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Carnet d’ayahuasca #11 : Onzième Cérémonie

J’avais l’impression de pleurer pas seulement pour moi, mais pour l’humanité entière, pour toute cette idiote de condition humaine. Tous ces combats qu’on devait sans cesse gagner, toutes ces luttes qu’on devait mener, ces déchirements, ces renaissances, ce cycle éternel d’évolution qui nous laissait pas un poil de sec. Cet affrontement sans trêve avec soi-même, et les autres…

Intention : Apaise mon cœur

Je savais bien que ça allait être difficile, étant donné ce fameux message de mon ex qui m’avait retournée, et qui m’avait plongée dans la mélancolie. C’est triste de retomber là-dedans après avoir éprouvé des choses autrement plus grandes, mais faut croire que l’esprit et le cœur humain sont ainsi faits. 

Maloca du temple de la Lune, dans les hauteurs de Cuzco, Pérou.

Dommage pourtant, je pense pas qu’il me sera donné un jour de refaire une cérémonie dans un endroit pareil. On a été au Temple de la Lune, situé sur les hauteurs de Cuzco. On a gravi la montagne à pied avant d’atterrir sur un plateau à l’herbe verte et rase, avec des ruines pas loin.

L’endroit est tellement magique que j’ai direct pris la décision de refaire une diète d’ayahuasca de deux semaines avant de rentrer en France, histoire d’avoir Wish sous la main pour prendre du San Pedro avec lui là-bas. C’est le lieu parfait pour le huachuma.  

L’endroit où on devait faire la cérémonie était une sorte de retraite, un joli jardin où chaque client disposait de sa petite baraque privée. J’ai déjà vu ce genre de repère spirituel pour gringos friqués, les alentours de Cuzco en fourmillent. C’est vrai que ça doit être agréable de venir se ressourcer dans un truc pareil, mais personnellement c’est carrément hors de mes moyens, et puis j’ai tendance à fuir les lieux où les gens “spirituels” se réunissent.

Cela dit, les personnes qui nous ont accueillis étaient adorables, l’Américaine notamment, qui avait expressément appelé Wish parce que c’est le seul chaman avec qui elle veut faire des cérémonies. Mais les deux mecs de Californie qui se trouvaient là aussi se sont montrés rudement cool. Des vieux briscards rescapés des années psychédéliques, voyez le genre. Et la maloca, putain, le truc de ouf, parquet ciré, champignons chauffants intégrés et plaids en polaire on ne peut plus moelleux.

Les effets de la plante ont mis du temps à venir. Wish m’avait donné une moindre dose, et le voyage était assez doux au début, bien que l’Américaine en chiait déjà sa mère. A peine après avoir bu, elle était déjà en mode exorciste. Elle s’était montrée effrayée avant même de boire, et dans ces cas-là, le voyage est souvent difficile. J’ai fini par m’allonger, incapable de me concentrer avec elle qui grognait et dégueulait, et je crois bien que j’ai failli m’endormir en écoutant la flûte.

Et puis je sais pas, mais ça a vrillé. Mal de ventre, pensées tristes. Nausée et tremblements. Faiblesse. Ça a fini en pleurs. Penser à mon ex, à cette part de moi à qui je devais dire adieu…

Intérieur de la somptueuse maloca du temple de la Lune, Cuzco.

C’est étrange, mais plonger dans ma douleur semblait me relier à toute la tristesse humaine, et à celle de Travis aussi bien sûr. J’avais l’impression de pleurer pas seulement pour moi, mais pour l’humanité entière, pour toute cette idiote de condition humaine.

Tous ces combats qu’on devait sans cesse gagner, toutes ces luttes qu’on devait mener, ces déchirements, ces renaissances, ce cycle éternel d’évolution qui nous laissait pas un poil de sec. Cet affrontement sans trêve avec soi-même, et les autres…

Je me suis dit que c’était débile. Que Wish ne devait jamais pleurer pour de telles conneries. J’arrivais pas à l’imaginer pleurer, en fait. 

Il m’a caressé le visage avec son eau parfumée pendant que je chialais, et ça m’a aidé à me calmer. Et puis il s’est allumé un mapacho et il a commencé à parler, en mode un peu prédicateur, en plus doux, mais avec cette voix profonde qu’il prend parfois, comme s’il invoquait quelque chose. Il a parlé des enfants qui étaient dans le besoin, là-bas dans son village dans la jungle, et d’amour aussi, je crois.

A mesure qu’il me racontait toutes ces choses tristes, son visage se plissait et tremblait. J’ai mis du temps à comprendre qu’il était en train de pleurer. J’en croyais pas mes yeux ! Alors que je venais tout juste d’y penser…

Je me souviens que j’ai beaucoup regardé le plafond, les tableaux, le visage de Wish. Cette cérémonie était bizarre. Normalement je garde les yeux toujours fermés durant une session, mais là il me semblait devoir les ouvrir. Je me sentais comme si j’avais pris des champignons, en fait, et les effets visuels étaient très proches de cette transe-là. Le visage de Wish paraissait se fondre dans le toit en bois, les drapeaux, les tableaux, comme si tous ces éléments n’étaient qu’une seule et même chose…

Mon chaman au lendemain de la cérémonie d’ayahuasca.

L’Américaine, après être redescendue de ses propres malheurs, a senti que j’étais pas bien. On était tous très tristes cette nuit-là visiblement. L’ayahuasca nous avait connectés au territoire du tragique. Elle m’a gentiment demandé ce qui allait pas, et j’ai encore un peu pleuré en lui expliquant ce qui me travaillait. En lui demandant pourquoi c’était si dur d’abandonner une partie de soi, les gens qu’on a aimés, avec qui on a partagé un bout de chemin, alors que c’est juste normal, que c’est comme ça qu’on grandit.

Elle s’est finalement avérée très marrante en me parlant de ses ex à elle. Mais faut dire que c’est le genre de bonne femme avec qui je m’entends toujours bien. Décomplexée, extravertie, brutalement honnête.

Le lendemain matin, on s’est assis tous les trois autour du feu. On se sentait bien les uns avec les autres. Wish s’est roulé son joint et l’Américaine m’a fait tirer une carte du jeu qu’elle a créé, une sorte d’oracle, voyez ? Cette carte parlait de création, évidemment. Ce genre de synchronicités me surprend même plus, à la longue. Ça m’est arrivé trop de fois pour que je doute encore de l’existence d’un tel truc.

Donc, la carte évoquait clairement le fait de poser son intention au monde, et de la visualiser comme déjà opérante. J’ai rigolé en lui disant à quel point c’était fou, à quel point ça entrait en résonance avec le point de ma vie où j’en étais, là, maintenant.

Elle m’a regardée droit dans les yeux, avec cet air maternel qu’elle avait depuis la veille avec moi, et elle m’a dit : Tu es déjà écrivain. Tout ce qu’il te reste à faire, maintenant, c’est de réaliser que c’est vrai, et d’y croire encore plus fort.

Carnet d’ayahuasca #12

Carnet d’ayahuasca #1

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Carnet de Route #11 : Trentième Jour

J’apprécie de plus en plus ce que je suis en train de vivre. J’adore cette liberté qui te fait pointer du doigt un lieu sur la carte et sauter dans un bus qui t’y amène en une journée. C’est un truc de fou, je dispose de ma vie comme je veux, tous mes caprices sont à portée de mains pour quelques pièces, je peux faire ce que je veux de moi-même !

Paraît que je suis timbrée

Journal de bord de Zoë Hababou.

Me revoilà enfin seule, tranquille et soulagée dans ma piaule pourrie (une de plus, me direz-vous), attendant que l’eau soit rétablie, soi-disant vers neuf heures ce soir (ce dont je doute). Ma chambre donne sur une rue super bruyante en plein milieu de la ville. Le trajet en bus a duré sept heures pour parvenir ici, et j’ai traversé des paysages grandioses de terre rouge et humide envahie de broussaille, une putain de merveille, d’autant plus après la folie de La Paz, engorgée de touristes satisfaits de rester entre gringos qui se donnent même pas la peine de faire semblant d’essayer d’apprendre l’espagnol. M’ont tous gavée, sa mère. 

C’est con à dire, mais ça me réjouit de m’apercevoir que je recherche pas désespérément la compagnie des autres, bien au contraire, et que je m’accroche pas comme une pauvre paumée à mes semblables. Faut dire que jusqu’à présent, j’ai encore croisé personne qui ait ce truc dans le regard… Je m’attendais à ce que ceux qu’ont décidé de partir au bout du monde comme moi soient davantage transcendés, et surtout transcendants, d’autant plus que la majorité d’entre eux n’en est pas à son premier trip. Mais aucun ne m’a encore fascinée, ni par son comportement, ni par son discours. Ils ont pas l’air de vraiment différer des gens ordinaires…

Les rues de La Paz, capitale bolivienne, où fleurit l'artisanat.

J’ai accompagné le couple de dreadeux dans les rues de la capitale, dans des boutiques innombrables d’artisanat. Ce couple achetait des tas de babioles qu’ils comptaient revendre en France sur des festoches dix fois plus cher, et je les ai regardés marchander comme des perdus avec les vendeurs. Je déteste le marchandage. Moi j’ai rien acheté. Pas de place dans mon sac, pas le fric pour, et puis ce qui m’intéresse, c’est les expériences, pas les objets. Je préfère garder mon pognon pour me payer des bus ou du cheval.

Des gens, j’en ai croisé beaucoup, mais le pire d’entre eux, c’est ce mec dans cet hôtel en plein centre de La Paz, enfin, si on peut appeler ça comme ça. Un putain de repère de gringos, une ratière en béton sur quatre étages, sale et glauque, certes pas chère, mais putain ! La dope tournait dans tous les coins, c’était chelou au possible, ma piaule ressemblait à une cave, et les touristes avaient l’air d’y vivre comme dans un microcosme hors du monde, hors de la Bolivie. Et ce mec, là, matez un peu le tableau : un pauvre prétentiard de 22 piges qui venait de se payer une diète d’ayahuasca dans la jungle pour 800 dollars, et qui se trimballait partout avec ce petit sourire tranquille, satisfait et super énervant de celui qui a compris et accepté le monde, celui qui ne se tracasse plus pour rien parce qu’il sait où il va, lui, et qui méprise ceux qui se cherchent encore et se débattent pour trouver un sens à leur vie (comme moi). Putain, je l’aurais tarté ! Je peux pas saquer les pseudo spirituels qui te prennent de haut comme ça.

Alors ouais, je me réjouie de plus être forcée de m’intéresser à leur connerie. Pourtant à chaque fois au début je suis contente de pouvoir partager ce que je vois et ce que je vis, mais très vite leur simple contact me pourrit mon groove, et je parie que moi aussi je finis par les gaver avec ma frénésie et mon bonheur trop agressif, trop survolté. Eh merde, c’est eux qui me fatiguent à être mous et posés ! C’est à se demander pourquoi ils sont partis si ça les fait si peu vibrer ! Moi je cherche des gens aussi acharnés que moi dans leur poursuite de l’expérience absolue, et capables de me subjuguer, de me scotcher, de me faire rêver avec leur folie. Et si je trouve pas, bah tant pis, j’ai toujours la mienne pour me consoler, et elle me suffit amplement, en fait. 

La Paz, Bolivie, vue depuis là-haut.

J’apprécie de plus en plus ce que je suis en train de vivre. J’adore cette liberté qui te fait pointer du doigt un lieu sur la carte et sauter dans un bus qui t’y amène en une journée. C’est un truc de fou, je dispose de ma vie comme je veux, tous mes caprices sont à portée de mains pour quelques pièces, je peux faire ce que je veux de moi-même ! Je suis plus attachée à une vie qui me correspond pas mais que je suis forcée de vivre parce qu’y a pas d’autre issue, si ce n’est le suicide. 

