Carnet d’ayahuasca #14 : Quatorzième Cérémonie

San Francisco, en pleine jungle !

Le lieu où je vis durant ma diète d’ayahuasca, dans le village shipibo de San Francisco au Pérou !

Les oiseaux m’ont réveillée. Le matin dans la jungle, ça chante et ça sifflote dans tous les coins. L’air était frais, les moustiques plutôt calmes. J’ai bu un peu de flotte en me fumant un mapacho, puis je me suis lavée dans la douche dehors en frissonnant, puisant des baquets d’eau dans le seau prévu pour ça et m’aspergeant avec.

D’après ce que m’a dit Wish, l’eau courante ne vient que deux fois par jour, et quand c’est le cas on remplit des seaux en prévision des coupures et surtout des bouteilles d’eau filtrée. Ici au Pérou ils ont un ingénieux système de filtration au charbon qui se pose direct sur le robinet. L’eau coule lentement, mais elle est pure, alors on peut en faire des réserves.

C’est très sommaire, ici, mais y a quand même des toilettes sèches et une cuisinière au gaz disposée sur le sol en terre, à côté d’une table en bois, sous un toit de palme. De toute façon pour le peu que j’ai le droit de bouffer, ça fera l’affaire.

Quand Wish s’est levé on a été faire un tour au village. Les habitations s’étendent sur les bords de la piste principale, et tout au bout, il y a un pont immense qui survole la jungle et mène à un ponton où on peut se baigner dans le fleuve. Inutile de dire qu’on en a bien profité.

Mon chaman shipibo en train de peler la Numan Rao, plante maîtresse que je diète.

L'après-midi, on a été récolter des plantes avec Wish. Il a taillé à la machette la racine suspendue de la Numan Rao, qui pousse à l’extérieur du sol et s’accroche aux autres arbres, plante maîtresse que je vais diéter en plus de l’ayahuasca.

De retour, on s'est mis à gratter l'écorce, pour ensuite peler la partie marron jusqu'au blanc tendre du bois. Ensuite il a coupé les différents morceaux en tronçons, les a taillés en deux.

La diète de la Numan Rao se fait de deux façons : on boit l’eau dans laquelle a macéré l’écorce, et on se lave avec les autres parties. C’est ce qu’on appelle un bain de plantes. Pas de savon, pas de shampoing, mais de l’eau infusée à froid avec la plante maîtresse, mais aussi des feuilles, des racines, des fleurs et du citron vert, récoltés directement sur le terrain du chaman. On peut pas faire plus zéro déchet. Et ça sent bon !

Infusion de Numan Rao, plante maîtresse.

On s'est arrosés avec la préparation, sans se sécher derrière, en laissant les feuilles collées à nos corps. Quelques temps après on a bu la tisane. Ça sent la cannelle et le clou de girofle, et c’est super bon.

Je la prends trois fois par jour. J'ai dit à la plante que j'entamais une nouvelle diète et que je voulais aller plus loin dans la medicina.

La Numan Rao est une plante à l’esprit féminin, qui ouvre à l'amour, apaise et donne confiance. En me baignant avec et on la consommant régulièrement, le but de la diète est d’incorporer son essence.

Ouverture de diète

Intention : Réveille mon moi profond, fais-moi aller plus loin dans le monde de la Medicina

Wish m'a donné une petite tasse d'ayahuasca. Tant mieux, parce que celle-ci contenait des morceaux... Je sais pas si c'est un bug dans la cuisine, mais déjà qu’en temps normal cette sacrée potion est infâme, là c’était carrément hard d’en venir à bout sans gerber direct.

Les visions ne sont pas vraiment venues. Mais j'ai vécu quelque chose d'intense, et de très intéressant.

La maloca où se déroule les cérémonies d’ayahuasca durant ma diète près de Pucallpa.

J'ai commencé par sombrer dans une transe très lourde, qui m'a contrainte à m'allonger. Mais comparé à d’autres cérémonies où cette station couchée t’embarque dans les tunnels de ton subconscient, à lutter contre des visions vertes électriques démoniaques, cette fois-ci, ça n’a pas été un calvaire. Je me sentais au contraire pleine de force et très déterminée.

