La Gardienne de la Plante : Collaboration Artistique entre une Sauvage et un Alchimiste

Bruno et moi, c’est l’histoire de deux cramés de la cervelle qui se croisent sur un réseau et se reconnaissent instantanément en se faisant un petit clin d’œil de connivence, comme deux drogués égarés dans une soirée guindée qui décideraient d’aller s’enfiler une trace de coke dans les chiottes ultra classes de leur hôte, avant de mettre les bouts bras dessus bras dessous pour finir la nuit dans un rade bien pourri où l’un comme l’autre se sentirait beaucoup plus à l’aise...

Quand Bruno Leyval et Zoë Hababou jouent les Mécanos de la Transcendance

Dessin de Bruno Leyval, en collaboration avec Zoë Hababou, qui représente Le Possédé et La Gardienne de la Plante.

Et comme tout junkie éprouvant un certain respect pour le junkie qui se trouve en face de lui, on s’est mis à partager nos plans. A se raconter nos histoires de camés. Nos expériences bonnes et mauvaises avec notre dope à nous, celle qui nous envoie en l’air, nous transcende, nous traîne dans les limbes, nous fait ramper pour obtenir notre dose : l’Art.

La Gardienne de la Plante, portrait de Zoë Hababou par Bruno Leyval.

C’est pas qu’on exerce exactement sur le même terrain, lui et moi. Bruno suit la Voie de l’Encre (et d’un tas d’autres trucs que je serais bien en peine de décrire), et moi, je trace la route de l’Écriture. Tandis que lui dessine ses visions à grands traits noirs, moi, je me perds dans les labyrinthes cognitifs et les métaphores.

Mais la défonce qu’on recherche en nous livrant à nos différents médiums est la même : La Transcendance.

C’est marrant, mais quand on demande aux gens en général et aux artistes en particulier ce qu’ils espèrent trouver dans l’Art, c’est rarement ce concept qui est désigné. Bruno et moi, qu’est-ce qu’on met derrière ce mot ?

L’idée, ou plutôt la sensation viscérale envahissant le corps et la conscience, d’un franchissement, d’un dépassement, d’un écartèlement qui entraîne celui qui en est victime au-delà du perceptible et de l’intelligible. Quelque chose qui le sort de lui-même, et le largue à portée des rivages inconnus du Sublime. Ouais, tout ça s’apparente bel et bien à une défonce.

Développer de la puissance dans son art n’est pas donné à tout le monde. J’imagine qu’il faut d’abord en avoir été témoin ailleurs pour être foutu d’en engendrer soi-même.

Zoë Hababou vue de dos dessinée par Bruno Leyval.

De la puissance, y en partout dans le monde, sous de multiples formes. Mais encore faut-il avoir les yeux qu’il faut pour la percevoir. Une certaine disposition, une soif qui nous aimante à elle. Je pense pas vraiment qu’il s’agit d’un entraînement. Je pense au contraire que c’est la rencontre avec cette puissance qui nous débouche le regard et transforme à jamais notre appréhension… d’absolument tout.

Après, bien sûr, les camés de la puissance, les accros de la transcendance sont du genre à mettre tout en œuvre pour la faire (re)vivre en eux. Ils éclusent un nombre effarant de produits (dope, voyages, expériences spirituelles, lectures, musiques) pour la retrouver, et font tirer la langue à un tas de dealers (artistes) pour qu’ils arrivent à leur en fourguer. Avant de comprendre que le meilleur moyen de foutre la main dessus et d’en acquérir une réserve inépuisable, c’est de la produire soi-même dans le labo de son âme en mode Breaking Bad pour jamais se retrouver en rade et faire planer le monde avec une nouvelle came bleue cristal.

Mais il s’agit pas que de le faire planer. Ça, c’est bon pour les débutants de la dope qu’ont pas conscience que ce qu’ils se foutent dans le cornet possède un pouvoir bien plus beau que celui de simplement les faire sortir d’eux-mêmes.