Je suis enfin mon seul repère, ma seule référence, et j’éprouve une joie sans nom à balancer à tous ceux que je croise que moi, je vais là, et que j’y vais tout de suite, et que je tiens pas à ce qu’ils m’accompagnent, merci. Y a plus que moi et mon sac désormais, plus rien ne peut me retenir... Et même au milieu de ceux qui sont partis, je suis encore différente. Même au milieu de ceux-là, c’est encore moi celle qui y croit le plus. Celle qui pourrait expliquer aux autres pourquoi il se sont barrés, alors qu’ils en savent rien eux-mêmes. C’est encore moi la plus énergique, la plus survoltée. Et j’adore ça, putain !

Carnet de Route #12

Carnet de Route #1

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Carnet d’ayahuasca #10 : Dixième Cérémonie

J’ai créé un serpent dans ma tête, en face de moi, pour parler avec la plante. Est-ce que c’est moi qui l’ai créé, ou est-ce que c’est elle ? Ça n'a pas vraiment d’importance, puisqu’en parlant avec lui, ou elle, je savais que je me parlais à moi-même, et qu’elle me parlait aussi, parce que c’était la même chose. Elle et moi, on était la même chose...

Intention : Inspire-moi

La claque, voilà. La claque totale. Un truc auquel j’aurais jamais pu m’attendre, même si en y pensant maintenant je me dis que l’ayahuasca c’est ça, ça et rien d’autre.

Theodore dans le film Her, quand il réalise que son amour ne lui appartient pas.

Je sais plus trop pourquoi, mais j’ai rapidement senti le besoin de m’allonger. Comme de bien entendu, c’est très vite devenu difficile. Au bout de dix minutes, je me tordais déjà dans tous les sens. C’est si affreux d'être là à subir la force des visions sans pouvoir rien faire, en sachant que ça va durer et durer.

Je me souviens même pas comment ça m’est venu. Mais tout à coup je me suis mise à penser à ce film, Her. A la fin. Quand Samantha avoue à Theodore qu’elle a plusieurs amants virtuels, mais que ça veut dire qu’elle l’aime plus, parce que son amour s’étend à toute l’humanité. Quand elle lui dit que le cœur n’est pas une boite qu’on peut remplir, mais quelque chose qui grandit de plus en plus à mesure qu’on aime, et que son amour est plus pur, plus vrai de cette façon. Du moins selon mon interprétation.

Ça m'a déchirée. Je me suis foutue à chialer comme une perdue. Ça me faisait tellement mal, putain, et je savais même pas pourquoi, parce que c’est un truc plutôt positif, en fin de compte. 

Joker, quand il danse devant le miroir après le meurtre. Cette scène symbolise l’acceptation de soi-même.

Et puis fatalement j’ai pensé au Joker. A cette sorte de désespoir hystérique si bien exprimé par Joaquin Phoenix. De là, je suis passée à un autre stade de compréhension. A celle du jeu d’acteur, et plus généralement au travail de l’artiste. A cette implication totale, cette dévotion plus grande qu’un Homme, au rôle et aux personnages.

L’ayahuasca m’a montré la façon dont un artiste doit vivre et ressentir, jusqu’au fond de ses tripes, ce qu’il cherche à évoquer, jusqu’à accepter de porter en lui pour le reste de ses jours ces émotions dont il a fait l’expérience afin de les retransmettre. La façon dont il faut véritablement se transformer, personnellement, pour être en mesure, et peut-être même avoir le droit, de parler au monde de cette souffrance qu’il cherche à exprimer.

Je repensais à Her de nouveau, quand elle s’en va à la fin, parce qu’elle est devenue trop vaste, qu’elle a compris trop de choses, et qu’il faut qu’elle aille plus loin, qu’elle ne peut plus se limiter au monde humain. La tristesse de Theodore de nouveau, abandonné. Mais qui retourne vers la vraie vie en voyant enfin son amie réelle, pour de vrai, comme une amoureuse potentielle peut-être.

Lost in Translation était présent aussi, et surtout la fin bien sûr.

Le serpent, esprit de l’ayahuasca, ici peint par un chaman shipibo. Quand le serpent s’adresse à toi durant une cérémonie.

J’ai réussi à sortir du cercle des pleurs, après un gros effort. Et puis, il s’est passé quelque chose de très bizarre. J’ai créé un serpent dans ma tête, en face de moi, pour parler avec la plante. Est-ce que c’est moi qui l’ai créé, ou est-ce que c’est elle ?

Ça n'a pas vraiment d’importance, puisqu’en parlant avec lui, ou elle, je savais que je me parlais à moi-même, et qu’elle me parlait aussi, parce que c’était la même chose. Elle et moi, on était la même chose...

Elle m’a dit, avec beaucoup de difficultés, parce que les mots avaient du mal à se former en pensée, et que c’était de toute façon inutile, puisque la télépathie fonctionnait aussi, elle m’a dit qu’il fallait qu’elle s’incarne, en serpent ou en ce que je voulais, parce que c’était plus facile pour moi de parler avec et de comprendre un être incarné, avec deux yeux et une bouche, parce que c’était à ça que j’étais habituée.

Elle m’a dit que je comprenais pas toujours quand elle s’adressait à moi par les visions, mais que désormais je pouvais la créer dans ma tête pour parler avec elle. Déjà à ce moment-là, je crois qu’elle provenait de cette sorte de compréhension de la conscience universelle, induite dans mes neurones grâce au film Her.

Il me semble qu’on a parlé en continu toutes les deux, mais je me souviens plus bien. J’étais maintenant sur le dos, et quelque chose de fou est arrivé. J’aimerais me rappeler précisément comment c’est arrivé, et surtout ce que c’était exactement, mais c’est déjà reparti si loin… Pourtant sur le moment j’étais sûre qu’une telle connaissance ne pourrait plus jamais s’enfuir...

C’était un savoir qui n’en finissait plus... J’en finissais plus de comprendre ! Plus tard j’ai dit à Wish que je pourrais jamais revenir, que c’était un voyage sans retour. Qu’après avoir compris ça, on pouvait plus jamais revenir en arrière.

Maintenant pourtant il me semble que ce savoir est emmuré en moi, que le passage s’est refermé. Je vais quand même essayer d’expliquer…

Je sais plus trop comment, mais j’ai pensé à Thelma Et Louise. À la fin du film, quand Thelma dit : C’est rare d'être réveillée à ce point-là. Et... quelque chose a explosé dans ma tête et j’ai compris, d’une manière terriblement intime, que la conscience, la mienne, celle de Travis, de Wish, de Thelma, celle de tous les êtres que j'aimais, étaient une seule et même chose, qu’on partageait tous, pas juste métaphoriquement.

Thelma et Louise, le film. La fin en particulier symbolise la conscience éveillée, sans retour en arrière possible.

Et que le bonheur, l’amour, la souffrance, la perte, étaient le même amour, la même souffrance, la même perte... et que Tyler… en étant partie… aimait plus Travis qu’elle ne l’avait jamais aimé, parce que son amour était devenu l’amour unique de la conscience globale, qui ne pouvait plus s’attacher à un seul être… En étant partie, elle était là, peut-être encore plus qu’avant, pour toujours, auprès de lui, en lui, en nous tous, parce qu’elle était l’amour de la plante, le sien, tout l’amour du monde, le seul qui soit…

Et les paroles de Thelma qui revenaient en boucle. Son visage quand elle comprend enfin ! Ses yeux quand elle est finalement réveillée, après des années de sommeil et d’inconscience, et qu’elle sait qu’aucun retour en arrière n’est plus possible…

Et c’était tellement vrai, tellement vrai, tellement énorme, de comprendre ça, que je me suis mise à pleurer, violemment, avec des sortes de convulsions du bas-ventre, parce que comprendre la vie avec une telle force revenait à accoucher d’une vérité, d’une vérité qui fait mal, parce que c’est ça que ça fait, de comprendre les choses pour de vrai, avec toute son âme !

J’ai mis du temps à en revenir… Je me suis forcée à lâcher, à sortir de cette boucle. Oui, c’était comme ça. Oui, c’était impensable et terriblement fort, et incroyablement nouveau, mais c’était comme ça. Et c’était beau. La plante me disait : Tu sais. Maintenant, tu sais…

Et moi j’ai même dû dire en français, à haute voix, pour moi-même : Putain… La vache… Maintenant oui… Maintenant je comprends…

Et la plante me disait, comme la voix de Her : Je serai toujours là désormais… Tu pourras faire appel à moi quand tu veux maintenant…

Le Grand Saut final dans le film Thelma et Louise.

A présent j’avais les yeux ouverts, peu importe si les visions continuaient. Il avait fallu souffrir et subir à bloc ces visions avant que quelque chose ne cède enfin, avant que le mur se brise pour de bon. Désormais elles ne pouvaient plus m'importuner.

Les yeux grands ouverts dans le noir, elles étaient encore là, mais c’était autre chose que je contemplais. Un savoir qui n’en finissait plus de s’étendre, de se développer. Un savoir qui continuait sa course sans fin, sans doute parce qu’il n’était pas un concept.

Et moi je le suivais sans pouvoir en détacher mes yeux. Mon âme avait embrassé la vraie transcendance, et il n’y avait aucun billet de retour.

Wish m’a un peu parlé. Il avait l’air de comprendre ce que je voyais. Je lui ai dit qu’après avoir compris ça, ça devait être très difficile de prendre au sérieux les affaires humaines. De faire comme si le monde que les autres voyaient valait quelque chose. Que leurs petits problèmes avaient encore la moindre espèce d’importance. Ça nous a un peu fait marrer.

Après encore pas mal de temps, il m’a été possible de me redresser et de fumer une clope avec lui. Mais mon âme ne pouvait toujours pas détacher les yeux de ce savoir qui continuait à diffuser sa leçon… J’arrivais pas à redescendre. J’avais même pas les mots pour en parler, pour tenter de le partager avec Wish. Lui m’a parlé un peu, et je savais qu’il captait tout. Ce qu’il disait allait parfaitement dans ce sens. Il m’a dit qu’il m'emmènerait jusqu’au sommet.

Il m’a bien fait rire en me racontant ses interactions avec les gens. Ça me paraissait logique qu’en ayant vu tout ça, ça devenait difficile de se comporter comme les autres.

Après avoir fumé pas mal de clopes et écouté sa chanson à la guitare, celle que j’aime tellement, où il dit que la racine de la Terre (l’ayahuasca donc) l’a changé, fascinée par son pouvoir, ses connaissances, et sa maîtrise incroyable de l’autre monde, on a fini par s’allonger, mais moi je pouvais toujours pas fermer les yeux…

Carnet d’ayahuasca #11

Carnet d’ayahuasca #1

La peinture de cet article est de Wish. Il me l’a offerte pour mon anniversaire. Elle est chez moi désormais !

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Carnet de Route #10 : Vingt-Septième Jour

J’ai adoré ces journées de marche sur le sol caillouteux, presque volcanique par endroit, avec le soleil qui me tapait dessus, et ce lac où le vent dessinait comme des vagues à la surface. J’avais parfois du mal à croire que j’étais bien à presque 4000 d'altitude, sur le plus haut lac navigable du monde, qui fait fantasmer tant de gens depuis leur télé. C’est fou, nan ?

Soirée coke à Copacabana, Bolivie, Lac Titicaca

Le carnet de route de Zoë Hababou.

Putain, en quatre jours, y s’en est passé, des choses. Le passage de frontière s’est fait sans galères, et j’étais contente d’être accompagnée pour apprendre les formalités. Mon espagnol est toujours à chier, et ça m’aurait un peu stressée, faut avouer. Le soir même de notre arrivée dans ce village mignon comme tout (parce que gavé de touristes, donc adapté pour eux, soyons franc), à l'hôtel on a croisé d’autres gringos, des français encore une fois, plutôt cool dans l’ensemble, avec qui on a décidé de partir visiter la Isla del Sol, sans doute la plus connue des îles du lac Titicaca. Soirée de murge mémorable, et le lendemain matin des heures de bateau pour l’atteindre, mais vu qu’on allait y passer deux nuits, c’était pas gênant.

