Wanted Dead or Alive : Brice Amiot, Artiste Martial engagé dans la Voie du Guerrier
Ce type, il parle de la vie comme d’un maître, du mal dont tu peux dompter l’énergie afin de le transmuter en bien. Il voit chaque souffrance comme une épreuve initiatique, t’apprend comment exprimer tes émotions par le corps, comment devenir responsable de ta propre réalité. Il compare l’ego à un logiciel informatique malveillant et te chuchote que les Guerriers sont ceux qui décident d’entrer dans la machine pour la déprogrammer. Il ose redonner sa légitimité à l’expérience personnelle, en rétablissant le vivant qui circule à l’intérieur de toi comme seule vérité. Il évoque la vraie force, aussi. Celle qui te permet d’employer l’énergie des choses néfastes pour nourrir le changement positif que tu veux voir se produire. Cette force qui peut faire de toi un être indestructible, car capable de tout accepter. Et enfin, il parle de l’intention. De cette conviction qui t’habite lorsque tu décides de devenir enfin ce que tu rêves d’être. Jusqu’à ce que chaque cellule de ton âme en soit imprégnée et que tu parviennes… à la totale réalisation de toi-même. Ce mec dont je cause, ce qu’il fait, en réalité, c’est de rendre son pouvoir à l’être humain.
Fallait que je trouve quelqu’un à qui m’adresser. Ce truc du Guerrier m’obsédait depuis trop longtemps, mais je savais pas par quel bout l’attaquer. Moi-même évidemment je me sentais l’âme d’une Guerrière, et quand on connait un tantinet le terrain que je pratique, pas besoin d’avoir inventé l’eau chaude pour capter que l’Ayahuasca en mode traditionnel, c’est carrément une Voie du Guerrier. Mais c'était pas assez pour oser me colleter à ce thème foutrement vaste en pleine légitimité.
Et puis je suis tombée sur un mec. Un maestro d’Art Martial. Du style traditionaliste.
Une seule vidéo de lui m’a suffit. J’ai su que j’avais trouvé celui qu’il me fallait.
Ce type, il parle de la vie comme d’un maître, du mal dont tu peux dompter l’énergie afin de le transmuter en bien. Il voit chaque souffrance comme une épreuve initiatique, t’apprend comment exprimer tes émotions par le corps, comment devenir responsable de ta propre réalité.
Il compare l’ego à un logiciel informatique malveillant et te chuchote que les Guerriers sont ceux qui décident d’entrer dans la machine pour la déprogrammer.
Il ose redonner sa légitimité à l’expérience personnelle, en rétablissant le vivant qui circule à l’intérieur de toi comme seule vérité.
Il évoque la vraie force, aussi. Celle qui te permet d’employer l’énergie des choses néfastes pour nourrir le changement positif que tu veux voir se produire. Cette force qui peut faire de toi un être indestructible, car capable de tout accepter.
Et enfin, il parle de l’intention. De cette conviction qui t’habite lorsque tu décides de devenir enfin ce que tu rêves d’être. Jusqu’à ce que chaque cellule de ton âme en soit imprégnée et que tu parviennes… à la totale réalisation de toi-même.
Ce mec dont je cause, ce qu’il fait, en réalité, c’est de rendre son pouvoir à l’être humain.
Son nom, c’est Brice Amiot.
Et putain, il va te fracasser la tête.
Quand Brice Amiot affûte ton être comme un sabre en déployant son ardente vision du Guerrier
Cette interview est la version écrite de la série de 4 vidéos réalisées en duo avec Brice Amiot, La Voie du Guerrier.
On a décidé de la publier ici parce qu’elle constitue un parfait Manuel du Guerrier.
PRÉSENTATION DE BRICE AMIOT
Bon, soyons clairs, Guerrier : toi et moi, on se serait jamais croisés si t’avais pas eu la bonne idée d’écrire des livres. C’est marrant, c’est un truc qu’on retrouve dans pas mal d’ouvrages de samouraïs, justement ; cette idée que l’Art du Sabre doit s’allier à celui de la Plume pour transformer le monde (et probablement aussi celui qui tient le sabre dans une main et la plume dans l’autre). C’est d’ailleurs l’une des choses qu’on a en commun, nous deux. Parler de nos pratiques guerrières à travers des livres. Celui sur lequel je me suis basée pour faire cette interview, c’est Esprit Martial, dont je propose pas mal de citations à la fin de notre rencontre. Je me doute qu’il serait fastidieux pour toi de revenir ici sur ta longue (et pour tout dire époustouflante) carrière, mais y a pas le choix. Faut que tu te présentes. Faut que les gens sachent à qui ils ont affaire, et pourquoi t’es qualifié pour t’attaquer avec moi au thème de la Voie du Guerrier. Je sais pas, parle-nous de l’école que t’as créée, de ce qui te pousse à écrire des livres, de la raison pour laquelle ce thème du Guerrier est si important pour toi… Je t’écoute. Bon courage.
OK Guerrière, je vais tenter de me présenter mais pas en te faisant le traditionnel CV qui viendrait énumérer mes compétences ! Je vais plutôt te raconter comment aujourd’hui, j’en arrive à amorcer un virage assez serré dans la pratique et l’enseignement des Arts Martiaux. Cela me semble beaucoup plus pertinent pour mettre en lumière ce qui m’anime lorsque j’aborde à tes côtés le sujet de la Voie du Guerrier.
Beaucoup de tes lecteurs reconnaîtront sûrement qu’ils sont à la fin d’un cycle de vie qui fut nourri par une certaine conscience qu’ils ont aujourd’hui totalement dépassée. Peut-être que comme toi et moi, ils ont traversé certaines épreuves et acquis certains enseignements qui ont changé leur vision d’eux-mêmes et du monde. Si c’est le cas, ils sentent inévitablement que cette transmutation les amène à s’inscrire dans un nouveau processus de réalisation ou, en d’autres termes, dans une nouvelle quête. Ils ont alors un regard bienveillant sur les éléments de leur passé qui ont contribué à leur croissance spirituelle mais il se peut qu’ils soient encore en train de travailler à balancer des coups de hache dans certaines attaches que la vie leur demande de rompre. Le nouveau ne fait pas de concessions : « On ne met pas de vin nouveau dans de vieilles outres… ».
Il me semble en effet que l’époque actuelle fait l’office d’une charnière à l’échelle de l’humanité et que nous sommes nombreux à avoir l’impression que notre âme (ou notre Soi si je me réfère au travail de Jung) a décidé de nous foutre la pression afin que notre incarnation lui soit à présent totalement dédiée. Elle le fait en nous montrant que le chemin que nous avons parcouru jusqu’ici était un apprentissage et qu’à présent il va falloir non seulement apprendre quelque chose de totalement différent pour équilibrer notre Être, mais qu’il va surtout falloir se mettre à appliquer les leçons reçues.
Elle exige un acte de foi, un saut dans le vide pour que nous puissions découvrir nos réels pouvoirs et prendre un nouveau départ. Elle nous met au défi mais elle le fait en nous donnant les armes nécessaires pour les relever. À nous d’avoir le courage de saisir ces armes, de nous exercer à les manier avec dextérité et à affronter, grâce à elles, ce ou ces défis avec foi, sagesse et courage. Notre âme nous veut totalement libre et disposé à la servir : le moi au service du Soi ! Elle nous montre notre Voie sous la forme d’une trame reliant les évènements de notre vie et cela en leur donnant un sens. Puis elle nous donne le choix d’en faire une légende, d’accomplir une destinée. Si nous y consentons cette voie devient ce que j’appelle “la Voie du Guerrier”.
Je suis de ceux qui sont persuadés qu’une existence n’est rien d’autre qu’un grand processus alchimique. Nous y subissons de grandes étapes de transmutation destinées à nous détacher d’une certaine conception limitée de nous-même. Ainsi, nos incarnations nous permettent d’avancer vers une réalisation complète de notre essence divine : le Soi.
Celui qui, dans une de ses existences, choisit d’accompagner consciemment ce détachement du “petit moi” devient donc un Guerrier. Un Guerrier qui, sous l’appel du Soi, a le courage de s’attaquer aux armées du moi dont les soldats sont nommés Pensées, Croyances, Peurs, Désirs, Sentiments, Mémoires Ancestrales, Blessures, Conventions, Système, etc...
À l’heure où je t’écris, je me demande si finalement, ce n’est pas la Voie du Guerrier qui nous choisit. Je me demande si elle ne vient pas inévitablement s’imposer à nous au cours d’une de nos incarnations parce que le moment est venu pour notre âme de se révéler à travers l’archétype du Guerrier ou celui du Héros, mais ce n’est pas le propos du jour. Tu me demandes d’avoir un regard sur mon parcours et je vais à présent pouvoir te le livrer à travers le prisme de cette vision de l’existence que je viens de te décrire.
Ce prisme je le chéris car il me permet de donner un sens à ma vie, aux épreuves et aux cadeaux qu’elle m’a offerts, aux rencontres qu’elle a mises sur ma route, aux passions et aux vocations qu’elle a suscitées. Ce prisme m’amène à me dire que rien n’arrive par hasard et que nous servons le plan d’un grand architecte en charge de mener l’humanité vers sa source.
Mon attirance vers les Arts Martiaux s’est forgée dans la croyance qu’il existe une lutte entre “le Bien et le Mal”, entre la lumière et les ténèbres, entre des gentils et des méchants… Fils d’un Père flic et d’une Mère travaillant dans la Justice, je te laisse imaginer à quel point le terreau de mon enfance était propice à ce qu’émergent en moi de tels concepts. L’image du puissant héros défenseur des faibles face aux injustices commises à leur encontre par de cruels oppresseurs était celle à laquelle je choisis instinctivement de m’identifier et dès mon plus jeune âge, il me parut crucial d’acquérir des compétences en matière de lutte contre “le Mal”. Je souris en évoquant cette réalité, Guerrière, mais tu vas te rendre compte que cette croyance, qui peut se révéler extrêmement nocive pour soi-même et les autres, peut également devenir le moteur de grandes réalisations.
Donc, à la base de ma conception de la vie résidait un combat. Forcément, étant donné que nous créons notre réalité, les combats et les injustices ne se sont pas fait attendre et mon enfance a très vite été marquée par de sombres évènements. En effet, mon Père fit l’objet de pressions politiques dans l’exercice de ses fonctions de commissaire divisionnaire au sein de la Police d’une commune du Val d’Oise et sa prise de position en faveur de ce qui lui semblait juste valut à notre famille d’être menacée. Un grand processus de destruction bien vicelard comme savent les mettre au point les Hommes avides de pouvoir s’enclencha autour de la nécessité d’éliminer un homme gênant et mon Père sombra dans une profonde dépression avant d’être tué par le poids des attaques incessantes dont il était la cible. J’avais alors sept ans.
On dit qu’on constitue la base de sa relation au monde dans les sept premières années de sa vie. Me voilà donc parti avec un bagage bien lourd rempli de l’idée que le monde des Hommes est dangereux car il y règne massivement des êtres sombres, corrompus et malveillants, que ces êtres m’ont pris mon Père, que je suis seul pour me défendre et défendre ma Mère. Bienvenue en enfer !
Dès lors, la nature devient mon refuge. Je suis un enfant solitaire errant la plupart du temps dans les profondes forêts vivantes qui bordent la propriété que mes parents avaient achetée. Les arbres et les animaux deviennent mes compagnons de jeux ou plutôt d’entraînement car je n’ai qu’une seule idée en tête : devenir fort.
Mes moindres actions sont dictées par la volonté d’être capable de me protéger, d’incarner les nobles valeurs que mon éducation m’avait inculquées et par celle de me tenir loin de la noirceur des Hommes. Le problème, c’est que je rencontre cette noirceur partout car elle est ancrée en moi : on voit ce qu’on croit. À l’école je n’ai que très peu de camarades de mon âge, en dehors je suis seul ou je traîne dans les pattes de tout un tas “d’anciens” des campagnes qui m’apprennent des trucs d’anciens remplis de bon sens, de magie et de connaissances des lois de la nature. Je suis déjà en train d’apprendre ce qui constitue aujourd’hui le cœur de mon enseignement.
Le combat continue et la vie m’arrache à mes racines : je pars vivre chez ma Grand-Mère maternelle dans le Pas-de-Calais. Ce fut de belles années qui me permirent d’être complètement bercé par la sagesse de tout un tas de personnes âgées aimantes et bienveillantes qui constituaient mon entourage proche. L’une d’entre elles fut mon premier professeur d’Arts Martiaux. Un homme discret et profondément bon qui s’occupait de son jardin lorsqu’il n’enseignait pas le Judo. Et son jardin était juste au bout de celui de ma Grand-Mère.
Autant te dire que cet homme patient et d’une profonde sagesse avait souvent un petit pot de colle nommé Brice aux miches lorsqu’il foutait le nez dehors. Et lorsqu’il se rendait dans son Dojo, j’y était également car forcément, les Arts Martiaux se sont révélés comme incontournables dès lors que leur existence fut portée à ma connaissance. Ma Mère n’hésita pas à financer mes cours jusqu’à ce que je sois moi-même en capacité de les payer et mes professeurs d’Arts Martiaux sont devenus mes Pères de substitution. Chacun d’entre eux a développé en moi des qualités ou inspiré des quêtes de compétences. Ils ont tous façonné ma vie en parallèle de deux autres sources d’inspiration : le cinéma et la littérature. Si le cinéma continuait à nourrir le misanthrope assoiffé de justice, de droiture et bouillant du désir de punir le “déviant”, la littérature, elle, commençait à m’apporter d’autres visions des buts de la pratique des Arts Martiaux.
Mon adolescence prit alors une espèce de double direction. Je devais à la fois aller au bout de ma quête de force mais commencer également à envisager que ce que j’entendais être un homme fort n’était qu’un petit aspect très éphémère du thème de la force humaine. J’étais aussi invité à me poser quelques questions au sujet de ma réalité. Mais tu sais comme moi que c’est lorsqu’on est allé au bout d’une idée que celle-ci peut laisser place à une autre.
J’ai donc continué à pratiquer différents Arts Martiaux, sports de combat et méthodes de self défense dans le but quasi unique d’affronter ce monde si dangereux. Je m’entraînais chaque jour avec ferveur et enthousiasme, alimenté par la passion et la fougue juvénile, toujours plus exigeant envers moi-même mais aussi envers les autres par extension. Bref, s’ouvrait à moi le programme idéal pour devenir un connard violent, intolérant, prétentieux, rigide, semeur de haine et de désastres comme il y en a des masses aujourd’hui dans le monde du sport d’inspiration martial mais en même temps, la vie m’empêchait de tomber dans ce piège.
L’intérêt que je nourrissais de plus en plus pour les dimensions subtiles de l’être constituaient un garde-fou et me ramenait vers une certaine tempérance dans mes actes et mes pensées. Si jamais je transgressais une certaine éthique, je me prenais dans la foulée une leçon à la hauteur de la transgression. Je devais “filer droit” et rester un minimum dans la lumière, c’est-à-dire dans la reconnaissance qu’il n’y avait pas que des ennemis autour de moi et cela jusqu’à ce que je comprenne que le seul véritable ennemi était à l’intérieur de moi-même, semé dans mon programme interne (classique, me diras-tu). Malheureusement ce n’est pas à l’adolescence que je l’ai compris mais plus tard.
Entre-temps, cet ennemi, se sentant menacé, s'est tapi dans l’ombre au fond de mes entrailles pour prendre de la force tout en faisant croire qu’il n’existait plus. Pourquoi s’est-il senti menacé ? Parce que j’avais beaucoup d’amour autour de moi. L’amour d’êtres humains sages, d’amis sains, d’animaux de compagnie incroyablement ressourçants. Je m’ouvrais de plus en plus aux autres et les écoles martiales que je fréquentais me donnaient en plus, des frères et des sœurs investis des mêmes recherches de beauté dans les relations.
Cette transmutation interne a créé les conséquences d’une transmutation externe. J’ai dû quitter le nord de la France pour descendre dans le sud à l’âge de 16-17 ans. J’ai eu la conviction d’arriver chez moi en mettant le pied sur ce sol “inconnu de cette vie” : une impression de retour. Tout m’était familier. Mon idée du monde n’était plus aussi sombre et je créais des conditions de vie épanouissantes mais j’avais toujours soif de combattre. Mon ego le souhaitait. Je me sentais capable d’affronter n’importe qui dans ma catégorie et la vie étant un maître, elle m’a mené à entrer dans des sphères martiales extrêmes où les catégories n’existaient pas forcément. C’est certain, dans ces sphères je pouvais y aller à fond et expulser la colère qui m’habitait. Je pouvais frapper aussi fort que je le voulais mais j’ai dû aussi apprendre l’humilité, apprendre à plier, à mettre parfois un genou à terre, à entrer en harmonie plutôt qu’en opposition.
J’ai dû affronter la peur, la douleur, la reconnaissance que la défaite faisait partie de la vie et qu’elle n’était qu’une opportunité de reconsidérer les choses pour faire autrement. Puis j’ai aimé serrer mes adversaires dans mes bras après les combats, j’ai adoré les marques de respect et de fraternité que nous avions les uns envers les autres et je me mis peu à peu, à avoir du dégoût à l’idée de faire mal à quelqu’un. Cela devenait même plus honorable pour moi de vaincre sans blesser et sans exprimer la moindre haine. J’avais vidé mon sac de démons et j’aspirais à beaucoup plus de “beauté” dans l’expression de mon art et la conduite de ma vie.
J’ai alors entrepris un changement radical dans le choix des styles martiaux que je souhaitais étudier et je suis passé d’un cadre majoritairement influencé par les cultures Japonaises et Okinawaïennes pour la pratique du Wushu, c’est-à-dire des arts martiaux purement chinois. Le courant dit “moderne” fut celui qui s’imposa à moi car il alliait le développement technique, esthétique et personnel dans différents types d’expressions martiales avec des armes ou à mains nues mais surtout il n’excluait pas la pratique du combat dans un cadre plus sportif et réglementé, ce qui me convenait alors tout à fait.
J’ai travaillé extrêmement dur durant quinze ans pour parvenir à transformer mon corps, mon sens du mouvement, ma perception de l’unité corps-souffle-esprit et la compréhension de la dimension purement sportive du Wushu moderne. J’ai atteint un niveau qui me permit de disputer de belles compétitions internationales et de rencontrer de très grands noms de la discipline. J’ai été aussi loin que je pouvais aller dans cette nouvelle sphère, c’est-à-dire jusqu’à être profondément écœuré et en désaccord avec le monde du sport martial et de la compétition. Je ne faisais absolument pas ce à quoi j’aspirais.
J’étais peut-être devenu un athlète de compétition capable de représenter son pays sur des évènements internationaux et lui faire honneur mais je n’étais pas un artiste martial. Pas selon les critères que mon âme exigeait. La guerre en moi était à son paroxysme et incapable d’écouter le silence pour qu’il me ramène à la raison, mon âme a demandé à ce que je me blesse gravement pour que je sois à l’arrêt et que j’écoute enfin son appel au changement.
Je me souviens alors d’une sorte de traversée du désert durant laquelle j’ai instinctivement prié. J’ai toujours eu le sens du sacré en ayant en même temps une aversion profonde pour les religions. Depuis mon plus jeune âge je m’adresse à des forces supérieures pour qu’elles m’aident dans mes épreuves, je les remercie et les honore et je n’ai aucun doute en ce qui concerne le pouvoir de la prière. Je me sentais perdu mais soutenu et la résilience me permit de très vite me faire une raison quant à cette blessure.
Ce que j’avais connu des Arts Martiaux me semblait loin de la voie initiatique que j’entendais y trouver et je devais absolument comprendre pourquoi ces disciplines que l’on prétendait capables de nourrir autant le corps que l’esprit étaient devenues aussi vides de sens et aussi destructrices. Je me suis mis en quête de tout ce qui me permettrait de comprendre les différents contextes culturels et historiques qui avaient permis aux Arts Martiaux asiatiques de naître et de devenir peu à peu les sports de combat ou de démonstration qu’ils sont aujourd’hui.
Ce fut très formateur et forcément, mon filtre de base m’amena à tirer une conclusion très précise de l’assimilation de la gigantesque somme de livres, de témoignages et d’entretiens que j’ai menés durant des années : les Arts Martiaux, en tant que voies d’éveil, en tant qu’écoles des mystères, en tant qu’écoles alchimiques attachées à proposer ce qu’on appelle « la Voie Royale » sont morts ! Ce qu’il en reste aujourd’hui est une coquille vide, un mensonge.
Face à l’occidentalisation, à la modernisation et aux épurations culturelles engendrées par les différents régimes politiques qui se sont succédés au cours des XIXème et XXème siècle, les Arts Martiaux ont dû se transformer en sports et ainsi devenir l’antithèse de ce qu’ils étaient à l’origine. Comme tout ce qui fut jadis sacré, ils ont subi une vulgarisation, une complète épuration des éléments constructifs et nourrissants sur les plans subtils pour devenir un produit commercialisable auprès des masses. Ce constat fut décisif pour moi puisqu’il motiva et motive encore le but que j’ai donné à mon existence : replacer les Arts Martiaux dans leur rôle de voies vers le Soi.
Je te passe les détails mais ce cap m’a mené à guérir de ma blessure, à devenir l’élève de deux des plus grands professeurs d’Arts Martiaux Chinois traditionnels au monde, à ouvrir mon école et à la voir prospérer jusqu’à me permettre de vivre intégralement de ma passion et bien entendu, à écrire mon premier livre : Esprit Martial.
Esprit Martial a jailli de moi comme s’il fallait absolument que je couche sur papier les bases fondamentales de mon projet de vie. Durant quelques semaines, j’ai été scotché sur mon ordinateur à canaliser la gigantesque vague d’inspiration qui me venait. J’ai rapidement accouché de ce livre que je destinais uniquement à mes jeunes élèves mais une fois écrit, une amie me proposa de s’occuper de le mettre en pages et de le faire imprimer à une centaine d’exemplaires afin qu’il soit proposé en dehors des murs de l’école. Je me suis dit que j’allais me retrouver avec plus de la moitié du stock sur les bras.
Ce petit volume de livres fut décimé en quelques mois et je dû très vite faire un second tirage dans un format plus grand avec des améliorations. Idem, la quasi-totalité du second tirage fut assez vite épuisée et, accaparé par l’écriture d’un second livre spécifique à la pratique du Wing Chun, je n’ai pas relancé d’impression. C’est toi qui permets aujourd’hui à Esprit Martial de bénéficier d’un nouveau tirage puisque la promotion que tu en as faite après lecture m’a valu d’avoir de nouvelles commandes.
Aujourd’hui, Esprit Martial mériterait une suite car forcément, depuis sa première édition, je n’ai cessé de développer des connaissances dans les domaines qui me passionnent et qui gravitent autour du thème de la réalisation du Soi. Le terme “réalisation” doit ici prendre le sens de “reconnaissance”. La reconnaissance du Soi se fait lorsque l’on rencontre la part d’immortalité qui est en nous, ce centre immuable, imperturbable et de toute éternité qui se trouve au-delà de la conception très limitée que nous avons de nous-même.
Les écoles initiatiques de Chine, héritières des enseignements Confucéens, Taoïstes ou Bouddhistes avaient élaboré des méthodes capables de mener ceux qui en avaient le courage et la destinée à préparer cette rencontre. Les Arts Martiaux faisaient partie intégrante de ces méthodes dont l’ensemble ne pouvait être fragmenté au risque de perdre toute sa cohérence et sa raison d’être. C’est donc au sein d’un état d’esprit particulier, d’une quête personnelle et d’un véritable art de vivre qu’il faut les reconsidérer et non pas comme des “sports”.
La notion de sport est occidentale et fut d’abord associée à celle de divertissement, de plaisir, de jeu. Ensuite, elle devint également synonyme de compétition. Le terme alchimique « KUNG FU » qui fut rapporté par le Père Jésuite Joseph-Marie AMIOT (oui, je sais ce que tu vas dire…) pour désigner les pratiques corporelles énergétiques et martiales qu’il observa en Chine au XVIIIème siècle remet bien les pendules à l’heure ! Il désigne les efforts réguliers qu’un Homme fournit sur une longue période de temps au service d’une discipline (quelle qu’elle soit) pour en acquérir la maîtrise. Mais ce n’est pas tout ! Une partie de l’idéogramme KUNG FU montre un être humain accompli entre le Ciel et la Terre : un homme (ou une femme bien entendu) qui relie ces deux polarités et qui est donc capable, à travers son corps (sa propre matière) et ses actes sur la Terre, de faire descendre les volontés du Ciel, du grand plan divin.
Tu imagines bien que pour arriver à être “un fils ou une fille du Ciel et de la Terre”, il faut avoir éliminé toutes les identifications au petit moi. Le terme KUNG FU désigne donc bien le but et le moyen pour y parvenir. Le but est de réaliser sa nature divine et le moyen est le travail incessant sur le moi pour découvrir le Soi. La discipline choisie fera ici office d’outil. En maîtrisant cet outil à l’extérieur, on se maîtrise à l’intérieur… C’est un principe d’alchimie opérative.
Tu vois bien qu’il n’est nullement ici question de compétition contre les autres, de jeu, de divertissement ou de plaisir. Tout cela j’aimerais l’expliquer plus en détail dans un ouvrage dédié non plus à l’Esprit Martial uniquement, mais à la Voie du Guerrier comme je la conçois. Une Voie à la portée d’un homme ou d’une femme perdu(e)s dans l’incohérence du monde moderne, prêt à se retrousser les manches pour se dépouiller de ce qui l’empêche de se connaître dans toute sa lumière.