La Huesera, femme qui chante au-dessus des os, issue d’une séance de pose avec Zoë Hababou et Bruno Leyval.

Après être sorti, l’idée, c’est de rentrer. De ramener à l’intérieur de soi le Sublime qu’on a contemplé pendant de trop brèves secondes de déconnexion.

L’idée, c’est de reconnecter.

Imaginez une sorte de Mécanicien d’Enfer en mode steampunk, affairé dans la salle des machines, à suer de la gueule derrière son cambouis sous son casque en acier crasseux. Ce Mécano, c’est le Style. C’est lui qui fait la jonction entre l’inconscient et le conscient. Entre l’intérieur et l’extérieur. Entre la puissance cachée, et l’Homme. C’est lui qui provoque la Transe.

Eh ouais, on en arrive au Chamanisme, autre point de ralliement entre Bruno et moi. Que tous les deux on ait connu des expériences de ce genre n’est pas vraiment le problème, en fait. N’importe quel artiste, qu’il ait été ou non en contact avec un chaman ou ce qui s’en approche, est en mesure d’atteindre ce niveau où l’Homme communique avec la Conscience Universelle. Le chamanisme, c’est rien de plus, en réalité. Même si c’est déjà énorme pour le commun des mortels.

Évidemment, c’est carrément plus facile de pénétrer sur cet étrange territoire si on a eu la chance d’être initié par un guide, comme ça a été le cas pour Bruno et moi. Cela dit, ce n’est pas le chamanisme qui crée en l’Homme le pouvoir de transcendance et la capacité de l’engendrer. Il ne fait que révéler ce qu’il porte en lui.

La Trapera, Zoë Hababou vue par Bruno Leyval.

La création artistique est une transe. L’artiste est forcé d’entrer dans un état de conscience non-ordinaire pour capter son œuvre et la transcrire. Comment parler à l’Homme de l’Infini si on n’a pas soi-même la tête dedans ? Comment véritablement mettre au monde une œuvre qui résonnera dans le cœur de l’humanité si soi-même on est déconnecté de ce qui la constitue ? Il faut trouver son plus petit dénominateur commun, les racines les plus ancestrales, les plus primitives qui croissent vers le bas et vers le haut, celles qui nous relient et nous ancrent et celles qui nous élèvent et nous transcendent…

Monde d’en-haut, Monde d’en-bas, c’est des notions qui appartiennent au chamanisme, tout ça, mais aussi à la religion, à la philosophie, à la psychologie. A la totalité entière de l’Homme, psychique et corporelle. Oui, c’est un territoire indigène et sauvage, parce qu’on est tous des indigènes. Carl Jung parle d’Inconscient Collectif.

Et il est aussi le premier à avoir évoqué la réalité de la synchronicité, qui n’a rien d’une stupide notion New Age. Je suis sûre que la majorité d’entre vous a déjà vécu cette sorte d’expérience troublante qui relie passé, présent et futur en un déferlement de sens insensé.

D’ailleurs, c’est peut-être la raison qui fait que vous êtes sur cette page…

La Loba ou Femme-Loup, autre version de la Gardienne de la Plante.

Notre collaboration, à Bruno et moi, au-delà de l’affection personnelle et du délire entre drogués intoxiqués par la même came, est une expérience de synchronicité, comme il en existe beaucoup entre artistes. Le truc qui la rend unique, c’est l’inspiration mutuelle qu’elle a provoquée.

Mes histoires de chamans, de jungle et d’ayahuasca, mon côté sauvage et excessif et mes livres au style agressif ont donné à Bruno l’idée du personnage de la Gardienne de la Plante, qui prend place au sein de son œuvre la Rose de Jéricho, au sujet de laquelle je l’ai interviewé dans Wanted Dead or Alive : Bruno Leyval, Artiste-Guerrier de la Voie de l’Encre.

