien, le bon, le vrai. Elle peut être sévère sans méchanceté et pleine d'humour sans moquerie, droite sans raideur et souriante sans sarcasme. Elle minimise notre tragédie intérieure sans la banaliser. Elle se présente comme une bonne conseillère dont le ton, la manière et les instructions sont parfaitement adaptés à chaque individu selon ses capacités cognitives, son intelligence émotionnelle, son parcours de vie, son caractère, ses besoins du moment et les demandes ou intentions qu'il a formulées.
Elle montre un respect absolu pour la liberté du patient, sans aucune intrusion dans son monde intérieur où elle n'entre pas sans permission. Ses interventions peuvent surprendre, vaincre les préjugés et dépasser les attentes de ses auditeurs, parfois de manière inattendue et, en ce sens, ne peuvent pas être attribuées à une expression de la psyché ou de l'inconscient du patient. Elle peut fournir des données ou des révélations sur le passé du patient ou de ses ancêtres qu'il ne connaît pas, mais ces données peuvent éventuellement être vérifiées. Elle permet même parfois d'accéder à des éléments d'anciennes traditions, symboles, mythologies, sans aucun rapport avec l'histoire du sujet ou ses références culturelles d'origine.
Elle n'ordonne ni n'adopte un ton autoritaire, mais elle invite, demande, conseille avec une gentillesse qui n'exclut pas la fermeté.
Elle peut également adopter la stratégie du silence pour encourager une écoute plus attentive et inviter le patient à revoir l'adéquation de sa position : les engagements précédents ont-ils été respectés ? Y a-t-il du respect dans la rencontre ? La sincérité est-elle présente ? Les conseils ou réponses déjà fournis ont-ils été pris en compte ? C'est toujours une question de vérité et d'authenticité qui conditionne la poursuite des « rencontres ».
Elle fait preuve d'autonomie, de volonté personnelle et de liberté et ne peut être manipulée ou convoquée à volonté. Elle est toujours perçue comme venant d'un au-delà du patient et non des instances internes du sujet, même profondément enfouies dans l'inconscient.
Elle n'est pas une bavarde impénitente et ses interventions sont généralement brèves, condensées, sobres et concises. Ses réponses ont la force de la simplicité sans être simplistes. Elle humilie l'arrogance sans méchanceté et sans humiliation gratuite. Elle attire sans subjuguer.
Ses paroles sont accompagnées d'une autorité naturelle qui les rend claires comme la lumière du jour, pleines de sagesse. Elle n'entre pas dans les discours intellectuels, rhétoriques, dans les débats stériles, mais se concentre sur des réponses implacables dans leur évidence et leur bon sens. Il ne lui est pas nécessaire de discuter et d'argumenter sans fin pour emporter la conviction du sujet qui reste libre d'ignorer ou refuser d'écouter, même face à l'exposition d'une logique imparable qui affecte non seulement la sphère cognitive mais s’accompagne de la mise en évidence des mécanismes de résistance de l’auditeur à sa parole. Cette extrême cohérence se maintient lors d'interventions successives, à des moments différents et sans jamais se contredire.
Enfin, elle peut utiliser un langage très direct mais aussi s'exprimer métaphoriquement, parler en paraboles, illustrer son enseignement avec des exemples, des analogies, des comparaisons, des images, utiliser des proverbes, des dictons, des strophes de poèmes ou des chansons.
LA DIÈTE DE GUÉRISON
Chacun d’entre nous a des raisons intimes de s’engager dans une diète de guérison, des plus physiques aux plus spirituelles. Plus ces raisons sont pressantes, plus l’intention qui les soutient sera impérieuse, et donc, plus la détermination sera puissante, ce qui est bien évidemment un atout dans ce long processus thérapeutique qu’est la diète.
Dans le silence et la solitude, sans distractions et sans divertissements, sans aliments réconfortants et sans agitation inutile, loin des conditions qui déterminent habituellement notre existence, la diète nous fait plonger dans une dimension de nous-mêmes jusqu’alors inconnue, parfois prison, parfois refuge, où nous seront contraint de séjourner.
Confronté à ce que nous sommes sans possibilité de fuite, dans cette zone où notre nature profonde se révèle dans ses plus hautes qualités comme dans ses plus bas défauts, notre être va commencer à observer, puis à faire le tri. Peu à peu, nos pensées et le regard qu’on porte sur nous-mêmes vont se modifier, on va pouvoir faire le point, commencer à s’explorer sous un nouveau prisme, et éveiller des émotions et des réflexions inédites, mais également des capacités, qui sont du domaine de la pure action (que le monde occidental qualifierait de “symbolique”), qui nous sont ordinairement inaccessibles, grâce à cette contrepartie inconsciente spirituelle dont j’ai parlée plus haut, notre yoshin.
La diète vise à dévoiler et déployer nos potentialités latentes, désirs et talents qui n’ont pas été reconnus, exploités, incarnés. Elle va venir déterrer nos fragilités reniées, nos souffrances enfouies, nos colères non écoutées, et les soutenir dans leur expression, afin de nous offrir de les comprendre, de les accepter, et peut-être, de nous en libérer...
Mais cette éclosion, cette maturation des forces cachées en nous (peu importe qu’on les juge favorables ou nocives, car toutes sont légitimes et toutes ont besoin de s’épancher), ne peut se réaliser sans se purger des schémas délétères et des conditionnements qui interdisent leur manifestation. Peur, valeurs parentales prohibitives, manque d’estime de soi, absence de foi, tout ce qui constitue un frein à leur libre expression.
Les dessins nuisibles qui nous parasitent et esquissent les barreaux de la cellule dans laquelle notre être est circonscrit doivent être arrachés et détruits, avant de pouvoir être remplacés par les dessins harmonieux que notre plante va graver en nous, rétablissant notre lien à la nature et à toute chose. La vitalité de notre plante de diète qui va faire pression en nous pour faire sortir tout ce qui est métaux et virus, tout ce qui est maladie et mort, pour nous rendre notre santé, notre joie, autrement dit, notre puissance d’Homme.
En définitive, l’objectif de toute diète de guérison est de se réaligner sur la juste vibration, celle de notre être profond, pure énergie vitale dont est friand notre kaya, notre âme, notre principe de vie.
Mais pour atteindre cette résurrection, il faut avoir pleinement conscience que la diète constitue un engagement moral, physique, psychologique, émotionnel et spirituel très fort, qui requiert impérativement une participation globale à notre propre traitement, sans laquelle aucune guérison n’aura lieu.
Car si la diète de guérison nous met en contact avec la mère d’une plante afin qu’elle agisse en profondeur sur notre organisme et notre psychisme et nous partage sa sagesse, cette mère doit avant tout être abordée comme une aide, une guide qui va nous accompagner dans notre quête de réalisation, mais qui ne fera jamais le boulot à notre place. Ses messages, ses instructions, son énergie sont là pour nous aider à nous comprendre nous-mêmes, à nous libérer et à assumer ce que nous sommes, dans le but final de nous faire découvrir notre propre maître intérieur.
Être libre, sans être assujetti à sa puissance, ni à celle du chaman, qui n’accepteront jamais qu’on remette passivement notre guérison entre leurs mains. Car la liberté, ce n’est pas sauver quelqu’un malgré lui. La liberté, c’est lui apprendre à se sauver par lui-même.
Bien sûr, on peut tout de même considérer les plantes maîtresses comme des psychologues spécialisés, tant chacune est savante dans un domaine particulier. Je vous invite à consulter le Répertoire des Plantes Maîtresses Amazoniennes pour vous en rendre compte par vous-mêmes.
Certaines sont des pros dans le traitement du stress post-traumatique, d’autres de la dépression, d’autres encore de l’addiction. Les plantes possèdent bel et bien des fonctions psychothérapeutiques spécifiques, mais il n’en demeure pas moins que ce ne sont pas vraiment elles qui nous guérissent, pas plus que le chaman. Leur rôle se borne à stimuler et amplifier nos propres forces curatives, les capacités d’automédication de notre conscience, sa résilience. Les plantes éveillent les qualités uniques de notre maître intérieur, et rétablissent notre connexion à lui. Elles nous relient directement à la source qui abreuve notre kaya.
LES 3 PHASES D’UNE DIÈTE DE GUÉRISON
PHASE DE NETTOYAGE
Dans la première phase de la diète, notre plante va commencer par “faire sortir le mal” afin de se créer de l’espace pour déployer son énergie. Elle va jeter dehors tout ce qui ne résonne pas avec son essence. Sachant que chaque plante travaille sur une problématique spécifique, et qu’elle est prescrite dans le but de nous rééquilibrer, son premier mouvement sera naturellement de nous nettoyer de tout ce qui va à l’inverse de sa médecine.
Le souci, c’est que tout ce qu’elle fait sortir, on va le sentir passer. Et pas d’une façon agréable ; cette phase de nettoyage se vit parfois comme une véritable exacerbation de tout ce qui cloche.
On peut voir ça comme une crise de manque de junkie. Les toxines quittent notre corps, entrainant mal-être, fièvre, douleurs généralisées ou localisées, nausée, diarrhée, irritabilité, apparitions de furoncles ou de marques sur la peau... Tout notre organisme est détraqué et notre psychisme est dans le même cas. Cependant, ces maux sont tout à fait normaux et ne constituent pas une excuse pour interrompre la diète. Il s’agit simplement de manifestations transitoires de dépuration globale de l’organisme, liées aux contenus psycho-émotionnel qui surgissent.
La force de notre plante draine, accroche le mauvais, les déchets, ce qui encombre, ce qui entrave, ce qui n’a plus lieu d’être, et les emporte par nos voies d’évacuation. En diète, on nettoie et on ne salit plus.
Prenons l’exemple du Tabac. Puisque sa médecine vise la force physique, la droiture et la clarté mentale, alors durant la première phase de la diète, il va nous débarrasser de tout ce qui ne correspond pas à ces vertus. Résultat ? On est la proie d’une faiblesse incommensurable, si bien qu’on n’arrive même pas à se tenir droit, et le mental devient loco, sautant d’une pensée à l’autre tel un ouistiti victime d’hyperactivité.
La diète du Chiric Sanango est aussi emblématique. Étant donné que ses qualités sont celles du courage, de la chaleur humaine et de l’affirmation de soi, la phase de nettoyage amplifiera d’une façon violente ce dont on cherche à se libérer. Sensation de froid intense avec tremblements et anesthésie des extrémités, peur irrationnelle, timidité maladive…
Et on peut continuer comme ça avec toutes les plantes ! Au début, on connaitra exactement l’inverse de ce que la plante est censée nous apporter, et on sera donc la proie d’effets physiques et psychologiques très marqués, à la mesure de la force et de l’ampleur des troubles dont on cherche à se soigner.
