Carnet d’ayahuasca #10 : Dixième Cérémonie

Intention : Inspire-moi

La claque, voilà. La claque totale. Un truc auquel j’aurais jamais pu m’attendre, même si en y pensant maintenant je me dis que l’ayahuasca c’est ça, ça et rien d’autre.

Theodore dans le film Her, quand il réalise que son amour ne lui appartient pas.

Je sais plus trop pourquoi, mais j’ai rapidement senti le besoin de m’allonger. Comme de bien entendu, c’est très vite devenu difficile. Au bout de dix minutes, je me tordais déjà dans tous les sens. C’est si affreux d'être là à subir la force des visions sans pouvoir rien faire, en sachant que ça va durer et durer.

Je me souviens même pas comment ça m’est venu. Mais tout à coup je me suis mise à penser à ce film, Her. A la fin. Quand Samantha avoue à Theodore qu’elle a plusieurs amants virtuels, mais que ça veut dire qu’elle l’aime plus, parce que son amour s’étend à toute l’humanité. Quand elle lui dit que le cœur n’est pas une boite qu’on peut remplir, mais quelque chose qui grandit de plus en plus à mesure qu’on aime, et que son amour est plus pur, plus vrai de cette façon. Du moins selon mon interprétation.

Ça m'a déchirée. Je me suis foutue à chialer comme une perdue. Ça me faisait tellement mal, putain, et je savais même pas pourquoi, parce que c’est un truc plutôt positif, en fin de compte. 

Joker, quand il danse devant le miroir après le meurtre. Cette scène symbolise l’acceptation de soi-même.

Et puis fatalement j’ai pensé au Joker. A cette sorte de désespoir hystérique si bien exprimé par Joaquin Phoenix. De là, je suis passée à un autre stade de compréhension. A celle du jeu d’acteur, et plus généralement au travail de l’artiste. A cette implication totale, cette dévotion plus grande qu’un Homme, au rôle et aux personnages.

L’ayahuasca m’a montré la façon dont un artiste doit vivre et ressentir, jusqu’au fond de ses tripes, ce qu’il cherche à évoquer, jusqu’à accepter de porter en lui pour le reste de ses jours ces émotions dont il a fait l’expérience afin de les retransmettre. La façon dont il faut véritablement se transformer, personnellement, pour être en mesure, et peut-être même avoir le droit, de parler au monde de cette souffrance qu’il cherche à exprimer.

Je repensais à Her de nouveau, quand elle s’en va à la fin, parce qu’elle est devenue trop vaste, qu’elle a compris trop de choses, et qu’il faut qu’elle aille plus loin, qu’elle ne peut plus se limiter au monde humain. La tristesse de Theodore de nouveau, abandonné. Mais qui retourne vers la vraie vie en voyant enfin son amie réelle, pour de vrai, comme une amoureuse potentielle peut-être.

Lost in Translation était présent aussi, et surtout la fin bien sûr.

Le serpent, esprit de l’ayahuasca, ici peint par un chaman shipibo. Quand le serpent s’adresse à toi durant une cérémonie.

J’ai réussi à sortir du cercle des pleurs, après un gros effort. Et puis, il s’est passé quelque chose de très bizarre. J’ai créé un serpent dans ma tête, en face de moi, pour parler avec la plante. Est-ce que c’est moi qui l’ai créé, ou est-ce que c’est elle ?

Ça n'a pas vraiment d’importance, puisqu’en parlant avec lui, ou elle, je savais que je me parlais à moi-même, et qu’elle me parlait aussi, parce que c’était la même chose. Elle et moi, on était la même chose...

Elle m’a dit, avec beaucoup de difficultés, parce que les mots avaient du mal à se former en pensée, et que c’était de toute façon inutile, puisque la télépathie fonctionnait aussi, elle m’a dit qu’il fallait qu’elle s’incarne, en serpent ou en ce que je voulais, parce que c’était plus facile pour moi de parler avec et de comprendre un être incarné, avec deux yeux et une bouche, parce que c’était à ça que j’étais habituée.

Elle m’a dit que je comprenais pas toujours quand elle s’adressait à moi par les visions, mais que désormais je pouvais la créer dans ma tête pour parler avec elle. Déjà à ce moment-là, je crois qu’elle provenait de cette sorte de compréhension de la conscience universelle, induite dans mes neurones grâce au film Her.

Il me semble qu’on a parlé en continu toutes les deux, mais je me souviens plus bien. J’étais maintenant sur le dos, et quelque chose de fou est arrivé. J’aimerais me rappeler précisément comment c’est arrivé, et surtout ce que c’était exactement, mais c’est déjà reparti si loin… Pourtant sur le moment j’étais sûre qu’une telle connaissance ne pourrait plus jamais s’enfuir...

C’était un savoir qui n’en finissait plus... J’en finissais plus de comprendre ! Plus tard j’ai dit à Wish que je pourrais jamais revenir, que c’était un voyage sans retour. Qu’après avoir compris ça, on pouvait plus jamais revenir en arrière.