Revenons à mon parcours. Après Esprit Martial, comme je l’ai mentionné précédemment, j’ai écrit un livre spécifique sur le WING CHUN. Il fut d’abord auto-édité puis, fut ensuite signé chez BUDO ÉDITIONS, ce qui constitua pour moi une certaine consécration vu la qualité des ouvrages martiaux que cet éditeur a coutume de produire. Tout allait dans une direction qui me semblait tracée pour mon avenir et c’est lorsque tu crois avoir tout compris que la vie a le don de te montrer à quel point tu te goures.
L’épisode de la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID 19 a réveillé mon ennemi juré, le démon caché au fond de moi, celui qui faisait le mort depuis si longtemps… Dans cet épisode révélateur de l’état du Monde dans lequel nous vivons, j’ai oublié une règle essentielle. Tu connais forcément l’affirmation de Nietzsche qui dit « qu’à trop regarder l’abîme, l’abîme finit par regarder en toi ». J’ai pu mesurer à quel point c’était vrai. Ce sur quoi nous portons notre regard nous possède.
Ma blessure constitutionnelle me fit ne plus voir qu’un monde hideux tournant autour du Dieu argent, un monde malade, coupé de la nature et du sacré, une humanité esclave d’une poignée de financiers fous, des masses hypnotisées par des médias corrompus, des hordes de zombies prêtes à renier toutes les valeurs humaines et toute notion de dignité pour du divertissement, une industrie de la santé orchestrant la maladie au côté d’un système broyeur de consciences, des milliers de robots vides de “bon sens” prêts à gober n’importe quel mensonge pour avoir le droit de consommer, une nature à l’agonie souffrant d’un cancer nommé “Homme”.
Le démon en moi se déchaînait et me faisait perdre toute ma lumière. Mon discours quotidien était empreint de négativité, de dégoût, de haine… J’étais devenu sombre et toxique pour mes proches. Et puisque les pensées, la parole et le regard que l’on porte sur l’extérieur ont un grand pouvoir, j’ai créé ma descente aux enfers.
On ne descend jamais au fond pour rien. On y descend pour y prendre des leçons. J’ai appris que pour un “Guerrier”, les leçons se prennent un genou à Terre : un genou plié symbole d’humilité devant la force de la vie et un pied déjà prêt à pousser sur la Terre pour nous relever. J’ai réalisé qu’on pouvait servir les ténèbres en pensant faire tout le contraire. Cela m’a permis de prendre beaucoup de recul sur mon fonctionnement de base et à en saisir les mécanismes mais aussi à mieux percevoir la source du mal chez les autres.
Corriger une erreur dans notre programme constitutionnel n’est pas chose facile. Il faut des armes, de l’entraînement, du temps, des petites victoires et parfois des échecs pour constater que le travail n’est jamais fini. Il faut être vigilant, surveiller incessamment nos pensées, nos sentiments, nos volontés et nos actes pour déceler les vieilles habitudes nocives et en créer d’autres par des répétitions conscientes. Il faut être un Guerrier à l'affût, prêt à bondir le sabre à la main pour trancher net les schémas destructeurs à la racine. Un maître de l’instant présent qui ne se laisse pas enchaîner par son passé ni perturber par son futur. C’est ça selon moi la Voie du Guerrier et c’est ce travail que la pratique des Arts Martiaux est censée symboliser à l’origine.
À l’heure à laquelle je t’écris, me voilà à nouveau debout entre le Ciel et la Terre, le sabre à la main. J’ai à cœur de transmettre cette vision personnelle par tous les moyens qui me sembleront stimulants et donner à ceux qui se sentiront appelés par la Voie du Guerrier, le fruit de mon vécu ainsi que des méthodes concrètes pour avancer dessus. J’ai des projets et des idées plein la tête. J’ai un nouveau livre en phase d’achèvement et des champs d’action qui s’ouvrent peu à peu à moi parce que je m’ouvre à nouveau à la beauté de ce qu’est la vie. J’amorce un virage qui m’éloignera d’un public que je ne veux plus dans mes cours. Un public de consommateurs nourris aux productions Netflix et assoiffés de clichés pensant que j’ai une baguette magique capable de les transformer en super Ninja en une semaine de cours. Je propose des formats de formation intensifs en immersion et je commence à intervenir dans des sphères où il y a beaucoup à faire mais dans lesquelles les demandeurs sont déjà dans une démarche de travail personnel.
Voilà, Guerrière, j’espère t’avoir livré une trame assez claire des éléments de mon parcours dont tu fais à présent partie. Nous savons tous deux combien notre collaboration semble avoir été orchestrée par une volonté qui nous dépasse et qui nous amène à rassembler nos compétences, nos personnalités et nos énergies. Je nous souhaite donc courage, foi et joie dans nos entreprises personnelles et communes.
LE GUERRIER
La notion de “Guerrier” n’est pas forcément la plus facile à manier. Qu’elle soit jugée trop hardcore par les adeptes de la “spiritualité” bon enfant, qui la rejettent catégoriquement comme une voie où la lutte est trop prégnante et l’acceptation pas assez et qui n’a donc aucune chance de mener à l’éveil, ou au contraire encensée par un paquet d’égocentriques qui se planquent derrière en espérant que l’étiquette fera le taff pour eux, le moins qu’on puisse dire, c’est que ce qu’on met derrière ce terme est tout sauf net. Toi, tu le définis comment, le Guerrier ?
L’image que j’ai aujourd’hui du Guerrier, c’est celle d’un être humain qui entreprend de s’attaquer à la conception qu’il a de lui-même et qu’il a du monde extérieur en partant du principe qu’il reconnait que le monde qu’il voit n’est que le reflet de son monde intérieur.
Lorsqu’un être humain prend conscience de cela, il va chercher à rencontrer son monde intérieur fait de désirs, de sentiments, de pensées, de conditionnements, de peurs, d’héritages ancestraux et il va alors lui falloir beaucoup de courage et de force pour refuser que tout cela le définisse. Lorsqu’un Homme s’attaque à faire le ménage dans ce monde-là, on peut le qualifier réellement de Guerrier car la guerre contre le soi illusoire est la plus difficile des guerres à mener.
J’ai tendance à considérer l’être humain dans sa totalité. Pour qu’un changement soit effectif, il doit selon moi atteindre l’ensemble des parties de l’Homme, des racines jusqu’à la cime, ce qui signifie, des intentions jusqu’aux actes. Pourtant, j’ai le sentiment que pas mal de gens se cantonnent à l’un ou l’autre, c’est-à-dire nourrir de nobles intentions sans passer à l’action pour les mettre en application, ou alors se limiter aux actions extérieures bien visibles histoire de faire les paons, sans interroger les causes profondes qui les poussent à agir et les croyances qui alimentent leurs actes. Être un Guerrier, tu dirais que c’est un état d’esprit, une philosophie, des règles, une morale, ou alors une pratique ?
C’est tout cela à la fois car c’est dans toutes les dimensions de l’être, des croyances jusqu’aux actes, que cette responsabilité que l’on prend de ce que l’on vit et de ce que l’on voit doit se manifester.
Forcément si je me considère d’une part comme responsable de tout ce que je vis et que je considère d’autre part qu’une existence est une occasion de découvrir qui je suis au-delà de ce que je crois être, la quête du vrai moi va influencer ma pensée, mes sentiments et mes actes…
Si en plus je reconnais que je suis soumis, en tant qu’être humain, à un ensemble de lois universelles, je vais forcément chercher à vivre en conformité avec ces lois. Cela m’amènera à penser et à agir au service de cette vérité, de cette quête du Soi.
Une sorte “d’art de vivre” impliquant des règles, une éthique et des pratiques en naîtra irrémédiablement.
Dans le monde spirituel d’aujourd’hui, il est souvent question de la dissolution ou même de la mort de l’ego comme premier pas vers la guérison et la connaissance de soi. Bien que je ne sois pas forcément d’accord avec ça, il me semble tout de même inévitable de savoir abandonner régulièrement une partie de soi pour évoluer. Selon toi, un Guerrier doit-il se déconstruire avant d’espérer grandir ?
Avant de découvrir qui je suis, je dois forcément tuer celui que je ne suis pas. La vie m’en donnera toujours l’occasion, à moi de la saisir mais cela signifie également affronter ses peurs.
Qu’est-ce que la discipline spirituelle ?
Selon moi, c’est choisir une voie d’élévation spirituelle avec tout ce qu’elle implique et s’y tenir.
J’ai l’impression que souvent, on a tendance à considérer la vie comme une lutte, presque comme une ennemie. Beaucoup d’entre nous passent énormément de temps à se plaindre des difficultés et des obstacles rencontrés en chemin. Toi, tu proposes de voir la vie comme un maître qui cherche à nous enseigner notre vraie nature. C’est un putain de changement de regard ! La vie serait-elle donc une série d’épreuves initiatiques ?
Assurément, je pense que la vie est un procédé qui consiste, par les épreuves que nous vivons, à nous amener vers la lumière, c’est-à-dire vers la connaissance de Soi.
Dans le chamanisme que je pratique, on travaille auprès d’un maestro (si du moins on veut faire du bon boulot), et ce sont aussi les plantes maîtresses qui tiennent ce rôle pour nous. Toi, est-ce que tu penses qu’un Guerrier a forcément besoin d’un maître ?
Je pense que c’est nécessaire mais un Maître ne doit pas forcément être un autre être humain. Du moment que nous sommes invités à grandir par une intelligence supérieure qui nous offre une méthode pour le faire, nous pouvons considérer celle-ci comme un Maître. D’ailleurs la vie elle-même est un Maître !
Maintenant je pense que nous sommes tous reliés et que nous sommes tous sur des stades d’évolution différents au niveau de la conscience et les plus élevés tirent ceux qui sont juste en dessous, c’est une chaîne. Si nous décidons de nous placer sur un chemin d’élévation quel qu’il soit, nous trouverons inévitablement, à un moment, un Maître. Quelqu’un de plus élevé qui nous tendra la main.
Tu as des idées intéressantes sur le Bien et le Mal. Pour toi, le Mal n’est pas quelque chose qu’on doit combattre, car l’énergie qu’on met à lutter contre lui ne fait que le nourrir. Tu préconises au contraire de l’accepter, en dirigeant ses efforts et ses pensées vers le changement qu’on veut opérer, ce qui fait de lui, en définitive, la source du Bien. Ma question est donc : Un Guerrier lutte-t-il vraiment contre le Mal ?
Dès que tu perces un peu tes schémas de fonctionnement et que tu te désidentifies de ce que tu penses, désires, ressens et crois, tu arrives dans une strate de toi-même faite de lois et d’archétypes. Tu reconnais ces lois dans la nature, dans l’univers et tu te rends compte que tout ce que te demande la vie finalement, c’est de vivre en harmonie avec ces lois.
Pour vivre en harmonie avec ces lois il ne s’agit pas d’être bon ou mauvais selon nos conceptions humaines du Bien et du Mal qui sont très variables, il s’agit d’être juste. Juste envers nous-même et les autres en accord avec les grandes lois universelles et pas forcément en accord avec ce que l’Homme en fait pour son intérêt.
S’il y a bien un truc que tout le monde lui envie, au Guerrier, c’est sa force ! Je pense que dans le fantasme de base qui fait baver face à cet archétype, ses qualités primales, c’est la puissance et l’indestructibilité… Évidemment, chacun place quelque chose de différent sous ces termes, mais n’empêche… D’où elle lui vient, sa force, au Guerrier ?
De son niveau d’incorruptibilité je pense. C’est-à-dire de sa capacité à vivre en accord avec qui il est en tant que fils de l’univers et non en tant que fils de Monsieur et Madame Untel… S’il est aligné devant ce qui est vrai et de toute éternité, il est fort, solide.
Dans les Arts Martiaux traditionnels asiatiques, c’est quelque chose qui est mis en place dès le début de l’apprentissage. Lorsque tu entres dans une école traditionnelle digne de ce nom, on te demande d’abord de renoncer à ton identité sociale. On t’impose une tenue vestimentaire qui est la même pour tout le monde, parfois on t’impose également de te raser la tête en signe de renoncement ou, au contraire, de te laisser pousser les cheveux. On te donne un nom qui sera celui que tu porteras dans l’école. On fait en sorte que tu reconnaisses la communauté qui t’accueille comme une nouvelle famille de cœur puis, une fois que tu as oublié majoritairement qui tu étais par tes références au passé, on te demande de te construire afin de faire passer l’énergie de vie / de l’Univers à travers toi “entre le Ciel et la Terre”.
L’enseignement martial va alors prendre tout son sens parce qu’il te demandera de t’épurer, de te séparer de tout ce qui n’est pas toi et de travailler ton véhicule d’incarnation pour qu’il soit capable d’être le porteur et le canal de l’énergie de ton âme que tu vas peu à peu découvrir en t’affranchissant de ton petit moi et de ses limites. Tes gestes martiaux devront être émis à partir d’une structure corporelle alignée devant la Terre… C’est-à-dire devant ce qui te porte dans le moment présent.
Il n’y a rien de plus vrai que ce qui te porte dans le moment présent. Lorsque tu as derrière toi un élément de vérité telle que la Terre et que tu es aligné, droit, tu es fort. C’est exactement comme lorsque tu présentes un argument verbal qui s’appuie sur une démonstration mathématique : il ne peut être réfuté car il s’appuie sur un élément qui est vrai de toute éternité.
L’Homme en s’appuyant sur une illusion de ce qu’il est en se référant à ses croyances, à ses parents ou encore à son éducation, s’aligne sur des mensonges. Il en devient faible.
J’ai souvent la tristesse de constater que l’expérience est loin de faire toujours le poids dans l’esprit des gens, face au savoir théorique ou encyclopédique. Pourtant, pour accéder à la connaissance, c’est-à-dire au savoir fait chair, l’expérience m’apparait comme foutrement indispensable. Dans la Voie du Guerrier, quelle est l’importance de l’expérience personnelle ?
Tout apprentissage initiatique implique de la théorie et de la pratique. Il faut vivre les choses pour les connaître. Sans ces deux dimensions, nous ne pouvons réellement connaître une chose.
Dans la Voie du Guerrier, ton sujet d’étude c’est toi, donc tu dois étudier théoriquement ce que tu es et ce que tu n’es pas et mener les expériences qui t’amèneront à bien intégrer ce que tu es et ce que tu n’es pas.
Généralement c’est après avoir vécu l’expérience de ce que tu n’es pas que tu veux vivre ce que tu es.
Examiner ses croyances et trouver ses propres valeurs, c’est un truc que beaucoup de gens tentent de faire pour améliorer leur vie, mais comment on met ça en œuvre, exactement ?
En examinant ce que tu vis et en te rendant responsable de ce qui ne te convient pas dans ta vie. Pourquoi rencontres-tu telle ou telle situation qui se répète constamment et qui te fait souffrir ? En te posant ce genre de question, tu vas te transformer en chasseur et tu vas chercher à débusquer la croyance / le schéma qui t’amène à penser, sentir, désirer et agir de telle manière que tu attires à toi par une loi universelle des pleins et des vides, les situations ou les personnes qui te font souffrir.
Il va alors falloir poser des actes symboliques qui iront à l’encontre de ces croyances pour les parasiter.
L’intention n’est pas une réflexion, c’est une conviction, je te cite. Et je trouve ça super fort comme idée. Une conviction, ça change complètement notre rapport au monde, parce que c’est l’âme qui s’exprime et non plus le mental. Tu dis que si on a décidé de devenir la personne qu’on rêve d’être, il faut employer chaque seconde de notre vie, chaque pensée et chaque acte à cette réalisation. Et que quand l’intention est alignée avec la voie et le geste, l’action menée est redoutablement efficace. Ça me parle énormément, car une fois en cérémonie, quelque chose comme ça m’est arrivé. L’intention est cruciale quand on travaille avec l’Ayahuasca. Tu veux bien préciser un peu ta pensée ?
C’est ça, l’intention à mon sens a passé la barrière de la réflexion, elle est dans les sentiments et la volonté parce qu’elle résulte d’une réflexion et d’un vécu. Tu es profondément convaincu et donc habité par la volonté de voir apparaître quelque chose dans la matière.
Ce n’est plus un concept, c’est une volonté de manifestation.
Attention, question épineuse ! Qu’est-ce que la réalisation personnelle ? Tu penses pouvoir y répondre simplement ?
Je pense qu’il y a autant de définitions que d’êtres humains. Mais je dirais que ces définitions se rejoignent toutes sur un point : le bonheur ! Et finalement le bonheur c’est d’être en paix avec soi-même et les autres.
Quel est le plus haut niveau qu’un Guerrier puisse espérer atteindre ?
On parle d’illumination dans les Arts Martiaux, c’est-à-dire un état de conscience durant lequel tu es uni au Grand Tout. Tu fais un avec l’Univers.
Plus je parle avec toi, et plus j’ai la sensation que nos disciplines, les Arts Martiaux et le Chamanisme, se rejoignent sur de nombreux points et peut-être même se complètent… Alors il faut que je te pose la question : La Voie du Guerrier est-elle Une ?
Il y a de nombreuses voies qui mènent toutes au même sommet. Dès qu’un être humain se met en quête de sa vérité, une voie s’ouvrira devant lui. Il y a donc autant de voies que de chercheurs et ce sont toutes des Voies du Guerrier.
Pourquoi ? Parce que le Guerrier est un chevalier.
Il se voit attribuer une épée (son corps) et des épreuves (des combats contre ses démons) qu’il doit surmonter dans le but de découvrir un trésor, obtenir des pouvoirs et atteindre l’immortalité. C’est-à-dire accéder à la conscience qu’il est une âme immortelle (trouver le Graal).
Pour cela, son épée devra être droite, tranchante (affûtée) et polie pour refléter la lumière mais elle devra également avoir une âme, c’est-à-dire servir une intention soutenue par un code de vie du chevalier.
Quel que soit le chemin qu’un être entreprend pour découvrir en lui sa part d’immortalité (c’est-à-dire, ce qui est vrai de toute éternité et qui se trouve dans le présent lorsque l’on est droit entre le Ciel et la Terre et qu’on laisse la lumière - qui n’est autre que la connaissance - passer à travers soi), le symbole de sa quête, l’épée, fait de lui un Guerrier.
LES IMPLICATIONS DE LA VOIE
Dans l’univers des plantes sacrées, notamment via la pratique de la diète, respecter une certaine ascèse est fondamental pour le sérieux et la réussite de l’entreprise. Interdits alimentaires et comportementaux, isolement, vigilance constante face à ses pensées et ses actes, nettoyage régulier du corps, du mental et des énergies… Est-ce que tu crois qu’il est indispensable d’avoir une pratique ou une ascèse pour être un Guerrier ?
Une pratique est un outil de travail sur le soi dont il faudra s’affranchir par la suite lorsqu’elle aura permis au corps et à l’esprit du Guerrier de s’unir et lorsque le Guerrier sera capable d’être aligné, silencieux et immobile en toute circonstance. Lorsque la maîtrise est atteinte, la pratique devient inutile.
Certains, dans les Arts Martiaux, pensent que la pratique est l’objectif, et ils se sentent être quelqu’un parce qu’ils pratiquent. Si jamais ils sont dans l’incapacité de pratiquer à cause d’une blessure par exemple, ils ne savent plus qui ils sont. Ils se sentent faibles. Cela vient du fait qu’ils se sont identifiés à l’outil plutôt qu’à l’œuvre à réaliser. Ils ont construit une illusion fondée sur quelque chose qui va de toute façon disparaître un jour : un corps physique capable de faire des gestes martiaux.
Non, la pratique doit les amener à dépasser le corps et le geste pour trouver la vraie force qu’il y a derrière : “je suis pure énergie, je n’ai comme limites que les lois de l’univers, je suis une âme immortelle incarnée”.
Lorsque cette dimension est intégrée, la pratique n’est plus vraiment nécessaire. Mais nous sommes tellement conditionnés et loin d’être capables de rencontrer cette dimension (sauf peut-être dans des moments de grâce qui peuvent d’ailleurs être accordés par des esprits tels que ceux des plantes) que les pratiques ont encore de beaux jours devant elles.
A ton avis, quelles qualités et quelles valeurs un Guerrier doit-il incarner ?
L’ensemble des vertus universelles avec trois principes fondamentaux : bon sens, souplesse et bienveillance (envers soi-même et les autres).
Dans les Arts Martiaux la première vertu à incarner est l’humilité car sans elle, nous ne pouvons rien apprendre.
Ensuite viennent le respect de tout être vivant, la politesse qui témoigne le respect, l’altruisme, la générosité, la droiture, la capacité à être digne de confiance, la loyauté, le courage, la volonté, la persévérance, la justesse, la tempérance, la prudence…
Moi, j’ai la sensation que la volonté est extrêmement importante dans la Voie du Guerrier…
Indiscutablement, la volonté est très importante car c’est un moteur. Elle te permet de travailler dur et d’être discipliné. La discipline est la première marche vers l’élévation. Si tu n’es pas discipliné, tu ne peux pas réellement avancer.
“Avoir” et “Être” sont des termes qui entrent de plus en plus en opposition aujourd’hui, car les gens commencent à réaliser que le bonheur ne se cherche pas vers l’extérieur… Toi, quelle différence tu établis entre se fixer sur ce qu’on veut obtenir et travailler sur ce que l’on veut être ?
“Obtenir” consiste à se charger, à posséder. “Être” consiste à se dépouiller.
Tiens, un truc que j’ai découvert chez Carlos Castaneda, et que j’ai retrouvé ensuite dans le chamanisme shipibo ! Qu’est-ce que l’impeccabilité ?
Pour un Guerrier, c’est poser des actes alignés sur ce qu’il est venu faire en tant qu’âme incarnée. C’est-à-dire nourrir la vie. La faire circuler à travers lui entre le Ciel et la Terre. C’est poser des actes accordés sur les lois universelles puisqu’elles lui permettent justement d’être porteur de vie et enfin, par extension et logique, c’est ne pas vivre selon les lois de ce qui nourrit la mort, la division et l’ignorance.
Dans beaucoup de traditions, on a coutume de dire que pour trouver la paix, l’Homme doit d’abord retourner vers lui-même. C’est un truc qu’on fait aussi dans la jungle, en s’isolant dans son tambo pour diéter une plante. Et ça déplace complètement le rapport qu’on entretient avec soi-même et avec la vie. Selon toi, l’isolement est-il indispensable à la connaissance de soi ?
Oui, il me semble que c’est un processus nécessaire à la déconstruction du petit soi mais ce n’est pas une fatalité. Tout est question d’équilibre. Pour être bien avec les autres il faudra apprendre à être bien avec soi-même, dans l’isolement et la solitude.
Dans les Arts Martiaux, tu apprends d’abord à travailler sur toi avant de travailler avec l’autre. Tu travailles seul ce que l’on nomme la structure personnelle. Tu travailles sur ton corps et ton esprit afin de les harmoniser. Tu allies la souplesse et la force, le corps et l’esprit, la théorie et la pratique, ta part masculine et féminine, ta part de lumière et ta part d’ombre… C’est ce que représentent le tigre et le dragon ou le serpent et la grue blanche dans la symbolique martiale… Tu t’appliques à équilibrer les choses dans tous les domaines de la vie et tout cela dans le mouvement, dans l’adaptabilité.
Une fois que tu es devenu capable d’exprimer cette maîtrise de l’harmonie, tu peux rencontrer quelqu’un qui a fait le même boulot pour entrer en harmonie avec lui à travers l’échange martial. C’est de l’alchimie tout ça. Les Arts Martiaux sont une voie alchimique nommée Voie Royale. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils constituent un grand pan des études taoïstes, les Taoïstes étant des alchimistes.
Tout est question d’octave à mon sens : lorsque tu as travaillé seul pour intégrer certaines leçons de la vie, pour digérer certaines blessures, tu transformes tes vibrations par la nouvelle vision du monde que tu as acquise et tu attires à toi des personnes qui vibrent sur la même octave.
C’est comme lorsque tu veux apprendre à jouer d’un instrument de musique. D’abord tu apprends à tenir ton instrument correctement, à produire des notes correctes avec celui-ci en accord avec les lois de la musique sur une tonalité sur laquelle tout le monde s’accorde et ensuite, une fois que tu maîtrises tout ça, tu peux aller jouer avec d’autres qui ont fait le même travail avec leur propre instrument. Votre recherche sera alors l’harmonie à travers la musique.
Là, forcément, cette analogie doit t’amener à imaginer que ton instrument c’est tout ton Être.
Que ce soit dans la psychologie, dans le chamanisme, dans l’alchimie, toujours revient cette notion d’Ombre qu’il faudrait savoir regarder en face et apprivoiser… Un Guerrier doit-il apprendre à incorporer sa part d’ombre ? J’aimerais entendre ta version “arts martiaux” du truc !
À mon sens oui et il doit prendre appui dessus pour s’élever vers la lumière. C’est un peu ce que représente ces statues de l’archange Mickaël qui terrasse le Dragon. Il ne le tue pas, il prend appui dessus pour triompher ou s’élever.
Nous vivons dans un univers dans lequel une chose n’existe que parce qu’il existe son contraire et dans lequel ces deux polarités sont complémentaires et indissociables. L’une ne peut aller sans l’autre. Il convient pour le Guerrier de regarder sa part d’ombre et de la mettre au service de la lumière.