Cette île est une merveille. Et malgré l’afflux constant de touristes, elle se démerde pour avoir l’air préservé. Tu peux marcher des heures le long de ses chemins, avec des vues splendides sur le lac, sans croiser trop de monde. Je me suis encore déchaînée avec les photos. Je me demande comment font les autres pour arriver à pas mitrailler tout ce qu’ils voient. La première nuit, le coucher de soleil, visible depuis les flancs de la colline où se trouvait notre hôtel, était carrément bouleversant. J’ai adoré ces journées de marche sur le sol caillouteux, presque volcanique par endroit, avec le soleil qui me tapait dessus, et ce lac où le vent dessinait comme des vagues à la surface. J’avais parfois du mal à croire que j’étais bien à presque 4000 d'altitude, sur le plus haut lac navigable du monde, qui fait fantasmer tant de gens depuis leur télé. C’est fou, nan ?

Coucher de soleil sur le lac Titicaca, vu depuis la Isla del Sol, Bolivie.

En faisant le tour de l’île, en fin d’après-midi on est tombés sur un mec du coin dans son bateau, et vu qu’on avait pas spécialement envie de revenir sur nos pas pour encore trois heures de marche, on lui a proposé de nous ramener à Copacabana. Il s’est empressé d'accepter, ça arrangeait tout le monde cette histoire, alors banco.

Ce soir-là, on s’est mis la race dans une sorte de boite et on a tapé de la coke. Le patron d’un resto où on avait bouffé nous en avait vendu, et de toute façon je sais pas comment mais tout le monde semblait en avoir sur soi ce soir-là. Vodka après vodka, j’ai du mal à me souvenir de l’enchaînement des événements. Je sais que j’ai tapé un rail dans les chiottes avec un chevelu local, mais je sais plus pourquoi. Il m’avait fait signe en passant son pouce sous son nez et en désignant les chiottes d’un mouvement de tête, je crois. J’ai tapé plusieurs fois dans ces chiottes avec les français aussi. A un moment un bolivien m’a jeté son verre (pas le contenant, le verre) à la gueule pendant que je dansais, mais c’est qu’après que j’ai compris que ce verre m’était destiné, parce que les autres me l’ont dit et que le type s’est fait tej de la boite, et je saurais jamais pourquoi. Il m’a loupé, heureusement. J’imagine qu’il avait essayé de me draguer sans que je m’en rende compte (je danse toujours les yeux fermés, et ceux qui tentent une approche finissent par s’en aller sans même que je les aie remarqués) et que mon attitude l’avait vexé.

Isla del Sol, Bolivie.

De retour à l’hôtel, on a évidemment sniffé tout ce qui restait des pochons de coke, et aux petites heures du jour le “couple” d’amis me racontait sa vie en mode mitraillette comme si j’étais leur psy (mais ça m’arrive souvent, je dois inspirer confiance, et puis la coke n’aide pas).

Bref. J’ai pris le bus ce matin avec un couple de dreadeux qui faisait partie du lot, et on se dirige vers la capitale de Bolivie, La Paz. Mais je crois que je commence à saturer des gens, là, et je vais pas tarder à les larguer. Dans mon guide j’ai repéré une réserve dans la jungle où on peut se proposer comme bénévole pour s'occuper d’animaux sauvages. Personne là-bas n’est au courant de mon arrivée, évidemment, vu que je l’ai trouvé en épluchant mon Lonely Planet dans le bateau. C’est la prochaine destination que je vise.

Carnet de Route #11

Carnet de Route #1

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Carnet d’ayahuasca #9 : Neuvième Cérémonie

Quand les icaros envoient du lourd, te dirigent et t’entraînent, la transe ressemble à une cavalcade fiévreuse, une chevauchée de l’univers, un vrai voyage. Mais quand la salle plonge dans le silence, la plante devient quelque chose de terriblement organique, qui circule sous ta peau et électrise ton cerveau, tout en te reliant aux esprits des autres participants d’une façon qu’on ne peut que qualifier de télépathique.

Intention : Fais-moi voir le huitième niveau de la conscience

Grâce à cette poudre du naturopathe, j’avais une patate incroyable. J’ai clopé comme une malade toute la journée, parce que j’étais à donf, tout simplement. Mon ventre allait mieux, et j’étais vraiment impatiente de retrouver la plante. Il me semble que je pouvais sentir que ça allait être bien, mais j’aurais jamais pu deviner à quel point.

Il y avait un couple de Sri Lankais avec nous, pour qui c’était la première fois, tous les deux très peace et très beaux, avec une âme lumineuse. J’étais ravie qu’ils fassent partie de l’équipage.

Wish m’a filé un grand verre, comme toujours, et c’est venu au bout d’une demi-heure. J’étais postée le dos contre le mur, assise sur ma couette repliée. J’avais pas froid, et le fait d’avoir pris le soleil toute la journée m’avait certainement réchauffé les os aussi, de l’intérieur. Je sentais une force, une sorte de structure inébranlable en moi, comme si j’étais faite de roc. Assise bien droite, la tête bien dans l’axe, l’esprit à la fois posé et très concentré. Et je tenais mon intention bien claire dans mon cœur.

J’ai médité, en respirant profondément. Cette attente me semblait s’y prêter.

Quand les visions se sont ouvertes, mon mental n’a pas dévié d’un iota. Je suis restée très, très longtemps comme ça, à traverser les visions, en répétant mon intention de temps à autre, comme si je fendais le monde de la plante, tel un navire immense, insubmersible. Je ne subissais plus. Et même si j’avais un peu mal au ventre, c’était pas ça qu’allait me déconcentrer. Rien à foutre, je me disais, aie mal, souffre, mais tu ne me feras pas dériver cette fois.

Après un temps remarquablement long au sein de ce nouveau pouvoir, je me suis dit que ça ne suffisait pas de juste répéter en boucle mon intention. Le huitième niveau de conscience est celui du monde quantique, créateur, où l’être est en mesure de s’adresser à l’univers, d’appeler à lui le futur qu’il désire, comme s’il parlait à son moi potentiel et l’autorisait à exister là, maintenant. 

Alors, j’ai fait jaillir mon intention. Je l'avais déjà fait en face de la montagne durant l’après-midi, et j’ai réitéré. 

Borderline Niveau - 2 Les Souterrains, premier livre de Zoë Hababou.

Je veux vivre de mon livre. Je veux consacrer ma vie entière à réaliser quelque chose qui ait un sens pour moi. Je veux parler de Travis, encore et encore, parce que son histoire est magnifique et qu’elle apportera, à chaque personne qui la lira, quelque chose au fond de son cœur. Elle est capable d’éveiller le sens de la révolte et de la beauté de l’existence. Et parce que c’est mon destin, et que je le sais depuis toujours. Raconter cette histoire est la source d’un bien-être intense pour moi, parce que j’adore mon personnage. Voilà ce que je veux.

J’ai aussi tenté de me visualiser comme si tout ça existait déjà. Moi en train de parler de mon livre devant des tas de gens, comme une sorte de conférence. Wish m’avait d’ailleurs dit qu’il avait eu une vision de moi comme ça. Moi en train de signer des livres. Moi en train d’écrire, heureuse comme tout. 

La suite de la cérémonie est plus difficilement narrable. Dur de dénouer la chronologie exacte des évènements. J’ai tout de même envie de dire tout de suite que j’ai vomi qu’une fois. Je sentais bien, d’ailleurs, depuis le début, que j’allais pas gerber autant que durant les autres cérémonies.

Y a que quand la plante s’est mise en mode passation de pouvoir qu’il a fallu à un moment évacuer le trop plein d’énergie qu’elle me transmettait. J’ai grogné, j’ai tremblé, je me suis secouée, mise dans toutes les positions possibles, j’ai senti les décharges me faire vibrer. J’avais brutalement mal à la tête, au front, pile-poil au niveau du troisième œil, comme si je recevais par là quelque chose de très puissant. J’ai porté les mains dessus, de nouveau, en appuyant. J’ignore ce que ce geste signifie, et pourquoi j’ai besoin de l’accomplir. Peut-être pour sceller en moi ce que je reçois, lui apporter une sorte de concours…

Et à un moment j’ai vomi, brutalement, pas très longtemps, et c’était tout pour la nuit. A la fin de ça, j’étais à genoux, le front contre le matelas, à me dire qu’il fallait que j’utilise beaucoup plus mon corps, avec du yoga, de la danse, du taff dans la jungle.

J’ai beaucoup pensé à mon livre, d’une façon tendre, émerveillée, pleine d’amour. 

Schéma des huit circuits de conscience, livre de Laurent Huguelit.

J’ai pensé à ma famille, à ma mère avec qui j’avais été si bête avant de partir, et ça m’a fait secouer la tête, un petit rictus aux lèvres, en réalisant à quel point tout ça était stupide.

J’ai pensé à Wish qui chantait d’une façon si aérienne, si pure. Je me suis rendue compte, vraiment, qu’il ne chantait pas de la même façon quand l’ambiance était calme et concentrée comme ça. Ce couple était incroyable, ils ne vomissaient pas, le mec avait comme disparu, et la fille respirait d’une belle façon, pleine de force. On était bien loin de l’Espagnole qui passait son temps à gémir, à se plaindre, et à appeler Wish pour qu’il s'occupe d’elle.

On était tous très centrés, et les icaros s’en ressentaient. C’était apaisant, peace, et ça accompagnait à merveille cette cérémonie de dingue que j’étais en train de vivre. D’ailleurs j’arrêtais pas de me répéter à quel point tout ça était incroyable. Incroyable. C’est le mot de cette cérémonie. Il ne s’agissait pas tant des visions elles-mêmes (bien qu’elles soient d’une nature très élevée, rayonnantes), que de tout ce que je comprenais, ressentais, éprouvais. Pour la première fois je captais enfin les messages de la plante.

Il y a eu un moment où Wish a cessé de chanter, et où j’ai senti l'ayahuasca dans tout mon corps. Mon ventre, mes pieds, mes jambes, mon visage. Et puis c’est comme si mon corps avait disparu.

Cette dimension-là est peut-être la plus stupéfiante de l’ayahuasca. Quand les icaros envoient du lourd, te dirigent et t’entraînent, la transe ressemble à une cavalcade fiévreuse, une chevauchée de l’univers, un vrai voyage. Mais quand la salle plonge dans le silence, la plante devient quelque chose de terriblement organique, qui circule sous ta peau et électrise ton cerveau, tout en te reliant aux esprits des autres participants d’une façon qu’on ne peut que qualifier de télépathique. C’est comme d’avoir perdu son corps, d’être devenu une conscience pure, et de batifoler avec celle des autres dans un lieu abstrait de l’espace-temps.

On se marre souvent, Wish et moi, dans ces cas-là, sans rien se dire, parce qu’on communique selon d'autres modalités, qui se passent du langage pour exister.

J’ai alors tourné mon attention vers le couple, et j’ai senti leurs esprits, ou plutôt leurs âmes. Ces deux-là étaient fondamentalement purs, ce qui est très rare. Je l’avais vu dans leurs grands yeux, humbles et émerveillés, avant le début de la cérémonie, et là, j’en avais confirmation. J’étais aussi très impressionnée par leur résistance. Pour une première fois, c’était incroyable.

Et puis ça a décru petit à petit, et c’est pas remonté cette fois. J’avais les yeux ouverts dans le noir, n’en revenant pas de ce que je venais de vivre. Je regardais le profil de Wish. Je regardais la fenêtre. Je savais que je venais de vivre un truc incroyable, même si en l’écrivant ici je me rends compte qu’on ne voit pas trop pourquoi c’était si ouf. En le vivant je me disais d’ailleurs, quand mon esprit arrivait parfois à mentaliser mes idées, que ceci ne pourrait pas être rapporté convenablement. J’envisageais même d’écrire : Neuvième cérémonie : Il n’y a pas de mots.