Si les Occidentaux auraient tendance à traduire ce processus par le fait de “prendre conscience” de ses troubles et de ses blocages, qui se font enfin connaître d’une manière impossible à nier vu la violence des symptômes, pour les Shipibo, il s’agit davantage d’un travail corporel et énergique pur, comme une sorte d’exorcisme, disons, où les forces malades qui nous parasitent se font chasser par la médecine des plantes. Ils disent aussi que les “mauvais dessins” se dissolvent…
Une autre lecture alchimique est possible ; considérer que la lumière de notre plante vient dévoiler, mettre en éveil les ombres tapies en nous. Leur obscurité n’est pas à juger comme négative, puisqu’il s’agit simplement de forces secrètes, de qualités non révélées, que la lumière de la conscience n’a pas encore touchées. Nous reviendront en détail sur cette lecture dans le chapitre consacré à l’Alchimie.
Si vous souhaitez d’ores et déjà explorer les liens entre Diète de Plantes et Alchimie, vous pouvez suivre ce lien.
Durant cette phase de la diète, nos rêves et nos cérémonies d’Ayahuasca seront également impactés par le processus d’épuration : confusion, violence, peur, manque d’intelligibilité... Inutile de préciser que notre humeur s’en ressentira et qu’elle sera sans doute en dents de scie, alternant entre espoir hystérique et désespoir abyssal. Le mental, lui aussi, s’en donnera à cœur joie, rendant toute concentration et toute vigilance envers ses propres pensées quasiment impossible…
Mais cette sorte de chaos primordial est inévitable et nécessaire, et ce pour deux raisons : on ne peut pas atteindre la racine de la maladie sans se salir les mains dans le marécage qui est son antre, et on ne peut pas recevoir de nouveaux savoirs sans s’être d’abord rendu vierge de toutes les fausses croyances qui nous encombrent.
Cette phase est indéniablement celle de la déconstruction, de la défragmentation.
Accepter de vivre dans une vertigineuse incertitude, arraché aux mensonges réconfortants et aux illusions qui nous maintenaient debout, brutalement extrait de sa petite narration intérieure et des définitions derrière lesquelles on se planquait, n’est pas chose facile, mais plus on tentera de s’accrocher à l’image obsolète de soi, plus l’ego engagera de résistance pour se protéger, plus cette phase de la diète sera longue et éprouvante.
Si la plante que nous diétons est une graine semée en nous, alors pour accepter de naitre, elle doit percer la gangue qui la sépare du monde et traverser la terre noire avant de rencontrer la lumière.
Il n’y a pas d’autres voies possibles.
PHASE D’APPRENTISSAGE
Si on était un junkie, c’est le moment où on comprendrait les causes de notre comportement addictif, et les raisons pour lesquelles on a choisi cette drogue — autrement dit cette façon de penser, de souffrir, cette attitude et ces croyances — pour tenter de se soigner (ou du moins minimiser les symptômes de la maladie).
Être capable de regarder d’un œil lucide et dépassionné ce que notre plante est en train de mettre en lumière signifie qu’on est prêt à entrer dans la phase d’enseignement de la diète.
C’est ici que l’humilité revient en force. Si notre ego refuse de lâcher prise, oscillant entre sentiment de toute puissance et victimisation, il y a de fortes chances qu’on stagne. Se confronter à ses problèmes n’implique pas de s’identifier à eux ; au contraire, l’idée est de parvenir à les voir sous un angle nouveau.
Sans parler nécessairement d’objectivité neutre et impartiale, puisque dans la diète, la subjectivité est à la première place et que les émotions sont la voie menant à la compréhension de soi, l’idée est d’arriver à se considérer avec amour, comme l’Ayahuasca le fait par exemple, sans se mépriser, s’énerver ou culpabiliser pour ses faiblesses, ses bassesses, ses défauts. Toutes ces choses qu’on estime indignes.
Parvenir à épouser le regard dénué de jugement de notre plante autorise nos maladies à s’exprimer pleinement et c’est en les laissant se déployer qu’on parvient à remonter jusqu’à leurs racines. C’est ainsi qu’on va éveiller les pouvoirs curatifs de notre propre conscience, en accédant à la sphère de guérison de notre plante, l’essence de la pure Medicina, au sein de laquelle va avoir lieu le traitement en tant que tel.
Nos rêves vont se clarifier, devenir plus lucides, plus enseignants. Changer de nature et devenir porteurs de messages vraiment médicinaux.
Puisqu’on autorise chaque jour davantage son inconscient à s’exprimer, la barrière qui le séparait de la conscience se dissout peu à peu, faisant transiter davantage d’informations vers elle : les souvenirs enfouis se libèrent, nos archétypes émergent, la figure métaphorisée de notre plante se manifeste. Du moins, selon la vision occidentale de la chose.
Pour les Shipibo, le domaine des songes est également celui des plantes, leur canal privilégié de communication, aussi sont-ils particulièrement attentifs à ce que nous vivons dans le monde onirique, et peuvent même nous féliciter quand ils considèrent qu’on a accompli quelque chose d’important dans un rêve, ou au contraire nous fustiger quand ils estiment qu’on a fait quelque chose de mal !
Cet aspect de la Medicina sera abordé en détail dans le chapitre consacré au rêve.
Durant les cérémonies d’Ayahuasca, la même mécanique est à l’œuvre. Chaque nuit, notre ouverture est plus franche, nos intentions plus ancrées, plus véridiques, davantage reliées au cœur qu’au cerveau, notre volonté de nous libérer de ce qui nous entrave s’affirme. Cette nouvelle posture nous fait accéder à un nouveau stade de l’Ayahuasca, d’autant plus que la graine de notre plante est en train de pousser, de monter, de coloniser notre organisme et notre psychisme.
A présent, nous savons ce que nous voulons nourrir, la force d’amour de cette plante qui croit en nous vers la lumière, et nous savons aussi ce dont nous voulons nous débarrasser. Nous avons identifié la racine de notre maladie, logée sous le marécage des symptômes, et nous sommes prêt à l’arracher de terre et trancher ses extensions malignes.
Cette phase de la diète est celle où nous sommes prêt à passer du savoir à la connaissance. Illusions, fausses croyances et formatage conditionné ont été éliminés. Il est temps maintenant de vivre l’apprentissage depuis l’intérieur, enseigné par des êtres spirituels nous prêtant leur regard omniscient pour nous voir nous-mêmes, et surtout voir le monde, comme nous ne les avions jamais vus.
Au fond, c’est ce changement de focal qui est thérapeutique. En dépassant le carcan égotique et ses œillères, notre univers s’expand. Notre plante nous relie à la beauté de la vie et nos aspirations limitées à l’ego s’éclipsent. Elle commence à graver d’autres dessins en nous, qui ne tracent plus les barreaux d’une prison comme le faisaient nos anciens schémas, mais au contraire, nous reconnectent au réseau du Vivant.
C’est ce que, personnellement, je nomme la transcendance.
Cette redécouverte de l’intelligence de la nature, en nous, tout autour de nous, fait sauter le dernier blocage… Le sens de la vie et la nature de la réalité s’en trouvent à jamais métamorphosés. Nous ne sommes plus seuls, isolés, perdus au sein d’un monde cruel.
Nous sommes l’expression unique d’une parcelle de conscience unifiée.
Bien sûr, face à ce genre de révélations, le mental s’apaise et un espace de paix intérieur s’ouvre, rayonnant dans notre poitrine. Un fort désir de changement jaillit et une direction nouvelle s’ébauche : celle de trouver son projet-sens et de tout faire pour l’incarner.
PHASE D’INTÉGRATION
Ici, j’aimerais faire une petite parenthèse car pour beaucoup d’Occidentaux, la phase d’intégration est comprise comme celle qui a lieu de retour à la maison, or ce n’est pas exactement ainsi qu’elle est proposée par les Shipibo.
Voilà comment se déroule une diète faite dans les règles de l’art, sur une durée de 30 jours :
Les 10 premiers jours, on boit notre plante, on sème la graine.
Les 10 suivants, on cesse de la boire, et c’est là qu’elle commence à “entrer” dans notre corps énergétique, à s’enraciner, à pousser, et à délivrer ses enseignements.
Les 10 derniers jours, on intègre ce qu’on a reçu. Notre plante est haute et épanouie, et l’on est supposé se voir à son sommet, en rêve ou en cérémonie, et être couronné par son esprit. Les icaros du chaman ont pour but d’encastrer sa médecine en nous, afin qu’elle y reste, notamment avec l’armure de kené et les arcanas, comme on l’a vu dans l’article précédent. Ainsi, en quittant le centre de Medicina, le plus gros du travail a été accompli et il n’y a plus besoin de travailler dessus.
Naturellement, ce n’est pas pour autant qu’il n’y aura aucun effort à faire dans le futur pour modifier sa vie selon les nouvelles perspectives acquises, mais de leur point de vue, la diète d’un mois est un processus complet en tant que tel, qu’il faut investir dans tous ses tenants et aboutissants au moment même où on l’accomplit.
Cependant, l’écart immense existant entre nos deux cultures m’incite à penser qu’ils ne réalisent pas tout à fait l’ampleur du chalenge que représente le fait d’incarner les enseignements des plantes de diète dans la vie quotidienne occidentale. Je ne dis pas qu’un Shipibo traité pour son alcoolisme n’aura pas lui aussi des difficultés à honorer la nouvelle version abstinente de lui-même une fois de retour au village. Simplement, le fossé entre la vie dans la selva et la vie en Occident étant phénoménale, on peut facilement être amener à croire que ce qui s’est passé en diète n’était rien de plus qu’un très, très joli rêve…
Pour terminer la métaphore du junkie, cette phase où l’on est nouvellement abstinent implique de réapprendre à vivre sans dope… et de mettre à l’épreuve du réel toutes les promesses qu’on s’est faites à soi-même dans l’espace protégé, non soumis à la tentation, du centre de desintox. Plus facile à dire qu’à faire.
Je vous invite à lire le Voyage du Héros version Ayahuasca si vous avez envie de rigoler un peu en découvrant les 12 étapes qui vous attendent avant, pendant et après la diète de plantes !
Une chose est sûre : si l’intégration a été bien faite, peu importe à quel moment on la place, la mue est opérée et les anciennes peaux tombent toutes seules, sans avoir besoin de les arracher. En revanche, comme je le disais en évoquant la question du contrat, cela peut mettre un peu de temps pour arriver… Le temps qu’on soit prêt, tout simplement, même si notre détermination est bien sûr un facteur clé dans la rapidité du processus.
Je peux personnellement en témoigner. Dans le passé, j’ai connu des phases aiguës d’autodestruction à l’alcool. Parfois, pendant plusieurs mois, je picolais seule, dès 10h du matin, jusqu’à plus tenir en l’air. A présent, ceci a complètement disparu de ma vie.