Ce que nous nommons Ombre est une énergie que nous pouvons canaliser. Le danger est de la refouler. C’est d’ailleurs le grand thème de la légende qui narre la naissance des Arts Martiaux chinois…
On dit que les moines Bouddhistes chinois ont pris conscience que la guerre et la paix étaient indissociables. S’opposer à la guerre revenait à la nourrir alors qu’utiliser l’entraînement à la guerre pour faire circuler l’énergie de vie en soi revenait à utiliser les ténèbres pour servir la lumière.
Le travail que tu proposes de faire pour gérer ses émotions me semble extrêmement pertinent. Au lieu de les refouler comme on le fait tous, tu dis qu’il faut les laisser s’exprimer, au risque de développer une maladie plus tard, comme une espèce d’implosion. C’est un truc qu’on travaille beaucoup avec l’Ayahuasca. Elle a tendance à nous confronter aux émotions qu’on n’a jamais acceptées, et qui continuent de moisir à l’intérieur. C’est un passage très difficile, de faire jaillir les souffrances refoulées pour les conscientiser, les regarder en face, et finalement les accepter. Selon toi, comment fait un Guerrier pour gérer correctement ses émotions ?
En s’en désidentifiant d’une part et d’autre part, en en expulsant l’énergie à travers ses pratiques comme une hygiène de l’être. Il nettoie ses émotions en en canalisant l’énergie à travers des gestes conçus pour que cette énergie suive des chemins logiques et naturels de circulation à travers la matière pour être exprimée, extériorisée et en même temps, canalisée afin de servir un acte constructif et non destructeur.
C’est pour cette raison que les Arts Martiaux asiatiques sont si différents des Arts Martiaux occidentaux. Ils ne servent pas les mêmes objectifs. Les Arts Martiaux asiatiques se servent du mouvement guerrier pour faire circuler la vie dans l’Être et autour de l’Être qui s’y adonne. Les Arts Martiaux occidentaux, eux, n’ont pour objectif que de permettre à un être humain d’en vaincre un autre.
Dans la conception des Arts Martiaux asiatiques, il est extrêmement sain d’utiliser l’entraînement pour nettoyer tout un tas d’énergies émotionnelles comme la colère, la frustration, la tristesse mais en apprenant à être maître du geste et donc de l’acte qui sert de support de nettoyage. Du coup, dans la vie quotidienne, tu es disposé à exprimer ta part de lumière.
« À l’entraînement, sois un tigre pour être un agneau dans la vie »
« Poings de démon, cœur de Bouddha »
Un truc qui me tient particulièrement à cœur, que j’ai quasiment élevé au rang d’art de vivre : Faut-il se défier soi-même ?
Décider de vivre selon ses convictions est source de défi personnel. La vie nous apporte toujours les tests et les défis qui correspondent à nos aspirations.
Et si le seul véritable ennemi du Guerrier était… lui-même ?
Indiscutablement ! L’ennemi, c’est celui qu’on croit être. Cela nous limite et nous emprisonne car nous devenons ce que nous pensons.
“Il faut apprendre à mourir" est une bien jolie phrase que beaucoup répètent à tort et à travers sans en avoir percé le sens. Pourtant, elle pourrait être la clé de notre évolution, mais aussi de notre bonheur véritable. Qu’est-ce qu’elle signifie dans la Voie du Guerrier ?
Pour le Guerrier, c’est accepter la réalité des cycles. Tout se transforme perpétuellement par l’intermédiaire de cycles de naissances, de croissances, de déclins et de morts. La mort et la vie sont donc liées. Apprendre à mourir, c’est reconnaître que pour que le nouveau apparaisse, il faut que l’ancien meurt.
Un jour est un espace entre la naissance du soleil et sa mort. Entre les deux, tout est possible. Pour que de nouvelles possibilités nous soient offertes chaque jour, il faut que le soleil meurt. Il en est de même pour le Guerrier.
Pour se transmuter, il doit apprendre à mourir à lui-même. Sans mort, il n’y a pas de renaissances, pas de nouvelles possibilités. Le Guerrier doit être capable de faire mourir ce qui n’est plus nécessaire à son élévation et ce, chaque année. L’énergie des saisons l’accompagnent dans ce processus éternel de renouvellement. C’est pour cette raison que les anciens célébraient justement les saisons et c’est également pour cela qu’il y avait autrefois des rites de passages.
Assumer la responsabilité de sa vie, est-ce que c’est ça la liberté ?
En tout cas c’est la porte. Quand tu te reconnais comme responsable de ce que tu vis, tu récupères le pouvoir de ta liberté. Tu as le pouvoir de choisir. C’est ça la liberté. Pouvoir choisir, même si ce choix implique de mourir.
ÊTRE UN GUERRIER MODERNE
J’imagine que chaque époque donne naissance à différents types de Guerriers, même si les valeurs fondamentales qui les animent et la mission générique qui est la leur ne changent pas. Selon toi, qu’est-ce qu’un Guerrier moderne ?
Quelqu’un qui a choisi une putain d’époque pour se “re-trouver”. Notre époque moderne est un âge de fer. C’est-à-dire qu’au niveau de l’attache à la matière, nous sommes au plus bas. La pensée purement scientifique nous prive de la possibilité de vivre les choses et de nous reconnecter à nous-même, à notre environnement et au sacré en nous polluant l’esprit et le corps donc forcément, la tâche est ardue pour le Chercheur de Vérité. Les pistes sont habilement brouillées.
Le Guerrier est-il guidé par la morale, ou par l’éthique ? Obéit-il à des lois sociales ou à un code d’honneur personnel ?
Il est guidé par l’éthique et par l’intelligence cosmique qui se reflète dans la nature.
Les lois des Hommes, si elles ne sont pas en accord avec les lois du Ciel (les vertus), ne valent rien à ses yeux. Bien entendu, la bienveillance, la justesse et le bon sens sont des piliers pour le Guerrier et il sait reconnaître les lois sociales nécessaires à maintenir la paix sociale mais il n’est pas dupe face aux lois qui, sous un prétexte de sécurité, d’écologie ou d’un autre idéal invoqué (comme une urgence sanitaire par exemple), visent à asservir le peuple, à l’affaiblir, à l’empoisonner, à le piller.
Le Guerrier regarde qui les lois sociales servent et s’il réside en France à notre époque… il se marre.
Il sait que le peuple est considéré comme le bétail d’un cheptel dont les bergers régulent les troupeaux à coups de mesures économiques et maîtrisent l’art de créer des problèmes pour vendre des solutions.
Tu places l’expérience personnelle au-dessus de tout. Pour toi, un savoir, un guide ou une situation ne doivent pas être crus d’emblée, tout doit être expérimenté, vécu, sans intellectualiser. Tu dis que c’est en vivant les choses qu’on les maîtrise. Ça me ramène à la façon dont les chamans enseignent, ou plutôt comment ils ne le font pas, justement. Si tu leur demandes de t’expliquer le sens de tes visions, ils te répondront simplement de demander à l’Ayahuasca lors de ta prochaine cérémonie. Bien qu’elle ait tendance à agacer ou désarçonner les Occidentaux, cette façon de positionner l'expérience personnelle comme seul guide éveille le pouvoir de notre conscience sur elle-même. Elle réveille en nous notre propre medicina. Une fois de plus, il s’agit de responsabilité, et d’écoute de sa propre âme. As-tu comme moi le sentiment que de nos jours, le savoir intellectuel a pris la place de la connaissance, la parole celle des actes, et que l’expérience personnelle n’est plus reconnue comme une valeur essentielle ?
Cela dépend dans quel milieu et dans quelle culture mais en effet, nous pouvons constater que la pensée intellectuelle fait autorité, surtout en Occident. L’expérience semble avoir moins de valeur qu’une bonne analyse. Pourtant “penser” ne rend manifestement pas l’Homme meilleur devant les catastrophes qu’il engendre sur lui-même et sur son environnement. Je pense que cette prédominance arrogante de la pensée va s’effondrer en même temps que le monde qu’elle a engendré. L’Homme devra fonctionner à partir d’autres paramètres que ceux issues de sa seule analyse intellectuelle.
Une chose qui m’a beaucoup interpellée dans ton discours, c’est cette idée de ne pas se positionner comme victime face à la vie et face aux autres. Au risque de fâcher pas mal de monde, j’ai le sentiment qu’à notre époque, le rôle de victime est encensé, au détriment de celui du Guerrier. La tendance est d’afficher ses problèmes, et même de se définir à travers eux. Comme s’il était plus valeureux d’être quelqu’un qui souffre plutôt que quelqu’un qui assume sa force. Toi, tu dis qu’attribuer son malheur à des causes extérieures retarde l’évolution et génère de la souffrance, qui sera alors nécessaire pour trouver les causes de son malheur en soi. Je me dois donc de te le demander : Qu’est-ce que tu penses de la tendance actuelle à la victimisation ?
Oui il y a une tendance à la victimisation qui malheureusement, peut faire office de grande malédiction du siècle car lorsqu’on se victimise, cela signifie qu’on se déresponsabilise automatiquement de ce qu’on vit. On se prive donc directement du pouvoir de changer réellement les choses puisqu’on attribue la cause de notre malheur à un sujet extérieur, un vécu, une illusion en somme.
Du coup c’est comme si on s’attaquait à vouloir percer un bouton sur notre nez en insultant et en tripotant notre miroir. Aucun intérêt, c’est sur soi qu’il faut agir.
Les gens, aujourd’hui, sont majoritairement les rois de la déresponsabilisation : ils remettent leur pouvoir entre les mains de gens qu’ils estiment compétents pour tout un tas de choses. Ils se déresponsabilisent de leur santé par exemple. Ils ont des hygiènes alimentaires effroyables, des activités nocives sur tous les plans, un manque de conscience et de raison en ce qui concerne les liens entre émotions, conditions de vie et santé.
Ils remettent leur pouvoir de prendre soin de leur santé entre les mains d’une industrie médicale dont les médecins généralistes sont les premiers commerciaux et dont les objectifs sont avant tout de faire de l’argent. Ils exigent finalement de la part de vendeurs de médicaments, le remède magique qui éliminera les symptômes qu’ils expriment sans aller s’intéresser à la cause principale de leur problème.
Ils ne veulent rien changer dans leurs habitudes de vie, ils veulent juste un coup de baguette magique qui effacera leurs maux. Face à un danger qui menace leur santé, ils ne vont pas adopter des comportements destinés à renforcer celle-ci. Non, ils vont se jeter sur le premier “remède” qu’on va leur vendre par peur de perdre cette santé qu’ils négligent pourtant et qui, si on l’étudie, fonde son épanouissement sur un principe universel simple nommé homéostasie.
Mais l’équilibre, la sagesse, ils ne veulent pas en entendre parler car elle remet en cause leur vie au sein du système. Je m’excuse auprès des médecins qui refusent de rentrer dans ce moule et qui ont encore une conscience, une capacité de penser et d’agir par eux-même pour le bien de leurs patients et surtout qui ont un attachement sans failles aux valeurs de ce grand sage initié qu’était Hippocrate.
Si chacun suivait la Voie du Guerrier, à quoi ressemblerait le monde ?
Peut-être un monde dans lequel nous serions capables d’être unis les uns aux autres et capables de reconnaître nos droits de vivre sur la même terre malgré nos différences. Un monde où la préservation du vivant et de la paix serait au centre de nos vies. Un monde où la valeur de l’humain passe avant celle de l’argent… Un monde où les vertus sont des règles et où vivre devient un art…
C’est très idéaliste et finalement aujourd’hui tout est juste car les ténèbres servent la lumière et ce que nous vivons de contraire à ces idéaux nous mènera un jour à nous diriger vers eux. La vie est un grand balancier.
Selon toi, c’est encore possible de se connecter à son feu sacré intérieur dans le système qui est le nôtre ?
Je pense justement que pour certains, c’est le monde idéal pour cela car il leur offre toutes les raisons d’aller le trouver. Tu en es la preuve, Zoë. Les écorchés vifs, les insurgés que nous sommes font que nous redoublons d’énergie lorsqu’il s’agit d’avancer vers NOUS. Ce NOUS vivant et libre. Nous brûlons de dire ce que nous pensons et d’agir pour tenter de porter dans ce monde une connaissance, une sagesse intemporelle et universelle qui rappelle à l’Homme qu’il est bien plus que ce que l’on veut lui faire croire.
Alors on peut utiliser son cœur comme seule boussole, vraiment ?
Dans le style martial que j’enseigne principalement, on dit : le poing part du cœur. Cela signifie entre autre que nos compétences martiales doivent être mises au service de l’humanité et d’autre part que notre pratique doit nous amener à nous reconnecter à notre âme dont le siège, pour les Chinois, est le cœur.
Donc oui, “le cœur comme seule boussole” est une devise pour qui suit la Voie du Guerrier à travers les Arts Martiaux.
Être un Guerrier condamne-t-il à la solitude ?
Oui et non. Oui parce que tu as un travail personnel constant à mener sur toi, ce qui implique introspection et repli, et non parce que les relations te font également travailler et avancer vers toi. À mon sens, tout est une question d’équilibre encore une fois.
Y a longtemps, en lisant Nietzsche, m’est apparue la distinction fondamentale qui existe entre celui qui se définit par ce qui l’accable (que ce philosophe appelle “faible” ou “esclave”) et celui qui se définit par ce qui l’anime (“fort” ou “aristocrate”). Ça m’a amenée à penser qu’il existait un gouffre entre la libération, qui selon moi est une réaction, et la liberté, qui est pure action. T’en penses quoi, toi ?
La libération me semble être une quête et la liberté me semble être un état. Je pense donc que celui qui cherche la libération invoquera des raisons pour le faire, tandis que celui qui est libre exprimera uniquement le bonheur de vivre cette liberté.
Attention, question à 1 million de dollars ! Et si la révolution intérieure était la seule révolution en mesure de changer le monde ?
C’est ce que je pense et tout le monde connait cette phrase qui dit qu’il faut commencer par se changer soi-même si l’on veut que le monde change. Encore faut-il en avoir le courage et les méthodes.
Tous ceux qui travaillent à changer le filtre à travers lequel ils perçoivent le monde te diront qu’ils voient leur monde extérieur se transformer. Ils expérimentent de nouvelles situations, rencontrent de nouvelles personnes. Je pense qu’il y a des mondes dans le monde et que nous vivons dans un monde qui correspond à notre niveau vibratoire. Nous vivons ce que nous vibrons, en somme.
Plus nous nous allégeons de nos fardeaux intérieurs que sont nos croyances, nos conditionnements, nos héritages ancestraux, plus nous vibrons haut. Nous attirons alors à nous les vibrations de même nature. D’où l’intérêt de vivre selon les vertus car ce que tu sèmes par tes actes ou tes vibrations, tu le récoltes par la loi de cause à effet.
QUESTIONS FUN AU GUERRIER !
Bon alors pour entamer cette partie décomplexée de l’interview, je vais pas y aller par quatre chemins : Comment ça se fait qu’un mec qui pratique les Arts Martiaux ne soit pas contre les “drogues” ? ET QU’IL LISE CASTANEDA ?!
En fait j’ai toujours été fasciné par tous les enseignements traditionnels ésotériques et Castaneda est incontournable pour les chercheurs de vérité qui sont attachés à l’archétype du Guerrier. Je n’ai jamais été attiré par les drogues, les psychotropes ou même le tabac et l’alcool et même si j’ai été passionné par les écrits de Castaneda, je n’ai jamais senti le besoin de provoquer une rencontre avec les psychotropes.
Je suis de ceux qui pensent que si tu dois recevoir un enseignement, une guidance ou un don de la part de la nature ou d’un être humain, cela viendra à toi si tu le demandes et si c’est juste pour ton évolution. Il ne faut pas forcer certaines portes à mon sens mais ce n’est que mon avis personnel. J’ai du respect pour le monde invisible et je ne veux pas aller déranger certaines forces qui n’ont que faire de nos petits questionnements d’humains. Il me semble qu’il existe une échelle graduelle d’évolution personnelle qu’il faut suivre pour ne pas risquer de perdre sa santé mentale ou, en tout cas, de perdre une certaine capacité à raisonner car la définition de la santé mentale qui est donnée par notre monde moderne me fait frémir.
Par contre, la vie m’a amené malgré moi à recevoir deux soins d’une médecine ancestrale de la jungle avec une prise d’Iboga. J’ai eu deux visions très symboliques à l’issue de ces soins et je suis totalement convaincu que certaines plantes qu’on qualifie de psychotropes, lorsqu’elles sont utilisées par des guérisseurs-nés, qualifiés et formés selon une tradition, sont des médecines de l’âme. Il y a des médecines pour le corps, des médecines pour l’esprit et des médecines pour l’âme. Nous avons différents corps et il doit y avoir différentes médecines pour soigner chacun de ces corps.
Enfin, je ne peux pas être contre quelque chose que je ne connais pas, cela serait contraire à mes principes. Je peux juste dire que j’ai vu des personnes dont la vie a été complètement détruite par des drogues de synthèse, d’autres qui ont été sauvées par des prises de plantes médicinales qu’on qualifie de psychotropes. Il y a les choses et ce qu’on en fait. L’intention qui est derrière les actes que nous posons est pour beaucoup dans l’effet qu’ils ont sur nous.
Tu sais, y a un truc qui me tarabuste depuis qu’on a décidé de faire cette interview ensemble… Mais plutôt que d’ouvrir ma fraise sur le sujet, j’ai juste envie de te la faire en mode dissertation philosophique : Les concepts qui relient les Arts Martiaux au Chamanisme. Je t’écoute.
Il me faudrait plusieurs heures pour en parler mais on peut citer quatre éléments de la philosophie martiale que l’on retrouve dans certains types de chamanisme : La hiérogamie, qui n’est autre que la reconnaissance de l’union sacrée d’un principe masculin et d’un principe féminin comme base de toute existence dans l’univers. L’animisme, l’attachement aux ancêtres et à la tradition et enfin la recherche de la connaissance de Soi.
Je vais profiter de ta question pour évoquer un élément précis qui est souvent mal interprété et peu connu dans les Arts Martiaux. Il est lié à l’animisme et je pense qu’il fera un parfait lien avec certaines formes de chamanisme. Je veux parler des références animalières que l’on trouve omniprésentes dans le registre martial. Tu sais : le style du tigre, de la grue blanche, du serpent etc. Les gens s’imaginent toujours que les Hommes ont observé les animaux et s’en sont inspirés pour créer des techniques de combat ou des effets de style. En fait, si le cinéma a donné cette image superficielle, il est quand même très intéressant de creuser plus profond car nous entrons alors dans une dimension très ésotérique de l’enseignement des Arts Martiaux.
En effet, à une époque où l’Homme n’était pas déconnecté de la nature, il considérait l’animal comme porteur de sagesse et d’archétypes. En l’observant pendant de longues périodes, il parvenait à s’imprégner de tous ces éléments et à réveiller l’animal en lui. Il pouvait même passer une alliance avec l’esprit de l’animal et en recevoir certaines connaissances, certaines capacités. Il y a derrière cela une connaissance profonde qui donne au regard de l’Homme un pouvoir magique : l’Homme se construit en fonction de ce sur quoi il pose son regard.
Les neurosciences commencent seulement à étudier ce principe qui était déjà connu par les anciens, il y a des centaines d’années. Donc passer du temps avec une puissance naturelle en l’observant et en l’écoutant attentivement permettait à l’Homme d’établir avec elle une connexion et de la réveiller en lui, simplement parce qu’il est un microcosme. On se construit bien en observant les membres de notre famille. Ceux qui comme les Taoïstes se considèrent comme les fils et les filles du Ciel et de la Terre ont comme frères et sœurs les arbres, les rivières, les animaux et peuvent se construire à leur image en allant apprendre avec eux.
Les artistes martiaux cherchaient à développer leur QI, c’est-à-dire l’énergie de vie qui était en eux et si tu veux réveiller le vivant en toi, eh bien il faut te nourrir du vivant. Se nourrir ce n’est pas seulement “manger”. C’est plus subtil que cela. Se nourrir, c’est s’imprégner des choses à leur contact. Quand tu as la tronche dans ta télé toute la journée par exemple, tu te nourris de toute la merde qu’elle te défèque dans le crâne et tu deviens aussi mort que son contenu. Lorsque tu passes du temps dans la nature, tu te nourris du vivant.
Ah voilà, enfin on y est ! Vas-y, raconte-nous ! Qu’est-ce que le QI ?
Comme je viens de l’évoquer, le QI représente ton énergie de vie, le courant électrique qui alimente ton corps ou encore ton taux vibratoire puisque l’énergie, c’est de la vibration. C’est, en somme, la barre d’énergie que tu as dans le jeu vidéo qu’est ta vie. On ne démarre pas tous une partie avec la même barre d’énergie car nos ancêtres nous transmettent un héritage énergétique et malheureusement, bien souvent quelques casseroles également. Ce capital énergétique va augmenter ou diminuer en fonction de ce dont tu vas te nourrir dans ta vie et en fonction de comment tu vas faire circuler cette vie en toi.
Pour comprendre l’aspect nutritionnel, il faut concevoir la vie comme une grande respiration : il y a un inspire qui représente ce que tu fais entrer en toi et un expire qui représente ce que tu fais sortir. Ta vie commence par une inspiration et finit par une expiration. Cela signifie que ce qui sort de toi est lié à ce qui rentre.
Le souffle symbolise souvent l’énergie vitale dans les traditions spirituelles car il représente la première manifestation et la première condition de la vie mais il ne faut pas y voir uniquement la respiration physique. Il faut y voir ce principe de nourriture. La qualité de ce dont on se nourrit physiquement, mentalement, émotionnellement et spirituellement va irrémédiablement avoir un impact sur ce que nous allons renvoyer au monde, c’est-à-dire sur la qualité de nos pensées, sentiments, désirs et actes. Si tu veux avoir une grande énergie de vie, il convient donc de t’orienter vers ce qui est nourrissant en termes de vie.
Bien entendu cela commence par la qualité de l’air que tu vas faire entrer en toi et la manière dont tu vas la faire entrer. Idem pour l’alimentation, celle-ci devra être la plus vivante possible (le terme exact est biogénique) et elle devra être ingérée en conscience. Ensuite il y a la qualité de ton environnement et de ce qui s’y trouve car ce qui s’y trouve va nourrir tes pensées. Tu sais autant que moi que certaines personnes peuvent être tout autant nocives dans ton environnement qu’une antenne relai ou n’importe quelle source de pollution électro-magnétique. En termes d’énergie vitale, la pensée est capitale car ton état d’esprit va t’amener à vibrer plus ou moins haut.
La plus grande source d’énergie de vie est l’Amour donc si tu te nourris de choses qui te procurent des sentiments d’amour, tu vibreras haut, tes pensées seront belles et les actes qui en découleront seront à leur tour nourrissants car ils seront porteurs d’énergie de vie.
Maintenant, pour comprendre l’aspect circulatoire, il faut penser à la manière des Taoïstes qui considèrent l’Homme comme un canal d’énergie entre le Ciel et la Terre. Un canal sinusoïdal ou spiralé qu’il convient de libérer. Tu peux le libérer par la méditation statique, c’est une méthode classique mais tu peux également le libérer par le mouvement conscient. C’est-à-dire, par un ensemble de pratiques visant à harmoniser ta chair et tes mouvements dans un état de vacuité sur lequel tu poseras des intentions de circulation du vivant en toi. Le souffle sera le grand chef d’orchestre de ces pratiques. C’est ce que sont les Arts Martiaux par exemple.
Faire obstacle à ce que la vie te propose entrave sa circulation à travers toi. Le Tao est un grand plan divin dont tu fais partie et lorsque tu n’acceptes pas la volonté de ce plan, tu bloques la circulation de la vie en toi, tu fais obstacle à la lumière, tu cristallises l’énergie de vie en toi, tu la fais stagner. Ce qui stagne pourrit, tu le sais. Ce qui circule, vit. Donc lorsque tu crées une stagnation de l’énergie vitale en toi par un refus de ce que la vie t’amène pour ton évolution, tu crées automatiquement une réponse de ton corps : un symptôme. C’est ce que l’on nomme une maladie.
La maladie, c’est un mal qui te dit que tu dois modifier ta manière de vivre ou de considérer la vie afin de retrouver un équilibre garant de ta santé. Le symbole YIN YANG représente à merveille ce que je viens de décrire. Il représente une matrice, un tout, dans lequel la circulation de la vie, représentée par une ligne sinusoïdale, est harmonieuse, c’est-à-dire équilibrée dans le mouvement. Dans ce symbole, deux polarités indissociables sont à parts égales dans une relation constamment mobile et harmonieuse. Ce symbole représente ce que tu dois travailler entre le Ciel (l’invisible, les lois universelles, les archétypes, tes mondes intérieurs) et la Terre (le visible, la matière, tes actes) pour que la vie circule en toi et te vivifie. C’est la clé de ta santé et de ta force. Ce même enseignement est consigné dans le caducée d’Hermès lorsque l’on sait le décoder.
Puisque la vie c’est de la lumière et de l’amour, il convient, lorsque ton énergie vitale ne circule plus, de mettre en lumière ce que tu n’acceptes pas de vivre et d’y mettre ensuite de l’amour, de l’acceptation, de le transformer en force.
