Carnet de Route #3 : Sixième Jour

Nuit solitaire dans le désert de Paracas

Le journal de voyage dans lequel sont écrits les épisodes que vous lisez ici.

J’ai pris un bus pour le désert, au sud de Lima. Tout le long de la route se sont succédés des villages - si on peut appeler ça comme ça - à moitié bidonvilles. Pour être franche, je commençais à me dire merde, dans quelle merde j’ai été me foutre, je vais pas débarquer avec ma tronche de raie au milieu de ces gens. La différence entre mon mode de vie et le leur m’a sauté à la gueule. Comment on aurait pu s’accorder ? A l’exclusion d’un rapport commercial, probablement en ma défaveur, puisque c’est moi qu’ai le pognon, je peinais à croire qu’il puisse y avoir de réelle rencontre.

Le nez collé à la vitre du bus, j’ai vu des villageois laver leur linge dans des rivières crado, une femme brosser les dents de son gosse en guenilles avec cette eau. Du bétail famélique, des chiens errants fouillant les ordures et une vache crevée, le cul en l’air, effondrée au milieu des autres, à pourrir. Tout ça au sein de dunes immenses, l’océan désolé au loin, pas encore tout à fait le vrai désert mais déjà bien sec quand même. Eh ouais, j’avoue, si le bus m’avait larguée dans un de ces bleds, je me serais pris le premier hôtel venu, cher ou non, et je me serais barricadée jusqu’à temps de me tirer. 

Le désert de Paracas, Pérou.

La ville où je suis descendue est plus faite pour moi, puisqu’elle est habituée à être assaillie par les gens de mon espèce : les touristes. Et avec le soleil, en bord de mer, tout paraît plus rassurant. 

Dès que j’ai mis un pied à terre, un mec jeune, un peu gros, avec une chemise plus ou moins hawaïenne m’a accostée, prenant d’autorité les choses en main. Il m’a proposé de me conduire en centre-ville gratis. M’a appris qu’il s’appelait Toby. Je lui ai dit mon nom mais il a eu du mal à le prononcer. Et il s’est mis à me vendre sa salade, subtilement (selon lui, disons). Il m’a tapé la fin de ma clope en me proposant ses tarifs. J’avais pas beaucoup de thunes alors on s’est mis d’accord sur un prix. Je le sentais plutôt bien, et de toute façon j’étais plus ou moins obligée de faire affaire avec lui. On a convenu de se retrouver à quatorze heures pour aller dans le désert et qu’il me montre l’endroit où je pourrais planter ma tente. 

J’ai été bouffer un truc dans un boui-boui au bord de l’eau et je crois que je me suis fait enfler sur l’addition. Puis j’ai fait un tour dans le bled mais ce putain de sac à dos pèse trois tonnes alors j’ai pas été bien loin. 

J’ai retrouvé Toby et ses acolytes dans leur agence. Ils avaient l’air assez cool. Police est passé à la radio. C’est marrant de voir que partout dans le monde les gens écoutent la même musique. 

L’océan vu depuis le désert de Paracas, Pérou.

Et puis on a tracé. J’étais excitée comme pas deux. Toby a allumé un joint d’herbe en me disant que c’était de la roja de je sais plus quoi. Ça nous a mis direct dans l’ambiance. Elle était pas très forte, mais c’était nickel d’être juste un peu parti pour s’engager dans le désert. Je me suis dit putain, c’est fou tout ce qui se passe dès qu’on sort de chez soi ! Ce désert, c’est tout ce que j’ai toujours désiré au monde. Immense, aride, éternel. Cette virée était mémorable, et on s’est bien fendu la poire. L’effet de l’herbe, la musique quechua sur l’autoradio avec un super solo de guitare électrique, j’ai ressenti ce que j’étais venue chercher. Cette sensation unique pour laquelle je vis, je l’ai éprouvée l’espace d’un instant. 

Malheureusement, je suis vite redescendue quand l’autre m’a annoncé le montant de la facture. Pas du tout ce qu’on avait convenu. A cette heure-là y doit être en train de se murger avec ses potes et mon fric. Je me suis fait enculer. Mais seule au milieu de nulle part avec lui, baragouinant difficilement quelques phrases d’espagnol, j’avais pas les moyens de lutter, même si j’ai essayé, d’autant plus que je redoutais qu’il m’abandonne avec ma tente et revienne jamais me chercher. Putain, ça me servira de leçon.

La plage du désert de Paracas où j’ai passé ma première nuit toute seule dans ma tente.

Mais au fond, peu importe. Je vais passer ma première nuit en solitaire sur une crique magnifique aux pieds des falaises, avec l’océan en face, entourée par l’immensité saline du paysage aride. J’ai rien à bouffer à part des espèces de chocolats énergétiques que je me gardais pour les ascensions en haute altitude, mais tant pis, je les mange. Faudra que je sois plus prévoyante à l’avenir. 

La solitude a quelque chose d’inquiétant ici, dans ces terres inconnues. Espérons que Toby et ses potes bourrés aient pas l’idée de revenir me violer en pleine nuit. Mais j’ai quitté tout ce que je connaissais pour briser mon cocon et naître à moi-même, et faire enfin face à ce qui gronde à l'intérieur. On va voir si l’exil est une bonne méthode pour cette expérience. Quand Toby m’a demandé pourquoi j’étais partie, je lui ai dit que je voulais juste vivre. Il a répondu d’un air philosophe : vivre pour vivre. Ouais, vivre pour vivre, mec. Voilà.

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