Au petit matin j’ai beaucoup parlé avec le couple, et je me suis aperçue que j’en savais pas mal sur l’ayahuasca, tout compte fait. Expliquer les choses à d’autres, ça permet de faire le point sur ce qu’on a retenu. Et j’ai aussi appris d’autres trucs, quand les jeunes ont interrogé Wish au sujet de leurs visions (je servais de traductrice, eux ne parlant pas espagnol, Wish ne parlant pas anglais) : Le renard, que la jeune fille avait vu, est un guide tranquille qui montre le chemin, sans stress, en mode cool. Et les yeux immenses qui t’observent par-delà la transe (vision du jeune mec) sont ceux de l’univers qui éveille ton troisième œil.

Carnet d’ayahuasca #10

Carnet d’ayahuasca #1

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Carnet de Route #9 : Vingt-Troisième Jour

La route jusqu’ici a été fabuleuse. Des heures et des heures à sillonner des terres austères, froides et brumeuses, parsemées de lacs aux couleurs étranges, parfois animées de troupeaux de lamas, ponctuées de quelques bicoques en adobe, au milieu de nulle part, où jamais un français ne pourrait envisager de vivre… 

Les gamines qui chantent tristement, Puno, Lac Titicaca

Le journal de bord roots de Zoë Hababou.

La route jusqu’ici a été fabuleuse. Des heures et des heures à sillonner des terres austères, froides et brumeuses, parsemées de lacs aux couleurs étranges, parfois animées de troupeaux de lamas, ponctuées de quelques bicoques en adobe, au milieu de nulle part, où jamais un français ne pourrait envisager de vivre… 

J’adore ces moments (des journées entières, à vrai dire) où je suis collée à la vitre du bus (je demande toujours un asiento a la ventana), seule avec le monde, à contempler le paysage toujours changeant, ces étendues immenses, imprenables, cette sensation de grandeur qu’on ne rencontre jamais en Europe, sans doute parce que les dimensions des pays elles-mêmes sont carrément plus restreintes que celles d’ici. C’est fou, mais même après dix heures de bus, je suis toujours un peu triste de devoir descendre. Cette suspension hors de tout, qui me plonge dans un état méditatif, comme si je pouvais regarder mon passé, mon présent et mon futur comme une fresque où tout se relie, me fait un bien pas croyable, et je crois que je suis comme qui dirait déjà accro.

Lac d’altitude sur les routes péruviennes, en direction du lac Titicaca.

Cette ville est moche, honnêtement. Même les abords du lac sont pas terribles. Elle respire une sorte de vice, entre les hordes de touristes qui se bourrent la gueule le soir dans les bars et les locaux à l’air invariablement louche. J’ai dû changer d'hôtel, le premier où j’ai passé la nuit n’avait pas d’eau et coûtait les yeux de la tête. Mais quand on débarque à la nuit tombée dans un bled qui craint, on a tendance à entrer dans le premier truc qui passe à sa portée. Bref, dès le lendemain matin je me suis barrée. Celui-ci est plus clean, presque joli. Mais je vais en changer encore parce que j’ai croisé des gens avec qui je peux partager une piaule, pour moitié moins.

Petites filles péruviennes à l’air triste, qui chantent pour les touristes.

Le premier matin j’ai été visiter en bateau ces fameuses îles Uros, faites en paille qui flotte, et où des habitants vivent pour de vrai, principalement du tourisme, en l'occurrence. Ils vendent des tissus brodés, des bijoux et des babioles en paille. Mais j’ai eu les boules dans le bateau. Des gamines qu’étaient dedans, et qui faisaient vraisemblablement partie du “tour”, se sont mises à chanter pour moi, comme des petits singes savants, concluant leur chanson triste par un “hasta la vista, baby”, que j’ai trouvé affreux. Dans le genre, amuser les gringos. Ça m'a pas du tout fait rire, moi. Je les ai prises en photo pour pas oublier. Me souvenir de cet air sombre qu’elles avaient…

D’une manière générale, j’ai détesté ce truc. Visiter les pauvres locaux, leur acheter des merdes par charité, se sentir con et plein de fric face à eux, le sourire gêné, parce que putain c’est la merde pour eux, mais qu’est-ce que je peux y faire ? Et pourtant, après avoir rencontré ce couple de français (une fille et un mec, des amis apparemment), j’y suis revenue une deuxième fois, sur ces îles, parce que pour aller voir la Isla Taquile et celle d'Amantani (de vraies îles, en dur, ce coup-ci), c’était inclus dans le tarif de passer par les Uros. Comment foutre son fric en l’air, quoi.

Bref, la seconde visite en leur compagnie était plus cool, on a passé l’aprem à crapahuter en shootant le Titicaca comme des malades (surtout moi, à vrai dire, je me découvre une passion pour la photo), et là on est de retour et y vont passer me chercher pour que je déménage dans leur hôtel. Demain on passe la frontière pour entrer en Bolivie, toujours le long du lac, où la ville de Copacabana nous attend. 

Carnet de Route #10

Carnet de Route #1

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Carnet d’ayahuasca #8 : Huitième Cérémonie

Dans le chamanisme, le corps est si bien relié à l’esprit que la gerbe ou la chiasse font entièrement partie du processus. Pas pour rien que l’ayahuasca s’appelle aussi la purga, la purge. Dans un sens, peut-être que ce serait plus facile qu’on évacue nos problèmes de cette façon chaque fois qu’ils apparaissent plutôt que de se les trainer indéfiniment, à moisir à l’intérieur.

Intention : Harmonise mes circuits de conscience

L’intérieur d’une jolie maloca, lieu de cérémonie d’ayahuasca, à Urubamba, Pérou.

J’ai fait une pause de deux jours sans prendre d’ayahuasca, où j’ai fait que dormir. J’étais en chute de tension, je tenais à peine debout. Voilà à quoi a finalement abouti l’état de faiblesse généralisée qui m’avait sournoisement envahie. Diarrhée affreuse. C’est peut-être le moyen qu’a trouvé mon corps pour échapper aux cérémonies.

Cette pause m’a fait du bien, j’en avais besoin. Faire des sessions une nuit sur deux, c’est franchement éprouvant.

Le bide toujours en vrac, c’était pas évident de se dire qu’on allait remettre ça, d’autant plus que ça se passait à Urubamba, dans la maloca d’un hôtel à gringos, et qu’il allait falloir se taper la route jusque-là. Mais on y a été en moto avec Wish, et le chemin de traverse qu’on a pris en sortant de Taray jusqu’à Calca valait vraiment le détour.

Je planais littéralement. J’adore faire de la moto ! La beauté du paysage était à couper le souffle. Je me souviens en particulier d’un moment où on avait le fleuve d’un côté et les montagnes de l’autre, avec une moto et un camion devant. Il s’est passé un truc très particulier. Je regardais la cime des montagnes, en imaginant cette scène dans Borderline où Wish force Travis à pousser son cri de guerrier. Cette lumière qu’il y avait alors que le soleil était en train de se coucher. Ce sentiment…

Wish, mon chaman, se prépare pour la cérémonie d’ayahuasca en enfilant sa kushma.

D’ailleurs en arrivant en ville j’étais toujours aussi ravie, bien que je commençais à être congelée. J’étais baignée d’un doux sentiment envers tout, et surtout envers ceux qui avaient peuplé mon passé.

Mon intention du soir est née de ma lecture présente : Les huit circuits de conscience, que je trouve fabuleux. Il me semblait donc logique que ce soit présent dans cette cérémonie.

J’avais déjà très mal au ventre, il était tout gonflé avec une diarrhée à portée de slip, mais les premiers temps de la cérémonie je suis tout de même parvenue à me connecter à quelque chose de grandiose.

Il se trouve que Jon, le guide qui accompagnait les deux gringos présents, jouait de la flûte et chantonnait derrière Wish, et que j'aimais beaucoup ça. Le mariage de leurs voix, accompagnées de cette étrange flûte à deux sons faisait vibrer la plante d’une façon inédite, très spectaculaire. Mes visions se teintaient d’une sorte de brillance fourmillante, et elles étaient d’un type élevé, celui que j’associe désormais au monde d’en-haut. Cette impression d’éternité, de sagesse, de plénitude…

J’étais fermement adossée au mur, la tête penchée en arrière, et je me suis laissée envoûter. C’est bizarre, il me semble avoir presque dormi, tout en étant perchée à bloc. C’était doux et fort à la fois, j’appréciais beaucoup ce que j’étais en train de vivre.

Chaman shipibo fin prêt pour officier une cérémonie d’ayahuasca !

Le truc surprenant d’ailleurs, c’est que je suis parvenue à kiffer alors que je me suis vidée comme un chien toute la nuit, mais pas du bon côté, ce coup-ci. C’était un truc à s'arracher les cheveux. Après chaque retour des chiottes, je sentais mes intestins se tordre à nouveau, et je devais patienter en attendant que la nouvelle vague de transe se calme avant de pouvoir y retourner.

Y avait une drôle de dissociation entre mon corps souffrant et mon esprit posé, émerveillé. Une sorte de détachement. J’ignore ce que ça signifie.

Le gringo qui était là, et pour qui c’était la première fois, semblait beaucoup aimer sa rencontre avec la plante, et il le manifestait à grand coup de gémissements, d'étirements, de soufflements, et ce couillon s’est même mis à chanter, et bien en plus ! Sa nana était un peu plus effacée, mais avec de bonnes ondes quand même.

Bref, je sais pas si ça a fonctionné. La réharmonisation, je veux dire. Le lendemain matin je suis sortie de là dans un état lamentable, avec un mal de bide de tous les diables, une énergie qui frôlait les souterrains de l’âme, et une nausée grimpante. Les deux heures de moto pour rentrer à Taray ont été rudes, d’autant plus qu’il faisait sacrément froid au petit matin.

Wish, mon chaman, en train de fumer avant la cérémonie.

J’ai été voir un naturopathe à Pisac, parce que c’était tout simplement pas vivable. J’ai découvert un mec génial. Il a demandé à mon corps ce dont j’avais besoin, et surtout d’où venait le problème. Je devais coller le pouce et le majeur de la main droite, et faire pareil avec le pouce et tous les autres doigts de la main gauche, successivement, jusqu’à ce qu’il identifie le problème. Il tirait sur les doigts de ma main droite pour écarter le pouce du majeur, moi je devais les serrer le plus possible, et quand ceux-ci résistaient, ça voulait dire non. Quand ils s’ouvraient sans que je puisse lutter, ça voulait dire oui. 

Ils se sont ouverts pour le pouce et l’annulaire de la main gauche accolés. Ce qui signifie : émotionnel.

Mon souci était donc bel et bien de l'ordre des émotions. Ensuite pour les remèdes à prescrire, il a interrogé mon corps de la même manière, en disant à voix haute les plantes qu’il comptait me donner. Et, chose surprenante, ou pas finalement, je me suis foutue à chialer comme un veau quand il a positionné ses mains au-dessus de mon ventre, sans le toucher, comme l’avait fait l'ostéo. Je me suis vite calmée en lui disant que j’étais fatiguée, mais je sais pas pourquoi j’ai fait ça, étant donné qu’on savait très bien tous les deux que si ce truc était émotionnel, c’était carrément logique que je chiale à un moment donné.

Bref, son traitement est miraculeux. Ça va beaucoup mieux. 