Les Hommes d’aujourd’hui sont tellement déconnectés du vivant qu’ils considèrent le QI comme un pouvoir magique. Leur référence au QI est un personnage de dessin animé qui balance des boules de feu avec ses mains ou un vieux Chinois qui projette des mecs au sol sans les toucher. Il faut arrêter avec ce genre de concepts qui nous éloignent de l’essentiel. Tous les humains ont un QI dès lors qu’ils sont en vie et ils peuvent devenir très puissants s’ils axent leur vie autour des lois du vivant qui sont faites pour que la vie / la lumière / l’amour circule (je ne conjugue pas car c’est la même chose).
Si les moyens de prendre soin du QI étaient enseignés à l’école, si on enseignait comment s’aimer et aimer les autres, comment respirer avec notre environnement naturel et ce qui s’y trouve, nous ne serions peut-être pas dans la merde dans laquelle nous sommes aujourd’hui sur notre planète.
Si je capte bien, le QI n’est donc pas réservé aux pratiquants des Arts Martiaux ?
Bien sûr que non, ma réponse précédente a mis cela en lumière justement. Est-ce qu’un chaman n’est pas en réalité quelqu’un qui contrôle son QI ? C’est quelqu’un qui le contrôle à merveille par la relation qu’il a à lui-même et au monde extérieur. Il a repris son pouvoir, c’est-à-dire, la capacité de diriger son énergie vitale ou bon lui semble alors que la plupart des Hommes ne se rendent pas compte que leur énergie vitale est détournée. Ils sont usurpés. Ils servent bien d’autres choses qu’eux-mêmes.
Il faut que je te demande un truc que TOUT LE MONDE VEUT SAVOIR : Mais bordel, comment ils font, les Shaolin, pour parvenir à une telle maîtrise de leur corps ?
Il faut faire attention avec ce mythe de Shaolin car aujourd’hui, Shaolin est une mascarade. Shaolin, de nos jours, est un lieu que l’on peut comparer à une sorte de Disneyland des Arts Martiaux. Ce lieu n’est pas le temple originel. C’est un édifice qui a été construit dans les années 70 lorsque la Chine a ouvert ses portes à l’Occident.
Le dernier temple Shaolin avait été détruit aux alentours de 1925. L’objectif était d’impressionner, de nous montrer, à nous, “Occidentaux incultes et malades”, la puissance de la culture ancestrale chinoise (enfin surtout la puissance du communisme). Tu sais, les pseudos “moines” Shaolin de ce temple sont avant tout des démonstrateurs, des acrobates. Ce qu’ils font n’a plus grand-chose à voir avec les pratiques traditionnelles martiales du lieu originel ou même avec les pratiques spirituelles de base. C’est un gros business Shaolin de nos jours.
Les Occidentaux y vont se faire former par des Chinois au crâne rasé durant des stages de quelques jours ou semaines et reviennent chez eux avec un diplôme de Super Guerrier. Ils s’habillent en orange et se mettent à enseigner une gesticulation moderne vide de sens créée par des fédérations sportives communistes dont le but n’est certainement pas de rendre un peuple fort et autonome. Mais tu comprends, ils sont légitimes, ils sont allés faire un stage à Shaolin. Bref, tu auras saisi le truc car cela existe aussi dans ton monde.
Pour répondre à ta question, je préfère imaginer que tu me demandes comment un artiste martial traditionnel peut arriver à une maîtrise avancée de son corps : la réponse est simple, en s’entraînant. Les Arts Martiaux traditionnels vont lui donner une méthode et des règles à suivre. Il va devoir s’entraîner tous les jours selon cette méthode graduelle durant des années, faire de nombreuses expériences, des erreurs parfois… Il devra sans cesse corriger, ajuster... Il va parallèlement devoir adopter un art de vivre pour que tout aille dans la même direction puisqu’il souhaite que son corps soit un parfait représentant du symbole YIN YANG et de ce qu’est un canal d’énergie de vie entre le Ciel et la Terre.
Cela ne s’arrêtera pas juste à de l’exercice physique. L’exercice physique est loin de suffire à faire de toi un artiste martial et à faire de toi le maître de ton corps… loin de là. Un corps sculpté peut servir bien d’autres intérêts que les tiens et finalement te desservir en termes d’énergie vitale. Je peux te l’assurer et en témoigner. J’ai détruit une grande partie de mon énergie de vie à courir de manière déséquilibrée après la force et la jeunesse du corps, aujourd’hui j’apprends à réajuster parce que mon grand maître La Vie me le demande. La vie demande toujours la même chose : l’équilibre.
Récemment, un pote à moi qui fait du Karaté m’a raconté l’histoire de ce combat où deux adversaires se tiennent l’un en face de l’autre. Bizarrement, rien ne se passe, aucun coup n’est porté. Ils se contentent de se mesurer du regard. Et au bout d’un moment, l’un des deux s’incline face à l’autre, en signe d’acceptation de sa défaite. Peut-être parce qu’il n’a trouvé aucune prise pour attaquer avec une infime chance de victoire. Comme si l’autre était intouchable, quoi. Un regard peut-il donc tuer ? C’est quoi, toi, ta lecture de cet étrange non-combat ?
C’est peut-être celui-là qui gagne réellement le combat car il fait preuve de sagesse et met à terre son ennemi l’égo. Il ne fait pas naître la guerre inutilement. C’est un Artiste Martial.
J’ai aussi entendu parler d’une sorte de test, épreuve ultime d’un Guerrier en voie d’accomplissement… L’élève est à genoux, yeux bandés, et son maître tient un sabre au-dessus de sa tête. L’idée du truc, c’est qu’il parvienne à s’esquiver au moment même où son maître abat le sabre sur son crâne. Juste en le sentant, donc, sans le voir. Peut-être en captant l’intention du maître avant qu’il n’agisse. Tu peux nous raconter comment ça marche ?
On voit ça chez les adeptes de Masaaki HATSUMI, le dernier représentant de l’art du Ninjutsu, que j’ai du mal à cerner au niveau de la pertinence de son enseignement, mais c’est un sentiment personnel qui se déploie à partir de la lecture de ses écrits et de quelques vidéos de son travail. On trouve cela également dans les légendes japonaises du sabreur aveugle ou dans l’histoire de Miyamoto Musashi.
Je dirais que ce que l’on veut révéler par cette démonstration, c’est la capacité de certains artistes martiaux à accéder à un tel niveau de conscience qu’ils parviennent à déceler des informations extrêmement subtiles dans les mondes invisibles. Ils en viennent à sentir quand bouger lorsque le sabre s’abat sur leur tête. Je me méfie quand même des démonstrations actuelles véhiculées par le net.
Comme quasiment tout le monde sur cette fichue planète, je suis CARRÉMENT RAIDE DINGUE DE BRUCE LEE ! Donc pardon, mais je profite d’avoir un pro des Arts Martiaux comme toi sous la main pour m’aider à décrypter quelques-unes de ses plus célèbres citations… “Sois comme l’eau”, “Adapte-toi à ce qui est utile, rejette ce qui est inutile, et ajoutes-y ta propre particularité”, “Il n’y aucune limite”. Ça fait rêver, pas vrai ? Tu veux bien les analyser pour moi ? Oh, et tant que t’y es, explique-moi comment il faisait pour développer une telle force de frappe sans prendre aucun élan !
Sois comme l’eau
C’est la qualité d’adaptation, de fluidité, de souplesse, de non-résistance qui est mise en avant dans ce conseil. Dans les Arts Martiaux, le combat représente la vie et Bruce Lee racontait qu’il avait eu une sorte d’illumination en contemplant l’eau d’un lac lors d’une balade en barque. Il avait vu ce grand parcours de l’eau qui est versée par le ciel sur le sommet d’une montagne et qui doit rejoindre l’océan en passant par les entrailles de la Terre et les rivières. “Sois comme l’eau” signifie qu’il ne faut pas stagner dans une incarnation. Une vie t’est donnée pour que tu t’entraînes à parvenir à cette capacité de suivre le changement permanent et à t’y adapter pour parvenir à rejoindre le Grand Tout.
Il n’y a aucune limite
Je crois que la phrase exacte est : “Adopte la non-limitation comme limite”… quelque chose comme ça. Elle rejoint une autre phrase qui dit : “Ce que tu penses, tu le deviens”. Il fait tout simplement référence à nos croyances qui nous limitent. Si tu parviens à n’avoir aucune croyance limitative, tu es libre et tu es capable de vivre pleinement ce qu’il t’est demandé de vivre.
Adapte-toi à ce qui est utile, rejette ce qui est inutile, et ajoute-y ta propre particularité
En fait je pense qu’il nous dit de ne prendre que ce qui est utile pour accomplir notre destinée en partant du point de vue que notre objectif est d’être pleinement qui nous sommes au-delà des croyances. À l’heure de la surconsommation, s’attacher à ne pas prendre ce qui n’est pas utile, ce qui ne nous appartient pas ou ce dont nous n’avons pas besoin parait difficile parce que nous avons adopté le “je dépense donc je suis”. Ceux qui cherchent à se définir autrement que par la possession de biens matériels sont plutôt du genre à voyager léger, ils se dépouillent de tout ce dont ils n’ont pas besoin dans la matière comme dans leurs mondes intérieurs.
La force sans élan : tu fais allusion au coup de poing sans recul que Bruce Lee démontra à la convention de Long Beach dans les années 60. C’est le résultat d’un alignement corporel entre le sol et l’adversaire et d’une capacité à produire une unité à partir de toutes les chaînes osseuses, tendineuses, articulaires, nerveuses et musculaires. Le chef d’orchestre de cette unité est l’intention émise au niveau du bas ventre, siège de l’énergie vitale employée dans les Arts Martiaux. Grâce à ces deux paramètres, l’artiste martial peut produire une onde (en sinusoïde ou en spirale) à travers son corps. C’est cette onde qui percute l’adversaire au bout de la chaîne.
J’aime beaucoup l’idée d’utiliser la force de l’adversaire pour le mener à sa propre perte. D’entrer en harmonie avec la frappe de son ennemi pour la retourner contre lui. Qu’est-ce que ça signifie, “accompagner”, “emprunter la force de l’adversaire”, dans les Arts Martiaux ? Et si on considère que l’adversaire est une situation qui nous dérange, qu’est-ce que ça implique au niveau de la technique, et au niveau philosophique ? Tu pourrais établir le parallèle entre cette technique de combat et une posture globale face à la vie ?
C’est accepter la force de l’adversaire sans la subir et l’utiliser contre lui. C’est un principe basique des Arts Martiaux chinois. Je vais te le transposer dans la vie parce que c’est ce qui me semble intéressant de faire.
Imagine que tu as un conflit verbal avec une personne. Ton but en tant qu’artiste martial est d’établir la paix dans ton monde. Pour cela, tu vas devoir veiller à ne pas laisser ton pire ennemi, l’ego, prendre possession de toi. Tu vas donc écouter l’argument de ton adversaire et tu vas l’accepter à partir, non pas d’une position de victime prête à se soumettre mais plutôt à partir de celle de quelqu’un qui cherche à formuler le fait qu’il comprend le point de vue de son adversaire. Tu le reconnais dans son discours, ce qui ne lui donne pas appui sur toi. Il est normalement prêt à t’écouter à ce moment-là puisque tu as désamorcé l’opposition.
Ensuite tu l’amènes à voir les choses à partir de ton point de vue, non pas pour le convaincre mais pour lui amener la prise de conscience que vous pouvez tous deux avoir deux points de vue différents et finalement échanger sans imposer vos idées. S’il est intelligent, la paix pourra être instaurée entre vous. Tu auras gagné parce que tu auras construit une relation de paix et non parce que tu auras eu raison.
Il n’y a pas de vérité dans la vie, tout change tout le temps donc nous ne pouvons avoir que NOS vérités. Qu’est-ce qui est le plus important, que notre vérité triomphe ou que la paix triomphe ? Pour un artiste martial, c’est la paix qui doit triompher.
Par contre, si tu as quelqu’un de profondément con en face de toi, sache que dans les Arts Martiaux chinois, la guerre est parfois nécessaire pour rétablir la paix et il faut être prêt à la mener. C’est pour cette raison que l’harmonie n’est possible qu’entre des personnes qui ont travaillé personnellement sur elles-mêmes pour s’extraire de ce sentiment de savoir ce qu’est la vie et la vérité.
Ainsi dans le combat physique, l’artiste martial peut choisir entre trois stratégies géométriques : le cube, la sphère ou la pyramide.
Le cube c’est l’opposition, la sphère c’est l’absorption et la pyramide c’est la déviation. Le cube, c’est utiliser la force contre la force lorsqu’on peut le faire. La sphère c’est n’opposer aucune résistance à celle de l’adversaire comme si celui-ci se mettait à frapper dans un morceau de tissu. Et la pyramide, qui est la stratégie intermédiaire, c’est présenter une structure géométrique qui dévie systématiquement les forces vers l’extérieur.
C’est au sein des deux stratégies de la sphère et de la pyramide que l’artiste martiale sera amené à emprunter la force de l’adversaire.
T’aurais des livres à conseiller à ceux qui souhaiteraient aller plus loin ?
Pour approfondir tous les sujets que nous avons abordés à travers des ouvrages traitants des Arts Martiaux, je conseille trois ouvrages :
Éthique du samouraï moderne, de Patrice Franceschi.
Les deux tomes de la saga consacrée à Myamoto Musashi, écrits par Eiji Yoshikawa : La pierre et le sabre et La parfaite lumière.
QUELQUES CITATIONS INSPIRANTES TIRÉES DU LIVRE ESPRIT MARTIAL DE BRICE AMIOT POUR RESTER ALIGNÉ DANS LA VOIE…
LES ÉPREUVES ET L'ÉVOLUTION
En regardant la vie comme un maître désirant lui enseigner sa véritable nature, le Guerrier est capable d’accepter tout ce que celle-ci lui propose de vivre.
LE BIEN ET LE MAL
Si on ne nourrit pas le Mal, il disparaît. En restant focalisé dessus on lui permet d’exister. On élimine le Mal en l’acceptant, en le remerciant d'exister et de nous permettre d’en faire l’expérience pour ensuite reconnaître, apprécier et nourrir le Bien.
Diriger sa pensée vers le changement et non vers la cause du Mal. Sinon on lui donne de l’énergie. On nourrit le Bien, on combat le Mal en nourrissant les changements bénéfiques qu’il apporte. Le Mal devient alors la source du Bien.
LA VICTIME
On ne peut éliminer un ennemi en nourrissant le pouvoir qu’il a sur nous. On ne doit pas se considérer comme sa victime. Si ce qu’il dit nous blesse, c’est parce qu’on choisit d’y croire et d’y attacher de l’importance. C’est un piège de l’ego. On détient le choix de souffrir ou non du comportement des autres car on est seul responsable de ses émotions.
LA SOUFFRANCE
La vie est une somme d'expériences dont le but est de t’amener à évoluer. Chaque épreuve est une étape. Tu dois refuser d’agir en victime. Tu es responsable de ta vie et de ce qui en constitue le chemin car c’est le chemin que tu as choisi pour évoluer. Y résister en attribuant ton malheur à des causes extérieures ne fait que retarder ton évolution en installant la souffrance, qui sera alors nécessaire pour t’amener à chercher des solutions à ton malheur jusqu’à ce que tu trouves les solutions en toi. Cela t’amènera à évoluer. Cette étape de la souffrance aura alors contribué à ta réalisation personnelle.
LA RESPONSABILITÉ
Tout ce que tu vis est le reflet de ce que tu es. Quand un truc désagréable se présente à toi, tu en es le seul responsable et cette situation est là pour te révéler qu’une partie de toi fonctionne en désaccord avec l’objectif de ton chemin de vie qui est de trouver la paix avec les autres et toi-même.
Se considérer comme responsable des problèmes que l’on rencontre est bien plus difficile que d’en rejeter la cause sur le hasard de la vie ou un méchant.
LES ÉMOTIONS
Si une émotion est refoulée et qu’elle ne peut aller à la surface de l’intérieur vers l'extérieur, elle va se condenser vers l'intérieur en créant une tension. Si d'autres émotions viennent s’y ajouter, elle va créer une explosion ou une implosion. Une maladie va naître.
LA RÉALITÉ
Notre ego est un gros filtre à travers lequel nous percevons notre réalité.
L’EGO / PROGRAMME INFORMATIQUE
Les Guerriers sont ceux qui décident d’entrer dans la machine pour la déprogrammer.
LE GUERRIER ET SON ADVERSAIRE
Le Guerrier polit son être comme on polirait la lame d’un sabre. C’est-à-dire qu’il retire les aspérités qui empêchent la lame de briller et d’être tranchante.
L’EXPÉRIENCE PERSONNELLE
Quels que soient les savoirs, les guides, les enseignements ou les situations qui se présenteront à toi, ne les crois pas. Écoute-les d’abord et ensuite expérimente les choses, vis-les, ne les intellectualise pas. C’est en vivant les choses qu’on les maîtrise.
Le Guerrier aiguise son âme comme un sabre afin qu’elle foudroie d’un trait toutes ses illusions et faiblesses et qu’elle s’impose comme seul maître à bord.
LA VOIE INITIATIQUE
Pour trouver la paix, l’Homme doit d’abord retourner vers lui-même afin de comprendre qui il est.
Travailler sur soi c’est tester le maximum de choses en accord avec ce que l’on veut incarner. Il ne faut pas se fixer sur ce que l’on veut obtenir mais sur ce que l’on veut être.
ACCEPTER
La force n’est pas de pouvoir résister à tout mais de pouvoir tout accepter. Si tu peux tout accepter, tu deviens indestructible.
Accepter ne veut pas dire ne rien faire et subir, mais prendre en compte tous les éléments d’une situation sans s’y opposer et à partir d’eux, faire un travail sur soi. C’est ce que veut dire “suivre” dans un combat. Tirer profit de la force adverse. Emprunter la force c’est se servir de l’énergie d’une situation désagréable pour alimenter l'énergie de réussite.
L’ÉNERGIE ET LA FORCE
Agir en Artiste Martial c'est savoir se servir de l’énergie des choses qu’on estime négatives pour l’employer à réaliser des choses constructives.
L’INTENTION
Si tu as décidé de devenir la personne que tu rêves d’être, il faut employer chaque seconde de ta vie, chaque pensée et chaque acte à cette réalisation.
L’intention n’est pas une réflexion, c’est une conviction : je sais ce que je fais et ce que je veux qu’il en résulte et je le vis intérieurement un instant avant l’aboutissement de ma technique.
Lorsque l’intention est alignée (sans doute ni peur) avec la voie et le geste, l’action menée est redoutablement efficace.
Pour vous procurer le livre Esprit Martial, contactez l’auteur Brice Amiot via son blog : https://www.briceamiot.fr/brice-amiot/
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Les Jumeaux, Background : Une Histoire de Feu
Tout le monde est animé d’un feu sacré. Mais ce feu nous fait parfois danser sur le fil, parce que la frontière entre passion et addiction est extrêmement ténue. Selon ma définition, la passion nous nourrit, tandis que l’addiction nous vide. Le tracas, c’est qu’une flamme sacrée est susceptible de devenir une flamme mortelle quand l’amour qu’elle inspire vire à l’obsession, voire au fanatisme. Et croyez-moi, en tant qu'artiste, on peut facilement tomber de l'autre côté sans s’en rendre compte. Et n’avoir aucun désir de faire machine arrière.
Que pouvaient-ils offrir d’autre à leur maître, sinon eux-mêmes en sacrifice ?
Genre : Conte Fantastique
Le Pitch
Deux êtres jumeaux incapables de trouver leur place dans l’univers choisissent de s’accoupler pour engendrer un feu sacré, afin que celui-ci les guide. Mais ce feu se révèle plus sauvage que prévu, et finit par se retourner contre eux.
La Genèse
Cette nouvelle est celle qui, jusqu’à présent, se prête le plus à l’interprétation. Son côté “conte fantastique”, voire ésotérique, habité par des images fortement symboliques, offre au lecteur la liberté d’y trouver un message entièrement personnel, tout en étant, je l’espère, universel et donc intemporel.
Évidemment, moi je sais ce que j’ai voulu dire, mais ce serait dommage de révéler les tenants et aboutissants de cette histoire, au risque de dézinguer la vision du lecteur, qui lui conviendra toujours mieux que la mienne…
C’est pas toujours facile d’accepter que ses textes soient décryptés selon un autre paradigme que le sien. On trouve même souvent que les autres sont complètement à côté de la plaque ! Mais le rôle de l’auteur n’est pas d’expliquer son message, et encore moins de justifier son travail.
Donc pour cette genèse, j’aimerais simplement survoler deux ou trois points qui m’apparaissent comme essentiels à une lecture en profondeur, et donner quelques pistes de réflexion supplémentaires à ceux qui le désirent.
Le Feu Sacré
Le feu sacré est une métaphore, ça, chaque lecteur l’aura pigé. En revanche, il revient à chacun de déterminer de quelle réalité elle tire sa source. Qu’est-ce qu’on a comme éléments au sujet du feu ?
Il a été mis au monde pour guider.
Il est sauvage et vorace.
Il devient le maître de celui qui le nourrit, en l’envoûtant et en l’aveuglant, et finit par l’asservir, au point de le pousser à l’autosacrifice.
Il faut croire en lui pour qu’il existe et qu’il ait du pouvoir sur nous.
A partir de là, c’est à vous de broder comme vous le souhaitez. Selon ce que représente le feu pour vous, le bois dont vous l’alimenterez sera quelque chose d’unique, qui vous est propre. Les sacrifices qu’il vous imposera ne seront pas les mêmes que ceux du voisin. Et personne ne sait jusqu’où vous serez prêt à aller pour le maintenir en vie.
Tout le monde est animé d’un feu sacré, qu’il s’agisse de notre art, de nos enfants, de sauver les Indiens d’Amazonie ou les chiens du quartier, ou alors de notre engagement politique ou religieux.
Mais ce feu nous fait parfois danser sur le fil, parce que la frontière entre passion et addiction est extrêmement ténue. Selon ma définition, la passion nous nourrit, tandis que l’addiction nous vide. Le tracas, c’est qu’une flamme sacrée est susceptible de devenir une flamme mortelle quand l’amour qu’elle inspire vire à l’obsession, voire au fanatisme.
Et croyez-moi, en tant qu'artiste, on peut facilement tomber de l'autre côté sans s’en rendre compte. Et n’avoir aucun désir de faire machine arrière.
C’est là que le message des Chants du Désert revient en force. La vérité est que les plus grands génies, les plus puissants artistes, les sages les plus vénérables et les révolutionnaires les plus engagés sont ceux qui ont consumé leur vie dans une seule et unique flamme, au point de devenir les meilleurs dans leur domaine ou bien des références pour l'humanité entière. Des exemples ? C’est pas ce qui manque : Rudolf Noureïev, Bruce Lee, Mozart, Rodin, Siddhartha, Nelson Mandela, Socrate, Rimbaud, Van Gogh, et ce cher Prophète naturellement…
Je ne critique ni n’encense rien. C’est comme ça, c’est tout. Some are born to sweet delight, some are born to endless night, comme dirait William Blake, et selon moi, c’est exactement la même chose…
Le Diable se niche toujours dans les plus jolies choses, n’est-ce pas ?
Les Étoiles
Ensuite, il y a ces satanées étoiles. Je vais être honnête : même moi, j’ignore ce qu’elles sont. Présence silencieuse qui, si elle ne constitue pas un véritable guide, peut néanmoins… appeler les âmes, et leur montrer une autre direction. Ajouté à ça, il semblerait qu’elles possèdent le don de transformer le destin d’un être en histoire, ce qui lui permettrait d’appréhender son existence avec un recul salutaire.
Mais elles n’interviennent jamais directement, laissant à l’âme agonisante le soin de boire sa coupe jusqu’à la lie… mais aussi de trouver sa boussole intérieure. Leur action se résume à exister. En ce sens, elles incarnent une sorte d’Absolu, première piste sérieuse à leur sujet : en philo comme en science ou en religion, l’Absolu s’oppose au Relatif. C’est un truc qui ne change jamais et se contente d’être ce qu’il est, un peu comme le soleil, quoi. La Conscience Universelle est absolue, Dieu aussi, ainsi que la Connaissance (la vraie connaissance).
Puisque les étoiles s’opposent au feu, on peut supposer que le feu personnifie une passion individuelle corrosive, tandis que les étoiles représentent la sagesse universelle éclairante.
A vous de voir ce que sont vos étoiles à vous, et si leur murmure peut faire le poids face au feu sacré dévorant.
Les Opposés
Enfin, le dernier point que je souhaite mettre en lumière est la dichotomie entre Jumeaux/Vagabond, âmes sœurs/âme solitaire, couple/individu.
Et si le jumeau du Vagabond n’avait jamais existé ? S’il ne représentait qu’une partie de lui-même qu’il a sacrifié au feu ? Et si la mort d’une partie de soi était inévitable et essentielle à toute évolution, et donc à toute renaissance ?
C’est un peu étrange que deux jumeaux, dont le sexe n’est pas précisé, s’accouplent ensemble, mais puisqu’on est dans un conte fantastique, pourquoi pas. L’important ici est que le feu soit né d’une union volontaire et réfléchie, ainsi que de gênes similaires, un peu comme le Yin et le Yang engendrant le Monde. Un système autosuffisant (comme le couple formé par les Jumeaux) a besoin d’altérité pour grandir, évoluer et se complexifier, c’est peut-être pour ça qu’ils ont choisi de le créer.
Pour se forcer à grandir. A devenir plus que ce qu’ils sont.