Autre chose qui peut paraitre sans importance : toute mon adolescence et jusqu’à mes 30 ans (quand j’ai commencé à faire des diètes chaque année), j’ai été migraineuse. Un jour, j’ai simplement réalisé que ça faisait longtemps que je n’avais pas eu de crise. Et ce n’est jamais revenu depuis, sept ans plus tard.
Pourquoi mon alcoolisme et ma migraine ont quitté ma vie ? Probablement parce que j’en ai soigné la racine spirituelle, dont ils n’étaient que des émanations…
La phase d’intégration est celle de la reconstruction, et de l’épanouissement de la vitalité que notre plante nous a insufflée. L’énergie acquise doit à la fois s’incarner dans la chair et s’élancer vers la lumière, c’est-à-dire se manifester en plein jour, dans notre existence quotidienne, dans notre rapport au monde. Il s’agira donc de se rebâtir sur de nouvelles valeurs, des croyances plus positives, de la confiance, défait des regrets du passé et de l’anxiété du futur, afin d’exploiter ses réelles ambitions, ses talents révélés, ses désirs, sa vocation, son Soi, pour honorer la forme spécifique de cette petite étincelle de conscience que nous sommes, dans l’authenticité et la liberté la plus pure possible.
C’est ainsi que, pour finir, la connaissance transmute en sagesse, qui signifie utiliser le savoir avec éthique.
Pour l’exprimer d’une façon alchimique, on reconstruit son identité sur une terre plus saine (vitalité biologique) qui nourrira les bonnes racines, on s’abreuve d’eau pure (émotions équilibrées), on inhale un air vif (bonnes pensées), et on s’enflamme de passions véridiques (aspirations spirituelles élevées).
Mais gardons en tête que donner vie aux enseignements et modifier sa vie peut prendre du temps, souvent plusieurs années, parce que le message des plantes éclot seulement quand notre laboratoire intérieur (notre corps-esprit) est prêt à l’accueillir, à le faire s’enraciner et mûrir.
Il arrive qu’on comprenne à postériori ce qui s’est passé durant la diète, et on continue à récolter ses perles de sagesse bien longtemps après qu’elle soit finie…
Au fond, ce qui se passe en diète est un travail d’architecte : on construit les plans de sa maison (corps-esprit), on en structure chaque partie, chaque pièce, pour que l’édifice soit capable de résister aux moments tempétueux de l’existence, mais aussi qu’il soit assez ouvert pour recevoir les présents et les opportunités que la vie nous propose…
Les plantes nous donnent les indications pour construire cette maison de la meilleure manière qui soit.
LA DIÈTE INITIATIQUE
Chez les Shipibo, savoir guérir avec les plantes maîtresses et l’Ayahuasca ne s’apprend pas en lisant des livres, en devenant le disciple d’un maître ou en allant en fac de médecine. La Medicina n’est pas un savoir académique dont il suffirait d’avoir étudié les principes pour pouvoir être appliqué.
En Amazonie, apprendre la médecine des plantes passe par une série d’initiations personnelles qui se pratiquent sur plusieurs années. Les Shipibo disent qu’il faut un minimum de dix ans pour devenir un bon curandero et dans ce contexte chamanique, les diètes constituent le pilier central de l’apprentissage.
L’acquisition du savoir indigène n’existe que dans la relation intime que l’apprenti chaman entretient avec les plantes. Comme on l’a vu précédemment, les Shipibo ont coutume d’expérimenter le monde par le biais de différentes modalités sensorielles et par l’intermédiaire de plusieurs états de conscience. Ainsi, appréhender un phénomène peut avoir lieu par la vue, mais aussi l’odorat, le toucher, le goût, le ressenti émotionnel, et ils utilisent les états de conscience modifiés induit par les plantes visionnaires pour connaître de l’intérieur ce qu’ils étudient.
Être chaman est un art qui consiste à savoir sentir, reconnaître, appeler, dompter et canaliser les forces du monde invisible.
Les seuls professeurs de cet art sont les plantes qui, en enseignant l’humilité, la confiance, la patience, apprennent au curandero à se mettre au service de l’énergie vitale afin qu’elle transmette la paix, la joie, la santé et l’amour à ses patients.
Tout comme la diète de guérison, la diète d’apprentissage comporte une importante dimension morale : elle interroge l’apprenti chaman au cœur même de ses motivations, en le soumettant à des épreuves, à des tests, afin d’éprouver sa volonté et sa capacité à se maintenir hors de toute forme d’attachement égotique.
Celui qui résiste aux épreuves sera chaman ; celui qui succombe à la tentation sera sorcier.
La diète initiatique confronte donc le jeune chaman à sa dimension émotionnelle, morale et éthique de façon brutale. Isolé en pleine jungle au cœur d’états modifiés de conscience extrêmes, ses émotions deviennent perceptions, et semblent dotées d’une conscience propre avec laquelle il doit interagir. Ses peurs deviennent des présences, des entités autonomes capables d’interférer avec ses motivations et susceptibles d’entraver son initiation.
Il ne peut pas se mentir à lui-même, ni cacher ses intentions réelles aux esprits des plantes. Et son unique moyen de saisir et de transfigurer ce qu’il expérimente, c’est d’avoir intégré ses peurs et ses parts d’ombres, en accédant à la pleine conscience et à l’individuation.
Même dans un rêve, sa diète peut être tordue s’il se livre à des relations sexuelles ou mange un aliment prohibé. Pour les Shipibo, il n’y a pas de différence ontologique entre les divers modes de conscience. Les actions “symboliques” d’un rêve ou d’une vision ont autant de réalité que ce qui est accompli dans la vie diurne. Aussi, quand le chaman se fait tester, séduire, dans un songe ou en cérémonie d’Ayahuasca, il doit savoir se contrôler, autrement il devra redresser sa diète et la recommencer depuis le début en en doublant le temps.
Apprendre à maîtriser ce qu’il voit est l’objectif primordial de l’apprentissage, comme on l’a vu au chapitre précédent avec les icaros ; si “dire, c’est faire”, alors influer sur le monde onirique en accédant au rêve lucide et prendre le contrôle de l’espace visionnaire (pour, par exemple, réussir à dompter un animal sauvage ou devenir allié avec les esprits rencontrés), est l’art majeur du chaman.
Bien sûr, il doit aussi apprendre à vaincre la peur provoquée par les visions parfois violentes et résister aux épreuves données par les yoshin. C’est l’être du chaman dans sa totalité, consciente-inconsciente, vigile-onirique, qui est mis à l’épreuve lors de l’apprentissage.
Voilà pourquoi devenir guérisseur est un parcours du combattant. Dans l’initiation chamanique, les valeurs éthiques d’un être humain deviennent des entités vivantes, loin des abstractions de la sagesse. Pour maitriser l’expérience, le chaman doit donc se maitriser afin de conserver sa stabilité psychique et émotionnelle, et sa pureté spirituelle.
Et c’est ici que les icaros interviennent, car ces chants sont des outils pour contrôler les états modifiés de conscience, à la fois ceux du chaman et ceux du patient qu’il veut guérir. La diète d’apprentissage passe par une longue période d’incorporation des icaros, où le curandero doit apprivoiser les mélodies reçues des plantes.
Ces chants sont des outils complexes : à la fois système de communication qui permet d’appeler les esprits des plantes, de créer une interface de dialogue avec eux et de véhiculer leur médecine, et moyen de navigation à l’intérieur des visions.
Leur nature mélodique empreinte d’une forte sensibilité affective permet de guider la conscience dans un état de stabilité émotionnelle. L’icaro est à la fois un chemin qui parcourt l’univers des visions, la cordée qui relie les patients au chaman, et la rampe d’escalier à laquelle chacun se tient pour gravir les différents étages du monde visionnaire.
Ce fil d’Ariane musical est donc indispensable pour ne pas se perdre ou se sentir écrasé par le magma des visions.
Sachant qu’un icaro contient l’essence codée spécifique de chaque plante diétée, savoir chanter un icaro signifie comprendre le maniement énergétique d’une plante. Et plus un chaman diète de plantes, plus il connait d’icaros, plus il dispose d’outils de guérison en lui pour soigner tout un panel de maux. La puissance d’un chaman se reconnait donc au nombre d’icaros qu’il chante.
Plus on diète, plus on apprend. Apprendre, c’est apprendre à diéter. Être un bon guérisseur est donc avant tout une vocation, un sacerdoce. Une destinée.
Comme on le voit, apprendre à travailler avec les plantes au niveau énergétique et spirituel demande du temps et une immense abnégation. La diète initiatique est encore plus stricte que celle de guérison, et pour cause ; nourrir son mariri (son énergie chamanique) et acquérir la force et l’enracinement nécessaires à l’assimilation des énergies négatives absorbées chez les patients implique d’avoir travaillé sur soi de longues années.
En définitive, il s’agit d’acquérir une capacité perceptive hors du commun, celle de savoir embrasser la perspective des plantes maîtresses dont le regard est si vaste et si sage, en passant par une longue période de connexion à la nature afin d’optimiser sa sensibilité et sa reliance.
Le chaman doit s’entrainer jusqu’à ce que le tissage entre lui et les plantes soit si étroit qu’il devienne à même de recevoir, de communiquer, d’interagir, d’intégrer et de devenir porteur de ces énergies, pour les diffuser ensuite en cérémonie, par le souffle, le chant, les gestes, par l’intention et l’attention, et dans l’ivresse de l’Ayahuasca qui amplifie l’accès à ces outils.
QU’EST-CE QU’UNE DIÈTE TORDUE OU CROISÉE ?
Être en diète de plante signifie être en relation exclusive avec l’esprit d’une plante. C’est l’exclusivité qui rend possible toute transmission et engendre cette hybridation dont j’ai parlée plus haut.
En ouvrant une porte intérieure qui nous permet d’entrer en contact avec l’essence profonde de toute chose, nous nous mettons également en situation de vulnérabilité, les règles de la diète sont donc en réalité des mesures de protections énergétiques rigoureuses tant pour nous que pour ceux qui sont en contact avec nous et notre nourriture.
La sensibilité extrême qui est la nôtre durant la diète nous expose dangereusement aux interférences nuisibles ; c’est donc une opération délicate qui nécessite un maestro hautement qualifié et un apprenti très motivé.