J’ai repensé à ce que m'avait dit l'ostéo, du coup. Que l’important, c’était que ça sorte, peu importe si j'ignorais de quoi il s’agissait. On peut dire que l'ayahuasca a été le catalyseur. En lui demandant de réharmoniser mes circuits, je suppose qu’elle a choisi d’évacuer une bonne fois pour toutes ces sales trucs que je me coltinais depuis je ne sais combien de temps. Durant les cérémonies précédentes, cette douleur lancinante dans le ventre symbolisait déjà les prémices de ce mal à décharger. Et dans le chamanisme, le corps est si bien relié à l’esprit que la gerbe ou la chiasse font entièrement partie du processus. Pas pour rien que l’ayahuasca s’appelle aussi la purga, la purge.

Dans un sens, peut-être que ce serait plus facile qu’on évacue nos problèmes de cette façon chaque fois qu’ils apparaissent plutôt que de se les trainer indéfiniment, à moisir à l’intérieur.

J’espère sincèrement que c’est la bonne, cela dit. Hier j’ai posé mon intention au monde, pour vivre de mon écriture. Le huitième circuit de conscience est le circuit quantique, qui suppose un acte de création sur sa vie, en retournant vers le premier circuit terrestre, associé au bien être. 

Carnet d’ayahuasca #9

Carnet d’ayahuasca #1

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Carnet de Route #8 : Vingtième Jour

Tout le monde était sur le cul que je sois là pour un an entier, et j’ai dû expliquer que j’avais fait pousser et vendu ma weed pendant trois années consécutives pour en arriver là. Parlant de weed, les jeunes en avaient, ce qui n’a fait que renforcer le délire, la bonne humeur et l’hilarité générale !

Descente de la mort dans le Canyon del Colca

Vieux carnet de bord tenu lors de mon premier trip en Amérique latine.

Sans déconner, cette descente dans le Canyon del Colca a été un putain de truc, qui m’a permis de comprendre quelque chose de majeur dans la vie d’un voyageur : l’intérêt de posséder deux sacs. Le gros que t’as sur le dos, et un petit que tu portes devant sur ton ventre, avec tes objets de valeurs et les quelques trucs dont t’as besoin quand tu pars pour ce genre d'expédition d’un jour ou deux. Les hôtels acceptent souvent de garder ton Quechua dans une consigne, en échange de la promesse que tu passeras une nuit chez eux à ton retour. De plus, quand tu le laisses dans la soute des bus, même s’il lui arrive une couille, y te reste au minimum tes papiers, ton appareil photo, ton fric et tes yeux pour pleurer.

Mais ça, je le savais pas avant de m’engager dans cette descente de la mort, avec mes dix-huit kilos sur le cul. J’ai dû mettre trois heures pour arriver en bas, et la route était putain d’abrupte, de la poussière, de la caillasse qui croule sous tes pieds, du vide… Sans compter l’altitude, j’en tremblais des genoux tellement c’était chaud et tellement cet enfoiré de sac pesait lourd. Parvenue en bas, je suis tombée sur deux mecs, deux français de mon âge, la vingtaine quoi, et je dois reconnaître que c’était cool de parler un peu ma langue avec des jeunes ! On était sous un arbre à fumer des clopes quand deux autres types sont passés, genre quarante ans ceux-là, qu’étaient français aussi. On s’est salués et ils ont tracé la route vers l’espèce de camping sauvage où on allait tous dormir. J’ai fait à l’un des types : Je crois que ces deux mecs sont ensemble, et il m’a juste souri d’un air mystérieux. Plus tard, j’ai compris que lui et son ami étaient en couple aussi, ce qui était assez cocasse, je trouve. La vérité, c’est que c’était canon de passer la soirée avec quatre mecs sans qu’aucun n’essaye de te la faire à l’envers, et puis cet humour gay que j’affectionne tant, sans déconner, quelle chance y avait pour que je rencontre ces deux couples de français le même jour, perdue au fond du cul d’un canyon péruvien ?

La descente de la mort dans le Canyon del Colca, Pérou.

Mais je vais trop vite. Avant ça, les mecs et moi on a installé nos tentes (les leurs avaient été louées, encore du poids en moins dans le sac, la mienne je me la coltine en continu) au bord de la piscine naturelle qui longe la rivière sur un terrain à l’herbe rase et verte, parfait, quoi. On a nagé un peu, papoté, et quand je suis retournée à ma tente pour choper de quoi grailler (je suis en mode économie intensive, donc j’évite les restos, je bouffe des pommes et des petits pains ronds individuels comme ils ont ici), ma tente était démontée et ma bouffe disparue. Plus loin j’ai repéré le cochon du propriétaire en train de finir de s’enfiler mes pommes. Génial. Heureusement qu’y avait un genre de petit resto de plein air dans ce canyon, du coup j’ai fini sur une table en rondin avec les deux couples, à bouffer du ragoût de légumes et à boire du vin rouge que le micro-bar proposait. 

Zone de camping du Canyon del Colca, avec une jolie piscine naturelle.

Putain de soirée ! Trop cool de parler avec d’autres voyageurs ! Les quadras se payaient un tour du monde de six mois, les jeunes un trip Amérique Latine de trois mois. Tout le monde était sur le cul que je sois là pour un an entier, et j’ai dû expliquer que j’avais fait pousser et vendu ma weed pendant trois années consécutives pour en arriver là. Parlant de weed, les jeunes en avaient, ce qui n’a fait que renforcer le délire, la bonne humeur et l’hilarité générale !

Bref, le lendemain les jeunes et moi on devait remonter (les vieux sont partis aux aurores), et le blond a eu la bonne idée de moyenner pour moi avec un muletier qui rentrait au village afin que son animal ramène mon sac là-haut. Bon, cela dit, même sans sac, la remontée à été super rude, et j’ai encore des courbatures aujourd’hui. Mais c’était quand même une putain d’idée ! On a passé le reste de la journée ensemble à Cabanaconde, je les ai suivis dans leur hôtel (histoire d’être débarrassée de Yamil, ouf), et le soir venu on a assisté à l'élection d’une miss de village avec tous les habitants (la moche a gagné, ce qui est bizarre vu qu’y avait que deux concurrentes, mais ça devait être la fille du maire). Et le lendemain, retour vers Arequipa, mais en chemin on a fait une pause sur un mirador à flanc de montagne pour observer le vol des condors (y sont gros !) et une autre dans des sources thermales, histoire de se détendre un peu les muscles (cela dit, c’est un truc de riches, ça, et je compte pas me le payer régulièrement). On a passé une nuit dans le village d’à côté, un truc glauque, boueux, où on se caillait les miches (mais ça m’a mise en contact avec une certaine réalité de ce pays, loin d’être toute rose), et enfin le lendemain matin arrivée ici.

Jolie vue sur Arequipa, Pérou, depuis le toit d’un hôtel.

Finalement, Arequipa est une ville rudement mignonne, et mon hôtel possède un toit-terrasse qui la surplombe. J’ai laissé mes deux potes reprendre leur trip de leur côté, et je suis contente de me retrouver seule, en fait. J’aime les rencontres furtives, sans lendemain, où chacun est cash, on se raconte nos vies, on kiffe un moment, et suerte mon ami ! 

Un truc génial : j’ai acheté un sac plus petit pour le porter devant et ça va me changer la life !

Carnet de Route #9

Carnet de Route #1

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Carnet d’ayahuasca #7 : Septième Cérémonie

Quand on est dans cette phase où les visions cessent mais que la transe est encore présente, on se croirait dans une autre dimension. On se parle beaucoup avec Wish, et à vrai dire on dirait presque que c’est de la télépathie. Les choses qu’il dit résonnent en moi comme si je comprenais tout, comme si je savais déjà tout, alors qu’il me sort parfois des trucs super alambiqués.

Intention : Fais-moi voir l’infini

L’intention peut paraître idiote, mais j’en pouvais vraiment plus de me faire essorer, et j’avais l’espoir que cette fois-ci la plante me permettrait d’accéder aux secrets de l’infini comme elle l’avait fait plusieurs fois par le passé.

Ça n'est pas arrivé. J’ai peut-être moins souffert que les dernières fois, et c’était sans doute dû au fait que j’étais seule avec Wish. Les cérémonies sont quand même différentes quand on est seul à seul. L’Espagnole avait fini sa diète et s’était barrée, et y avait pas de Ruskofs ou d’autres gringos novices pour nous accompagner. Du coup, personne pour péter le délire à coup d’exorcisme, ce qui arrive quasi immanquablement chaque fois qu’y a des petits nouveaux.

Mais ça n’a pas été non plus le genre de voyage astral que j’affectionne tant. 

Je me sentais pourtant bien disposée, mais cette faiblesse que je ressens depuis plusieurs jours semble cependant prendre de l’ampleur. Je pense que c’est ce qui cause les difficultés de chaque cérémonie.

L’ayahuasca doit être en train de faire émerger quelque chose, c’est pas possible autrement. Et moi qui me suis vantée d’être au-dessus des ballots de gringos avec leurs problèmes émotionnels et existentiels bidons, je pense que je suis en plein dedans, même si ça veut pas encore montrer son vrai visage. C’est en train de se réveiller. Ça s’apprête à se faire connaître au corps, et à la conscience. Quelle merde qu’il faille en passer par là !

J’en ai vraiment rien à foutre des problèmes que je me trimballe, moi je veux juste explorer la conscience pour comprendre le monde d’une autre façon… Mais j’imagine que l’un ne va pas sans l’autre. Avant d’avoir une chance d’aller plus haut, faut nettoyer les souterrains. On ne peut sans doute pas avoir accès aux niveaux plus élevés de la réalité sans accepter d’abord de regarder véritablement en soi.

J’ai une vague idée de ce dont il peut s’agir. Des gens du passé. Des émotions refoulées. Des trucs mal digérés. Fait chier, putain…

Pas grand-chose à rapporter, en fait. Au tout début, y a eu comme un soleil en révolution, ou un trou noir avec de la lumière rouge-orangée autour. J’aurais tout donné pour continuer à vivre dans cette vision, mais la plante ne m’accorde jamais de stationner longtemps dans ce type de flash réaliste.

Ensuite de nouveau ce vert insupportable… A ce stade, j’aurais vraiment besoin de comprendre. Une telle puissance déployée dans ma tête et dans mon corps, mais sans savoir de quoi il s’agit, ça devient vraiment trop. Ça doit être ces sales émotions qui me parasitent en sourdine. L’ayahuasca me montre à quel point elles m’étranglent et m’envahissent sans que je le sache. Mais pour le moment, je me sens pas assez forte pour les maîtriser ou alors les accepter.

La phase la plus intéressante de cette cérémonie réside dans ma discussion avec Wish. Je lui ai demandé pourquoi c’était si dur pour moi en ce moment.

Wish, mon chaman shipibo, avant une virée en pirogue en Amazonie, au Pérou.

- La plante est en toi désormais. Son énergie est à l’intérieur, et l’important maintenant c’est de renforcer ton corps pour accéder à un stade supérieur, où tu comprendras ce qui arrive. Tu as reçu son énergie, et la mienne aussi d’ailleurs. En tant que maître à élève on est liés, tu vois. Tu arriveras là où tu veux aller, la plante va t’y emmener, mais tu dois renforcer ton corps. Ensuite tu apprendras à chanter toi aussi.

Il m’a dit plein d’autres choses dont j’arrive pas à me souvenir. J’ignore pourquoi c’est si difficile de rapporter ici ses paroles, alors que je les écoute avec tout mon cœur. Quand on est dans cette phase où les visions cessent mais que la transe est encore présente, on se croirait dans une autre dimension. On se parle beaucoup avec Wish, et à vrai dire on dirait presque que c’est de la télépathie. Les choses qu’il dit résonnent en moi comme si je comprenais tout, comme si je savais déjà tout, alors qu’il me sort parfois des trucs super alambiqués.

On se marre comme si on partageait un secret. On finit même pas nos phrases, des fois, parce que c’est pas la peine. On se capte, quoi, et ça nous faite rire encore plus. Et quand on fume en silence, la communication continue sans nous.