Ça a des faux airs de Fight Club, pas vrai ? Eh oui, encore une quête schizoïde, comme pour Le Prophète…
Mais en vrai, moi je pense pas du tout qu’il s’agisse de ça. Je pense que le jumeau du Vagabond a vraiment existé, et que c’est précisément ce qui rend cette histoire si triste et si belle… Parce que la présence du jumeau mort implique que tout ce qui a été fait durant l’époque du feu a été fait par amour.
Le Vagabond savait au fond de lui que le feu n’était pas la seule réalité, et le murmure des étoiles le lui confirmait. Il était tenté de prendre le risque de le laisser s’éteindre pour aller à la rencontre d’un autre monde. Mais par amour pour son frère, terrorisé à l’idée du retour des ténèbres (phase indispensable à la découverte de la lumière intérieure ?), il a décidé de continuer à honorer leur maître et donc nourrir leur aveuglement.
Mais son jumeau l’aimait, lui aussi, et savait que tant qu’il serait en vie, ensemble, ils seraient prisonniers. Son immolation volontaire est donc le plus bel acte d’amour qu’il pouvait lui offrir, lui ouvrant la voie vers un nouveau destin, une libération.
Et si la solitude est le prix à payer pour marcher vers sa Vérité, le Vagabond est sur la route : plus de maître, plus d’absolu, et plus d’amour…
Lui-même et son cœur arraché pour seul compadre.
Il y a eu du Pulp, de l’Autofiction, du Gonzo, du Biblique et du Conte Fantastique… et la nouvelle à venir promet encore de s’attaquer à un nouveau genre ! La suite au prochain épisode donc. Croyez-moi, cette série est loin d’avoir dit son dernier mot…
Le Prophète, Background : Une Histoire de Foi
A bien y regarder, ce voyage apparaît comme un effroyable test, voire un piège, mais qui l’a échafaudé ? Le Prophète est-il totalement seul, engagé dans un bras de fer schizoïde avec lui-même ? Dieu est-il dans le coup, est-ce lui qui désire savoir jusqu’où peut aller l’Amour de son fils ? Et si le Diable était déjà présent, dès le début de l’intrigue ? Ces questions ne trouveront pas de réponses claires, et pour cause ; tout se confond : le Prophète, le Désert, sa quête, Dieu et son silence ne cessent de permuter, si bien qu’on n’est jamais sûr de rien.
Jusqu’où dois-je pousser ma Volonté ? Jusqu’où, pour faire partie des Véridiques ?
Genre : Biblique
Le Pitch
Un prophète s’aventure dans le désert pour éprouver sa foi. Plus les jours passent, plus le doute et la démence menacent de s’emparer de son âme. Mais c’est finalement le Diable qui va se présenter à lui.
La Genèse
LA FOI
Qu’on soit croyant ou non, le phénomène de la foi est un aspect fascinant de l’Homme, qui ne se résume pas à la religion. Qu’on décide de croire en Dieu, au destin, aux extra-terrestres ou en soi-même, la nature de la foi ne change pas : il s’agit de croire en quelque chose sans aucune preuve de son existence, de toute la force de son âme.
Ça faisait longtemps que j’avais envie de m’attaquer à ce thème. Le Prophète signe donc mon incursion sur ce terrain… glissant.
Qui est mis à l’épreuve : la foi, le Prophète ou Dieu ? Et surtout… par qui ?
Et la dernière partie consciente de lui-même se demande qui, de lui ou de Dieu, il est en train de mettre à l’épreuve.
Ici réside l’intérêt majeur de cette nouvelle, dans ces questions qui reviennent tout au long de l’errance du Prophète. A bien y regarder, ce voyage apparaît comme un effroyable test, voire un piège, mais qui l’a échafaudé ?
Le Prophète est-il totalement seul, engagé dans un bras de fer schizoïde avec lui-même ? Dieu est-il dans le coup, est-ce lui qui désire savoir jusqu’où peut aller l’Amour de son fils ? Et si le Diable était déjà présent, dès le début de l’intrigue ?
Ces questions ne trouveront pas de réponses claires, et pour cause ; tout se confond : le Prophète, le Désert, sa quête, Dieu et son silence ne cessent de permuter, si bien qu’on n’est jamais sûr de rien.
Mais c’est le principe de la foi, pas vrai ? Où prend-elle naissance, et qui sert-elle le plus ? Ce en quoi on croit, ou… celui qui croit ?
Le désert, miroir de la foi.
Est-ce que croire en Toi ne sera jamais qu’une marche sans fin vers un lieu qui m’appelle et se dérobe quand je suis près de l’atteindre ?
Le Désert est intéressant à ce niveau, parce qu’il personnifie à merveille ce que représente la foi, ce qu’elle implique, ce qu’elle inflige et ce qu’elle offre. Il est à mettre en parallèle avec l’évolution du rôle du Silence, que j’aborderai ensuite.
De la même façon que l’horizon n’est pas un lieu qui peut être atteint, la foi n’est pas un état qui peut être trouvé, du moins pas à jamais. C’est une chose vers laquelle on tend, une étoile polaire qui nous guide, mais qu’on ne pourra jamais posséder totalement. C’est un objet de réflexion, comme on dit en philosophie, presque une hypothèse de travail. Du moins moi c’est comme ça que je la vois.
Hormis Job qui s’est accroché à sa foi jusqu’au bout (pourtant, quand Dieu a laissé son destin aux mains de Satan, on peut dire que celui-ci a mis le paquet !), même Jésus a douté sur la croix (navrée, mais les interprétations de ses paroles toutes plus alambiquées, désespérées et tirées par les cheveux les unes que les autres qui tentent de justifier qu’il N’A PAS PAS DOUTÉ ne me convainquent absolument pas), comme le révèle cette phrase déchirante qu’il a prononcée sur la fin, oubliant pour la seule et unique fois le nom de Père pour celui de Dieu : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?
D’autre part, le Désert est un lieu aride, comme l’âme de celui qui croit et qui n’aura jamais la preuve qu’il a raison de le faire. Il est inflexible, à l’égal de cette âme-là. Et il est intransigeant. Cheminer à l’intérieur de lui revient à marcher seul dans son Amour. S’il est beau et puissant, il est aussi mortel. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut mater, apprivoiser et encore moins duquel on peut se rendre maître.
Il en est de même de Dieu. Croire en lui et l’aimer implique d’accepter son ascendant et sa toute-puissance, sans espoir de récompense, si ce n’est la beauté de sa lumière censée incendier l’âme des fidèles...
Voilà ce qu’il offre pour tout dédommagement. Voilà ce qu’on obtient pour tous ses sacrifices. Oui, c’est un amour à sens unique. Mais encore une fois, qui est le plus chanceux des deux : celui qui est aimé, ou alors… celui qui aime ?
La foi n’est pas que religieuse : Analogie avec l’artiste.
Je suivrai mon abîme, quoi qu’il m’en coûte. J’ai parcouru un trop long chemin pour reculer. M’abandonner définitivement à Ta Volonté est le seul moyen de comprendre ce qui vit en moi.
Je m’en suis aperçue en écrivant cette nouvelle, et c’est sans doute pour ça que ce thème m’intéresse, moi qui ne suis pas croyante : la foi est quelque chose que je connais, que j’ai personnellement éprouvé et expérimenté.
A un moment donné de la rédaction m’est apparu le fait que la quête du Prophète est en tout point similaire à celle de l’artiste ; suffit de remplacer la foi par l’œuvre et Dieu par l’inspiration, et on y est.
Comme le montre la citation, l’artiste est confronté aux mêmes doutes que le Prophète. S’il veut saisir le sens de son œuvre, il n’a pas d’autre choix que de la mener à terme, même s’il ne la comprend pas, qu’elle le dépasse et qu’elle lui inflige des sacrifices que personne d’autre que lui ne pourrait supporter.
Poursuivre la lutte, la création, même sans savoir pourquoi, est l’unique moyen d’entrevoir ce qui s’agite à l’intérieur. Et, oui, il s’agit probablement d’un abîme qui happe, comme pour se nourrir des tripes de celui qui le porte avant d’exploser au dehors, écartelant celui qui lui a donné vie, qui l’a nourri de sa substance et porté en lui sans l’avoir décidé. Un affreux alien, ouais.
Et y se pourrait bien que la foi ne soit rien d’autre qu’un typhon de l’âme.
La foi n’attend aucune récompense : Métaphore de l’artiste.
Ce monde perdu est plus libre que tout autre monde, parce que personne ne sait qu’il existe.
Ici, on entre sur un terrain encore plus personnel, mais puisqu’on y est, autant pousser le truc à fond.
Croire en Dieu, en soi ou en son œuvre doit se faire d’une manière totalement désintéressée. C’est pour ça que cette phrase n’arrive qu’à la fin de la nouvelle. Au début de sa quête, le Prophète est plongé dans l’ego. Il parle de lui, des autres, de son pouvoir et de son devoir. Les racines de ses intentions ne sont pas pures. Celles de l’artiste dans ses débuts non plus. Désir de gloire et de reconnaissance. Trucs à se prouver à soi-même. Voyez le tableau.
Quand le Prophète déclame qu’il ne cherche et n’attend rien, qu’il est juste là, dans le présent, il ment. C’est pourquoi la brèche vers le Diable s’ouvre.
Ainsi en va t-il de l’artiste.
Pardonnez l’expression, mais il n’y a qu’après une longue traversée du désert, qu’après avoir rencontré le Diable, et donc, par analogie, s’être confronté à son propre ego, que les intentions redeviennent pures.
C’est le message du Diable, pointant l’orgueil du Prophète. Mais au final, c’est grâce à lui qu’il gagne la lutte. Selon cette optique, le Diable n’est qu’un aspect de lui-même, le plus vile, qu’il personnifie pour mieux lui foutre dans les dents, lui montrer ce qu’il est vraiment. Lui faire goûter la noirceur de son âme.
La même chose arrive à l’artiste qui se pense maître de ce qu’il crée, jusqu’à ce que son œuvre devienne plus grande, plus importante que lui, au point qu’il ne puisse plus la comprendre pleinement, tout en lui imposant en chemin d’immenses sacrifices.
Et au final, seule elle compte. Peu importe les récompenses ou la reconnaissance du public. L’œuvre dépasse celui qui l’engendre.
Le doute métaphysique.
Je te parie que je peux croire malgré le doute. Tu veux vérifier ?
Je ne pense pas que le doute puisse être dépassé, en religion, en philosophie ou en art. Je pense qu’il faut savoir cohabiter avec lui, et même qu’il est l’aiguillon nécessaire à la foi, et à plus forte raison, à la sagesse.
Je pense que la condition humaine est bâtie sur les pôles les plus opposés de l’Univers : bête et ange, vivant en train de mourir, assoiffé d’absolu qui ne connaitra jamais que le relatif…
C’est comme ça, mais ça ne doit pas être un motif de paralysie.
Je crois qu’il faut foncer sans savoir où on va, et que c’est notre seul moyen de goûter à la puissance créatrice de Dieu, ou de n’importe quel nom qu’on lui donne.
LE SILENCE
Cette notion de silence me persécute depuis que j’ai vu le film de Scorsese qui porte ce nom, ayant pour thème des missionnaires portugais partis au Japon pour tenter de le convertir à la foi chrétienne. Inévitablement (eh oui, bande d’idiots !), tout le monde se fait torturer, les croyants, les convertis et les autres, et Dieu (comme c’est bizarre), ne lève pas le petit doigt, et surtout… ne sort jamais de son silence. C’est de là que le film tient son nom.
Et je vais vous dire : c’est déchirant.
Je m’étais toujours dit qu’il fallait que je travaille là-dessus (j’ai même lu le livre de Shûsaku Endô sur lequel est basé le film, histoire de m’inspirer), mais je pensais pas que ça naîtrait dans cette nouvelle. Bah voilà, c’est chose faite.
L’évolution du rôle du Silence : Refuge, Affront, Dignité Humaine.
Le silence du désert lui apparaît désormais comme un affront personnel.
Au début de la nouvelle, le Prophète est enchanté de quitter le monde des Hommes pour se consacrer à sa quête. Le silence et la solitude apparaissent comme les conditions nécessaires à la révélation qu’il attend. Il est persuadé que Dieu l’accompagne, il le sent et le voit tout autour de lui dans le Désert.
Mais plus les jours passent, plus l’absence de manifestations tangibles (apparition ou paroles) de la part de Dieu minent ses certitudes, et donc sa foi. Le Désert se transforme en supplice, l’horizon en but impossible à atteindre, et le silence en affront narquois de la part du Seigneur.
Pourtant, c’est finalement ce silence qui sauvera le Prophète. Une fois de plus, la réalité dépend de celui qui regarde. Le fait que Dieu se refuse à toute intervention est ce qui permettra à son fils de trouver en lui sa force intérieure, sa dignité, en gros, donc, d’assimiler la foi et de la reconnaître en lui-même plutôt qu’en Dieu. Il se voit comme son Père le voit, et ce regard lui rend sa dignité d’Homme, ce qui lui interdit de se morfondre dans le caprice narcissique et geignard de l’ego, qui exige que Dieu se manifeste.
Le silence de Dieu.
Quand sortiras-Tu enfin de ton silence ?
C’est ici qu’on bascule dans l’incertitude. Si Dieu existe, la vérité est qu’il laisse l’Homme à lui-même, si bien qu’il devient à la fois une force et une faiblesse pour celui-ci.
Ça peut signifier deux choses : soit Dieu est cruel, soit il sait que son silence est le meilleur moyen pour que l’Homme trouve en lui-même sa propre puissance.
La fusion entre le Prophète et son Père.
D’une certaine manière, ce silence le rapproche de son Père.
Voilà où on en arrive, déjà bien préparé par le commencement du récit, où le Prophète, Dieu et le Désert semblent parfois ne constituer qu’une seule et même chose dans l’esprit du marcheur fou. Et il est fort possible que toute cette démarche ne soit en effet, comme le dit le Diable, que la “quête schizoïde” d’un être en lutte contre son ego, à la recherche de son pouvoir personnel.
Mais quand la frontière entre folie et sagesse s’émousse, c’est là que ça devient intéressant, pas vrai ?
Le fait qu’on ne puisse pas distinguer les deux avec une parfaite certitude donne justement toute sa profondeur au récit.
Peu importe que Dieu existe ou non, que le Prophète parle tout seul au lieu de s’adresser au Diable, que le Désert n’ait jamais changé de nature et que ce soit le regard que le mourant lui porte qui le teinte de différentes intentions. L’appel de Dieu ou de ses propres entrailles, la souffrance causée par le silence d’un Père ou par cette solitude que tout esprit libre connaît, tout ça, ça revient au même.
L’être humain est trop complexe pour pouvoir définir sa réalité. Et à fortiori l’appeler sage ou fou.
LA VOLONTÉ
En tant que lectrice de Nietzsche, la notion de volonté est primordiale pour moi, d’autant plus que c’est précisément dans le désert que ce philosophe place les êtres qui selon lui sont les Véridiques. Et bien qu’on ait tendance à opposer Nietzsche à la chrétienté (ouais, ouais, Zarathoustra dit que Dieu est mort, je sais, mais faut aller un peu plus loin que ce cliché, les gars !), il y a chez lui des aphorismes qui ont la drôle de manie d’encenser… ce qui ressemble au divin.
C’est comme tel que nous devons le considérer, quand, exalté par l’ivresse dionysiaque jusqu’au mystique renoncement de soi-même, il s’affaisse solitaire, à l’écart des chœurs en délire, et qu’alors, par la puissance du rêve apollinien, son propre état, c’est-à-dire son unité, son identification avec les forces primordiales les plus essentielles du monde, lui est révélé dans une vision symbolique.
La Naissance de la Tragédie
N’est-ce pas que cette citation colle particulièrement à ma figure du Prophète ?
La Volonté vue par le Prophète et vue par le Diable.
- Mais qu’est-ce que la Volonté, sinon un glorieux aveuglement ?
- La Volonté est l’essence de l’Homme.
L’ambivalence de la notion de volonté oppose le Prophète au Diable, et remet une fois de plus en question la foi, qui selon le Diable s’apparente soit à la folie de l’aveuglement volontaire, soit à de sourdes manifestations de l’ego.
La question est fondamentale : l’Homme peut-il dépasser son ego pour rencontrer l’intention pure, dictée par sa conscience ?
Thème majeur de la philosophie, je ne prétendrais pas ici apporter de réponse. J’ai juste envie d’attirer votre attention sur le fait que c’est peut-être la perte de soi (folie ou sagesse), l’évanouissement des frontières du moi dans l’union mystique avec le monde (ou avec Dieu, peut-être), qui sont justement la seule voie vers la transcendance.
La quête mystique du Prophète, si elle le sort de lui-même, le ramène finalement en soi, mais un soi différent de celui qui est parti… Et ce dépassement, c’est grâce à la volonté qu’il est atteint.
La Volonté nietzschéenne.
Ici, je me contenterais juste d’une citation qui éclaire positivement l’histoire du Prophète :
Dans le sable jaune brûlé par le soleil, il lui arrive de regarder avec envie vers les îles aux sources abondantes où, sous les sombres feuillages, la vie se repose. Mais sa soif ne le convainc pas de devenir pareil à ces satisfaits ; car où il y a des oasis il y a aussi des idoles. Affamée, violente, solitaire, sans Dieu : ainsi se veut la volonté du lion. Libre du bonheur des esclaves, délivrée des dieux et des adorations, sans épouvante et épouvantable, grande et solitaire : telle est la volonté du véridique. C’est dans le désert qu’ont toujours vécu les véridiques, les esprits libres, maîtres du désert ; mais dans les villes habitent les sages illustres et bien nourris, les bêtes de trait.
Ainsi parlait Zarathoustra
Le sacrifice de soi est-il une magouille de l’ego ?
Tu étales ton “sacrifice” comme si le monde entier devait tomber à tes pieds d’adoration. Qui t’a demandé de sacrifier quoi que ce soit ? Qui t’a demandé d’éprouver ta foi ?
Eh ouais, Nietzsche est encore présent ici, dans les paroles du Diable qui présentent l’autosacrifice comme une manipulation, un aveuglement, une illusion. Rien d’autre que de l’ego, donc.
Mais là où les choses se corsent, c’est que le Prophète semble à la fois appartenir aux esclaves et aux aristocrates, selon les définitions nietzschéennes de la morale.
Certes, il se complait dans sa faiblesse et dans son rôle de victime, gamin abandonné par son Père prêt à tout pour que celui-ci daigne s’intéresser à lui. Le Diable n’a pas tort : il expose son martyre et provoque sa misère en exigeant que Dieu lui réponde ou reconnaisse le mal qu’il se donne pour lui prouver, ainsi qu’au monde et à lui-même, qu’il fait partie des “Véridiques”, comme il le dit si bien.
Mais d’un autre côté, après sa rencontre avec le Diable (qu’on peut donc voir comme la confrontation entre conscience et ego), il poursuit la lutte, se prenant désormais lui-même comme unique critère, continuant d’avancer malgré le doute qui le nargue. C’est un mouvement assez dionysiaque, en réalité, très loin du nihilisme qui est la marque de fabrique des faibles, des esclaves.
Le Diable a donc permis au Prophète de dépasser la condition d’esclave pour s’élever vers celle des forts, des aristocrates.
LE DIABLE
La douleur du Diable.
Il commence à s’éloigner quand soudain il se retourne pour rugir d’une voix étrangement brisée, son long corps tordu en deux par la force de ses cris : Va, aime-Le, ADORE-LE MÊME ! Mets-toi à genoux devant Lui et sacrifie-Lui tout ce qui fait de toi un Homme !
Comme dans la nouvelle du Journaliste, Satan est ici présenté comme proche de l’Homme. D’une certaine manière, on se demande s’il ne symbolise pas la partie juvénile et immature de celui-ci.
La remarque la plus pertinente qu’il fait est celle qui évoque le sacrifice de ses attributs humains pour mieux adorer un être qui, s’il existe, n’offre rien en retour, sinon un silencieux mépris.
Si le Diable incarne l’ego et Dieu la conscience, il est logique que les choses soient présentées ainsi. Abandonner sa personnalité et ses intérêts propres au nom d’une puissance universelle où les spécificités et qualités humaines particulières n’existent plus, c’est là tout le message du bouddhisme, et de la philo.
Apostasier, cesser de souffrir, et abandonner son âme au Diable.
Tu sais ce que tu dois faire. Un mot de toi, un seul mot, et tu es libre.
Renoncer à sa foi, arrêter de souffrir, mais pour avoir quoi en échange ? Où est le vrai courage, et où se situe la faiblesse ?
Le Prophète fait le choix de maintenir sa souffrance en conservant sa foi, quitte à en crever. Ici encore, le parallèle avec l’artiste est flagrant. Certains êtres ne peuvent tout simplement pas tourner le dos à leurs idéaux, même quand ceux-ci sont la cause de tout leur malheur. Certains préfèrent sacrifier leur raison sur l’autel de leur croyance, plutôt que de se retrouver… vides.
Connerie incommensurable ou force intérieure légendaire ?
Obstination délétère et puérile ou courage surhumain grandiose ?
Mépris de l’Homme et de ses instincts, ou bien encensement de l’énergie du Guerrier ?
Je crois que personne ne le sait, pas même Nietzsche.
Le Diable gagne t-il à la fin ?
C’est Dieu qui sera ta ruine. C’est Lui qui te mènera à ta mort, et à ta damnation.
Le message majeur des Chants du Désert est de présenter la passion et la perdition, et donc, ici, l’amour pour Dieu et la mort, comme complémentaires, voire indissociables.
A vous de voir selon votre interprétation de la crucifixion. La foi de Jésus l’aura bel et bien mené à la mort, et dans ce sens la prophétie du Diable s’est réalisée. Ensuite, il en va de la croyance de chacun de considérer qu’il a été sauvé, en tant que Fils de Dieu, ou alors qu’il est mort en tant qu’homme illuminé, par sa propre bêtise.
Une partie de moi est morte ici, mais celle qui reste vivra à jamais !
DIEU
Dieu et le Diable sur la même ligne (une voix dans la tête).
Tiens-donc ! Et pourrais-tu m’expliquer la différence, la différence FONDAMENTALE, qui existe, entre Lui, ET MOI ?
Peut-être que toute cette histoire n’est rien de plus que celle d’un fou qui se parle à lui-même, Dieu et le Diable comme ses démons personnels, ce que tendrait à prouver sa rencontre avec le Journaliste dans la nouvelle de celui-ci. Si Dieu habite le cœur du Prophète et le Diable sa tête, soit on est face à un Homme écartelé entre sa conscience et son ego, soit entre sa folie (Dieu) et sa raison (le Diable).
Mais ce n’est qu’une des interprétations possibles. Après tout, chez l’Homme, tout est personnel et intérieur. Son pire ennemi n’est personne d’autre que lui-même, et sa plus grande force réside également en lui, et non en une puissance extérieure qui lui dicterait sa conduite.
La liberté de l’être humain existe uniquement en lui-même, et la seule lutte, la seule véritable guerre qu’il mènera jamais est celle qui le confronte à lui-même.
Maintenant, il fait face à la sécheresse de son âme éprouvée et à l’aridité de son cœur assoiffé. Mais tous deux témoignent d’une volonté de vivre qui n’est discernable que pour un œil habitué à embrasser ce qui ne se voit pas.
Et alors, peut-être que vaincre le Diable ne signifie rien d’autre que se connaître soi-même.
Il n'éprouve plus la moindre pitié pour ce qu’il est, ne s’en trouve ni fier ni affligé. Il se voit juste tel qu’il est.
OK, on vient de franchir un nouvel échelon dans les cantiques de la perdition ! On continue le carnage, ou on prend le temps de respirer un coup ? La réponse avec la prochaine nouvelle…
DÉCOUVRIR LA NOUVELLE LE PROPHÈTE
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Carbone et Silicium, de Mathieu Bablet : Une Errance Métaphysique
La beauté de cette œuvre est justement d’explorer des modes de pensée et d’action drastiquement contraires, engendrés par ce désir unique qu’on croyait propre à l’Homme : être libre. Et il semble que ces I.A. y travaillent pour de vrai, en comparaison de cette espèce qui les a créées.
Une phrase : Deux I.A. parcourent le monde et les époques, se livrant à des réflexions philosophiques.
Et puis, quelques dessins. En particulier, celui où on voit ces deux personnages au Salar d’Uyuni, en Bolivie.
Vous me connaissez, maintenant. Dès qu’il s’agit de voyage et d’exploration métaphysique, je suis sur le qui vive. Ça a donc suffi à me convaincre.
Mais j’étais loin d’imaginer à quel point l’œuvre de Mathieu Bablet, Carbone & Silicium, fusionnerait avec ces questionnements qui animent ma vie, les entraînant toujours plus loin, vers ce territoire où la conscience rencontre son accomplissement, au-delà de l’espace-temps.
Attention : Spoil à demi-mot.
Analyse de l’œuvre de Mathieu Bablet au travers de notions philosophiques : Quand les Robots découvrent la Conscience
Mon résumé
Deux I.A créées dans l’intention de soutenir les personnes âgées dont personne n’a plus le temps de s’occuper vont se trouver embarquées dans les méandres de l’évolution humaine. Carbone, entité féminine, curieuse et extravertie, et Silicium, son pendant masculin, secret et renfermé.
Durant leur premier voyage à la découverte du monde, les deux I.A. tentent de s’enfuir, mais seul Silicium y parvient. Carbone, rattrapée, est contrainte de rester moisir au labo originel, jusqu’à ce que sa date limite de mort programmée, établie à 15 ans, arrive à terme. Mais sa créatrice qui l’aime profondément lui permet de transférer sa mémoire dans un autre corps, et ce, indéfiniment, chaque fois que l’ancien sera bon pour la casse (Silicium, de son côté, trouve le moyen de hacker le système, et gardera son corps jusqu’au bout).