Lorsqu’on ne respecte pas les restrictions alimentaires et comportementales, il se produit des perturbations physiques, énergétiques et psychologiques appelées “cruzadas” en espagnol (croisement), dont les conséquences peuvent être graves, voire irrémédiables. Elles peuvent apparaître à cause d’aliments nocifs, de mauvaises pensées, d'odeurs fortes, du contact avec une personne ayant une énergie toxique (une femme enceinte ou menstruée, une personne droguée, ivre ou malade, une personne qui ne s’est pas lavée après un rapport sexuel), de grandes variations de température ou encore à cause d'un sorcier…
Lors d’un croisement de diète, on va redescendre brutalement à un niveau inférieur à celui duquel on est parti, et se retrouver dans un état de confusion psycho-émotionelle et de désordre physique. Il faudra d’abord remonter au niveau de départ avant d’espérer pouvoir aller plus loin.
LA CRUZADA DES KANOBO
Pour comprendre ce qu’est une diète tordue ou croisée, il faut revenir sur la notion de kanobo vus au chapitre précédent, ces chants-chemins qui véhiculent l’énergie des plantes, placés en nous par le chaman. Lorsqu’on diète une plante, on est porteur de sa médecine via ces lignes vivantes d’icaros qui deviennent comme des veines pour notre corps énergétique, et dont le “sang” doit circuler librement.
Or, si les règles de la diète sont transgressées — volontairement ou pas, ça ne change rien —, il y a interférences et perturbations énergétiques, les kanobo sont obstrués par un “air” qui parasite la voie d’entrée de la medicina et sa circulation, déplaçant, déviant les chants engrammés en nous qui ne s’ajustent plus correctement.
Donc s’il y a un croisement de diète, il y a un décalage entre la forme-énergie du chant et notre corps énergétique.
Lorsque nos chants ne sont plus alignés, il y a croisement (ramita) des chemins (kanobo) par lesquels la vitalité de notre plante nous est transmise. Celle-ci est perturbée, gênée, empêchée dans son action, et c’est douloureux pour nous, à la fois physiquement et psychiquement. On va voir plus loin les réactions qu’une cruzada peut provoquer.
Ce qu’il faut retenir, c’est que les chemins vecteurs des airs de la plante qu’on diète et ceux des entités prohibées, hostiles les uns aux autres, se mélangent et entrent en conflit. C’est ce que l’on nomme communément la “jalousie” des plantes. Avec nous au milieu, à la croisée des chemins, écartelé au cœur d’une accumulation d’énergies négatives…
Revenir à la métaphore de la graine peut être éclairant pour la compréhension de la nature d’une torsion de diète.
Au début du processus, notre plante est une petite pousse fragile. Elle s’enracine doucement en nous, commence à grandir. Les règles de la diète visent à la protéger des insectes, des coups de chaud, des moisissures, afin qu’elle grandisse et s’épanouisse tranquillement.
Les chants du chaman sont comme un tuteur pour elle, qui l’incite à pousser droit vers la lumière.
Manger du sel serait pour cette petite plante l’équivalent de recevoir une averse de grêle ; manger du sucre créerait de la rouille empêchant sa croissance ; croiser une personne toxique serait vécu comme une invasion de pucerons ; s’exposer au soleil reviendrait à connaitre la sécheresse…
En bref, tordre sa diète revient à détruire cette petite plante ou bien la faire tourner, c’est-à-dire l’entrainer à pousser dans le mauvais sens ; au lieu de se développer harmonieusement en une belle plante vigoureuse pleine de fleurs et de fruits qu’on pourra récolter, elle va devenir une plante porteuse de poison.
Notre chaman doit donc s’assurer régulièrement que notre diète s’inscrit bien dans la connexion avec la médecine de la plante, sa lumière, car chaque plante possède aussi une dimension obscure, dans laquelle on peut chuter sans s’en apercevoir. En diète, il est fréquent par exemple qu’en faisant resurgir des souvenirs enfouis ou occultés, des émotions comme la rancœur, la colère, le jugement, fasse irruption en nous et qu’on s’en saisisse par la pensée, nous entrainant dans un magma nocif d’où l’on n’arrive plus à sortir. Inutile de préciser que dans ce cas-là, on se sera complètement désaxé.
Eh bien, ça aussi c’est une torsion de diète, et le guérisseur devra intervenir pour la rectifier, l’harmoniser à nouveau en corrigeant cette distorsion.
LES SYMPTÔMES D’UN CROISEMENT DE DIÈTE
La gravité des symptômes dépend de la plante prise (certaines sont plus sensibles ou “jalouses” que d’autres), et du type de transgression auquel on s’est livré, ou auquel on a sans le vouloir été confronté.
Généralement, l’effet adverse se manifeste par un renforcement des symptômes qui devaient être corrigés et peut déclencher :
des malaises physiques : diarrhées, vomissements, migraines, coups de chaud, désordres dermatologiques, déséquilibres du système immunitaire ouvrant la porte aux maladies, désorientation, étourdissements, vertiges, bourdonnements d'oreilles, douleurs générales dans le corps, troubles du sommeil, lourdeur pour se réveiller et difficulté à être actif pendant la journée...
des malaises psycho-affectifs : irritabilité, agressivité, dépression, peur, anxiété, colère débordante…
des malaises énergético-spirituels : hallucinations et délires, confusion, cauchemars, troubles de la perception sensorielle, pensées obsessionnelles négatives…
des effets au niveau neurologique et psychique dans les cas les plus graves.
Voici quelques effets possibles d’un croisement de diète : manger du sucre avec la Camalonga peut engendrer des mydriases dans l'œil et une photophobie, des yeux qui pleurent, un trouble de la vision. Utiliser du shampooing et du déodorant avec l’Ajo Sacha peut déclencher de forts vomissements et des douleurs abdominales… Certaines cruzadas sont irrémédiables. Par exemple, il est connu que la Zarza produit un vitiligo irréversible si l’on ne respecte pas sa diète, et que l’Ojé peut donner des insuffisances rénales graves.
J’ai personnellement croisé ma diète de Lupuna il y a quelques années, et quand on connait la puissance de cet arbre, le plus haut de toute l’Amazonie, vénéré dans tous les pays latinos, on mesure à quel point la torsion de sa diète peut être grave… Les circonstances de cette diète étaient très particulières, et je ne vais pas les exposer ici. Je dirais simplement que tout le bas de mon corps, depuis mon ventre jusqu’à mes orteils, s’est mis à gonfler d’une façon vraiment effrayante, et que ça a duré deux semaines.
Les choses ont fini par se tasser toutes seules, mais les Shipibo chez qui j’ai fait ma diète suivante, quelques mois plus tard, ont dû redresser ma diète de Lupuna et ils m’ont dit que j’avais eu de la chance, que j’aurais pu gonfler jusqu’au visage…
A présent, si je veux diéter à nouveau cet arbre, je devrais doubler le temps de diète, c’est-à-dire m’engager avec lui pour trois mois.
REDRESSER LA DIÈTE
Si, pour une raison ou une autre, nous croisons notre diète, alors le chaman devra nous “redresser” avec ses chants et des mesures pratiques le plus rapidement possible, afin de nous “corriger” au niveau énergétique.
Voici la liste de ces mesures :
les bains de plantes (se baigner avec les mêmes plantes que l’on a ingérées lors de la diète)
les bains de parfum
le jeûne
les sopladas de Tabac et de jus de cannelle sauvage mâchée (la cannelle peut aussi être utilisée en décoction avec un peu de tabac comme régulateur énergétique)
les icaros
les massages
l’ingestion de plantes purgatives ou vomitives
se baigner dans la rivière
refaire une diète en ingérant la même plante en en doublant le temps
Redresser une diète tordue est le seul moyen de s'assurer que les enseignements de notre plante maîtresse sont adéquats et sains pour nous, et qu’ils auront des effets positifs tant pour nous que pour nos proches.
Si la cruzada est maintenue, consciemment ou inconsciemment, les enseignements de notre plante renforceront nos aspects négatifs, augmentant même ceux que l'on a voulu changer, aggravant notre état, jusqu'à remonter plus loin que là où nos problèmes ont commencé…
Comme on le mesure ici, la diète de plantes maîtresses est très bénéfique si elle est bien faite et qu’elle laisse un changement structurel pérenne dans nos vies, mais inutile, voire dangereuse, si elle est mal faite ou si ses règles ne sont pas respectées.
LA FACE OBSCURE DES PLANTES
LA SORCELLERIE CHEZ LES SHIPIBO
Aborder le thème de la sorcellerie indigène implique de se confronter au fossé entre deux paradigmes : le nôtre et celui des Shipibo.
Disons d’emblée que la plupart des chamans amazoniens réalisent aussi bien des actes de guérison que de sorcellerie. Considérés comme mineurs, ils justifient ces actes comme moyen de se défendre des brujos (sorciers) ou des maleros (malfaiteurs) qui s’en sont pris à eux, à leurs proches, ou à leurs patients.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que le guérisseur d’un village a toutes les chances d’être perçu comme un sorcier pour le village voisin. Chaque guérisseur défend ses ouailles et les guérit des sorts jetés par le brujo voisin en lui revoyant ses méfaits, et inversement, dans un cycle sans fin. Celui qui a le pouvoir de guérir a donc également le pouvoir de nuire, parce qu’il faut maîtriser la sorcellerie pour pouvoir la retirer, et selon l’endroit où l’on se place, on est toujours le sorcier de quelqu’un...
De plus, n’oublions pas qu’en vertu de cette fameuse loi du talion, rétablir la justice en renvoyant un sort est considéré comme nécessaire au maintien de l’équilibre spirituel, sans compter que faire retour à l’envoyeur est souvent décrit comme l’unique moyen d’ôter une chonta (fléchette) de sorcellerie.
Ajouté à ça, il y a des guerres incessantes entre chamans au sein même de toutes les communautés shipibos, voire entre membres d’une même famille, souvent causées par la jalousie de voir l’un d’entre eux réussir mieux que les autres dans le domaine de l’Ayahuasca, qui, comme on le sait, est devenue une manne alimentant l’avidité de pouvoir et le désir d’enrichissement financier.
Cette sorcellerie dite mineure comprend également la pratique traditionnelle des puzangas, ces filtres d’amour qui font partie du jeu social quotidien et s’inscrit dans une démarche normale de séduction entre hommes et femmes. Chez les Shipibo, la polygamie est par ailleurs tacitement acceptée.
Pour les Occidentaux, les sorts d’amour sont bel et bien de la sorcellerie, car ils impliquent de contraindre quelqu’un à faire quelque chose qui n’a pas été décidé par lui. En l'occurrence, tomber amoureux d’une personne. Or, les charmes d’amour sont l’une des techniques que les chamans apprennent en premier auprès des plantes, et c’est aussi l’une des plus simples. Il est tout à fait habituel pour eux qu’on vienne les trouver pour leur demander d’en réaliser un.
Ainsi, bon nombre de pratiques que nous, Occidentaux, qualifions de sorcellerie puisqu’il est question de nuire, d’obtenir du pouvoir, de punir, d’alimenter son ego, de manipuler et de contraindre des personnes à faire des choses qu’elles n’ont pas choisies librement, sont monnaie courante pour les Shipibo et perçues comme incluses dans le travail d’un guérisseur. Elles ne sont donc pas jugées négatives.