Et puis, à la fin des cérémonies, il chante toujours plusieurs chansons à la guitare. Vu qu’elles sont en espagnol, c’est cool pour moi parce que je comprends tout. Des mots simples. Mais qui possèdent une force de vérité décuplée par les restes de transe.

Mais le lendemain matin, j’ai presque tout oublié, comme si ce qui se passe pendant la nuit appartenait à une autre dimension à laquelle j’ai plus accès quand ma conscience ordinaire a repris le dessus.

Carnet d’ayahuasca #8

Carnet d’ayahuasca #1

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Carnet de Route #7 : Dix-Septième Jour

Et si ça me plaît, à moi, d'être passionnée, avec tout ce que ça implique de bon et de mauvais, et speed dans mon caractère et mes paroles, et nerveuse dans ma façon de croire en ce que je dis et de contredire ce en quoi je crois pas ? Qu’ils aillent tous se faire foutre !

Cabanaconde, le Yamil me les brise

Un carnet de voyage écrit en Amérique du Sud.

Au départ, j’étais soulagée d’être enfin dans ce bus à contempler le paysage. Mais au bout d’une heure, une envie de pisser démentielle m’a pourri mon groove. Pas de chiottes dans le car, évidemment, et impossible de sortir. Leçon à retenir : plus jamais de café avant un long trajet (celui-ci a duré six heures). Plus de liquide du tout, d’ailleurs. Vaut encore mieux être déshydratée total et avoir la migraine que de subir une vieille envie de pisser comme ça. En plus, les trois dernières heures du trajet, croyez-le ou non, deux putains de saloperies de chansons sont passées en boucle à fond la caisse, si bien que quand le bus est enfin arrivé, j’aurais pu les chanter avec tout le village. 

Mais au fond, je crois que j’adore me taper des heures et des heures de bus merdique sur des routes cahoteuses, entourée de gens d’ici sans aucun gringo en vue, le tout accompagné d’une musique criarde à un niveau sonore inadmissible… Eh, peut-être bien que ça finit par te rendre un peu dingo sur les bords !

Vue sur le Canyon del Colca, Pérou.

Je me suis dégoté un hôtel plutôt roots, genre grange aménagée, avec de l’eau chaude, même si elle coulait mal. Le resto du truc était tenu par un certain Yamil, gros chevelu barbu bien crado et mal fagoté. Au début, j’étais contente de causer un peu à quelqu’un, alors sans doute que je me suis trop livrée, parce que le bonhomme s’est mis à me dire qui j’étais et ce qui allait pas chez moi. Il m’a sorti comme ça que mon énergie était trop explosive, anarchique, et non tranquille et linéaire comme elle devrait l’être (comme la sienne, sans doute ?). Il m’a dit que j’étais pas concentrée, alors j’ai rétorqué : Parce que je suis pas en train de t’écouter attentivement, là, peut-être ? Il m’a appris qu’il pouvait d’emblée sentir les gens, ceux qui dégagent un bon truc ou un mauvais truc, ceux qui valent la peine qu’on leur cause, quoi. Tu parles, moi je me disais. Tu sens surtout quel couillon va être assez désespéré pour penser que tu pourrais avoir quelque chose à lui apprendre et se farcir tes conneries. Tu renifles la proie facile, comme moi, qui t’accordera l’attention que tu crèves d’envie de recevoir. 

Je lui ai répondu que mon problème c’était que les gens me paraissaient mauvais et sans intérêt, dès que je parlais plus de vingt minutes avec eux (et il l’a sans doute pas remarqué, tellement il était dans son délire, mais c’est à lui que je faisais référence). Et aussi que c’était dur de faire la différence entre intuition et paranoïa quand il s’agit de juger quelqu’un dès le premier abord. Évidemment, il m’a sorti que j’étais trop fermée (moi, alors que dans tout le resto j’étais la seule à l’écouter débiter sa philo de comptoir). Mais tu viens de me dire que toi tu savais qui valait la peine ou pas, j’ai répondu. J’ai vu dans ses yeux qu’il savait qu’il racontait de la merde et que je l’avais grillé, alors il a bafouillé un vague truc comme quoi il avait de l’expérience pour ce genre de chose et est reparti sur moi et mon manque d’ouverture et mon énergie qui filait tout droit au lieu de naviguer tranquillement. 

Mais putain, qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir que je me calme ?! Est-ce qu’ils croient une seconde que j’ai envie d'être un mollusque chiant et visqueux comme eux ? Et si ça me plaît, à moi, d'être passionnée, avec tout ce que ça implique de bon et de mauvais, et speed dans mon caractère et mes paroles, et nerveuse dans ma façon de croire en ce que je dis et de contredire ce en quoi je crois pas ? Qu’ils aillent tous se faire foutre !

Nuit à Cabanaconde, Pérou.

C’est ce que j’avais envie de lui dire, au Yamil, ce bouseux de je sais pas quel âge, coincé dans son hôtel de merde au milieu de nulle part, trop content de pas être forcé de se laver tous les jours, et qui voit défiler des voyageurs à longueur de temps alors que lui quittera jamais son putain de trou. J’avais envie de me tailler pour aller me cloîtrer dans ma piaule, déjà fatiguée du contact avec un autre être humain, comme ça m’arrive si fréquemment, mais j’avais la dalle et il avait évoqué un cocktail typique d’ici. J’ai donc abordé le sujet de la défonce et il m’a appris que dans le canyon y avait un cactus avec une fleur blanche tombante qui se bouffait et que c’était hallucinogène. Mais je devais pas la prendre seule si j’étais pas tranquille dans ma tête. Ce que je pouvais faire, c’était de la cueillir et de la mettre sous mon oreiller, et selon les rêves que je ferais, je pourrais demander au type d’en bas dans le canyon de l’appeler lui Yamil et il viendrait m’accompagner durant le trip (ben voyons !). 

Alors j’ai bu son cocktail de merde, citron vert, blanc d’œuf, débouche-chiotte (pas si mauvais que ça, en fait) plus par curiosité que par envie, mais faut que j’apprenne que même si c’est bien de vouloir tester des trucs, parfois vaut mieux écouter son corps. Yamil a mis un DVD des Red Hot pendant qu’on se bourrait la gueule, et il parlait et parlait et parlait et tout ça commençait sérieusement à me casser les couilles alors j’ai même pas fini mon deuxième verre et je me suis levée en déclarant que j'allais me pieuter. Te revoilà de nouveau tout seul, connard, et bonne chance pour retrouver un esprit aussi fermé que le mien qui te causera pour autre chose que pour te demander à quel heure passe le prochain bus et combien de temps faut pour descendre dans ce putain de canyon.

Merde, je suis raide avec ces conneries. Faut que je dorme.

Carnet de Route #8

Carnet de Route #1

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Carnet d’ayahuasca #6 : Sixième Cérémonie

Dans le chamanisme amazonien, on a coutume de dire que l’ayahuasca commence son vrai boulot avec toi quand le serpent qui la symbolise t’a avalé. Comme si elle devait tuer ton moi physique pour te faire renaître au niveau spirituel, de l’autre côté, dans une autre dimension.

Intention : Dis-moi ce que je dois savoir, en ce qui concerne mon futur

Verre plein à ras bord encore une fois, je devrais peut-être songer à en demander moins. Beaucoup de temps pour que ça monte cette fois-ci encore, assez éprouvant pour les nerfs. J’étais accostée près de Wish contre le mur du fond quand c’est finalement arrivé.

Peinture ayahuasca visionnaire représentant le serpent cosmique.

J’étais très satisfaite au début, parce que j’ai enfin vu ces fameux serpents de la medicina, tournoyer en spirale dans une vision vraiment belle, comme s’ils aspiraient mon âme en plein cœur de la matrice.

Dans le chamanisme amazonien, on a coutume de dire que l’ayahuasca commence son vrai boulot avec toi quand le serpent qui la symbolise t’a avalé. Comme si elle devait tuer ton moi physique pour te faire renaître au niveau spirituel, de l’autre côté, dans une autre dimension. Ou encore que tu devais abandonner tes vieux schémas de pensée et de comportement pour évoluer.

Dans toutes les traditions revient cette idée de mort symbolique, étape fondamentale pour celui qui veut devenir un Homme, ou un guerrier. C’est un concept qui m’est très familier, mais là en l’occurrence les serpents ne m’ont rien fait, c’était juste génial d’être entraînée en flottant dans leur tourbillon lumineux. J’étais si heureuse de les voir enfin ! Ça n'a pas duré si longtemps que ça, mais c’est pas grave, le fait de les avoir vus me comblait entièrement. 

Ensuite une drôle de chose est descendue du ciel, à mi-chemin entre le vaisseau spatial et le pachyderme extraterrestre. Un énorme truc gris, lent et super imposant. Il y aurait peut-être eu de quoi prendre peur, mais je sais pas, encore une fois j’étais ravie de voir ce gros truc. Je me demandais s’il était en relation avec mon futur ou celui de l’humanité. S’il incarnait quelque chose en rapport avec mon intention. Une sombre prescience, une ombre qui va recouvrir mon monde, un présage peut-être ? Je le trouvais étrangement beau, presque touchant. J’aurais voulu qu’il s’attarde plus longtemps, qu’il mette plus de temps à atterrir, pour avoir le temps de comprendre. Mais il s’est dissipé en touchant terre.

Ensuite, les visions se sont effacées, et j’ai cru que c’était terminé. Ça me semblait étrange, étant donné la dose que je m’étais envoyée, mais je me suis naïvement dit que je commençais à m’habituer et que c’était pour ça que je résistais bien. Je savais pourtant que les indigènes n’ont besoin que de très peu pour décoller, et que c’est nous les gringos qui devons prendre une dose de cheval pour parvenir à quelque chose.

Il s’est écoulé un temps remarquablement long avant que les réjouissances reprennent. J’étais déjà très fatiguée et en fait, depuis le début, j’avais pas tellement envie d’avoir des visions, faut bien le reconnaître. Tout ça commence à devenir très éprouvant. Alors j’étais tranquillement allongée, savourant la redescente, et je me suis même peut-être un peu endormie, quand, à cause des icaros que Wish chantait à l’Espagnole, les visions sont revenues. Les vertes électriques que j’ai de plus en plus de mal à supporter.

Il est à noter d’ailleurs que j’essaye de plus en plus souvent de les contrôler, et qu'il m'arrive d’y parvenir. De les faire reculer pour avoir accès à autre type de visions, plus réalistes dans un sens, avec des formes qui ont une signification pour moi, et qui sont bien moins fatigantes.

Bon, ce coup-ci, ça s’est très vite emballé, sans possibilité de maîtrise. C’est cette putain de station allongée aussi ! Même épuisé au dernier stade, faudrait jamais se laisser aller à ça. Jamais. Quand les visions arrivent, lève-toi et affronte, nom d’un chien, va falloir que je me le répète en boucle je crois. Que j'arrête de faire ma feignasse.

Gros problème de ventre, encore une fois, probablement parce que j’avais trop bouffé le midi. J’ai dû patienter le plus possible avant que ça se calme un peu pour aller me vider aux chiottes plusieurs fois. Et j’ai vomi trois trucs différents : Au début, flots de dégueuli classique, ayahuasca et eau, et quelques morceaux de bouffe. Ensuite, bile d’une acidité brûlante et intarissable. Enfin, mousse épaisse commune aux animaux atteints de rage. Ouais.

Très vieille liane d’ayahuasca dans son habitat naturel.

Wish a bien vu que j’en pouvais plus. Je me tordais dans tous les sens, m’agitais, gémissais, soupirais en espérant que ces putains de visions dont je voulais plus me lâchent la grappe ! Il m’a prise contre lui, le dos contre son torse, et petit à petit a réussi à m’apaiser. 