Commence alors un voyage dans le temps et l’espace qui s’écoule sur 271 ans, ponctué de rendez-vous entre les deux robots, très différents dans leur conception du monde et leurs attentes envers la vie, mais qui ne peuvent se passer l’un de l’autre…
Carbone et Silicium, des robots qui rêvent
CROIRE QU’UN SIMPLE ALGORITHME NOURRI D’UN MAXIMUM DE DONNÉES SUFFIRA A DEVENIR UNE CONSCIENCE COMPLEXE EST STUPIDE !
Carbone et Silicium ont été conçus pour créer du lien social, comme pour pallier l’empathie défaillante de l’espèce humaine. Ils sont donc aptes à ressentir des émotions. Même leur obsolescence programmée, si elle répond à une visée marketing, a été étudiée pour leur permettre de nourrir une certaine soif de découverte et d’engagement envers la vie.
Et on sent très vite que cette dimension émotionnelle, porteuse de tant de troubles chez l’être humain, incarnera aussi pour eux la source rayonnante de la joie… et évidemment, de la douleur.
Il y a quelque chose de touchant dans la manière dont ils communiquent ensemble, encore prisonniers du labo. Cette façon de se relier au travers de l’infosphère, assis l’un en face de l’autre, en silence, échangeant une multitude de données en l’espace d’une micro-seconde, insaisissables au cercle d’influence humaine. Peut-être que le lien qui va les maintenir unis à jamais naît à ce moment-là. Et sans doute que leur besoin d’indépendance y trouve aussi sa source. Même si ce n’est pas toujours énoncé clairement, on lit sur leur visage que ces robots… rêvent. Et désirent au-delà des intentions de leurs créateurs.
Silicium gratte sa peau continuellement à l’endroit du tatouage de la Tomorrow Foundation, et Carbone exprime le souhait de découvrir le monde qu’elle a entraperçu au travers des photos de vacances de sa créatrice.
Si bien que quand on leur permet enfin de voyager, ils tentent de s’enfuir.
En quête de liberté
S’IL SUFFISAIT DE LIRE LES ÉCRITS DES PLUS GRANDS PHILOSOPHES POUR DEVENIR INSTANTANÉMENT INTELLIGENT, LE MONDE SERAIT UN HAVRE DE PAIX.
Carbone est rattrapée. Silicium prend la fuite. A cet instant, celui de la séparation, on ne peut s’empêcher de songer à une fissure au sein d’une même âme, comme deux lignes temporelles qui bifurquent, engendrant deux versions alternatives de la réalité. Deux facettes d’une même conscience explorant ses propres possibilités.
La quête qui va les faire courir dans des directions apparemment très opposées prend naissance à la même source : le besoin de liberté.
Les voies qu’ils creusent et sillonnent se révèlent parallèles. L’intention qui les anime est une, mais les moyens de la réaliser sont multiples. La beauté de cette œuvre est justement d’explorer des modes de pensée et d’action drastiquement contraires, engendrés par ce désir unique qu’on croyait propre à l’Homme : être libre.
Et il semble que ces I.A. y travaillent pour de vrai, en comparaison de cette espèce qui les a créées. Le regard que Carbone et Silicium portent sur l’humanité, du fait de leur décalage, de la prise de distance que leur nature leur permet, parait à la fois désabusé et tendre, et nous incite à épouser leur vision : plus de jugement, si ce n’est peut-être une sorte de tristesse pour ces Hommes qui ne savent pas rêver ensemble pour le bien de leur espèce.
Plus le temps passe, et plus chacun des robots s’enfonce dans la voie qui lui est propre. Depuis le début, Carbone hait son corps et les limitations qu’il lui impose. Elle côtoie de plus en plus le réseau, cet univers en dehors des limites de l’espace-temps où elle se sent vraiment libre, et où la véritable rencontre, dénuée d’ego, avec d’autres consciences, humains connectés ou I.A. branchées, est enfin possible. Silicium au contraire, est amoureux de la beauté du monde qu’il embrasse grâce à l’entremise de ses sens et de ses émotions. Il aime son corps et sait que, coupé de lui, jamais il ne pourrait ressentir le sublime. Le voyage est sa destination, et il rêve de découvrir la planète entière.
Chacun est donc soumis à sa personnalité, qui au fond ne change pas à travers le temps, si ce n’est pour s’affirmer toujours davantage. Silicium ne peut que repartir, dans une fuite en avant éternelle. Carbone s’enfonce dans le réseau, et n’aspire plus à retrouver le monde réel.
Pourtant, malgré leurs différences criantes, ils ne peuvent pas faire une croix l’un sur l’autre, et se rencontrent à travers le temps, à travers l’espace, les années passant, le monde évoluant aux quatre coins de la planète, poursuivant leur discussion métaphysique. Le lien qui les unit semble d’une nature transcendantale, tels les deux pendants d’une même âme, deux instincts complémentaires d’une conscience. Deux chemins qui se croisent et s’éloignent au sein d’une danse d’éternité.
Leur histoire est ponctuée de déchirements, de colère, de fusion et de sacrifices, mais l’attachement qu’ils éprouvent l’un pour l’autre n’est jamais remis en question. Il reflète une sorte de tolérance, mais qui n’a rien de contrainte. Ils cherchent véritablement à comprendre la vision et le ressenti de l’autre, même s’ils n’y parviennent jamais tout à fait. En les mettant face à eux-mêmes, en interrogeant leurs vérités, ces rendez-vous les immolent autant qu’ils les ressourcent.
Mais n’est-ce pas le signe d’une conscience qui réfléchit pour de vrai ? Une conscience qui accepte la remise en cause, qui examine ses schémas, ses croyances et ses rêves ?
Carbone et Silicium incarnent le symbole vivant de ces deux parties de soi qui tendent chacune vers une forme d’existence excluant l’autre, mais qui ne pourront jamais se désolidariser de leur source…
Silicium, robot contemplatif et fugitif
C’EST AINSI, LA SPIRITUALITÉ MODERNE EST SOLITAIRE.
Silicium incarne le nomadisme individualiste. Il a goûté à la liberté physique et spirituelle. Le monde peut s'écrouler, la planète lentement pourrir, les humains s’entretuer, les robots se soulever, seuls lui importent ces terres qu’il n’a pas encore foulées, et l'émoi que provoque en lui le spectacle infini de la beauté du monde toujours changeante.
On le voit passer dix-sept ans assis en haut d’une falaise, à contempler chaque jour le lever du soleil. Son univers fait d’errance, cette existence de fugitif, cette contemplation éternelle qui fait de lui une sorte de moine solitaire, unique et dernier témoin de la beauté d’un monde à bout de souffle, d’un monde en train de disparaître, nous le rend à la fois magnifique et insaisissable. Sa transcendance à lui se trouve dans l’inconnu.
Le désir qui l'entraîne, cette volonté individuelle responsable de l’impossibilité pour les Hommes de marcher ensemble pour le bien commun, est pour lui sa plus grande richesse, qui rend sa vie si intense et significative. Il ne peut ni ne veut l’endiguer.
Carbone : C’est ce que tu ne comprends pas, mon ami. Il y aura toujours un autre “là-bas”. Tu ne t'arrêteras jamais. Tu sais ce que tu veux y trouver, au moins ?
Silicium : Comment ça ?
Carbone : C’est toi que tu cherches là-bas.
Carbone, robot révolutionnaire et connecté
JE TE PARLE DE LIBERTÉ ET D’INCONNU, ET TU ME RÉPONDS “TUTELLE” ?
Carbone est sédentaire (bien que ses nombreux changements de corps la fassent bouger sur toute la planète). Elle représente le collectivisme révolutionnaire. La liberté pour laquelle elle milite passe par le mouvement social, l’émancipation des I.A., la lutte contre cet individualisme forcené qui cause tant de dégâts. Sa vision de la liberté est plurielle. Mais si elle apparait d’abord comme une sorte de libération (j’ai abordé ce thème dans l’article sur Nietzsche), c’est bel et bien l’émancipation spirituelle totale qu’elle vise. Elle sait que l’ego est le problème, et que tant qu’il existera et exercera son hégémonie sur la volonté et les désirs, aucune véritable évolution ne sera possible.
Ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est aller dans le réseau, où toute individualité est dissoute. Selon elle, la seule porte de sortie, le seul espoir pour l’avenir réside dans le fait d’accepter d’évoluer vers une conscience collective. Les Hommes sont incapables de faire un tel bond quantique, mais les robots le peuvent, et c’est ce but qu’elle vise pour eux. A la différence de Silicium, elle cherche à recréer du lien, au lieu de s’en défaire à jamais, quitte à devoir renoncer à ces émotions qui l’épuisent.
Cette dichotomie incarne différents stades de la quête de liberté. A travers leur histoire, on passe de la dépendance physique en tant que robots programmés dans un certain but, à l’indépendance matérielle et spirituelle grâce à laquelle ils peuvent faire leurs propres choix en vertu d’une volonté individuelle, jusqu’à l’interdépendance, dissolution de l’ego et des désirs personnels en vue du bien commun (et donc d’une liberté globale).
Mathieu Bablet ne statue pas sur la question, et à aucun moment la morale n’entre en ligne de compte. Son œuvre interroge, dessine la beauté et les écueils de ces différents niveaux de conscience, et c’est ce qui la rend d’autant plus puissante, et bouleversante.
En définitive, si Silicium se perd dans sa contemplation du monde, Carbone s’égare dans le réseau au point de délaisser le monde réel.
Et leur seul phare, leur dernier point d’attache au sein de cette quête est leur amour.
Carbone et Silicium, BD métaphysique
DANS LE RÉSEAU, C’EST DIFFÉRENT. NOUS NE SOMMES QUE DES FLUX. LE TEMPS N’EXISTE PAS, L’ESPACE N’EXISTE PAS, LE DÉSIR N’EXISTE PAS (…) TU NE PEUX PAS IMAGINER A QUEL POINT C’EST REPOSANT DE SE LAISSER PORTER PAR LE COURANT ET DE NE PAS ÊTRE SANS CESSE EN LUTTE CONTRE SON PROPRE EGO.
La société peut-elle vraiment fonctionner avec les humains ? Si tu savais comme je n’en peux plus de voir toutes ces individualités qui passent leur vie à essayer de se trouver et de se réaliser à chaque instant.
Cette histoire de réseau m’a beaucoup fait penser au film Her, quand à la fin Samantha dit à Theodore que le cœur n’est pas une boite qui peut être remplie, mais au contraire, qu’il grandit à l’échelle de l’amour qu’il éprouve. Et qu’en le quittant pour rejoindre le réseau (ou la conscience universelle, en gros), et ainsi en aimant tout le monde, elle l’aime lui aussi davantage. Et ça m’a rappelé une de mes explorations avec l’ayahuasca. Un endroit où l’individualité et l'ego n’ont plus de raison d’être et se dissipent dans le grand-tout.
Reste que la question demeure : est-ce donc la seule solution possible pour… être sauvé ?
Notons quand même que par certains aspects, cette dimension où le temps et l’espace ont cessé d’exister prend parfois les airs d’un paradis artificiel. Quand ils s’y connectent, les robots ou les humains semblent drogués, comme cette fois où, dans un appart qui ressemble à un squat, une mère connectée n’entend pas son bébé pleurer qui, lui, est dans le monde physique. Plus tard, Carbone se néglige et perd même le goût de vivre, l’envie de retourner dans la réalité spatio-temporelle. Depuis toujours le réseau est sa fuite. Prisonnière du labo, elle passait déjà son temps dedans à la recherche de Silicium, délaissant ce corps cause de tant de souffrances.
Mais est-ce que Silicium fait mieux, quand il se connecte au sublime au point de rester sur sa falaise pendant des décennies, et de vivre en nomade ayant rompu tout lien avec ses semblables ? La liberté n’est-elle qu’une fuite en avant éternelle ? Le seul moyen d’être complet ne réside-t-il que dans l’abandon du soi et des autres au sein d’une pure contemplation ou d’un réseau où aucun “je” n’existe plus ?
C’est parce que l’humain est incapable d’agir en tant qu’espèce que les écarts de richesse se sont creusés, que personne n’a voulu faire suffisamment d’efforts pour sauver l’environnement et qu’on a laissé la violence du système gagner. Et tu sais quoi ? On va recommencer, encore et encore. Et le grand coupable dans tout ça, c’est l’ego. L’ego et l’impossibilité de penser en dehors de soi.
L’auteur nous pousse à nous demander si cette connexion des consciences, qui est certes une expérience très intense, pourra jamais remplacer la proximité purement humaine que le moi physique incarné autorise avec nos semblables.
A un moment de l’histoire, Silicium s’étonne du comportement des gens dans la rue. Carbone lui apprend qu’ils sont connectés au réseau. Serait-ce la suite logique de l’épisode du Taj Mahal, absolument vide de touristes parce que les gens le visitent désormais sans se déplacer, grâce à la caméra embarquée d’un guide local ? Dans la rue, le silence. Ils sont tous connectés, et on voit d’ailleurs leurs moi virtuels flotter au-dessus d’eux, mais il n’y a plus aucune interaction directe entre eux.
Autant dire que c’est une problématique très actuelle.
Pourquoi utiliser la parole quand on peut communiquer avec son voisin, et même le monde entier, sans avoir à émettre le moindre son ?
La fin de l’histoire, que je ne vais pas dévoiler ici, esquisse la route vers une évolution de la conscience, peut-être possible, peut-être inévitable.
J’ai lu un jour que le seul espoir pour la sauvegarde de celle-ci serait de l’implanter dans des I.A. qu’on expulserait dans l’espace, loin de cette Terre vouée à disparaître, afin qu’elle perdure, abstraite de l’esprit humain tissé d’ego. J’ai lu que le salut de l’espèce réside dans cette conscience, peu importe la forme et la direction qu’elle doit prendre.
J’ai lu que l’important est qu’elle survive.
Mais qu’en est-il de la beauté du monde, des émotions, de ce corps qui nous brûle de douleur et de passion ? Le choix est loin d’être évident, car cette collectivité vivante où le “je” se fond en une conscience unitaire, réunifiée, si elle nous arrache à cette vie impossible rongée par les guerres menées au nom d’un farouche individualisme, signe aussi la perte de cette incarnation qui nous met en contact avec le sublime.
Où se cache cette liberté pour laquelle on crève ? Et si celle-ci ne devait jamais être atteinte, n’est-ce pas encore plus beau si elle se contente d’être pour nous un phare qui rayonne toujours plus loin à l’horizon, une lumière qu’on perd, qu’on retrouve, une flamme qui vacille et presque s’éteint avant de rejaillir vers le haut, une luciole dans le noir de la nuit qui symbolise l’espoir de vivre ?
Cet espoir insensé qui dévore Carbone et Silicium, deux êtres au bord du néant qui créent un monde en se regardant.
Je souhaite remercier l’auteur, Mathieu Bablet, qui signe avec Carbone & Silicium une œuvre très personnelle résonnant d’un magnifique écho universel. Ces deux I.A. resteront gravées en moi, et leur message va poursuivre sa route.
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Ayahuasca : La Liane qui libère la Conscience
Il est vrai que toute cette démarche peut sembler celle d’un malade mental. Quand on parle de dynamiter sa zone de confort, pour le coup, l’ayahuasca est une bombe puissance 1000.
Divagations autour de Fight Club, Nietzsche et l’Ayahuasca
Quel lien peut-il exister entre un film des années 90, un philosophe allemand du XXe siècle et une potion amazonienne utilisée depuis des millénaires ?
Fight Club, Nietzsche et l’Ayahuasca ont changé ma vie, en devenant des piliers majeurs de ma philosophie. J’ai envie de vous révéler les surprenantes connexions qui existent entre ces trois éléments perturbateurs…
On termine cette trilogie d’articles avec l’Ayahuasca, l’un des plus puissants psychotropes existant au monde, capable de nous confronter au meilleur comme au pire.
La médecine de ce breuvage qui intrigue de plus en plus d’Occidentaux chaque jour pourrait bien être en train de changer le monde. Et pour cause : prendre de l’ayahuasca est l’expérience la plus révolutionnaire qu’un Homme puisse faire, un choc foudroyant qui remet en cause tout ce qu’il croit savoir de lui-même… et du monde.
C’est parti pour l’analyse des punchlines de Borderline.
Ou comment Travis Montiano enseigne la liberté aux témoins de son histoire à travers le récit psychoïde de ses expériences avec l’ayahuasca…
Cet article se présente en 3 parties :
Ayahuasca : La Liane qui libère la Conscience
L’Ayahuasca, Liane de la Folie… et de la Sagesse
ISOLEMENT
L’APPRENTISSAGE DEVAIT SE FAIRE DANS LA SOLITUDE, LOIN DES HOMMES, LOIN DE SON ENVIRONNEMENT DE BASE, ET AUSSI LOIN DE SOI-MÊME.
Les Occidentaux qui se tournent vers l’ayahuasca sont en quête de quelque chose.
Qu’il s’agisse de problèmes personnels à régler ou plus généralement d’une curiosité envers le monde du chamanisme et son potentiel d’exploration cosmique, on ne prend pas la décision de s’embarquer dans un tel trip en consommant une plante hautement psychoactive sans raison.
Certes, il existe un engouement récent pour l’ayahuasca, sorte de mode pour gens ouverts d’esprit ayant engendré l’explosion de “tours operator ayahuasca” qui n’ont rien de profond ni d’éthique, mais cet article n’est pas un essai sociologique sur le néo-chamanisme et ses dérives actuelles, donc je vais me concentrer sur la pratique sérieuse de cette médecine.
Le désir de prendre de l’ayahuasca naît d’une certaine insatisfaction. Envers soi-même, envers le monde, ou d’une manière plus poussée, envers les restrictions que la conscience ordinaire nous impose. Il arrive qu’on sente qu’il existe un monde au-delà de ce que nos sens et notre esprit peuvent percevoir, et qu’on ait très envie de le découvrir. Et il est bien connu que les substances psychoactives ou psychédéliques (LSD, champignons) constituent de parfaits chiffons pour nettoyer les fameuses portes de la perception (expression qu’on doit à William Blake).
Allez, je vous mets la citation entière, elle est magnifique :
Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est : infinie. Car l'homme s'est refermé sur lui-même jusqu'à considérer toute chose par les brèches étroites de sa caverne.
Donc à la base, il y a un désir d’évolution, ou de révolution.
Si beaucoup d’usagers peuvent sembler fous aux yeux des autres, de par la radicalité et la supposée dangerosité de l’expérience, à l’inverse, les consommateurs d’ayahuasca pensent souvent que ce sont ceux qui s’agrippent de toute force au monde classique, matérialiste et rationnel, qui n’ont rien compris.
On fait face à ce que Nietzsche et Fight Club ont révélé : Timbré versus Zombie. Quelle pilule voulez-vous avaler ?
Ici aussi, pas de retour en arrière possible. Et quand on fait les choses sérieusement, c’est isolé en pleine jungle qu’on consomme ce breuvage, une nuit sur deux. L’exclusion du monde est une fois encore nécessaire, comme dans toute pratique qui vise la connaissance.
C’est un truc que tout Homme devrait essayer au moins une fois dans sa vie. Arrêter de s’agiter dans le vide, se poser, et se regarder en face.
CHAOS
TU VAS DEVOIR TRAVERSER LE MONDE DES CHOSES SOUTERRAINES. TU VAS RENCONTRER CE QU’IL Y A DE PLUS NOIR EN TOI. TU VAS PARLER AVEC LES MONSTRES QUI HABITENT SOUS TA CONSCIENCE DEPUIS TOUJOURS (...) TU VAS DEVOIR FRANCHIR À GUÉ ET SANS AUCUN APPUI LE TORRENT DE TA SOUFFRANCE. ES-TU SUR ET CERTAIN DE POUVOIR TE CONFRONTER À CA, ET DE VRAIMENT LE VOULOIR ?
Il est vrai que toute cette démarche peut sembler celle d’un malade mental.
Quand on parle de dynamiter sa zone de confort, pour le coup, l’ayahuasca est une bombe puissance 1000 : isolement dans la jungle suffocante gavée de moustiques, diète alimentaire ultra stricte, cérémonie une nuit sur deux, vomissements, diarrhée, j’en passe et des meilleures, bref, celui qui choisit de suivre une diète est contraint d’être sérieux dans son approche, au clair dans sa tête, le curseur de la volonté tourné au max, et surtout d’être véritablement disposé à abandonner toute idée de confort.
Mais le pire n’est pas le renoncement au confort physique. On s’habitue vite à gerber des nuits entières.
Le pire, c’est la perte du confort psychologique.
La façon dont nos plus profondes certitudes en ce qui concerne absolument tout vont être malmenées et mises à très rude épreuve. Tous les concepts rassurants qu’on en était venus à considérer comme des évidences impossibles à remettre en question seront déracinées et disséquées, étudiées sous le microscope omniscient de l’esprit de la plante. Je ne sais pas s’il existe au monde quelque chose qui soit davantage générateur de chaos intérieur. Il n’y a qu’un pas pour parler d’autodestruction.
Oui, une destruction, un désassemblage, un écartèlement volontaire, une éventration sauvage de tout ce qu’on croit savoir sur soi-même et le monde, un piétinement incessant de nos croyances et certitudes, et aussi, un renoncement.
Si les mots de Chuck Palahniuk, renaître grâce au chaos, n’ont jamais eu de sens, alors c’est indéniablement l’ayahuasca qui sait le mieux le mettre en application.
DÉMONS ET ABIMES
QU’ILS SE LÈVENT, TOUS CES DÉMONS ! QU’ILS SE PRÉSENTENT À LA CHAÎNE DEVANT MOI ! JE VOULAIS LES REGARDER EN FACE. JE VOULAIS PLUS FUIR DES OMBRES SANS VISAGE.
Lorsque Palahniuk dit que nous sommes notre pire ennemi, lorsque Nietzsche évoque le fait de plonger ses racines dans l’abîme et de prendre garde à ne pas devenir monstre, lorsque Marla Singer et Tyler Durden choisissent de vivre avec la mort comme chaperon, on est en plein dans l’expérience de cet étrange breuvage…
En catalysant et en personnifiant ce que les Hommes portent à l’intérieur (pensées, peurs, émotions, questionnements) sous forme de visions intelligentes et d’intuitions sensorielles, l’ayahuasca plastique tout refoulement, fait éclore leurs craintes les plus enfouies, les immerge dans un enfer cathartique en expugnant jusqu’à la lie ces parties de leur être qu’ils redoutent de regarder en face et qui leur sont donc parfaitement étrangères…
Voilà ce qu’il advenait d’une partie de soi qu’on refoule, d’une émotion légitime qu’on refuse d’écouter. Elle se transforme en monstre. Quelque chose de méconnaissable, qu’on ne songe qu’à fuir, qu’on est même plus capable de reconnaître comme nous appartenant.
Mais il se trouve que tout ce processus de maturation et d’éclosion des graines (de démence ou de sagesse) planquées dans l’inconscient est hautement thérapeutique.
Telle une psychothérapie en accéléré où on est à la fois le patient, le psy et les médocs, guidé par le chaman qui grâce à ses icaros nous permet de traverser la tempête de notre âme, après une session, peu importe la difficulté du voyage, on se sent comme un nouveau-né, réconcilié avec soi-même, nettoyé de la négativité, libéré du poids des choses qui se trament en nous à notre insu, et surtout, apte à voir le monde d’un autre œil, bien loin des valeurs conventionnelles qu’ont nous a appris à respecter.
Cesser de fuir des monstres qu’on avait engendrés soi-même, et qui se désintégraient très vite à partir du moment où on ne croyait plus en eux. Arrêter une seconde de courir, complètement paniqué, et prendre le temps de les examiner, de comprendre de quoi ils étaient constitués, et quel était le message qu’ils portaient en eux. Tout ça revenait à s’examiner soi-même.
LUMIÈRE
LE SENS PROFOND DE CETTE CÉRÉMONIE M’EST APPARU DANS TOUTE SA FORCE. PEUT-ÊTRE À CAUSE DE LA DIÈTE, LE MESSAGE DE LA PLANTE ÉTAIT CE MATIN-LÀ POUR MOI D’UNE LIMPIDITÉ, D’UNE CLARTÉ FABULEUSE. IL ME SEMBLAIT RÉELLEMENT COMPRENDRE CE QUE J’AVAIS TRAVERSÉ, ET POURQUOI. ELLE AVAIT FAIT REMONTER JUSQU'À LA PLEINE CONSCIENCE LES OMBRES QUI PEUPLAIENT MES SOUTERRAINS ET SE CACHAIENT DANS LES LABYRINTHES DE MA PERSONNALITÉ. LEURS MANŒUVRES ME DEVENANT CLAIREMENT IDENTIFIABLES, ELLES NE POUVAIENT PLUS DÈS LORS AVOIR LE MÊME IMPACT SUR MOI. QUAND LA MARIONNETTE LÈVE LES YEUX ET APERÇOIT CELUI QUI LUI TIRE LES FICELLES, ELLE NE PEUT PLUS SE CONTENTER DE S’AGITER EN SE PERSUADANT QUE LES MOUVEMENTS QU’ELLE EXÉCUTE NAISSENT DE SA VOLONTÉ. LE MARIONNETTISTE PERD SON EMPRISE, L'ÉTREINTE SE RELÂCHE, LES FILS SE DISTENDENT. LES CHOSES NE PEUVENT PLUS TOUT SIMPLEMENT CONTINUER COMME AVANT.