Il n’en demeure pas moins que pour les Shipibo, le Bien et le Mal existent. Dans le monde invisible, les entités ne sont pas toutes favorables, positives et bénéfiques, bien au contraire. Recevoir des armes en cérémonie ou en rêve comme cadeaux des plantes, par exemple, indique au chaman que nous sommes partis du côté obscur de notre plante, et qu’il va devoir nous redresser.
En clair, contrairement au discours New Age que beaucoup d’Occidentaux partagent, les bonnes intentions ne suffisent pas. S’embarquer dans le chamanisme requiert de faire preuve de discernement. L’Ayahuasca, en particulier, est un canal rêvé pour les entités obscures qui cherchent à nous posséder, une porte ouverte pour l’intrusion du Mal. Souvent, les premiers esprits qui entrent sont des nuisibles, qui se présentent bien sûr en usant de séduction, il faut donc être guidé et accompagné par un curandero véritable, dévoué à la Medicina, et combiner l’Ayahuasca avec d’autres techniques et approches afin de se préserver de ce type d’entités.
C’est pourquoi suivre une diète demande d’avoir une intention claire, une volonté réelle de guérir, une disposition à se confronter et à se purifier, et un maestro fiable prêt à nous prendre en charge avec altruisme et responsabilité, qui veillera à nous protéger des esprits malins, mais également de nous-mêmes et des tentations de pouvoirs auxquelles on risque d’être confronté.
Respecter les règles de la diète est aussi essentiel pour se prémunir de la sorcellerie, car la transgression qui perturbe notre niveau psycho-spirituel peut éventuellement se terminer par une infestation et nous transformer en sorcier. Beaucoup d’entre nous finissent par devenir des maléros mineurs pour ne pas avoir observé les règles de la diète correctement, et certains dérivent lentement vers une attitude plus propre aux grands sorciers.
QUAND UN GRINGO PART DU CÔTÉ SOMBRE DES PLANTES
Pour ce qui nous concerne, nous et notre diète, le côté obscur des plantes est celui où règnent les esprits qui ne sont pas dévoués à la Medicina. Ceux que nous devons chercher pour aller mieux dans notre vie, d’une manière générale, ce sont les esprits médicaux. Ceux qui vont nous enseigner à devenir un meilleur être humain, dont le cœur est pur et l’âme intègre, qui n’utilise jamais les autres comme des moyens, mais comme des fins en soi.
J’aimerais revenir sur le terme de “pouvoir”, souvent amalgamé à la sorcellerie par les Occidentaux. Un être humain a besoin de pouvoir personnel. Il a besoin de volonté et de force pour s’en servir. Partir en quête de pouvoir n’est donc pas un problème de sorcellerie qui nous ferait fatalement sombrer dans les ténèbres végétales. Tout dépend du type de pouvoir que l’on cherche et de comment on compte l’employer, à quelles fins.
En revanche, les pensées et les sentiments de colère, par exemple, même s’ils sont inévitables en diète, nous attirent dans quelque chose de néfaste. Ce n’est pas pour autant qu’il faut s’inquiéter ou culpabiliser d’emblée quand ça nous arrive, mais on notera qu’il en est de même dans la vie ordinaire ; les pensées et les émotions colériques nous font du mal, à nous et aux autres, et si on les laisse nous entraîner trop loin, on va sombrer dans la dépression, la haine de soi et des autres, et notre vie va en prendre un coup. Ce sera ensuite plus difficile d’en sortir.
Donc en diète comme dans la vie, nous devons repérer ce type d’énergie avant qu’il prenne vraiment de l’ampleur, et nous ériger contre lui. Identifier la croyance derrière, au lieu de nous identifier aux émotions. Se laisser traverser par elles sans s’y attacher.
Ça ne veut pas dire que ces émotions ne portent pas en elles un message, au contraire. Mais justement, ce à quoi nous devons nous attacher, c’est le message derrière elles, pas les sentiments ou les idées qu’elles engendrent. Trouver leur source et l’écouter vraiment. Sinon, les esprits obscurs vont nous récupérer et renforcer les messages négatifs de notre ego…
Comme on le voit, prendre sa guérison en main requiert une grande responsabilité, une pleine vigilance et beaucoup de concentration et de discernement. En diète encore plus qu’ailleurs, nous devons nous considérer comme entièrement responsable de ce que nous laissons vivre en nous. Et si nous sommes capables d’atteindre cette posture intérieure impeccable en diète et en cérémonie d’Ayahuasca, alors une fois de retour, il y a de fortes chances que notre vie s’en trouve profondément changée.
Au fond, la jungle est un entraînement martial. Comme l’art du sabre ou de la flèche, la diète a pour vocation de nous forger à gouverner véritablement notre être, corps-esprit, et à devenir notre propre maître, le dieu de notre microcosme, comme diraient les alchimistes.
LE TEST DES PLANTES
Saviez-vous que les plantes nous testent pour mesurer notre volonté de guérir ? Oui, il n’y a pas que les mauvais esprits qui nous soumettent à la tentation, les esprits médicaux aussi cherchent à éprouver la force de notre engagement envers la Medicina…
C’est l’une des raisons pour lesquelles il nous arrive d’être tenté d’abandonner la diète. Découragement, ennui, perte de foi spectaculaire, doutes envers les intentions et les compétences du chaman, rage envers cette nourriture insipide et austère qu’on nous sert jour après jour (au point qu’il nous vient l’envie d’aller chiper des fruits à la cuisine en pleine nuit), sentiment que nos efforts et nos sacrifices ne sont pas payés de retour et que toute cette entreprise est une perte de temps, d’énergie, d’argent, qui ne pourra jamais nous permettre d’atteindre la liberté dont on rêve…
Parfois, notre plante refuse aussi de se manifester, que ce soit en songe ou en cérémonie, et on a l’atroce sentiment d’être rejeté par le monde spirituel, de ne pas être assez bien pour être accepté et enseigné par lui.
Dans ces cas-là, les Shipibo disent que nous sommes testés par notre plante. Celle-ci nous frappe dans nos points faibles, comme un maître d’art martial le ferait là où notre garde est baissée, afin de nous amener à travailler sur ces zones où l’ego, avec son mélange sournois d’inflation et de victimisation, est encore trop présent.
Les plantes se livrent aussi à ce genre de test avec les jeunes chamans en devenir. Tous les guérisseurs avec qui j’ai travaillé racontent que durant leur initiation, ils ont été soumis à la tentation du pouvoir, et qu’il leur a fallu faire un choix entre devenir brujo ou curandero.
Les plantes possèdent plusieurs mondes, des mondes ténébreux, des mondes lumineux, avec des esprits travaillant à leur service. Certaines plantes comme le Toé ou l’Ayahuma ont la réputation d’avoir des mondes obscurs importants, c’est pourquoi on ne peut pas les faire diéter aux novices. Le risque de chuter dans la sorcellerie est trop vif, car les esprits du Mal y sont nombreux et puissants.
Ces esprits font miroiter un pouvoir facile qui n’implique aucun sacrifice personnel. Ils peuvent enseigner à l’apprenti à manipuler l’énergie des plantes et des personnes sans avoir à se charger du fardeau qu’implique le travail de guérisseur. Ils tentent l’ego en le séduisant avec des cadeaux tels que les armes, la gloire, la puissance, sans devoir travailler sur soi ni viser une quelconque évolution personnelle. Beaucoup de chamans qui officient dans les centres de Medicina aujourd’hui font partie de ces initiés qui n’ont jamais vraiment fait de diètes sérieuses et se sont contentés d’apprendre à manipuler l’énergie.
Il faut savoir que toute diète croisée nous emmène immanquablement vers la dimension ténébreuse des plantes, dont les chemins nous entrainent vers l’ego au lieu du Soi. C’est pourquoi, dans la guérison comme dans l’apprentissage, avoir auprès de soi un maestro qui s’assure que notre diète n’est pas tordue est indispensable à toute véritable quête d’évolution.
Les plantes en elles-mêmes sont ambivalentes, à la fois ombre et lumière, et sont donc neutres. C’est l’Homme qui appose sur leurs énergies les valeurs morales et éthiques relatives au Bien et au Mal.
Donc quand les esprits nous testent, qu’ils viennent du monde de la Medicina ou de celui de la sorcellerie, cela revient au même, en définitive ; la plante nous ouvre ses différents chemins, chacun jalonné de secrets, de pouvoirs, d’enseignements. Certains d’entre eux sont initialement lumineux ou obscurs, d’autres peuvent s’avérer l’un ou l’autre selon l’emploi que l’on en fait.
C’est à nous de choisir.
SE FAIRE “SUCER” LA DIÈTE
Pour comprendre cette pratique détestable à laquelle se livrent les sorciers, il faut revenir sur la question du mariri, qui a été traitée dans l’article précédent de ce dossier.
Pour obtenir son mariri, le chaman doit suivre de longues diètes de plantes, notamment de Tabac, afin de former ce savoir-pouvoir matérialisé en lui. C’est en vertu d’un effort personnel intense et prolongé qu’il s’approprie les énergies des plantes, engagement extrême de plusieurs années au cours desquelles il est amené à se purger physiquement et se purifier spirituellement.
Durant son initiation, il se confronte à ses faiblesses, ses fantasmes, ses peurs, ses émotions, dans l’intention de se guérir afin de pouvoir par la suite guérir les autres, et seule une volonté infaillible et une vocation véridique peuvent lui permettre d’atteindre cet objectif. Ce processus l’amène donc à acquérir des forces énergétiques pour soigner les autres mais également, devenir sage. Voilà ce qu’est un vrai chaman.
De son côté, le sorcier acquiert son mariri sans se donner la peine de s’investir personnellement, car au fond, il n’ose pas se confronter à lui-même, sans doute parce qu’il se sait trop faible. Il ne respecte donc pas ses diètes, prend les plantes sans observer les restrictions alimentaires, sans s’isoler, sans s’abstenir non plus d’avoir des rapports sexuels. Il est alors branché en plein dans l’obscurité des plantes, et acquiert ses pouvoirs en recourant à des astuces, comme celle qui s’appelle “sucer la diète”.
“Sucer la diète” signifie absorber le mariri d'une autre personne ; c’est une technique reconnue. Le sorcier fait pratiquer une diète à son apprenti ou à son patient et lorsque celui-ci a acquis suffisamment de forces, il les lui suce à la manière d’un vampire. Cela l’empêchera bien sûr d’évoluer puisque le sorcier se nourrira en continu de son travail, car le lien qui les enchaîne l’un à l’autre est éternel, sauf si un chaman le coupe.