Et ce qu’il a déterré en croquant mon corps et mon âme est un matériau tout simplement stupéfiant.

Écoutez un peu ça :

Quelques semaines après avoir terminé cette collab, je me suis procuré l’ouvrage Femmes qui dansent avec les Loups. Et bordel, j’ai halluciné dès la première page, dont l’introduction a pour titre : Chanter au-dessus des Os (si vous ne comprenez pas ma surprise, remontez deux dessins en arrière). Mais ça ne s’arrête pas là. Dans la suite de l’ouvrage, l’auteure fait référence à La Huesera (Femme aux os), La Trapera (la Ramasseuse) ou encore La Loba (la Louve). La légende d’une femme qui arpente les routes (tiens tiens) à la recherche d’os de loups, pour ensuite reconstituer le squelette dans sa totalité. Puis, assise face aux os, elle réfléchit au chant qu’elle va chanter. Quand elle l’a identifié, elle l’entonne, et le loup revient à la vie.

Très surprenant, quand on sait que c’est précisément de cette manière que je conçois et décris mon processus d’écriture, pas vrai ?

(je déconne pas, la vérité est dans Les Entrailles de Borderline rédigé bien avant toute cette aventure)

La Femme-Jaguar, Zoë Hababou dessinée par Bruno Leyval.

Le fait est que poser pour lui m’a aussi ouverte à un aspect de moi-même dont je n’avais pas forcément conscience, que ses dessins m’ont révélé. Mais ce n’est pas là-dessus que j’ai envie de m’étendre. Il était très agréable de sentir en moi l’éveil de la Guerrière, et de réaliser que son essence, son énergie m’imprégnait bien plus que je ne l’imaginais, même quand j’étais franchement down comme à l’époque où j’ai pris la pose. Bruno a eu le regard qu’il faut, celui dont je parlais il y a quelques minutes. Il a perçu la puissance en sommeil. Et il me l’a montrée.

Vous la voyez, vous aussi, pas vrai ?

Le truc important, c’est que ces esquisses m’ont prouvé que j’étais bel et bien reliée à l’Universel. Que l’Archétype de la Femme, de la Guerrière, de la Chamane et de tout ce qui constitue la beauté et la force du Principe Féminin, existait véritablement en moi, peut-être d’une façon aussi criante que dans ces dessins.

Cette révélation a inauguré une sorte de renaissance.

La Gardienne de la Plante version Grand-Mère Feuillage.

Ce dessin en particulier, que j’appelle personnellement Grand-Mère Feuillage, présente un visage sans âge, presque sans genre. C’est marrant, j’ai à la fois l’impression de contempler mon ancêtre, et la vieille femme que je pourrais devenir si j’arrêtais de fumer plus d’un paquet de clopes par jour.

C’est comme si Bruno était capable de capter l’Universel dans son sujet, et de le dessiner pour que tout le monde, même son inconscient sujet, le voie.

C’est pour ça que je l’appelle l’Alchimiste.

Il a transformé la pauvre fille plombée que j’étais au moment de la séance de pose en or, en Déesse qu’a rien d’une bombasse de base mais qui au contraire présente tous les atours de la sagesse et de la folie qui va avec.

J’espère du fond du cœur que notre collaboration ne va pas s’arrêter là. J’espère trouver lors du voyage qui m’attend cette puissance de jaguar présente dans ses dessins, cette force qui semble m’appartenir en propre, tout en faisant partie du tout bien plus vaste de la condition humaine.

J’espère être en mesure de faire vivre, et de maintenir vivante en moi cette Conscience détachée de l’ego qui est le seul lieu où j’accepte d’exister, la source infinie à laquelle s’abreuve mon inspiration.

Merci encore Bruno pour cette révélation. Et merci à vous d’avoir écouté mon histoire.

Apothéose de la collaboration artistique entre Zoë Hababou et Bruno Leyval : La Gardienne de la Plante transcendée.

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