Carnet de Route #1 : Premier Jour

Arrivée à Lima, Pérou

Mon fidèle carnet de voyage !

Putain ça y est les mecs, enfin nous y voilà ! C’est maintenant qu’on va commencer à se marrer. Déjà ce matin à l’aube, le zombie servile et frustré qui vit en moi commençait à montrer des signes très certains de panique. Ça risque pas de s’arranger, vu que c’est l’anéantissement total que je vise. Je le lâcherai pas tant qu’il aura pas rendu l’âme, définitivement.

Le type à côté de moi a le bouquin de Kerouac dans les mains et moi je viens tout juste de commencer Into the Wild. Pour l’originalité, on repassera. Autant dire que je suis encore bien loin de la délivrance que je suis venue chercher en me prenant un billet pour le Pérou.

Je suis un peu en vrac, pour être franche, mais ça me change pas de d’habitude. Les derniers restes de mon ancienne vie qui s’accrochent encore à ma peau. Sueurs froides, mal de tête, ce genre de truc. Ceci dit ça m’aurait étonnée de débarquer dans l’avenir immaculée comme une saloperie de vierge effarouchée, sans trimballer avec moi quelques anciens péchés. De toute manière le but n’est pas d’oublier celle que j’ai été. Je veux retrouver ce que je suis vraiment, apprivoiser cette énergie qui me ronge. Depuis le temps qu’on me force à la museler. Eux, cette bande de salopards de pétochards. C’était logique que ça se retourne contre moi et que ça se mette à me bouffer de l’intérieur. Eux, je sais pas comment ils gèrent, et je m’en cogne, mais en ce qui me concerne cette bête-là a constamment besoin de combustible, merde, c’est comme si elle était tout le temps en manque et qu’y lui fallait un truc à grignoter, un jouet sur lequel se faire les dents, une matière brute à triturer ou transformer… 

C’est pas qu’elle soit mauvaise en soi. Elle n’est dangereuse et meurtrière que quand elle est ligotée. Moi tout ce que je veux c’est lui rendre sa liberté, la laisser s’échapper et filer tout droit en m’emportant avec elle. Je veux que cette force devienne mon alliée, quand bien même elle me pousserait à faire des trucs plus ou moins… inhumains. Surtout même.

Faut que l’animal tue le zombie, voilà comment ça marche. Faut que l’esprit mesquin et étriqué éclate en morceaux. Et l’animal en expansion pourra comme ça acquérir toute son ampleur et peut-être bien… va savoir, embrasser l’univers !

Ouais, c’est bien de ça qu’il s’agit. Ce qu’il y a de sauvage en moi doit reprendre le dessus sur l’automate chétif qu’on m’a appris à être. Je veux sentir ce que ça fait, d’être vivant. Je veux savoir ce que c’est.

Je voudrais faire comme dit Chuck Palahniuk. Parvenir à désapprendre tout ce que je sais pour me catapulter dans l’expérience brute. Réelle. Une putain de révolution, que ce serait. Quand je sens l’avidité de mon corps et de mon esprit, je me dis que je pourrai pas me satisfaire de moins que ça.

Ça fait maintenant 15 heures qu’on est partis, ils viennent de dire qu’on va bientôt amorcer la descente finale. Putain, j’y crois pas, mes pieds vont enfin fouler cette terre qui me fait saliver depuis des mois ! Je réalise pas, en fait. Je vais faire face à l’autre monde. Face à moi-même. Seule, comme je l’ai toujours voulu. Je vais enfin savoir de quoi je suis capable sans personne avec l’Inconnu droit devant. 

Merde, je vais enfin savoir ce que j’ai dans le bide.

Carnet de Route #2

© Zoë Hababou 2020 - Tous droits réservés

 

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