Mais le mariri est en fait un poison dans le corps du sorcier, et celui-ci doit l’évacuer régulièrement pour ne pas qu’il le tue ou le rende fou. Le sorcier est littéralement possédé par des forces qu’il ne sait pas contrôler et qui le dominent. Il attire les mauvais esprits qui l’asservissent, le tentent, l’incitent à faire le mal, stimulant ses plus bas instincts, ses noirs désirs, ses faiblesses, le piquant et le conduisant à des sentiments de colère, d'orgueil, d'irritabilité, d'envie et de vengeance. Une manière classique d'expulser le mariri consiste à le cracher en le plaçant dans le corps de quelqu’un d’autre, au moyen d'une soplada de Tabac ou de façon secrète, en envoyant une chonta dématérialisée investie d’une intention de nuire.
Les chontas ne peuvent pas nuire à un chaman dont le corps est fort et sain grâce aux diètes, elles rebondissent sur lui. Le sorcier, lui, finira sa vie dominé par un sorcier plus puissant qui l’empêchera d’expulser son mariri toxique, ce qui le fera pourrir de l’intérieur… Son cadavre se décomposera très vite en exhalant d’horribles odeurs fétides, à ce qu’on dit.
Les Gringos aussi peuvent se faire sucer la diète, je connais une personne à qui c’est arrivé…
Elle était en cérémonie d’Ayahuasca, en pleine vision quand, d’un coup, le noir s’est fait dans son esprit. Sur le moment, elle a trouvé ça étrange, mais sans trop s’inquiéter non plus. Mais lors des cérémonies suivantes, tandis qu’elle continuait à diéter, elle n’avait plus aucune vision, comme si l’accès au monde des esprits lui avait été retiré.
Et puis, elle a commencé à se sentir mal, faible, triste. C’est là qu’elle s’est mise à soupçonner que le chaman lui avait fait quelque chose. Elle a fini par quitter le lieu de retraite, pour se rendre dans un autre centre de Medicina. Là, les chamans présents sur place l’ont auscultée durant sa première cérémonie, et ils ont découvert qu’elle était porteuse de ce qu’ils ont nommé un “bébé”, logé dans son ventre.
Ce bébé était en train de grandir, se nourrissant de son énergie et de l’énergie de ses diètes.
Ce bébé, ou ce parasite, plutôt, était en réalité directement relié au chaman qui lui avait jeté ce sort ; c’est par son entremise qu’il lui suçait son énergie. Plus il grandissait, plus il lui pompait sa vitalité, plus le sorcier s’alimentait, et les chamans ont dit que s’il n’avait pas été retiré, il aurait fini par la tuer.
Ça leur a demandé plusieurs interventions pour l’extraire de là. Quand il a enfin été délogé, les visions sont revenues dans ses cérémonies et son bien-être s’est immédiatement rétabli.
Cette “métaphore” du bébé est très parlante pour saisir comment fonctionne le vampirisme énergétique, comment le sorcier place en nous un hôte parasitaire qui nous relie à lui et lui permet de bénéficier de notre énergie, comme s’il était branché sur nous, jusqu’à nous vider entièrement et nous conduire à la mort…
Ce risque de se faire sucer la diète est très réel, partout au Pérou, c’est pourquoi il est indispensable de savoir où on met les pieds avant de réserver un lieu de retraite.
Si vous souhaitez connaitre des lieux sûrs pour faire une diète de plantes, vous pouvez réserver une consultation avec moi en passant par cette page.
LES RÈGLES ALIMENTAIRES D’UNE DIÈTE DE PLANTE
Pas de sel : cela permet à notre corps énergétique de s’ouvrir, en nous offrant une meilleure réceptivité de l’énergie de la nature et de notre plante, et en amplifiant nos sens. Le sel est considéré comme un aliment qui civilise et éloigne celui qui le consomme de l’animalité. En le retirant de l’alimentation, on atténue cette couche qui nous isole de la nature et nous protège des multiples interactions avec des entités non-humaines. Ce régime nous rend ainsi de plus en plus sensible au monde invisible et aux esprits qui le peuplent, et donc aussi plus vulnérable. De plus, il engendre une lassitude, une faiblesse, propice à l’entrée de la médecine en nous.
Pas de sucre : il coupe l’effet de notre plante et nous affaiblit. L’absence de sucre permet à notre plante de mieux se fixer dans nos cellules. Le goût non sucré des aliments enlève également le côté rassurant de l’alimentation.
Pas de graisses, fritures, produits laitiers : ils provoquent des désordres digestifs. L’absence de matières grasses et une alimentation limitée à peu d’aliments permet une meilleure désintoxication de notre organisme.
Pas de viande et surtout pas de porc : la viande excite, énerve l’organisme mis au ralenti, et peut provoquer des allergies et des vitiligos. Le porc est considéré comme une viande grasse qui contient beaucoup de toxines. L’absence de protéines ainsi qu’un régime alimentaire minimum permet, sans mourir de faim, d’affaiblir notre corps et de le purifier afin que notre esprit prenne le dessus.
Pas de poissons à dents (style piranhas, car les dents “coupent” la diète), de poisson gras, de canards et de dindons : ils sont gras et difficiles à digérer.
Pas de yucca (manioc) : il provoque des taches blanches sur la peau.
Pas d’agrumes : l’acidité perturbe l’organisme et excite les papilles.
Pas d’alcool ni de drogues : ces substances sont pleines d’énergies négatives et modifient la conscience.
Pas d’épices, d’oignons, d’ail ni de piment : cela réchauffe l’organisme et provoque des problèmes digestifs et une sensation de brûlure interne.
Pas de café, de thé noir, pas de stimulants : l’organisme doit être dans un état le plus neutre possible.
Pas de dîner.
Traditionnellement, la diète shipibo se compose uniquement de bananes plantains et de riz, accompagnés du fameux chapo (bananes jaunes cuites et écrasées dans de l’eau chaude). Mais de nos jours, elle s’est largement diversifiée, avec des légumes, des légumineuses, des féculents, et certains fruits tels que la banane et la papaye suivant le moment de la diète.
Ainsi, il est d’usage de manger une salade de fruits le matin, puis un repas constitué de crudités en entrée (concombre, carottes, betteraves, tomates, avocats), et de riz, de lentilles, de quinoa, de patates, de pâtes, de poisson maigre si on n’est pas végétarien, en plat principal à midi.
C’est tout.
Bien souvent, le chaman va nous demander de suivre ce régime alimentaire deux semaines avant d’arriver au centre, afin de commencer à préparer notre corps et notre esprit à recevoir les plantes.
A la fin de la diète, il nous donnera une salade faite de tomates, d’ail, d’oignons, de coriandre et de piment afin de refermer notre corps énergétique.
LES RAISONS ET LES EFFETS DU RÉGIME ALIMENTAIRE
NEUTRALITÉ
Pour être totalement réceptif aux effets et aux messages de notre plante, le moins l’on rencontre d’excitation ou de stimulation provenant d’ailleurs, le mieux c’est. L’idée qui sous-tend la neutralité gustative des aliments est donc de nous éviter au maximum de recevoir des informations sensorielles autres que celles venant de notre plante.
Durant la diète, la nourriture retrouve sa fonction première : sustenter notre corps au minimum afin qu’il ne s’effondre pas. L’ennui est donc volontairement induit, ce qui nous rend bien plus sensible au subtil. D’autre part, on redécouvre le miracle qui existe dans un grain de riz ou une rondelle de concombre… On mange donc beaucoup, beaucoup plus en conscience.
FAIBLESSE
L’absence de sel dans l’alimentation provoque rapidement une sensation de lassitude, tout comme le fait de réduire drastiquement les portions de nourriture. Cette faiblesse et cette fatigue sont elles aussi voulues : être affaibli permet aux esprits de mieux nous pénétrer, d’autant plus que ceux-ci apprécient qu’on souffre un peu pour se donner la peine de les rencontrer. Ce léger sacrifice est donc un gage de notre sérieux à leurs yeux.
Ajouté à ça, la fatigue va nous inciter à dormir davantage, ce qui est très positif pour rêver, bien sûr ! Puisque les plantes passent principalement par le canal onirique pour communiquer avec nous, faire la sieste et dormir plus est tout indiqué.
La fragilité ressentie, proche de celle du nouveau-né, est souhaitée également ; c’est le signe qu’on est poreux énergétiquement.
Cela dit, cette baisse de tonus ne durera pas tout le temps de la diète, car rapidement, la vitalité de notre plante va nous être transfusée…
NETTOYAGE DU CORPS
Moins on donne d’éléments à traiter à notre organisme, plus il peut travailler sur sa régénération, et plus il est également réceptif aux plantes. La diète alimentaire, tout comme le jeûne dans nombre de traditions, permet de nettoyer le corps des déchets qui l’encrassent et l’intoxiquent, et lui offre ainsi de se réparer.
Le système digestif au repos permet à nos intestins et à notre estomac de se reconstruire, nos cellules et nos glandes fournissent moins d’efforts, nos vaisseaux sanguins qui ne sont plus comprimés par le sodium sont soulagés, ce qui améliore la circulation générale et donc soulage aussi le cœur, notre foie élimine les graisses et les calculs qui l’engorgent, notre flore bactérienne se rééquilibre, les radicaux libres sont neutralisés, puis éliminés.
Le nettoyage se fait au niveau de tous les tissus de l'organisme, sans exception. Tout le métabolisme s'en trouve donc amélioré ; le milieu interne étant assaini, toutes les réactions de défense s'y déroulent efficacement. Le terrain n'est plus prédisposé aux infections microbiennes.
Cette autolyse permet donc un rajeunissement physiologique. Au lieu de s'affairer à la neutralisation des toxines, notre organisme peut s'attaquer aux déchets déjà emmagasinés dans les tissus ou se consacrer à d'autres tâches, comme lutter contre les maladies.
ÉLÉVATION DU SHINAN
Le fait de jeûner éveille la force de l’esprit. Mettre le corps au repos permet de renforcer la puissance de cette autre partie de nous, le shinan (esprit, intelligence, conscience, pensée), et d’atteindre ce que les Shipibo placent comme leur valeur suprême, le Koshi Shinan (esprit fort).
J’en parlerai longuement dans la suite de ce dossier, donc ici je me contenterai de partager une petite anecdote :
Un chaman assez vieux avec qui j’ai travaillé avait perdu son fils. Or, il avait quelque chose à lui transmettre avant que celui-ci ne rejoigne l’au-delà. Il a donc jeûné pendant plusieurs jours, sans eau et sans nourriture, afin d’élever son shinan pour qu’il puisse entrer en contact avec son fils défunt.