Sans savoir pourquoi, j’ai ramené mes bras devant moi, pour les croiser devant, chaque main sur une épaule, comme un chef Indien des plaines du Dakota, et d’une manière ou d’une autre j’ai compris l’importance et surtout la signification de cette position.

Ce moyen de s’affirmer, cette attitude de guerrier. Je l’ai tenue longtemps, complètement connectée aux icaros, recevant leur pouvoir sans vaciller.

Je me suis redressée pour vomir puis je suis restée assise, très centrée, très droite, dans une posture de méditation incroyable. La rectitude de ma colonne vertébrale était d'une intensité merveilleuse. Je me suis étirée, j'ai apposé ma main sur mon front, comme je le fais fréquemment désormais, mes épaules se sont secouées d’elles-mêmes comme souvent aussi quand mes ailes se mettent à percer.

Et là, j’ai aperçu des flammes dehors. Quelque chose de rouge dansait à côté de la maloca.

C’était quoi encore, ce délire ? J’ai regardé Wish, mais il était silencieux et semblait plongé dans une méditation profonde, alors j’ai rien dit et suis sortie voir, croyant que l'encens anti-moustiques était en train de faire flamber le plancher devant les chiottes.

Il y avait un feu dehors, juste en face de l'endroit où s’arrête le plancher. Un petit feu entouré de pierres. Qui en était l’auteur, et pourquoi les flammes s’étaient soudain élevées comme ça ? C’était la première fois que je sortais dehors durant une cérémonie, en étant encore mareada.

Et alors, j'ai entendu la forêt. Le vrai chant de la Selva.

Tous ces sons d'insectes, d'oiseaux, de branches et de feuilles. Entendre ça de cette façon-là, c’est inexplicable, la sensation que ça peut faire. Même le mot connexion semble faible pour décrire une telle chose.

Les yeux fermés, je me suis accroupie sur le plancher en face du feu, et j’ai écouté, et écouté encore. Je pouvais plus sortir de cette écoute, et j’en avais pas envie. Le feu m’avait convoquée ici, j’en étais sûre, il m’avait fait sortir de la maloca intentionnellement pour que je vienne écouter la jungle. Qui avait fait ce feu ? Cette question me tarabustait un peu. Je savais qu’il s’agissait de quelque chose de... différent.

La maloca vue de l’intérieur, avec ses murs en moustiquaire.

Je suis restée un très long moment dehors, les yeux ouverts ou fermés, hypnotisée par le son, tous ces croassements, ces vrombissements, ces grésillements… Les flammes ont disparu, il restait plus que deux braises qui me regardaient. Les yeux du serpent.

Leur envoûtement était d’une puissance rare, paralysante, et je les regardais la bouche ouverte, complètement déchirée par la transe, en continuant à écouter. J’étais capturée, perdue dans ces yeux rougeoyants, branchée sur la selva, et c’est seulement quand les braises se sont éteintes que je suis revenue à mon corps.

Je suis retournée à l’intérieur me chercher un mapacho mais fallait que je ressorte, c’était trop beau dehors, j’étais trop bien là-bas. C’était là-bas que ça se passait. Jamais de ma vie, même avec tout ce que j’avais vécu, j’avais été à ce point possédée par quelque chose.

J'ai songé qu'il faudrait que je le mette dans le livre. Quand la forêt appelle Travis, dès qu'il ferme les yeux. C'était ça qu'il devait ressentir. Et aussi qu'il faudrait que ça lui arrive durant une cérémonie. J'avais des pensées très profondes au sujet de Borderline. Je vais devoir m’atteler à transcrire tout ça.

Assise dehors, pompant avidement mon mapacho, j’ai entendu Wish entonner cette fameuse chanson à la guitare, celle qui dit : Antes yo vivía, perdido perdido. Pero Raíz de la Tierra, su misterio me ha cambiado (avant je vivais perdu, perdu, mais, Racine de la Terre - l’ayahuasca donc - ton mystère m’a fait changer). Et moi aussi, depuis mon plancher face à la forêt, j'ai commencé à chanter. À force, je connais tous ses morceaux. Mais j’ai été interrompue par quelque chose qui s’est mis à siffler, longuement, dans les arbres devant moi.