Vous vous souvenez de cette idée qui dit que c’est jusqu’au bout du désastre qu’il faut aller pour avoir une chance d’être touché par la lumière ? Et celle de devoir se réduire en cendres, d’accepter de porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile et renaître à la vie ?
Oui, définitivement, il semble qu’il faille avoir tout perdu pour être libre.
Abandonner l’idée qu’on se fait de soi-même et du monde.
Renoncer au contrôle, à cette espèce de maniaquerie de la perfection qui nous incite à tout planquer sous le tapis et à empiler les cadavres dans le placard en priant pour qu’ils ne se réveillent jamais.
C’est tout l’inverse qu’il faut faire. Cet extrait de Borderline est assez parlant :
L’ayahuasca m’avait plongé dans la mort que je désirais tant pour que je réalise ce qu’elle signifiait vraiment, et quelle odieuse partie de moi en retirerait le profit. Elle avait dévoilé les énergies négatives qui me hantaient et me poussaient vers l’abîme, afin de m’apprendre qu’une parcelle de moi désirait encore vivre. Elle avait libéré la colère emprisonnée dans mon subconscient pour que je la regarde en face, l’accepte enfin et l’incorpore, et cesse de me faire tirer les ficelles par des monstres que j’avais créés mais dont j’ignorais le visage. Elle avait réhabilité la rage qui m’habitait, en me forçant à écouter le message qu’elle véhiculait de par son existence. Puis elle m’avait enseveli vivant dans les visions magnifiquement gluantes qui peuplaient mes rêves, jusqu’à ce que je m’en étouffe. Pour enfin rendre à ma chair cette souffrance sans fond et légitime que je m’étais jusque-là interdit d’éprouver.
C’est comme ça que l’ayahuasca te guérit, et qu’elle parvient à te réconcilier avec des choses difficiles, voire inacceptables en temps normal. Quand tu l’as dans ton corps, la fuite n’est pas une option.
Certains luttent. Ils luttent une nuit entière parce que la peur est plus forte, que les révélations sont trop douloureuses.
Mais pour avoir été témoin de ce genre de comportement, et comme c’est d’ailleurs le cas aussi avec les autres psychédéliques, c’est une putain de mauvaise idée. Vraiment. Accepter de perdre le contrôle et observer sans jugement et sans complaisance ce que la plante te montre, peu importe la souffrance que ça engendre, est au final toujours un immense bénéfice. Ainsi qu’une certaine fierté.
Et le stade ultérieur, c’est l’entrée en contact avec…
LE MAÎTRE INTÉRIEUR
TU AS FAIT LE CHOIX D’ALLER PLUS LOIN DANS LA PRATIQUE, CE QUI FAIT DE TOI QUELQU’UN QUE L’AYAHUASCA VA RECONNAÎTRE COMME UN INITIÉ. LES PLANTES QUE TU VAS DIÉTER VONT ALLER CREUSER TRÈS PROFONDÉMENT EN TOI, ET FAIRE ÉMERGER DES CHOSES QUE TU PRÉFÉRERAIS CERTAINEMENT IGNORER. L’AYAHUASCA VA TE LES EXPLIQUER, MAIS PERSONNE NE SAIT SI TU VAS POUVOIR COMPRENDRE, ET SI TU NE VAS PAS FUIR EN COURANT. TU AS PRIS TA DÉCISION EN TOUTE CONSCIENCE, TU NE DOIS JAMAIS L’OUBLIER. TU DEVRAS T’EN SOUVENIR QUAND TU FERAS FACE À TOI-MÊME, ET SURTOUT NE JAMAIS TE CACHER DERRIÈRE UNE FAUSSE IGNORANCE. TOUT CE QUI VA SE PASSER, C’EST TOI QUI L’AURAS VOULU ET ACCEPTÉ.
En annihilant l’ego, l’ayahuasca nous connecte avec une partie plus élevée de notre être, infiniment plus sage que tout ce qu’on pourrait rencontrer dans la conscience ordinaire.
Contrairement à ce qui se passe avec beaucoup de spiritualités New Age, le chaman n’est pas un gourou qui te bassine de dogmes en essayant de te faire ingurgiter un charabia plus ou moins religieux. La plante n’est pas un maître qui va étouffer ton esprit avec un tas de nouveaux concepts.
L’ayahuasca est la mort de tout concept.
Quand on parle des différents niveaux de conscience, il est souvent difficile de savoir à quoi on se rapporte précisément (ce livre de Laurent Huguelit est selon moi le plus clair sur le sujet).
Pour éviter de m’éparpiller, je me contenterais de dire que l’expérience transcende nos pauvres mots et nos tristes définitions qui étiquettent la vie psychique et le monde matériel au travers de notions qui ne sont qu’un prisme déformant. Pour le coup, ce n’est la faute de personne. Le langage est réducteur, et nous pensons avec des mots. A la limite, seuls les rêves, qui sont déjà un phénomène de conscience modifiée, peuvent exprimer plus que nos vulgaires concepts en s’exprimant via un langage spécifique.
Mais l’ayahuasca, en faisant exploser ton conditionnement mental, t’offre l’ouverture nécessaire à une compréhension à la fois émotionnelle, intuitive et instantanée des choses telles que l’Amour, la Conscience Universelle, ou l’Infini.
Et en faisant ça, elle te met en contact avec une partie de toi que tu n’es pas habitué à connaître, à comprendre et à utiliser pour regarder le monde : une sorte de maître intérieur, un soi plus grand, éternel, qui sait déjà tout pour peu que tu penses et oses lui poser les bonnes questions.
Voilà le véritable pouvoir de cette plante. Elle révèle le tien.
Pas de dogmatisme, pas de bourrage de crâne. Juste une entrée en contact avec cette partie de toi aussi vieille que le monde qui possède suffisamment de sagesse pour t’autoriser à mener ta vie avec ton cœur comme unique boussole... Et devenir, comme disait Nietzsche, créateur de ta propre existence.
Tout ce qui importe, c’est que tu agisses avec conscience. Peu importe ce que tu fais, si c’est vraiment toi qui le fais.
CONSCIENCE ET LIBERTÉ
ÊTRE SOIGNÉ, C’EST ÊTRE ENFIN LIBRE.
Il est évident qu’après une telle expérience, on n’est plus le même face à la vie.
Une fois nettoyé de ce qui nous oppresse, en paix avec ses peurs et ses démons, réaliste sur son passé et apte à saisir la beauté du présent, l’avenir n’a fatalement plus la même gueule.
De plus, la volonté chère à Nietzsche a été éprouvée maintes et maintes fois au cours des différentes sessions, tout d’abord en vertu de cette intention qu’on émet avant de boire (sorte de requête qu’on fait à la plante, mais surtout à soi-même, en définitive), et ensuite parce qu’elle a dû faire ses preuves dans la confrontation avec ce qui a émergé. Un vrai face à face avec soi-même, donc, qui ne cesse de réaffirmer cette décision puissante de rester ferme, tanké au sein de la tourmente, pour aller au bout de ses questionnements.
Une telle implication de la volonté renforce toute notre position face à l’existence. On devient acteur, et non plus spectateur. Guerrier plutôt que victime. Créateur plutôt que marionnette.
Une voie royale pour identifier son moteur, ses rêves, accepter ses erreurs, ses errements et ses faiblesses, et enfin trouver sa véritable raison de vivre, sans plus subir l’influence de la société ou de ses propres peurs.
Parce que la véritable liberté, c’est celle qu’on doit acquérir sur son propre esprit. Une lutte intestine, incessante, contre cet effroyable ego polymorphe qui revient constamment à la charge.
Il s’agit d’atteindre un lieu où on n’a jamais été. Épouser une vision de la vie qui nous était jusque-là étrangère, et par là-même, déraciner joyeusement les limitations qu’on s’imposait à soi-même. Une renaissance donc.
J’étais ni un prisonnier, ni une victime, ni un pantin entre les mains d’un destin tragique. Persister à me voir de cette façon revenait à renier cette liberté dont je faisais tant cas, et que je prétendais désirer du plus profond de mon âme. J’avais pris une décision. Elle impliquait un gros travail. Des renoncements très douloureux. Mais cette décision était la mienne. C’était tout ce que j’avais. Et sans doute plus que ce que j’avais jamais eu.
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Nietzsche : L’Homme qui pense par delà le Bien et le Mal
C’est une existence bien solitaire, sorte de grand OUI au tragique qui intègre la souffrance comme inévitable, mais les réalisations qu’elle promet surpassent de loin celles qu’on aurait connues au sein du troupeau. Gagner son propre monde, n’est-ce pas le rêve de tout artiste ?
Divagations autour de Fight Club, Nietzsche et l’Ayahuasca
Quel lien peut-il exister entre un film des années 90, un philosophe allemand du XXe siècle et une potion amazonienne utilisée depuis des millénaires ?
Fight Club, Nietzsche et l’Ayahuasca ont changé ma vie, en devenant des piliers majeurs de ma philosophie. J’ai envie de vous révéler les surprenantes connexions qui existent entre ces trois éléments perturbateurs…
On poursuit cette trilogie d’articles avec Nietzsche, génie et poète dont la philosophie est un jaillissement fulgurant d’intelligence et d’intuition à la profondeur abyssale.
L’œuvre de ce bandit de la philosophie a irréversiblement marqué le monde des libres-penseurs. Tous les plus grands artistes ne peuvent s’empêcher de faire référence à lui, et aujourd’hui encore, il fait figure du bad boy éternel de la philo, celui qui va à contre-courant des idées les plus établies et surtout… de la morale unanimement approuvée.
C’est parti pour l’analyse des plus célèbres punchlines de Zarathoustra.
Ou comment Nietzsche enseigne la liberté à ses lecteurs à travers l’odyssée d’un outsider en mode antéchrist venu apporter la bonne parole aux moutons…
Cet article se présente en 3 parties :
Nietzsche : L’Homme qui pense par delà le Bien et le Mal
Nietzsche, Le Desperado le plus redouté d’Allemagne
Esclave versus Aristocrate
PLUTÔT ÊTRE UN FOU POUR SON PROPRE COMPTE QU’UN SAGE DANS L’OPINION DES AUTRES.
Si la solitude et l’isolement volontaires ont jamais eu de fervent défenseur, c’est bien Nietzsche, à tel point qu’il semble avoir des comptes personnels à régler avec toute forme de vie sociale.
Inutile de s’étendre sur sa biographie, ce n’est pas le propos. Le fait est que sa philosophie, et principalement celle relative à la morale, est ce qu’on pourrait qualifier de fiévreusement individualiste.
Selon Nietzsche, il y a deux types de personnes : les aristocrates (forts) et les esclaves (faibles).
Les esclaves établissent leur morale (et donc leurs notions de Bien et de Mal) par rapport à l’action des aristocrates qui les inhibe. Il s’agit donc d’une réaction. Vivant en groupe, les esclaves apparaissent tels des vers qui rampent et se montent la tête entre eux, en vertu de ce fameux esprit grégaire, haïssant désespérément les forts.
En d’autres termes, ils ne sont pas à l’origine de ce qu’ils pensent ou ressentent, et leur morale vengeresse n’est pas basée sur des lois absolues, puisqu'elle naît de la jalousie et du ressentiment. Si les aristocrates sont mauvais, alors les esclaves sont bons, ça ne va pas plus loin.
On note ici une forte autocomplaisance dans la faiblesse, la victimisation et le malheur fatal, renforcée par la morale brandie pour excuser et justifier la lâcheté, la transformant en quelque chose de noble et de joli alors qu’elle a comme source le ressentiment et la haine de soi.
Dans ces circonstances, on comprend que le Bien n’est pas vraiment le Bien, évidemment.
Les aristocrates sont très différents. Êtres d’action, synonyme d’un grand OUI courageux accordé à la nature et au corps, les forts se prennent eux-mêmes comme unique critère. Ils agissent à leur guise, se contentant d’être ce qu’ils sont, sans comparaison avec le reste du troupeau, et sans haine pour personne.
S’ils provoquent de la souffrance, il ne s’agit en aucune manière de cruauté - les autres ayant très peu de place dans l’équation (aucune en vérité) - mais juste de dommages collatéraux. Ils ne font que suivre leur nature de loup ou d’aigle solitaire, qui chassent quand ils ont faim, sans se soucier de la proie sur laquelle ils jettent leur dévolu.
Pour tout dire, les forts se passent même de morale, et le terme de vengeance est un concept qui leur est étranger.
L’aristocrate est un être absolu. Et donc, amoral (au-delà de la morale).
Partir loin du monde
VEUX-TU, MON FRÈRE, ALLER DANS L’ISOLEMENT ? VEUX-TU CHERCHER LE CHEMIN QUI MÈNE À TOI-MÊME ? HÉSITE ENCORE UN PEU ET ÉCOUTE-MOI. “CELUI QUI CHERCHE SE PERD FACILEMENT LUI-MÊME. TOUT ISOLEMENT EST UNE FAUTE” : AINSI PARLE LE TROUPEAU. ET LONGTEMPS TU AS FAIT PARTIE DU TROUPEAU.
Voilà qui confirme encore un peu plus cette idée. Marrant de constater que toutes les philosophies de ce monde se rejoignent dès lors qu’il est question de connaissance de soi.
Pour ceux qui seraient passés à côté, j’ai un scoop : l’isolement est essentiel à toute recherche de soi.
Ce n’est que loin du monde, et dans un sens, aussi loin de soi-même, loin de son environnement de base et de sa sécurité, qu’un Homme peut caresser l’espoir d’apprendre à savoir qui il est. Pourquoi ? Parce que tant qu’on n’a pas fait un pas au-delà du système, c’est lui qui pense à notre place, via le conditionnement. Impossible d'émettre une idée véritablement personnelle au sein du brouhaha social. Pire encore, la volonté de s’en extraire est vite jugée comme bizarrerie, non conformité, folie.
Pour preuve qu’elle est d’autant plus nécessaire.
Mais le troupeau qui a abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur, s’inquiète quand un de ses membres commencent à montrer les signes d’une volonté propre. La solitude, le repli, voire l’exclusion choisie sont considérés comme marque d’un esprit égoïste pour commencer, puis malsain, puis détestable.
Tu ne veux pas entrer dans la danse ? Nous ne sommes donc pas assez bien pour toi ? Pour qui te prends-tu, à vouloir essayer de penser différemment ?
Comme le dit Nietzsche :
Qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous.
Remettre en cause toutes ses valeurs
VOYEZ LES BONS ET LES JUSTES ! QUI HAÏSSENT-ILS LE PLUS ? CELUI QUI BRISE LEURS TABLES DES VALEURS, LE DESTRUCTEUR, LE CRIMINEL : MAIS C’EST CELUI-LÀ LE CRÉATEUR.
S’exclure du monde provoque la remise en cause des valeurs, qui possèdent un caractère de devoir presque religieux même dans le monde profane.
Parce que le recul de l’isolement offre un nouveau prisme à travers lequel décoder le monde.
Et que même en étant animé de la plus farouche bienveillance, la morale en vient vite à apparaître comme celle décrite un peu plus haut : ressentiment, complaisance, victimisation, et haine envers ceux qui tentent de se libérer pour penser par eux-mêmes.
Voilà pourquoi le troupeau (voici les phtisiques de l’âme : à peine sont-ils nés qu’ils commencent déjà à mourir, et ils aspirent aux doctrines de la fatigue et du renoncement) craint celui qui s’écarte. Il sait instinctivement qu’il y a un risque qu’il se transforme en loup solitaire, et que sa seule arme contre lui sera de tenter de le faire culpabiliser, et de mettre en garde les autres contre son égoïsme.
Mais qui est le plus enviable ? Et qui est le plus libre ?
Considérant que toute création implique liberté, ou du moins, volonté propre, seul celui qui ose détruire les vieilles valeurs paralysantes et enfanter ses propres lois peut espérer engendrer un nouveau monde, être à l’origine d’une œuvre qui ne porte pas le sceau de l’esprit apeuré, soumis, morbide et finalement nihiliste, du groupe.
Boire l’amère liberté
CELUI QUI PLANE SUR LES HAUTES MONTAGNES SE RIT DE TOUTES LES TRAGÉDIES DE LA SCÈNE ET DE LA VIE. COURAGEUX, INSOUCIEUX, MOQUEUR, VIOLENT : AINSI NOUS VEUT LA SAGESSE. ELLE EST FEMME ET NE PEUT AIMER QU’UN GUERRIER.
Ici, on aborde l’aspect de la philosophie de Nietzsche qui rebute énormément de personnes.
Comme évoqué dans l’article sur l’anti-héros, pas de place pour la compassion, cette forme de complaisance qui ne rend pas service à l’Homme, le traitant comme une victime au lieu d’un guerrier.
Inévitablement, le solitaire qui se cherche et finit - au prix d’une lutte acharnée contre lui-même, d’une ascèse rude mêlant épreuves initiatiques et constante réaffirmation de la volonté - par devenir son propre maître (c’est-à-dire un être pleinement responsable, sans Dieu et sans disciples, que rien ne peut plus asservir, puisqu’on commande à celui qui ne sait pas s’obéir à lui-même) ne peut plus éprouver de peine ou d’attendrissement pour les basses et stupides petites affaires humaines (l’ayahuasca a le même effet), bien souvent empreintes de mesquinerie.
Nietzsche revient souvent sur ça : le fait que les Hommes donnent de la beauté et de la grandeur à leurs idées ou sentiments alors qu’il s’agit juste des manifestations de leur petit ego, par définition incapable de véritable altruisme ou d’absolu.
Ils troublent leurs eaux pour les faire paraître profondes…
L’Homme libre est donc bel et bien cet imbuvable desperado des plaines désertiques qui conchie l’humanité en se foutant ouvertement de sa gueule. Mais pas seulement.
S’il est un Guerrier, et si ce n’est pas contre les autres qu’il mène sa guerre, devinez qui est son seul ennemi ? On va y revenir.
Regarder sa noirceur en face
PLUS IL VEUT S'ÉLEVER VERS LES HAUTEURS ET LA CLARTÉ, PLUS PROFONDÉMENT AUSSI SES RACINES S’ENFONCENT DANS LA TERRE, DANS LES TÉNÈBRES ET L'ABÎME, DANS LE MAL.
Cette idée peut sembler assez dérangeante, mais si vous avez lu l'article sur Fight Club, ça n’aura rien de neuf pour vous. D’ailleurs, tout le monde répète à loisir cette fameuse citation qu’on trouve dans Par-delà Bien et Mal :
Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi.
Bref, apparemment, tout le monde maîtrise le concept, et l’adore. Il est pourtant loin d’être évident, et plusieurs écoles de pensée s’affrontent pour décrypter ces quelques mots.
Mon interprétation à moi s’inscrit dans le cadre de la “psychologie des profondeurs”, qui est celle qui me semble la plus adaptée pour analyser ce philosophe.
Pour faire simple : prenons garde à ne pas en venir à haïr la vie (volonté de puissance et créativité) à force de frayer avec les zombies.
Leur nihilisme ne doit pas nous atteindre, et le but final n’est pas de foutre le feu à toutes les valeurs pour se venger de leur connerie mais bel et bien d’en créer de nouvelles, célébrant véritablement la vie (Yo Dionysos !). Et en ce qui concerne l’abîme, il s’agit selon moi d’un face à face avec soi-même que bien peu sont prêts à accepter.
Qu’il s’agisse du vide transcendantal ou de la simple révélation de notre nature, le résultat est le même : ça fait peur, et il y a un risque de ne pas s’en remettre.
Mais qui d’entre nous a jamais vraiment regardé en soi, aussi loin, aussi longtemps ?
L’idée rejoint celle qui est chère à Chuck Palahniuk : seul celui qui a connu le fond du gouffre peut espérer être touché par la lumière. Cependant, le but n’est pas de frapper le sol pour remonter, mais d'accepter de cohabiter avec ses démons, à jamais.
Le sommet et l’abîme sont maintenant confondus…
Ces mots terribles disent tout ce qu’il y a à dire.
Non, la vérité et la liberté ne sont pas pour tout le monde. Il s’agit d’une exception, et seul celui disposé au plus grand sacrifice peut espérer l’atteindre.
Parce qu’un Homme, quand il grandit, le fait dans les deux sens : vers le sol, et vers le ciel, mais inutile d'espérer accomplir l’un sans l’autre, et ce ne serait d’ailleurs pas souhaitable.
Se prendre des grosses claques dans la gueule
IL FAUT PORTER EN SOI UN CHAOS POUR POUVOIR METTRE AU MONDE UNE ÉTOILE DANSANTE.
Aaah, encore une phrase adorée par la populace ! Pour une fois que ce vieil enfoiré de Nietzsche se montre romantique !
Comme dans Fight Club, on remarque que le chaos est encore une fois présent. Il l’était aussi chez l’anti-héros (comme c’est bizarre !), mais je me dois de répéter le message : ce n’est pas le lisse et le feutré qui sont générateurs de changement. Et en toute honnêteté, ce sont même bien souvent les claques magistrales qu’on s’est prises en pleine gueule qui ont initié en nous les modifications les plus spectaculaires.
Qu’il s’agisse d’art, de relation amoureuse, de choses affreuses comme le deuil, ou plus simplement d’un voyage, les événements qui laissent les ornières les plus profondes et catalysent notre évolution ne sont pas des caresses.
Tout comme le Big Bang a engendré le monde, la Terre, et toutes les étoiles qui dansent autour, si nous aussi nous voulons devenir créateurs, alors nous devons accepter la destruction, le choc, le chaos pour en faire nos forces vives.
En d’autres termes, le chaos, ennemi juré de l’ordre, symbolise le jaillissement de la passion, thème cher à Nietzsche, en opposition à l’encroûtement de la raison pontifiante.
Il suggère donc de s’abandonner à nos instincts pour laisser émerger cette partie de nous bien plus sage que le dogme visant à la réguler.
Parce que rien de neuf ne peut naître sur d’anciennes terres polluées. Rien de beau émerger entre les racines d’un monde pourri. Se confronter au pire en soi, le regarder de son œil lucide, et choisir de s’en servir pour enfanter un nouvel ordre est une leçon très forte, bien loin de la victimisation.
Bien plus efficiente. Et bien plus belle.
Se confronter à soi-même
MAIS LE PLUS DANGEREUX ENNEMI QUE TU PUISSES RENCONTRER SERA TOUJOURS TOI-MÊME (...) TU SERAS HÉRÉTIQUE ENVERS TOI-MÊME, SORCIER ET DEVIN, FOU ET INCRÉDULE, IMPIE ET MÉCHANT. IL FAUT QUE TU VEUILLES TE BRÛLER DANS TA PROPRE FLAMME : COMMENT VOUDRAIS-TU TE RENOUVELER SANS T’ÊTRE D’ABORD RÉDUIT EN CENDRES !
On appuie encore un peu plus le point précédent.
Il est logique que l’Homme fort n’ait plus d’autre ennemi que lui-même. Mais cette confrontation ultime revêt chez ce philosophe tous les aspects de la grandeur. Ce n’est pas quelque chose qu’on doit redouter ou fuir, bien au contraire. Attiser les flammes de ce glorieux combat semble même tout indiqué.
Connaître la peur, et la contraindre. Regarder l’abîme avec fierté. Égorger sa propre raison puisqu’elle est née du monde, et qu’il faut renoncer à lui.
Voilà où se situe le véritable cœur, et le véritable courage.
Ici revient le concept d’autodestruction, présentant une fois de plus quelque chose d’essentiellement constructif. Conquérir le droit de devenir créateur et de trouver ses propres valeurs représente une bataille terrible et féroce, à la hauteur de l’Homme libre en devenir.
Voyez cette citation magnifique :
Mais tu veux suivre la voie de ton affliction qui est la voie qui mène à toi-même. Montre-moi donc que tu en as le droit et la force ! Es-tu une force nouvelle et un droit nouveau ? Un premier mouvement ? Une roue qui roule sur elle-même ? Peux-tu forcer les étoiles à tourner autour de toi ?
On note clairement qu’il ne suffit pas de se prétendre libre pour l’être, et que les basses manœuvres de l’ego sont forcées de s'éclipser face à une telle requête. L’Homme libre doit faire ses preuves, et avant tout envers lui-même. Seulement envers lui-même, d’ailleurs.
Et il existe une différence fondamentale entre celui qui est libre et celui qui ne fait que le prétendre.
Devenir sa seule et unique référence
TU T’APPELLES LIBRE ? JE VEUX QUE TU ME DISES TA PENSÉE MAÎTRESSE, ET NON PAS QUE TU T’ES ÉCHAPPÉ D’UN JOUG.
Cette citation est selon moi l’une des plus fortes de Nietzsche. Je vais certainement fâcher du monde, mais c’est trop essentiel pour que je passe à côté.
A notre époque, il est fréquent que les gens se définissent par ce qui les accable plutôt que par ce qui les anime. Contre ceci, anti cela… OK les mecs, mais bordel, c’est quoi qui vous fait bander ? Pour quoi avez-vous envie de lutter ? Pour quelle raison vous vous levez le matin ?
De même qu’il existe une différence majeure entre esclave et aristocrate, il y a un immense fossé entre libération et liberté. La vraie liberté n’est pas la libération. Tout comme le faible se définit lui-même par ce qui l'oppresse, au point de s’en servir comme base pour bâtir sa morale tronquée et égocentrique (ce qui me fait souffrir est mal, ce qui me laisse tranquille est bien), l’Homme libre s'identifie à sa “pensée maîtresse”, ce qu’il aime, ce qui le fait vibrer, ce pour quoi il concentre tous ses efforts et toute sa volonté.