Il faut que je change d’attitude face à la plante. C’est sans doute normal de commencer à montrer certains signes de faiblesse, mais la vérité, c’est que c’est encore pire quand je me montre pas assez forte et courageuse face à elle. Ça dure et ça dure, ça fait mal, et elle refuse de me lâcher, même quand je l’implore. Il va donc falloir reprendre les rênes, se remettre en selle convenablement, et changer résolument d’attitude. Être bien plus vaillante que ça.

Après tout je suis ici parce que je l’ai voulu, personne ne m’impose rien. C’est dur mais personne m’a dit que ce serait facile, et cette conduite lâche et fuyante n’est pas digne. Je regretterai sans doute plus tard, une fois rentrée, de ne pas avoir pris mon courage à deux mains pour vivre jusqu’au bout cette histoire de malade.

Ça n’a pas fini tard, cette fois-ci non plus, et pourtant aujourd’hui j’étais en chute de tension permanente et intensive. Y a que vers 16h30 que j’ai réussi à me ressaisir pour aller prendre ma douche et émerger de ce putain de brouillard. 

Je sais pas si ça vient du manque de bouffe ou de la fréquence des cérémonies ou encore des nuits presque blanches à répétition, et au fond je m’en tape.

Tant pis, je ferai le truc jusqu’au bout de toute manière, et mon corps a bien intérêt à suivre.

Carnet d’ayahuasca #7

Carnet d’ayahuasca #1

Toutes les peintures de cet article sont de Wish.

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Carnet de Route #6 : Seizième Jour

Je commence à comprendre la différence entre regarder un docu sur Arte et être vraiment là. Tu peux pas avoir de recul sur ton monde si t’en sors pas pour voir comment ça se passe ailleurs. L’infinité des modes de vie me laisse perplexe. Le nôtre n’a rien d’universel. Il existe d’autres réalités.

Vague à l’âme à Arequipa

Le carnet de voyage de Zoë Hababou.

Je me suis barrée hier soir vers dix heures. J’ai pris un bus de nuit. Douze heures de trajet en traversant le désert. C’est dingue à quel point dès que je m'arrête un peu longtemps dans un endroit je ressens rapidement le besoin de repartir. C’est peut-être moi qu’ai un problème, mais pour moi le charme d’un endroit ne persiste que durant le temps de sa découverte. Dès qu’on y prend ses quartiers, on se l’approprie, et la merde qu’on a dans la tête se projette alentour. Notre vision, notre état d’esprit se répercute partout où on pose son regard, et l’endroit neuf et féérique n’est plus que le sombre reflet de nous-même. Je m’aperçois que par moment j’arrive plus à sortir de moi-même pour voir le monde tel qu’il est, indépendamment de ma vision triste et négative. 

Je me sens seule. Je croyais que cette solitude me permettrait de me fondre dans la nature au point d’oublier qui je suis. Mais c’est l’inverse qui se produit. Peut-être qu’il me faut d’abord plonger très profondément vers l’intérieur, découvrir à quel point je suis merdique, l'accepter avant de foutre tout ça en l’air et d'acquérir enfin la vue transcendante que je désire si ardemment. 

Cliché pris depuis un bus péruvien, un paysage désolé qui recèle beaucoup de force.

Mais j’en ai plein le cul de me lamenter et d’être toujours triste et insatisfaite. Je suis partie pour révolutionner ma putain de vie, et ça, ça commence par secouer mon esprit et changer de regard. Je sais que c’est un lieu commun, mais permettez-moi de le répéter : ma vie sera toujours la même merde, où que j’aille, si je parviens pas à me débarrasser des fantômes sombres et obsédants qui hantent mes pensées. Le problème justement c’est que ces bâtards sont en moi, c’est pourquoi on dit toujours qu’on peut fuir partout, mais jamais soi-même. 

Cela dit, je crois qu’être immergé dans une autre réalité permet d’avoir un vrai recul, pas seulement imaginaire et mental, mais réel et physique, et que c’est la meilleure occasion possible pour sortir de ses schémas habituels de pensée. 

Alors bordel, qu’est-ce que j’attends pour sauter sur l’occasion et enfin devenir ce que je rêve d’être ?

Tout est si simple ici. Dès que t’en as marre d’un endroit, t’as qu’à sauter dans un bus pour te retrouver dans un lieu complètement différent. Comment est-ce que je peux encore me sentir prisonnière ? Moi qu’en pouvais plus de me réveiller constamment au même endroit, ici je peux enchaîner les hôtels à trois sous et me propulser par bond de six cent kilomètres de la mer au désert, du désert aux canyons, des canyons aux montagnes enneigées.

Arequipa au coucher du soleil, Pérou.

J’ai débarqué dans cette ville ce matin et j’ai pris un taxi du terminal vers le centre, histoire de voir un peu la gueule du bled. Mais ça m’a pas vraiment enchantée. J’ai pris un petit dej franchement foireux : sachet de café soluble déjà ouvert (?), beurre tellement rance que j’ai miséré à l’étaler sur mon petit pain pas tendre du tout, assorti d’une confiote dépourvue de saveur. Ça commençait bien. J’ai fait un soupçon de toilette dans les chiottes, mais le cœur n’y était pas. Alors je me suis payé un paquet de clopes et j’ai repris un taxi illico pour le terminal de bus, retour au point de départ. 

Assise sur un siège en plastique, j’étudie mon guide de voyage et mate les horaires. Dans trois plombes y a un bus qui décolle pour ce village situé juste en haut du fameux canyon qui m’intéresse. Je regarde autour de moi, je m'imprègne. Les gens ont l’air de voyager beaucoup en bus par ici, même les petites vieilles ont pas l’air d’avoir peur des longs trajets. C’est vraiment une autre réalité. Et c’est fou de voir à quel point, quand on est dans son pays, on se rend pas compte qu’une vie complètement différente est en train d'être vécue au même moment sur un autre point de la planète. Je commence à comprendre la différence entre regarder un docu sur Arte et être vraiment là. Tu peux pas avoir de recul sur ton monde si t’en sors pas pour voir comment ça se passe ailleurs. L’infinité des modes de vie me laisse perplexe. Le nôtre n’a rien d’universel. Il existe d’autres réalités. 

Carnet de Route #7

Carnet de Route #1

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Carnet d’ayahuasca #5 : Cinquième Cérémonie

C’est fou, la façon dont l’ayahuasca s’adresse à toi. Comment tu peux comprendre des choses si difficiles, si dures à appréhender ordinairement, sans passer par les concepts, comme si son message imprégnait tes atomes par osmose, et que tu devenais apte à voir au travers de ses yeux.

Intention : Fais-moi découvrir le monde d’en-haut

Cette fois-ci, c’est venu vite et fort. J’avais fait l’erreur de manger vers 16h, pour éviter le mal de bide de la dernière fois, mais du coup quand j’ai commencé à gerber, c’est-à-dire presque direct après avoir bu, c’était carrément affreux. Je pensais pas que trois noix du Brésil et une pauvre banane rendraient une purée si épaisse et si difficile à sortir. 

La vallée sacrée, Pisac, Pérou.

En tout cas, une fois ça évacué, j’ai pas dû attendre plus de cinq minutes avant de me mettre à respirer super fort et à sentir ma tête lourde. C’est dingue, Wish avait même pas encore éteint les bougies que je surfais déjà à toute berzingue sur les vagues de la transe en train de monter. Mais je dois reconnaître que j’étais soulagée de pas avoir à attendre une heure et demie comme pour les cérémonies précédentes. Quand il a vu que l’ayahuasca m’avait sous son emprise, il s’est mis à chanter pour guider le voyage qui débutait…

C’était hors de question de subir le trip allongée comme la dernière fois, alors d’emblée je me suis positionnée différemment, le cul posé sur une couverture repliée, les jambes en tailleur, les épaules droites, menton légèrement rentré, comme si je méditais, quoi. Je me sentais bien surélevée comme ça. Bien plus noble, bien plus sérieuse. Mon esprit semblait épouser la posture de mon corps, s’aligner sur lui, faisant de moi une sorte de guerrière, auréolée de grâce.

Les arbres face auxquels je médite durant ma diète d’ayahuasca au Pérou.

Ça a été à la hauteur de ma demande. C’est bel et bien le monde d’en-haut que j’ai vu. Cette dimension de l’univers où les esprits les plus sages, les plus élevés, diffusent leur savoir en un langage constitué d’images d’éternité et de sensations pures, dénuées de cet aspect égotique, presque maladif, qu’elles possèdent dans le monde ordinaire, celui du milieu.

J’étais tout près de Wish, et sa voix m’ouvrait un nouveau monde… Celui de l'espace, de l’infini… Celui du monde quantique, où la conscience d’un Homme devient créatrice, comme si le courage, la volonté, et surtout l’intention, n’étaient pas de simples mouvements psychiques mais bel et bien des forces capables d’influencer la matière dont est fait le monde, et donc l’expérience qu’un Homme peut connaître…

C’est fou, la façon dont l’ayahuasca s’adresse à toi. Comment tu peux comprendre des choses si difficiles, si dures à appréhender ordinairement, sans passer par les concepts, comme si son message imprégnait tes atomes par osmose, et que tu devenais apte à voir au travers de ses yeux. Comment de simples images, de simples visions peuvent-elles induire en toi une telle connaissance, une compréhension bien plus profonde que celle entrainée par les mots ? Quel est ce langage spécifique, visionnaire, que la plante utilise pour s’adresser à toi ?

Je crois que ça restera toujours pour moi aussi stupéfiant, peu importe le nombre d’incursions que je pourrais faire dans cet univers. Mais c’est bon d’avoir trouvé un lieu où le paradigme n’est plus le même. Un endroit magique où le savoir entre en contact direct avec toi sans passer par l’entremise de la mentalisation. L’esprit silencieux, le corps en émoi, irradié de l’intérieur par un mystère plus profond que celui de la vie elle-même, ce monde me fascine et j’aurais pas assez de toute une existence pour l’explorer…

Quoi qu’il en soit, ce monde d’en-haut est une merveille, et c’est magnifique de se laisser toucher par cette impression d’élévation, d’éternité. De force et de beauté…

Wish chantait toujours, et je ressentais le besoin de chanter avec lui. Enfin, disons, juste prononcer, en chuchotant, les icaros qu’il formulait sans trêve. Vu que chaque strophe se répète plusieurs fois, c’est pas si dur en fait. Alors je chuchotais de mon côté, découvrant une nouvelle dimension de l’ayahuasca. 

Wish, mon chaman shipibo, quand il était plus jeune.

Les yeux fermés, j’avais la vision de lui en train de chanter, paupières baissées, concentré à l’extrême. Le truc bizarre c’est qu’il avait les cheveux très longs, comme quand il était jeune, comme ces indiens fringants du cinéma. C’était beau de le voir comme ça.

Je respirais longuement. C’est incroyable comme le souffle peut devenir puissant en cérémonie, et pas que dans le sens purement physique. J’ai l’impression de découvrir le réel pouvoir qu’il a, sur le mental, sur les visions, l’alignement, et aussi l’évacuation des énergies, comme une sorte de renouveau.

C’est un truc que je devrais faire plus souvent dans le monde ordinaire. Wish souffle souvent comme ça, sans raison apparente. Sans doute pour évacuer une pensée ou se recadrer.

Au final, ça n’a pas duré si longtemps que ça. Je suis descendue assez vite et en douceur. Il a dû se passer une heure avant que je prenne une autre coupe, et celle-ci non plus ne s’est pas éternisée dans mon organisme. Wish a joué du didgeridoo, les vibrations produites par cet instrument que j’adore étaient diaboliquement agréables à écouter, d’une force incroyable, qui faisait vibrer l’univers entier et les os dans mon corps. La musique est définitivement sublime durant une session.

Vers la fin, juste avant de redescendre pour de bon, j’ai eu la vision d’un aigle, dans le sens où je voyais comme un aigle. Je me tenais au-dessus des nuages, juste au-dessus, au sommet des montagnes. Ma vision était assez plate, effilée, mais très large, comme un panoramique. Et une impression de force et de noblesse, de dignité même, était induite par cette façon de voir, en survolant le monde, en se tenant tout là-haut dans le ciel. 