Bien sûr je savais pas de quoi y s’agissait. Cet esprit siffleur (dont Wish m’avait parlé quelque temps auparavant) ou quoi que ce fût ne semblait pas mauvais mais sa présence était tout de même dérangeante pour moi. C'est ma première rencontre avec un esprit. Et puis y a eu de plus en plus de sons que je parvenais pas à identifier, à rattacher à des trucs qui existeraient dans la réalité ordinaire.

Quelque chose qui approchait. Des branches cassées. Des courants d’air. Des pas.

J’ai résisté tant que j’ai pu, mais la peur a fini par prendre le dessus et j’ai préféré rentrer dans la maloca, demandant direct à Wish qui avait fait ce putain de feu. Il en savait rien, mais ça avait pas l’air de le traumatiser. Il se conduisait comme si rien d’anormal ne se produisait en ce moment même là-dehors.

J’étais animée de l’étrange certitude que ce feu n’avait existé que pour moi, que pour me convoquer dehors, et l’absence de réaction de Wish ne faisait rien pour m’en dissuader. Quand je fermais les yeux, je voyais encore le chant de la jungle. Je le voyais dans ma tête, et je me demandais comment c’était possible de ne pas le voir, en fait. Comment j’avais fait pour ne pas être possédée par lui plus tôt.

J'ai pensé à l'esprit de mon livre, à la façon dont il tourne autour de la maloca. J'étais un peu paumée, et j'en venais même carrément à douter de l'existence du feu. Je me demandais si, comme dans ma saga, au petit matin, il n'y aurait plus aucune trace de lui.

On a parlé des esprits avec Wish. Il m’a fait remarquer qu’y avait deux esprits siffleurs, celui que j’avais entendu et un autre un peu plus loin. L’autre esprit que j’avais capté, celui qui détruisait les branches, était selon lui une entité ambiguë. Il m’a appris qu’y avait des tombes pas loin, et un petit étang qui possédait aussi son esprit, sans compter les iboros, gardiens de la selva, qui pouvaient souhaiter me rencontrer, ou ne faisaient que passer.

Il est sorti pisser en me lançant par-dessus son épaule :

-  A ver si los duendes me llevan a mi (voyons voir si les gardiens m’emportent, moi).

Il est revenu sans dommages.

On papotait depuis un moment quand les flammes ont repris dehors. Grâce à la lumière qu’elles produisaient, j’ai vu qu’y avait plein de nouvelles branches dans le feu. Là, j’ai vraiment eu un raté.

- C’est pas vrai, putain, c’est toi qui viens de remettre du bois dans le feu ?

- Carrément pas.

J’étais sidérée.

- Tu sais une fois une de mes cousines a accouché et on a trouvé plein de nourriture et d’offrandes pas loin de la maison dans les bois, et je peux te jurer que ça venait d’aucun d’entre nous. C’est comme ça. Les esprits font ce genre de chose, parfois.

La place où je m’assoies dans la maloca, durant les cérémonies d’ayahuasca.

Il m'a raconté pas mal d'histoires datant de l’époque de son apprentissage, les initiations qu’il a faites ici même, pour devenir chaman, auprès de son grand-père. J'adore ces moments où on cause tous les deux comme ça. Les souvenirs et le vécu qu’il me transmet sont d’une rareté et d’une richesse inouïe.

Ce matin on s'est purgés à la hierba luisa, sorte de grosse tige d’herbe verte qui pousse sur le terrain de sa mère, et qu’elle a préparée pour nous, de bon matin. Une bassine de 10 litres pleine devant toi, un pichet de plastique à la main, tu plonges ton truc dedans, et tu bois, tu bois, tu bois. Au bout de cinq pichets tu te mets à vomir le trop plein. Un dégueulis bien clean, un peu mousseux. Tu mouches du nez, aussi. Ça sort de partout. Et puis tu rebois, encore et encore, jusqu'à ce que ta bassine soit vide.

De la purge pure et dure.

Mais voilà comment ça marche, une diète. Faut que le terrain soit propre.

Carnet d’ayahuasca #15

Carnet d’ayahuasca #1

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