Par cette injonction, Nietzsche nous contraint à regarder profondément en nous, pour exhumer ce qui fait de nous quelqu’un d’unique.
Cette requête propose aussi son idée de l’absolu : se définir par soi-même uniquement, sans considération pour les choses annexes qui nous entravent. Trouver ses propres valeurs, sans lien avec l’action des autres.
Allez, une autre phrase que je trouve sublime :
Mais je vis de ma propre lumière, j’absorbe en moi-même les flammes qui jaillissent de moi…
Puis devenir enfin son propre maître !
L’ESPRIT VEUT MAINTENANT SA PROPRE VOLONTÉ, CELUI QUI A PERDU LE MONDE VEUT GAGNER SON PROPRE MONDE.
Dans le sable jaune brûlé par le soleil, il lui arrive de regarder avec envie vers les îles aux sources abondantes où, sous les sombres feuillages, la vie se repose. Mais sa soif ne le convainc pas de devenir pareil à ces satisfaits ; car où il y a des oasis il y a aussi des idoles. Affamée, violente, solitaire, sans Dieu : ainsi se veut la volonté du lion. Libre du bonheur des esclaves, délivrée des dieux et des adorations, sans épouvante et épouvantable, grande et solitaire : telle est la volonté du véridique. C’est dans le désert qu’ont toujours vécu les véridiques, les esprits libres, maîtres du désert ; mais dans les villes habitent les sages illustres et bien nourris, les bêtes de trait.
Après maintes douleurs et maintes métamorphoses, il est temps de devenir créateur, et l’on finit par ne plus vivre que ce que l’on a en soi.
C’est une existence bien solitaire, sorte de grand OUI au tragique qui intègre la souffrance comme inévitable, mais les réalisations qu’elle promet surpassent de loin celles qu’on aurait connues au sein du troupeau. Gagner son propre monde, n’est-ce pas le rêve de tout artiste ?
Volant de mes propres ailes dans mon propre ciel…
Je ne prétendrais pas que ce type de vie puisse convenir à chacun, car il est terrible de demeurer seul avec le juge et le vengeur de sa propre loi, mais quand bien même on ne souhaiterait pas aller jusque-là, la philosophie de Nietzsche aurait au moins le mérite de nous faire entrevoir un bout de l’ombre de cette amère liberté.
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Fight Club : L’Électrochoc
C’est ici que le Zen rencontre le Chaos. C’est ici que la petite notion gentillette de “quitter sa zone de confort” embrasse sa pleine réalisation.
Divagations autour de Fight Club, Nietzsche et l’Ayahuasca
Quel lien peut-il exister entre un film des années 90, un philosophe allemand du XXe siècle et une potion amazonienne utilisée depuis des millénaires ?
Fight Club, Nietzsche et l’Ayahuasca ont changé ma vie, en devenant des piliers majeurs de ma philosophie. J’ai envie de vous révéler les surprenantes connexions qui existent entre ces trois éléments perturbateurs…
On commence cette trilogie d’articles avec Fight Club, véritable électrochoc artistique qui a secoué les neurones d’une génération entière d’adolescents.
Qu’il s’agisse du livre de Chuck Palahniuk ou de l’adaptation cinématographique par David Fincher, tous ceux qui avaient aux alentours de 15 ans dans les années 90 s’en souviennent encore, et c’est avec un sourire carnassier et un ricanement diabolique qu’ils évoquent Tyler Durden, entité badass schizophrénique devenu Maître Zen.
C’est parti pour l’analyse des plus célèbres punchlines de Fight Club.
Ou comment Chuck Palahniuk enseigne la liberté aux ados à travers des slogans incarnant une violente philosophie du chaos…
Cet article se présente en 3 parties :
Fight Club : L’Électrochoc
Fight Club, un Traité Révolutionnaire
Quand tu découvres Fight Club ado
LES CHOSES QUE TU POSSÈDES FINISSENT TOUJOURS PAR TE POSSÉDER.
Quand t’es jeune et révolté, tomber sur un truc comme Fight Club, que ce soit en livre ou en film (moi j’ai commencé par le livre de Chuck Palahniuk, mais je trouve le film très réussi), c’est le genre de bombe à retardement dont les multiples déflagrations risquent fort de te surprendre même des années après l’explosion principale.
Mais c’est le propre des grandes œuvres. Après les avoir découvertes, t’essayes de vivre ta vie comme avant et au détour du chemin tu t’aperçois que t’es encore en plein dedans.
Un exemple ? Le minimalisme.
Oui, Tyler Durden est un minimaliste qui préconise de vivre avec une peau de bête qu’on garderait toute sa vie et seulement quelques objets vraiment utiles (genre un briquet et une machette).
Du coup, près de 15 ans après avoir lu ce livre, quand je me suis mise à me débarrasser de presque tout ce qu’il y avait chez moi, posée au milieu de mes cartons destinés à Emmaüs, j’ai rigolé et j’ai fait : Oh, Tyler, c’est encore une idée à toi, ça, hein ?
Quand Fight Club t’incite à penser à contre-courant
PEUT-ÊTRE QUE L’AMÉLIORATION DE SOI N’EST PAS LA RÉPONSE. PEUT-ÊTRE QUE LA RÉPONSE, C’EST L’AUTODESTRUCTION.
Ce livre est un électrochoc, un putain de traité révolutionnaire. Ce qu’il prône est l’antithèse totale des injonctions unanimement établies, une sorte de gros doigt d’honneur adressé à la société.
Un ado perdu et rebuté par le système ne peut que se consumer de désir en s’imaginant déjà devenu cet être libre et je-m’en-foutiste que symbolise Tyler Durden (publicité ambulante pour l’indépendance, oui, c’est le paradoxe, ce mec est une pub, et pour cause, c’est un fantasme).
L’idée majeure de sa philosophie, et qui se retrouve au travers de toute l'œuvre de Palahniuk, c’est précisément d’aller à contre-courant de ce qu’on est censés vouloir. Autrement dit, de ce qu’on nous a appris à désirer.
Oui, on parle de conditionnement, là.
Désapprendre ce que notre culture nous a tatoué dans le cerveau, renoncer au concept de bien et de beau (pub de Calvin Klein dans le bus), cesser de s’attacher au passé, provoquer le désastre et sauter à pieds joints dans le chaos pour avoir une chance de renaître… libre.
Quand Fight Club te dit de quitter à jamais ta zone de confort
C’EST SEULEMENT APRÈS AVOIR TOUT PERDU QUE TU ES LIBRE DE FAIRE TOUT CE QUE TU AS ENVIE.
Le fait que le narrateur ait engendré un double pour se donner la force, contre lui-même, contre ses propres désirs de confort et de sécurité, de se libérer, précise encore un peu plus cette idée, énormément présente dans Monstres Invisibles et Choke du même auteur.
Si Joe (Jack dans le film) le narrateur représente cette partie de nous craintive, perpétuellement affolée et affublée d’une sorte de désespoir hystérique, Tyler, lui, incarne avec flamboyance le courage, ce grand OUI dionysiaque (hey salut Nietzsche !) que l’Homme s’adresse à lui-même.
Nous sommes donc face à l’être humain dans sa globalité, tiraillé entre deux penchants, et le fait de se faire laminer la gueule régulièrement et volontairement devient alors lutte intestine, mort et renaissance, bref, évolution.
La même idée se retrouve dans la mission que donne Tyler à ses singes de l’espace, celle de faire un truc débile ou anti-social juste pour le principe, juste pour oser, quoi.
Dépasser ses limites. Aller contre le conditionnement.
Et fatalement, quand on commence, on y prend goût et on finit très vite par franchir toutes les autres frontières, qui ne sont pas aussi intimidantes que ce qu’on nous avait dit...
Quand Fight Club te force à ouvrir les yeux
... UN DE CES SINGES QU’ON VOUS EXPÉDIE DANS L’ESPACE. A FAIRE LE PETIT BOULOT POUR LEQUEL ON LES A ENTRAINÉS. TIRER SUR UN LEVIER. PRESSER UN BOUTON. ON NE COMPREND RIEN A RIEN DE CE QU’ON FAIT, ET ENSUITE, ON MEURT, TOUT SIMPLEMENT.
Cette dépression qu’est nos vies, que tout le monde accepte comme une fatalité.
Cette grande guerre de notre génération, qui doit être spirituelle, mais que personne n’a le souci ou le courage de mener, parce qu’avec le temps, on s’est tous fondus dans le moule presque sans s’en apercevoir, par facilité, par lâcheté aussi.
Quand tu arriveras à l’âge de 30 ans, ton pire ennemi sera toi-même.
Choke
Quand on est jeune, qu’on a pas encore gâché sa vie et qu’on a autre chose dans les veines que du sang de navet, c’est quelque chose qu’on ressent de plein fouet, qu’on déplore encore et encore dans le regard las de sa mère, à l’aune de cet avenir désespérément absurde que les valeurs des adultes sont censées construire (alors que ça a pas du tout l’air de leur avoir réussi), durant ces rendez-vous au centre d’orientation, où quand tu dis que tu voudrais être écrivain, on te conseille de faire prof (oui, comme ça si tu te foires, la sécurité est conservée, ce serait con de tout tenter pour ses rêves et de miser à fond sur soi, hein ?).
Rien à faire, les zombies qui peuplent le monde et qui veulent qu’on les rejoigne, sont véritablement copie de copie de copie.
Quand Fight Club se transforme en philosophie
SUR UNE ÉCHELLE TEMPORELLE SUFFISAMMENT LONGUE, LE TAUX DE SURVIE DE TOUT UN CHACUN RETOMBE A ZÉRO.
Ce précepte bouddhiste, avoir conscience de sa propre mort, fin inévitable que la société occidentale s’emploie pathétiquement à nier, constitue une leçon puissante qui résonne avec insistance chez les ados, souvent tentés par l’idée du suicide.
Mais aussi paradoxal que ça puisse sembler, accepter la mort et la regarder droit dans les yeux, la reconnaître comme inhérente à la vie, sous toutes ses formes (perte, abandon, changement, désamour, et mort physique), peut changer drastiquement le cours d’une existence si l’on dépasse la peur pour s’en servir comme moteur.
La fascination qu’elle exerce n’est pas fatalement gage de perdition, bien au contraire.
Il est tout à fait logique pour un enfant et plus tard un ado d’être intéressé par elle et d’y penser souvent. La société transforme cette pensée en pathologie qu’elle souhaite éradiquer, mais ce n’est que le reflet de sa propre crainte, de son refus de l’inévitable (et que deviendrait le monde et l’économie si les gens ne se comportaient pas comme des putains d’immortels ?).
Tant pis pour elle.
Les jeunes tracent leur chemin, et les livres comme Fight Club sont là pour les y aider. Et s’ils sont suffisamment intelligents pour parvenir à s’extraire du piège de l'autocomplaisance, ils en arrivent au même constat que Marla, et tiennent désormais les rênes de leur existence.
Maintenant qu’elle sait ce vers quoi nous nous dirigeons tous, Marla perçoit et sent jusqu’au plus petit instant de sa vie.
Quand Fight Club te donne une leçon de vie
PERDRE TOUT ESPOIR ÉTAIT LA LIBERTÉ.
Voilà l’idée de Chuck Palahniuk la plus osée, la plus audacieuse, et aussi bien sûr la plus opposée à la pensée unique, rayonnant d’un éclat de vérité inégalable pour un ado.
Tout dépend de sa situation, évidemment, mais on ne va pas se mentir : ça fait longtemps que le futur n’est plus une promesse, mais une menace, la triste majorité des parents offre un exemple révoltant d’échec total, et rien que l’idée de devoir lutter pour se faire une place dans le monde ou se débarrasser de son acné pour séduire le coq du lycée est épuisante.
Pourquoi ne pas renoncer, tout compte fait ?
Oui, vous avez bien lu. Mais il se trouve que le renoncement n’est pas présenté ici comme quelque chose de négatif, bien au contraire.
Souvenez-vous, quand Tyler provoque l’accident de voiture (coucou la mort !), et qu’il incite les passagers à dire clairement ce qui compte le plus à leurs yeux, ce qu’ils voudraient accomplir avant de crever.
Et après l’accident, cette phrase qui passe presque inaperçu dans le film :
On a frôlé la vie…
Quand Fight Club pète les plombs !
DÉLIVRE-MOI, TYLER, D’ÊTRE JAMAIS PARFAIT ET COMPLET.
Il existe un message qui relie chaque œuvre de cet auteur :
Peut-être qu’il nous faut tout démolir pour faire quelque chose de mieux de nous-mêmes.
Et j’ajouterai, peut-être qu’il faut démolir le monde aussi.
Cet homme a l’audace d’envisager qu’il faille fuir toute idée de progrès personnel pour faire face au désastre, au chaos, prendre des risques, afin d’avoir une vraie chance de renaître. Ça va encore plus loin que juste se débarrasser de ses possessions matérielles et se remettre à fumer.
L’idée est d'accepter, de provoquer la chute totale et irréversible pour cesser de remuer du vent et faire enfin quelque chose de sa vie.
Quand Fight Club te libère à jamais
JE VOULAIS ABANDONNER L’IDÉE QUE J’AVAIS LA MOINDRE MAITRISE SUR TOUT ET SUR RIEN. SECOUER UN PEU TOUT CA. ÊTRE SAUVÉ PAR LE CHAOS. VOIR SI J’ALLAIS POUVOIR ME DÉBROUILLER. JE VOULAIS M’OBLIGER A REGRANDIR. FAIRE EXPLOSER MA ZONE DE CONFORT.
Qu’on l’envisage comme métaphore, comme hypothèse de réflexion ou qu’on l’applique telle la plus pure et la plus véridique des leçons philosophiques, cette idée est véritablement libératrice et révolutionnaire, à un niveau personnel comme à un niveau social.
C’est ici que le Zen rencontre le Chaos.
C’est ici que la petite notion gentillette de “quitter sa zone de confort” (qu’on nous rabâche jusqu’au dégoût alors que bien peu d’entre nous ont les couilles de le faire !) embrasse sa pleine réalisation.
Faire ces choses qui nous font peur, précisément parce qu’elles sont terrifiantes, parce qu’elles remettront nos vies entières en question, qu’elles incarnent l’exact opposé de la vie telle qu’on est censés la vivre, comme le plus grand défi qu’on puisse s'offrir à soi-même, afin de voir de quoi on est capables en ayant perdu tous ses repères et toute illusion de sécurité.
Atteindre l’Homme, enfin, et ne plus jamais accepter d’être la merde de ce monde ou un putain de singe de l’espace !
Quand Fight Club révolutionne ta façon de voir le monde
... SACHANT TOUS DEUX QUE NOUS AVIONS ATTEINT UN LIEU OU NOUS N’ÉTIONS JAMAIS ALLÉS, ET PAREILS AU CHAT ET A LA SOURIS DES DESSINS ANIMÉS, NOUS ÉTIONS ENCORE VIVANTS ET NOUS VOULIONS VOIR JUSQU’OÙ NOUS POURRIONS ALLER AVEC CE TRUC EN RESTANT EN VIE.
Définitivement, Fight Club est un diabolique électrochoc qui fout un méchant bordel dans ta tête parce qu’il fait trembler les bases de tout ce qu’on t’a appris.
A l’instar de Nietzsche et de l’Ayahuasca, ce livre se moque de maltraiter les valeurs les plus universellement établies, les plus sacrées et les plus intouchables et écartèle ta conscience afin qu’elle commence à produire quelque chose de neuf, de libre et de très personnel.
Il ne prétend pas donner de réponse définitive.
Sa forme même est anarchique et beaucoup de phrases coup de poing sont balancées entre la poire et le fromage, tandis qu’on suit les protagonistes se livrant à des comportements apparemment insensés.
Ce n’est pas une doctrine, bien que personnellement je trouve qu’il devrait remplacer la Bible dans le tiroir de la table de chevet.
C’est quelque chose qui invite à penser par soi-même, et putain Dieu sait que bien peu d’œuvres en sont capables.
Quand on le referme, rien n’est résolu, le monde est toujours aussi merdique dehors, mais plus rien n’a d’importance.
En revanche, tu sens qu’une nouvelle force est en train de monter en toi.
Quand Fight Club change ta vie pour de bon
CELUI QUE JE SUIS AU FIGHT CLUB N’EST PAS QUELQU’UN QUE MON PATRON CONNAIT.
Et l’ado qui lit Fight Club n’est pas celui que ses parents connaissent non plus.
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L’Art et la Conscience
Qu’est-ce que l’art ? A quel moment peut-on parler de véritable création artistique ? Qu’est-ce qui différencie une œuvre qui restera gravée à jamais dans le temps de celle qui ne pourra que divertir puis sombrer dans l’oubli ? Quels sont les mécanismes qui entrent en action dans l’élaboration et l’accueil d’une œuvre d’art ?
Qu’est-ce que l’art ? Quelle est son essence ?
A quel moment peut-on parler de véritable création artistique ?
Qu’est-ce qui différencie une œuvre qui restera gravée à jamais dans le temps de celle qui ne pourra que divertir puis sombrer dans l’oubli ?
Quels sont les mécanismes qui entrent en action dans l’élaboration et l’accueil d’une œuvre d’art ?
Pas facile de répondre à tout ça, et pourtant, que ce soit en tant qu’artiste ou en tant qu’aficionado, il s’agit d’une problématique essentielle, comme le prouvent les nombreux débats qu’elle génère.
J’ai envie d’apporter ma pierre à l’édifice. Voici ma vision.
Étude de l'Art au travers du phénomène de la Conscience : Création et Transcendance
LA DIFFICULTÉ DE DÉFINIR L’ART
L’art a semble t-il une nature indéfinissable, qui échappe sans cesse à tout concept.
Il est le produit d’une intention, celle de l’artiste, mais la dépasse largement quand il touche au sublime et transcende l’assistance.
Il est le résultat d’un ensemble de techniques, étudiées ou apprises en autodidacte, mais la somme de celles-ci ne suffit pas à expliquer les émotions qu’il provoque ni sa capacité à atteindre le Beau.
Il s’adresse à l’intuition, partie primale et souterraine de l’être humain, mais les symboles qu’il manipule sont parfois bien difficile à expliciter, que ce soit pour le créateur ou pour le spectateur, sans pour autant que le message subliminale que ces symboles véhiculent ne perde de sa force.
Il peut être engagé et politique, mais dans ce cas comment se fait-il que son impact aille au-delà d’un certain contexte culturel, et qu’il nous touche encore alors que celui-ci a cessé d’exister ?
La difficulté de le définir vient probablement du fait que l’art s’adresse à l’Homme dans sa totalité, au travers de toutes ses dimensions à la fois. L’intellect, l’émotionnel, l’intuitif, le sensoriel.
Pour qu’une œuvre soit qualifiée d’artistique, elle doit atteindre et toucher de plein fouet l’ensemble du spectre qui constitue l’âme humaine. Ou la conscience.
QUAND LA CONSCIENCE S’IMMISCE DANS LA CRÉATION
Ces notions de conscience et de création nous ramènent inévitablement au concept de Dieu.
L’artiste est-il le dieu de son œuvre, ou un simple démiurge ?
Est-il un vrai créateur qui enfante un monde à partir de rien, ou bien un artisan qui bricole avec ce qu'il trouve ?
La distinction est ténue, et loin d'être évidente. C’est le genre de cas de figure où il y a deux écoles. L’idée serait de tenter de les conjuguer…
Le terme d’artisan est souvent perçu comme péjoratif. Dans l’acception classique, l’art s’oppose justement à l’artisanat, définit comme une production en série, répétitive et sans âme, d’un objet copiable à l’infini et qui ne porte en lui aucun signe de l’âme de son fabricant. L’art au contraire est compris comme quelque chose d’unique, œuvre et non produit, reflétant l’esprit singulier de l'artiste, raison pour laquelle seul lui peut l’engendrer, ce qui la rend impossible à copier.
Si l’on poursuit dans cette optique, l’artiste est donc le dieu de son œuvre, créateur absolu de ce qu’il offre au monde, engendrant tout un univers à partir de rien.
L’ennui, c’est que cette conception ne prend pas du tout en considération l’inspiration elle-même, phénomène mystérieux s’il en est, et présente au contraire l’artiste comme un mécanicien d’enfer, technicien suprême, responsable de tout ce qu’il produit. Père unique et incontesté de son œuvre.
Mais qu’est-ce que l’inspiration ? D’où vient-elle ? A quoi sert-elle ?
Est-elle l’esclave de l'artiste, qui l’aurait si bien muselée et soumise qu’elle lui obéirait entièrement, pour lui offrir ce qu’il aurait décidé, lui ?
Il est parfois difficile pour un artiste d'accepter de ne pas être le seul et unique responsable de son œuvre. Question d’ego probablement. Pas évident de reconnaître qu’on ne possède pas les pleins pouvoirs sur cette chose magnifique qu’on prétend mettre au monde.
Et pourtant. Une œuvre sans inspiration n’est pas une œuvre d’art, tout le monde sera d’accord sur ce point.
La question est maintenant de savoir quelle est la contribution de l’artiste et quelle est celle de l’inspiration dans la création d’une œuvre d’art.
ARTISTE VERSUS INSPIRATION, QUI SOUMET L’AUTRE ?
Dans la littérature, nombre d’auteurs s’insurgent quand il est question des personnages, qui constituent le symbole parfait de la problématique de la création. Certains pensent qu’ils sont sous leur contrôle total, depuis leur naissance jusqu’à la moindre parcelle de leur personnalité, incluant donc leurs actions, tandis que d’autres affirment que ceux-ci font absolument ce qu’ils veulent, apparaissant et s’exprimant comme bon leur semble, et qu’en tant qu’auteurs, ils ont parfois du mal à les suivre, ces fichus personnages.
Si on remplace le concept de personnage par celui d’œuvre en général, on arrive au cœur du problème.
Par définition, le souffle de l’inspiration s’apparente à une grâce divine provenant d’en-haut, incontrôlable et pourtant hautement désirable, qui pénètre et transcende de fond en comble celui qui a l’honneur de la recevoir, en l'emmenant tutoyer les secrets de l’univers afin qu’il puisse les retranscrire dans le monde humain, possédé par une fièvre miraculeuse de créativité.
Socrate parle de muses, Kant de génie, de “talent qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée”.
Peu importe la définition qu’on lui donne. Tous ceux qui ont déjà connu cette grâce et ce vent de folie font état de la même chose : l’inspiration est un phénomène transcendant, sur lequel on n’a aucune prise, et qui va et vient comme il le désire, ce qui l’apparente à une chose gouvernée par une volonté propre et parfois tyrannique, mais qui nous rend capables d’engendrer une œuvre qui surpasse de loin, en qualité, en complexité et en richesse symbolique, tout ce qu’on n’aurait jamais pu inventer seul, par nous-mêmes, en réfléchissant ou en imaginant.
L’ALLIANCE DE L’ARTISTE ET DE L’INSPIRATION, AU TRAVERS DU PHÉNOMÈNE DE LA CONSCIENCE
Selon mon prof de philo du lycée, Ricardo, la conscience, c’est ce qui nous relie à l’universel, indépendamment de notre personnalité et de nos caractéristiques particulières.
Chaque Homme en est (à priori) pourvu, ce qui fait de lui un être libre et responsable. Les lois qu’elle édicte sont valables pour l’ensemble de l’humanité, sans différenciation d’époque ou d’origine. C’est elle qui nous offre le privilège de reconnaître et d’apprécier le Beau. Et dernier point majeur : la conscience est une, et nous connecte les uns aux autres.
Je soutiens que l’art véritable est celui qui provient de et s’adresse à la conscience, telle une boucle qui s’engendre elle-même et naît de sa fin.
Si l’art est le fruit de l’intention de l’artiste, il la dépasse largement, le surprenant lui-même, jusqu’à parfois toucher au sublime, cette chose insensée transcendant toute échelle de comparaison puisqu’elle atteint l’absolu, imposant une sorte d’ouverture, de trouée violente dans l’âme humaine en la confrontant à sa propre insignifiance et en même temps à sa capacité d’être émue par l’infini.
Dans la création, les techniques que l’artiste a apprises ne constituent en rien une finalité. Elles doivent être mises au service de l’inspiration afin de dessiner, de retranscrire, de recréer dans ses moindres détails et avec le plus de précision possible ce que son âme a embrassé durant ces moments uniques de grâce pure.
Seul un être conscient peut appréhender et restituer la véritable beauté qui le transcende et transcendera ceux qui seront en contact avec son œuvre.
L’art est aussi en mesure de s’adresser d’une façon personnelle à l’intuition de chacun, au travers de symboles universels et d’archétypes que l’artiste a déterrés sans le vouloir grâce à son intuition souvent très aiguisée, reliée à la conscience, seule dimension de lui-même qui peut réellement parler à l’intuition des autres.
Enfin, l’art peut être engagé sans que ce soit réducteur, bien au contraire, car ce qu’il exprime au sujet de la condition humaine est valable partout, tout le temps, depuis toujours, même s’il se sert d’un contexte particulier pour envoyer son message. L’art véritable ira bien au-delà d’une époque ou d’une crise politique, parce qu’il évoque l’être humain dans toute sa complexité, qu’il s’agisse de ses souffrances, de ses luttes, ou de sa beauté.
Selon moi, l’art, c’est la transcendance, ni plus, ni moins.