Ce vieux chaman m’a raconté que quand on n’a pas le temps de faire une diète de plantes mais qu’on a une requête importante à faire au monde des esprits, alors il faut s’engager dans un jeûne total, qui aura le même effet qu’une diète. Selon lui, quelques jours de jeûne sec ont autant de pouvoir qu’une longue diète de plantes en ce qui concerne l’éveil de la force du shinan.
Il disait aussi que quand on souhaite soigner quelqu’un de sa famille, par exemple, et qu’on a besoin de beaucoup de pouvoir pour l’aider, alors il faut jeûner, et que plus longtemps on jeûne, plus notre pouvoir se renforce.
J’ai moi-même constaté comment la force de mes intentions s’amplifiait au cours d’une diète, et plusieurs semaines après. A quel point mon pouvoir personnel s’élevait en comparaison de ce dont je suis capable dans un environnement normal. Aussi, je peux certifier que le régime alimentaire stricte de la diète possède un impact profond sur la maîtrise de l’esprit et son champ d’action, ce qui est une raison supplémentaire pour respecter scrupuleusement sa diète…
LES RÈGLES COMPORTEMENTALES D’UNE DIÈTE DE PLANTE
Rester isolé dans son tambo : notre corps énergétique étant très ouvert, l’idée est de s’imprégner des énergies positives de notre plante et de la nature, mais si on entre en contact avec des énergies négatives, elles n’auront aucune difficulté à nous pénétrer également…
Pas de contact avec les autres participants (en dehors des cérémonies d’Ayahuasca) : ne pas leur parler, ne pas les toucher, ne pas les regarder dans les yeux. Seul le contact avec le chaman et les facilitateurs est autorisé. Dans la tradition, la personne qui diète doit être vue uniquement par son maestro.
Surtout pas de contact avec des personnes malades.
Surtout pas de contact avec des femmes ayant leurs règles : cela peut provoquer des déséquilibres énergétiques, car les règles sont considérées comme une forme d’élimination d’énergie négative chez les Shipibo. Ainsi, les femmes réglées travaillant au centre de Medicina ne pourront pas préparer nos repas ou nos remèdes lors de cette période. En ce qui nous concerne, nous en tant que femme, on doit avertir le chaman lorsqu’on est réglée, afin qu’il prépare des bains de plantes pour nous protéger lors des cérémonies d’Ayahuasca ; la personne réglée devra se laver avec un bain de plantes précises, et tous les autres participants avec un autre. De cette manière, il n’y a pas d’interférences énergétiques à redouter.
Surtout pas de contact avec des personnes ayant eu des rapports sexuels récents (sans s’être lavées) : cela cause cauchemars et mal-être.
Pas de contact avec les proches par téléphone et pas de réseaux sociaux : ça provoque des perturbations psychiques et émotionnelles et parasite la concentration.
Pas de rapports sexuels ni de masturbation : le sexe entre en conflit avec la graine en train de pousser en nous. L’énergie de l’orgasme est trop puissante et lors d’un rapport sexuel, on absorbe l’énergie de notre partenaire, et réciproquement, ce qui cause un choc à notre plante. Il en est de même pour la masturbation. Celle-ci fait monter l’énergie à la tête et provoque un déséquilibre énergétique pouvant causer des migraines, de la confusion… D’une manière générale, le sexe n’a pas sa place durant la diète, qui est un espace-temps dédié à la purification et à l’introspection.
Pas de pensées sexuelles ni de rêves à caractère érotique : il faut pouvoir se contrôler, même en rêve, car comme on l’a vu, les actes accomplis en songe ont autant de poids ontologique que ceux accomplis dans un état de conscience ordinaire.
Pas de produits chimiques ni de cosmétiques, même bio, ce qui inclut donc savon, dentifrice, produits anti-moustiques, huiles essentielles : ils provoquent un dérèglement du système nerveux central avec céphalées ou ivresse dans le meilleur des cas, états de confusion mentale, pensées paranoïaques ou encore décompensation psychique dans les cas les plus graves.
Pas de lecture ni de musique durant la première phase de la diète.
Pas d’exposition au soleil et à la pluie : le soleil peut provoquer des allergies et des brûlures. L’exposition à la pluie peut provoquer des refroidissements. D’une manière générale, la puissance des éléments naturels peut entrer en conflit avec celle de notre plante.
Pas de parfum ni de choses contenant des odeurs (précisons tout de même que bien souvent, des spirales anti-moustiques ultra toxiques et très odorantes sont placées dans la maloca pour les cérémonies, et honnêtement, heureusement qu’elles existent, sinon l’Ayahuasca serait un véritable enfer !).
Ne pas s’approcher du feu.
Ne pas se regarder dans une glace : les miroirs absorbent l’énergie.
Ne pas s’approcher des animaux : lorsqu’on est en diète, on se nettoie et les animaux absorbent facilement ce qui sort de nous. Le fait de les toucher n’est donc pas bon pour eux.
Les chamans nous conseillent d’écrire, de méditer, de nous concentrer, d’aller auprès de notre plante ou de l’arbre que nous diétons pour nous recueillir auprès d’eux et entrer en connexion, et de rêver…
Ces règles sont finalement assez faciles à respecter, ce sont celles qui concernent le mental et les émotions qui sont les plus délicates à appliquer… Même si la “lutte” qu’on va connaître avec eux est en définitive très révélatrice de ce que nous sommes, et peut être envisagée comme partie prenante du travail de diète.
Voici les règles comportementales intérieures :
Être concentré, tout le temps.
Être dans une vigilance permanente, tout en étant “relâché”, à l’égard de nos pensées et émotions.
Ne pas nourrir de pensées de colère, de peur, de tristesse.
Rester ancré.
Mais nous verrons ça au chapitre suivant…
LES RAISONS ET LES EFFETS DES INTERDITS COMPORTEMENTAUX
PROTECTION
Les raisons principales qui justifient les interdits comportementaux en diète de plantes concernent la protection. Puisque comme on l’a vu, la diète a pour but de lever nos protections naturelles afin d’accueillir les énergies de notre plante, il faut nécessairement compenser la perte de notre bouclier habituel par des mesures qui empêcheront les énergies négatives de nous posséder.
De plus, étant donné qu’on est en pleine évacuation d’énergies néfastes, il faut faire attention à préserver les autres de ce qui sort de nous… Ainsi, en respectant les règles, les personne présentes au centre de Medicina ne s’affectent pas mutuellement ; pas de combat énergétique, pas de vampirisme inconscient, pas de projections, pas de désirs sexuels, pas d’infestation.
Et il est crucial de respecter aussi cette attitude lors des cérémonies d’Ayahuasca, durant lesquels pas mal d’entre nous ressentent l’envie instinctive de porter assistance aux autres… Quelqu’un pleure dans le cercle ? Vite, envoyons-lui des pensées de réconfort et nos souffles plein d’amour ! Un autre a du mal à vomir et se tord douloureusement au-dessus de son seau ? Qu’à cela ne tienne, grâce à notre concentration dirigée vers lui, il va se détendre et parvenir à évacuer son mal… Et maintenant, le chaman chante un icaro personnel à celui-là, et nous sommes convaincu de pouvoir lui prêter notre concours en nous focalisant dessus ? Grossière erreur, à priori, on n’est même pas censé écouter les chants destinés aux autres participants… Les entendre, oui, mais pas les écouter. Car on n’est pas supposé recevoir des choses qui ne nous sont pas destinées.
J’ai conscience que ce discours va complètement à l’encontre de tout ce qui se pratique avec l’Ayahuasca en Europe et dans les centres de Medicina New Age où l’on nous encourage vivement à partager nos joies et nos peines avec le groupe, car la cérémonie est décrite comme un espace de lien transcendantal où tout le monde est dans le même bateau…
Mais les Shipibo sont très fermes à ce sujet : pendant une cérémonie, on ne doit s’occuper que de nous, en laissant le chaman faire son travail sans interférer avec nos bonnes intentions et notre bonne volonté.
Car en réalité, on le gêne lorsqu’on envoie de l’énergie vers les autres, et on n’a aucune conscience de ce qu’on leur transmet réellement... En vérité, il y a même de fortes chances qu’il ne s’agisse que de projections néfastes pour eux, engorgées de nos propres souffrances, de nos croyances erronées, d’une identification nuisible…
Sans compter que pendant tout ce temps, en s’imaginant aider les autres, on n’est pas en train de s’aider soi-même. On n’est pas en train de travailler sur soi.
Et si ce genre de discours contrarie nos élans de superman, qu’est-ce que cela dit de nous ? Oui, que l’ego est présent, et qu’il y a quelque chose à étudier là en dessous…
En étant protégé et en prenant garde à protéger les autres de soi, on peut s’engager dans un travail sérieux car il n’y a rien à combattre, plus de vampirisme énergétique d’aucune sorte. Comme pour le corps, on peut donc se consacrer pleinement à sa régénération.
INTROSPECTION
S’exclure des rapports humains nous fait pénétrer dans une nouvelle dimension de nous-mêmes, plus sauvage, plus instinctive. Plus proche du règne animal et végétal, voire minéral par moment...
En se coupant du monde, on crée un espace pour méditer, explorer notre yoshin, aller sonder les profondeurs de notre être. Dans toutes les traditions, l’isolement a toujours été pressenti comme essentiel à la connaissance de soi. Peut-être que tout être humain, dans sa vie, doit oser s’accorder cet espace-temps hors du bruit et de l’agitation du monde pour regarder longuement ce qui vibre tout au fond de lui et faire éclore les puissances cachées dans le secret de son âme.
Évidemment, c’est une voie très difficile, parce qu’il est bien plus effrayant de se confronter à soi-même plutôt que de chercher un sens à la vie en la considérant depuis l’extérieur. Mais tant que nous refusons de subir cette confrontation, tout ce que nous faisons en croyant poursuivre un but n’est malheureusement rien de plus que des actes superficiels et inutiles, car on élude le véritable combat en cherchant ses réponses en dehors de soi, par peur de creuser vers l’intérieur.
Mais le problème, c’est que tant qu’on ne l’a pas fait, la vie restera pour nous… absurde.
Ainsi, c’est grâce à l’isolement qu’a lieu la véritable introspection, celle qui est en mesure de métamorphoser une vie. Écriture et méditation la journée, balade solitaire dans la selva à la rencontre des plantes et des animaux, et la nuit, insomnie souvent, mais aussi rêves lucides et dialogue onirique fantastique avec l’esprit de notre plante, la lune, les étoiles…
En vérité, respecter les interdits comportementaux est une épreuve à la hauteur du nouvel être humain que nous souhaitons devenir.
Ne plus se laisser porter et influencer par la pensée des autres en lisant. A la place, écrire ce qui vient de nous.
Ne plus utiliser le langage verbal. Au lieu de ça, être à l’écoute du langage poétique naturel et intérieur.