Maintenant pourtant il me semble que ce savoir est emmuré en moi, que le passage s’est refermé. Je vais quand même essayer d’expliquer…

Je sais plus trop comment, mais j’ai pensé à Thelma Et Louise. À la fin du film, quand Thelma dit : C’est rare d'être réveillée à ce point-là. Et... quelque chose a explosé dans ma tête et j’ai compris, d’une manière terriblement intime, que la conscience, la mienne, celle de Travis, de Wish, de Thelma, celle de tous les êtres que j'aimais, étaient une seule et même chose, qu’on partageait tous, pas juste métaphoriquement.

Thelma et Louise, le film. La fin en particulier symbolise la conscience éveillée, sans retour en arrière possible.

Et que le bonheur, l’amour, la souffrance, la perte, étaient le même amour, la même souffrance, la même perte... et que Tyler… en étant partie… aimait plus Travis qu’elle ne l’avait jamais aimé, parce que son amour était devenu l’amour unique de la conscience globale, qui ne pouvait plus s’attacher à un seul être… En étant partie, elle était là, peut-être encore plus qu’avant, pour toujours, auprès de lui, en lui, en nous tous, parce qu’elle était l’amour de la plante, le sien, tout l’amour du monde, le seul qui soit…

Et les paroles de Thelma qui revenaient en boucle. Son visage quand elle comprend enfin ! Ses yeux quand elle est finalement réveillée, après des années de sommeil et d’inconscience, et qu’elle sait qu’aucun retour en arrière n’est plus possible…

Et c’était tellement vrai, tellement vrai, tellement énorme, de comprendre ça, que je me suis mise à pleurer, violemment, avec des sortes de convulsions du bas-ventre, parce que comprendre la vie avec une telle force revenait à accoucher d’une vérité, d’une vérité qui fait mal, parce que c’est ça que ça fait, de comprendre les choses pour de vrai, avec toute son âme !

J’ai mis du temps à en revenir… Je me suis forcée à lâcher, à sortir de cette boucle. Oui, c’était comme ça. Oui, c’était impensable et terriblement fort, et incroyablement nouveau, mais c’était comme ça. Et c’était beau. La plante me disait : Tu sais. Maintenant, tu sais…

Et moi j’ai même dû dire en français, à haute voix, pour moi-même : Putain… La vache… Maintenant oui… Maintenant je comprends…

Et la plante me disait, comme la voix de Her : Je serai toujours là désormais… Tu pourras faire appel à moi quand tu veux maintenant…

Le Grand Saut final dans le film Thelma et Louise.

A présent j’avais les yeux ouverts, peu importe si les visions continuaient. Il avait fallu souffrir et subir à bloc ces visions avant que quelque chose ne cède enfin, avant que le mur se brise pour de bon. Désormais elles ne pouvaient plus m'importuner.

Les yeux grands ouverts dans le noir, elles étaient encore là, mais c’était autre chose que je contemplais. Un savoir qui n’en finissait plus de s’étendre, de se développer. Un savoir qui continuait sa course sans fin, sans doute parce qu’il n’était pas un concept.

Et moi je le suivais sans pouvoir en détacher mes yeux. Mon âme avait embrassé la vraie transcendance, et il n’y avait aucun billet de retour.

Wish m’a un peu parlé. Il avait l’air de comprendre ce que je voyais. Je lui ai dit qu’après avoir compris ça, ça devait être très difficile de prendre au sérieux les affaires humaines. De faire comme si le monde que les autres voyaient valait quelque chose. Que leurs petits problèmes avaient encore la moindre espèce d’importance. Ça nous a un peu fait marrer.

Après encore pas mal de temps, il m’a été possible de me redresser et de fumer une clope avec lui. Mais mon âme ne pouvait toujours pas détacher les yeux de ce savoir qui continuait à diffuser sa leçon… J’arrivais pas à redescendre. J’avais même pas les mots pour en parler, pour tenter de le partager avec Wish. Lui m’a parlé un peu, et je savais qu’il captait tout. Ce qu’il disait allait parfaitement dans ce sens. Il m’a dit qu’il m'emmènerait jusqu’au sommet.

Il m’a bien fait rire en me racontant ses interactions avec les gens. Ça me paraissait logique qu’en ayant vu tout ça, ça devenait difficile de se comporter comme les autres.

Après avoir fumé pas mal de clopes et écouté sa chanson à la guitare, celle que j’aime tellement, où il dit que la racine de la Terre (l’ayahuasca donc) l’a changé, fascinée par son pouvoir, ses connaissances, et sa maîtrise incroyable de l’autre monde, on a fini par s’allonger, mais moi je pouvais toujours pas fermer les yeux…

Carnet d’ayahuasca #11

Carnet d’ayahuasca #1

La peinture de cet article est de Wish. Il me l’a offerte pour mon anniversaire. Elle est chez moi désormais !

© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés

 

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