Ne plus restreindre son être à la conscience classique. Autoriser son yoshin à s’exprimer par le rêve et la transe.
Ne plus se travestir avec des produits chimiques par crainte d’endosser son odeur d’Homme. A la place, se laver à l’eau, à l’argile, les pieds en contact avec la terre et le ciel au-dessus de la tête, et s’assumer sans artifices.
Ne plus accepter tacitement d’être défini par un système qui pense à sa place. Découvrir sa vocation.
CONNEXION
Peu à peu, on commence à s’habituer à regarder la jungle comme une extension de soi-même. En allant se balader, ça devient normal pour nous de se sentir comme une infime particule d’un gigantesque organisme enveloppant tout ce qui est, jusqu’aux être inorganiques comme les rochers ou l’eau de la rivière, le vent dans les cimes et la foudre qui tonne.
On réalise qu’on n’est qu’un fragment de tout ça, et que notre conscience porte en elle toute la conscience du monde, tout simplement parce qu’il n’y en a qu’une seule, de Conscience.
La forêt nous parle par signes, et les synchronicités dont on fait l’expérience sont de plus en plus fréquentes. La diète éveille en nous un instinct. Nos intentions produisent des signes qui se manifestent dans la jungle, et ces signes nous renseignent sur notre âme.
Certaines de nos pensées semblent faites de la même énergie que la vie elle-même, comme si la vie pensait… ou se pensait à travers nous. Et c’est comme ça qu’on commence à communiquer avec son être profond, la selva entre nous comme une sorte d’interface, de traductrice, sur laquelle on projette nos questions et nos réponses.
En parlant avec le monde, c’est avec nous-même que l’on parle, et inversement. Tout devient si étroitement lié, la Conscience, l’énergie, la nature... À travers nous, c’est le monde qui parle avec lui-même. C’est ça qu’on découvre.
Aussi paradoxal que ça puisse sembler, l’isolement offre de ne plus se sentir séparé du monde…
LE CONTACT AVEC LA NATURE LORS D’UNE DIÈTE DE PLANTE
Au-delà de l’alimentation restreinte à l’essentiel et de l’isolement, l’élément le plus fondamental de la diète de plantes est bien évidemment la connexion à la nature.
En définitive, tout l’idée de la diète est de créer un espace de transformation où l’Homme et la nature peuvent à nouveau communiquer. La plupart d’entre nous ont perdu cette osmose ; entrer en diète consiste à rétablir ce lien en nous réajustant à l’élément naturel, et à recréer en nous panshin nete, le jardin cosmique qu’on a exploré dans l’article précédent.
La nature est dans un état vibratoire permanent ; elle se nourrit de l’eau, de la terre, de la lumière. La Medicina elle-même, avec ses plantes maîtresses dont chacune est en accord avec un des quatre éléments (eau, air, terre, feu), tantôt féminine, tantôt masculine, est l’emblème parfait de cette vibration continue à laquelle on va se relier.
Les plantes, les insectes, les animaux, tout dégage cette énergie vibratoire. L’immersion totale en plein cœur de la jungle nous offre d’observer et de ressentir avec une acuité folle le microcosme animalier d’Amazonie : course des fourmis sur le sol, ballet aérien et mélodies d’oiseaux, stridulations de cigales, concert nocturne de grenouilles, danse des dauphins dans le fleuve, chamailleries des singes dans les arbres, lente reptation des paresseux...
Comment ne pas prendre conscience que l’on n’est qu’un animal parmi tant d’autres sur cette fabuleuse planète quand on est en contact avec tous ces êtres ? Comment ne pas entrer sans y penser dans une position plus équitable envers l’ensemble du Vivant, comment ne pas se sentir appartenir à égalité à cette terre nourricière, et même entrer dans une extase mystique à leur contact ?
Le chant de la jungle en lui-même est une transe à lui seul… Se laisser pénétrer par lui est une expérience de conscience comparable à rien d’autre, comme de s’immerger dans l’âme de quelqu’un d’autre. Et la plante que l’on diète ne fait que créer une résonance encore plus en osmose avec la selva. Elle nous nivèle corps et âme à l’énergie naturelle, de sorte qu’on s’aligne avec elle comme jamais auparavant.
Le fait de se défaire de notre odeur humaine, avec toute la chimie qu’elle implique, change aussi considérablement la donne.
Et peu à peu, cette forêt si dense qu’elle possède un esprit, une intelligence capable d’entrer en contact avec les esprits calmes et attentifs, en leur donnant des visions même sans prendre d’Ayahuasca, cette forêt commence à se présenter sous la forme d’un vaste réseau d’informations où tout est relié, dans lequel puiser toute l’inspiration dont on a besoin pour mener nos vies… en pleine conscience.
OFFRANDES
Il est fréquent qu’à la fin de notre diète, le chaman nous invite à faire des offrandes aux plantes que nous aurons utilisées, celles avec lesquelles on s’est purgé, baigné, nettoyé, et bien sûr celle qu’on a diétée.
Mapachos et bonbons seront déposés au pied des plantes, agua florida et aguardiente seront répandus sur leurs troncs, leurs feuilles et le long de leurs branches…
L’idée est de remercier leurs esprits pour tout ce qu’ils nous ont apporté. C’est un moment très particulier qui personnifie tant nos plantes qu’on ressent une gratitude infinie et un sentiment de proximité rare avec elles, dont on se souviendra toute notre vie.
Mais de mon côté, je trouve qu’il est triste de se restreindre à cet instant protocolaire pour offrir des cadeaux et des marques de reconnaissance à notre plante.
Lors de ma diète de Renaco Blanco, j’allais souvent auprès de lui (c’est un arbre très imposant) pour lui parler, le caresser, et lui déposer des mapachos, du palo santo, des bracelets achetés au cours de mon voyage, au cœur du tronc, enterrés près de ses racines… Je lui soufflais régulièrement du Tabac en lui parlant de mes intentions, aussi.
Bref, il est tout à fait possible d’honorer l’ibo de sa plante par soi-même, sans attendre que le chaman nous y invite, et je trouve que lui faire régulièrement des offrandes renforce le sentiment de la relation, ce qui rend le fait de s’adresser à lui plus naturel tout au long de notre diète.
LA POST-DIÈTE
Ne pas toucher d’autres personnes : en général, cette règle est à respecter les premiers jours de la post-diète et peut s’appliquer durant plusieurs semaines suivant la plante diétée.
Pas de contacts avec ses proches (téléphone) : l’idée est d’éviter les chocs psychiques et émotionnels provoqués par une mauvaise nouvelle, par exemple, ou plus simplement parce que rallumer tout de suite son téléphone risque d’être vécu comme une agression. Il faut revenir au monde progressivement pour y retrouver ses marques sans qu’il nous blesse.
Respecter l’abstinence de sexe (masturbation et relation sexuelle) : sa durée varie énormément selon la plante diétée.
Ne pas fréquenter les veillées funèbres : on risque d’absorber les énergies des morts.
Ne pas pratiquer des actes de soin sur le corps (massages, thérapies corporelles) : le contact avec des énergies étrangères lorsqu’on sort de diète peut être difficile à métaboliser.
Ne ne pas pratiquer de sauna : cela ferait sortir l’énergie de notre plante pas encore tout à fait ancrée.
Ne pas consommer les aliments encore interdits : nous devons suivre religieusement les indications du chaman, au risque de perdre toute l’énergie de notre diète.
Rester dans un endroit calme proche de la nature et éviter les endroits où il y a beaucoup de bruits et de fumée (bar, discothèque) : il faut du temps pour se réadapter.
Ne pas être en contact avec des odeurs fortes type parfum ou produits chimiques.
Utiliser des cosmétiques naturels.
En cas de soucis médical, il faut éviter les médicaments allopathiques et utiliser des méthodes naturelles.
LA DIÈTE REVISITÉE POUR LES GRINGOS
Dans pas mal de centres de Medicina péruviens, le protocole de diète et ses règles ont été assouplis, afin de rendre le processus plus facile aux Gringos.
La nourriture est juste allégée du sel et du sucre, mais elle est prévue pour être savoureuse et variée, afin de contenter les Occidentaux qui se plaignent de sa monotonie et s'inquiètent de leur taux de vitamines journalier.
On pratique aussi ce qu’on appelle désormais la “diète sociale”, ce qui veut dire qu’on n’a aucune obligation de s’isoler dans son tambo. Les repas sont pris en commun et on a le droit de passer du temps à discuter avec les autres diéteurs.
Des cercles de partage sont même organisés afin que chacun échange le contenu de ses cérémonies d’Ayahuasca et les problématiques personnelles auxquelles il est confronté avec les autres.
Ce genre de diète est évidemment une diète croisée.
Pour avoir moi-même expérimenté ce type de diète, je peux témoigner du fait qu’on passe sa vie dans la maloca à papoter à tort et à travers avec les autres participants, à se raconter nos histoires, nos vies, nos problèmes, en cherchant parfois à se faire aider par les autres, et en tentant souvent de les aider nous-mêmes. Tout ce temps passé en commun incite à épiloguer sur nos cérémonies, échafauder des hypothèses sur le contenu de nos visions…
En bref, la diète sociale nous maintient dans le paradigme auquel on est habitué et nous pousse à utiliser notre mental et notre ego d’une manière qui ne sied aucunement à une diète de plantes.
Alors bien sûr, ça peut avoir un côté réconfortant de ne pas se sentir seul et perdu dans son cheminement. D’avoir le soutien émotionnel des autres. Mais en réalité, la diète sociale est complètement néfaste, car si l’on croit être en train de travailler sur soi en étant dans l’échange avec les autres, en fait, ce n’est pas du tout le cas.
La vérité est qu’on recule le moment de se confronter à soi-même en cherchant des réponses chez les autres plutôt qu’en soi et en sa plante, avec qui le dialogue est parasité et la relation inexistante. Bien en sécurité dans nos croyances occidentales, tout ce qu’on fait se résume à se conforter dans le domaine du connu. Distractions, partages et blablatages nous détournent du dialogue intérieur que nous devrions développer avec notre plante et avec nous-mêmes.
Ni notre inconscient ni notre plante ne peuvent s’exprimer dans ces conditions, d’une parce que leurs messages sont trop subtils pour être perçus au sein du brouhaha social, de deux parce que nous obstruons leur canal en mixant toutes les énergies, de trois parce que tout le temps passé à bavasser n’est pas dédié à l’introspection et au sommeil, on perd donc de précieux moments de rêves significatifs, de pensées émanant de notre yoshin, et de concentration.
Cette précision méritait d’être apportée, tant la diète sociale est devenue la norme au Pérou.
Si vous désirez sincèrement diéter d’une façon juste, évitez les centres où ce type de diète est proposé.
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