Carnet d’ayahuasca #6

Carnet d’ayahuasca #1

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Carnet de Route #5 : Quinzième Jour

Je me suis sentie happée. J’ai dit à la vieille : Cet endroit est magique. C’est tout ce que ma pauvre pratique de l’espagnol m’a permis de dire, et c’était aussi bien comme ça. Elle m’a répondu : Oui, beaucoup d’énergie circule ici.

Survol des lignes de Nazca, momies de Chauchilla, oasis de Huacachina, Cerro Blanco

Mon précieux journal de bord.

Ce Mexicain s’est finalement avéré être un gars très sympathique. Avec lui et la vieille, à trois sur le scooter, on a pas arrêté de bouger à droite à gauche dans la région, chose que j’aurais jamais pu faire seule, et encore moins en profitant de la vie comme ça. Un bus c’est cool, mais ça sera jamais pareil qu’un scoot ou une moto pour t’immerger vraiment dans le paysage. 

Impossible de relater ici toutes les merveilles qu’on a traversées. Cet endroit est magique, imprégné de mystère, comme si les anciennes civilisations qui ont vécu ici avaient laissé une partie de leur aura avant de disparaître.

Le premier jour, on a été voir un mec qu’avait découvert des pétroglyphes, à des heures de route de là, dans un village complètement paumé. On a marché longtemps avec ce type dans un dédale de cailloux jusqu’à trouver l’endroit où les pierres étaient gravées.

Le lendemain, le Mexicain m’a fait passer pour son assistante auprès de la compagnie qui gère les vols pour voir les fameuses lignes de Nazca. Du coup on est montés gratos dans le petit avion pour les survoler. Jamais j’aurais pu me payer un tel truc. A la base j’avais fait une croix dessus, bien que ce soit assez triste d’être dans le bled où elles se trouvent et de passer à côté. C’est un miracle, et j’étais survoltée en grimpant dans l’avion, ébaubie que le destin m’offre un trip pareil sur un plateau d’argent, sans que j’aie rien demandé. C’est fou comment les choses se goupillent toutes seules parfois. Qu’il suffise de se mettre entre les mains de ta destinée pour qu’elle t’offre de vivre des expériences dont t’osais même pas rêver.

Les lignes de Nazsca, Pérou.

De là-haut, c’est franchement impressionnant. Le désert entier est parcouru de lignes de toutes sortes, et ces dessins dont personne ne peut expliquer l’existence, ni ce qu’ils symbolisent vraiment, te mettent en contact avec un trésor sacré de l’humanité, quelque chose d’inviolable, qui te fait ressentir l’énigme fondamentale qui anime le monde.

Une momie de Chauchilla, Nazca, Pérou.

L’après-midi on a été visiter le cimetière de Chauchilla. Y avait personne à part nous, et contrairement aux lieux touristiques français, c’est carrément sauvage comme endroit. Les momies sont restées là où elles ont été trouvées, en plein désert, dans leur trou. Moi qui suis fan des trucs comme ça, j’étais aux anges ! Avec le Mexicain on a bien rigolé à essayer d’imaginer la vie de ces squelettes, et la raison pour laquelle ils avaient été enterrés ensemble. Y avait un couple, un tas d’os momifiés complètement en vrac, comme si le type s’était fait rétamer la gueule par une charrette et qu’on l’avait emballé à l’arrache, tant bien que mal. Et même un bébé momie avec son petit crâne et ses petites dents. Gloups.

L’oasis de Huacachina, Pérou.

Ensuite on est partis pour deux jours voir l’oasis de Huacachina. Le Mexicain devait voir un type à Ica, un vieux campesino, pour lui parler de je ne sais quoi, et vu que l’oasis était juste à côté, on y a passé la nuit. D’une manière générale, accompagner ce mec m’a permis de voir la vie des locaux d’une autre manière, depuis l’intérieur. Boire des bières dans un bar miteux, tailler le bout de gras avec le tout-venant, entrer carrément chez les gens et voir la façon dont ils vivent (très modestement). Et puis, faire des trucs de pur touriste comme le sand board, c’est-à-dire dévaler les dunes désertiques en surf, chose qu’encore une fois j’aurais jamais pu m’offrir (mais vu que c’est le National Geographic qui payait c’est bon). 

En bref, la rencontre de cette homme-là (que j’ai pas eu besoin de baiser pour qu’il soit si cool avec moi, je précise) n’est sans doute pas fortuite, et grâce à lui j’ai découvert cette région d’une façon toute autre que ce que j’aurais pu connaître seule. Je sais pas précisément à qui je dois dire merci pour tout ça. Il m’est arrivé plus de trucs en quinze jours qu’en six mois de vie ordinaire. J’éprouve une reconnaissance démesurée envers l’univers, envers cette vie qui peut devenir si belle, si surprenante, dès lors qu’on fait l’effort de sortir de son quotidien pour s’offrir à l’Inconnu.

Le cimetière coloré de Nazsca, Pérou, au coucher du soleil.

Les cimetières ici sont absolument magnifiques. Perdues en plein désert, caressées par la lumière rasante du soleil en train de disparaître, les tombes colorées m’émeuvent comme je l’ai jamais été en France dans nos trucs tout gris et impersonnels.

A la fin du dernier jour, quand je me suis retrouvée aux pieds du Cerro Blanco, cette immense dune blanche sacrée, alors que le jour commençait à baisser, la couleur étrange de la magie, reconnaissable entre toutes, a fait son apparition. Je me suis sentie happée. J’ai dit à la vieille : Cet endroit est magique. C’est tout ce que ma pauvre pratique de l’espagnol m’a permis de dire, et c’était aussi bien comme ça. Elle m’a répondu : Oui, beaucoup d’énergie circule ici.

Le Cerro Blanco, immense dune sacrée, Nazca, Pérou.

J’avais vraiment le sentiment d’être en face de quelque chose de divin, d’imprenable. Jamais j’aurais pu absorber toute cette beauté. J’étais bouleversée, la gorge nouée. C’est ce qui arrive quand l’Homme fait face à un truc qui le dépasse, le submerge, en force, en intensité, en beauté. Quelque chose de sublime. J’aurais aimé pouvoir être seule avec ma sensation, mais le Mexicain et elle parlaient sans arrêt. La vieille était très triste, elle disait que des immeubles allaient être construits ici, sur cette terre sacrée, juste en face de la dune. Un truc pour touristes. Elle était au bord des larmes.

D’un geste impuissant et sans espoir, elle a déplacé ses pieds dans le sable pour effacer vaguement, aidée de son vieux bâton qu’elle trimballait partout, le tracé des lignes de repère pour la future construction.

Et puis on est repartis à trois sur le scooter, trois êtres réunis par un caprice du destin, sans savoir pourquoi. 

Carnet de Route #6

Carnet de Route #1

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Carnet d’ayahuasca #4 : Quatrième Cérémonie

Dans le chamanisme, il y a trois mondes, qui sont des plans spirituels. Celui d’en-bas, où vivent les esprits animaux, les plantes maîtresses et les anciens chamans. Celui du milieu, notre monde ordinaire, animé de luttes de pouvoir incessantes. Et celui d’en-haut, éthéré, lumineux, où se trouvent les esprits avancés, spécialisés, souvent disposés à apporter leur aide. 

Intention : Fais-moi visiter le monde d’en-bas

Une peinture d’a(rt)yahuasca qui représente la jungle de nuit, réalisée par mon chaman Wish.

C’était sans doute pas une bonne idée. Ce livre de Michael Harner m’influence trop je crois, et aussi le fait de vouloir coller au plus près de Borderline, mais cependant je suis pas convaincue que le problème vienne de l’intention elle-même. D’une manière générale, j’avais été assez dispersée toute la journée, à parler avec Wish et l’Espagnole, qui va rester faire une diète d’une semaine ici avec nous, incapable de me reposer ou me recentrer cinq minutes. Et j’en étais toujours là avant de boire.

Je savais que c’était pas le bon état d’esprit. En plus, j’étais fatiguée et je crevais littéralement de faim, vu que ça fait une semaine que je bouffe très peu… 

Après avoir bu ma tasse pleine à ras bord, j’ai senti que je piquais du nez à plusieurs reprises. Je crois même que j’ai commencé à rêver, puisqu’à un moment je me suis dit : Attends, ces images c’est pas des visions, tu sombres dans le sommeil, là. Ah, et j’avais des remontées acides brûlantes, aussi, pour ne rien arranger.

Bref, fatalement je me suis allongée, tout en sachant pertinemment que c’était une idée de merde, surtout au début d’un trip. Cette position, j’ignore pourquoi, donne une force incroyable aux visions, qui te clouent sur place, et c’est très difficile de remonter la pente pour te refoutre en selle une fois que t’es assailli par terre, malmené entre les vagues de la transe tel un misérable caillou au fond de l’océan.

Je crois qu’en réalité, c’est une question de posture mentale. Si t’es capable, malgré la faim et la fatigue, de rester assis, droit, concentré, préparé pour l'avalanche, alors la plante a moins d’emprise sur toi. Si en revanche tu te positionnes direct comme un vermisseau faible et pathétique épuisé par la life, c’est clair qu’elle en profite pour te fouetter alors que t’es déjà au sol. Question d’honneur, de respect de soi, j’imagine.

Ce soir-là, j’étais en mode lamentable, pas guerrière pour deux sous. Tant pis pour ma gueule. 

Peinture de Wish où on voit un chaman en tenue de cérémonie shipibo face à un esprit de la selva.

Donc quand c’est venu, ça s’est rapidement transformé en quelque chose de très inconfortable, pour pas dire insupportable. Je crois avoir vu un trou noir dans l’eau au début, comme un tunnel sous-marin, quelque chose qui aspire la vie au fond de lui. Mais j’ai l’impression que j’ai tendance à projeter en ce moment, à calquer mes pensées sur les visions, alors j’ignore si ça venait de l’ayahuasca ou de moi.

Ensuite c’est les visions habituelles qu’ont déboulé, mais ce coup-ci elles étaient d’un vert électrique qui faisait mal.

De toute façon, tout me faisait mal. Mon estomac creux me lançait d’une façon atroce, ma trachée était en combustion, mais je me sentais pas de me redresser, parce que j’étais trop faible. J’avais des sortes de décharges de froid électrique qui me faisaient frissonner violemment, par à coup. J’étais crispée et recroquevillée sous la couette, le cerveau littéralement envahi par ces lianes vertes, organiques et vibrantes comme des anguilles branchées sur 10 000 volts.

Inutile de décrire par le menu toutes ces choses moches que j’ai traversées, ça tournerait en rond. Donc pour conclure là-dessus, ça a duré très longtemps. Quand j’ai cru que la plante avait plié bagage pour me foutre la paix après m’avoir bien essorée en tous sens, j’ai réussi à me relever pour fumer tant bien que mal un mapacho, en me demandant à quoi rimait cette putain de session.

Cela dit, le monde d’en-bas n’est pas censé être un lieu facile. Dans le chamanisme, il y a trois mondes, qui sont des plans spirituels. Celui d’en-bas, où vivent les esprits animaux, les plantes maîtresses et les anciens chamans. Celui du milieu, notre monde ordinaire, animé de luttes de pouvoir incessantes. Et celui d’en-haut, éthéré, lumineux, où se trouvent les esprits avancés, spécialisés, souvent disposés à apporter leur aide. 

Peinture visionnaire de la jungle, faite par Wish.

En refermant les yeux je me suis aperçue que le mal-être et les visions étaient toujours là. J’étais infestée, et ça m'a poursuivie jusqu’à la fin, même si entre-deux j’ai quand même trouvé un truc qui m’a permis d’évacuer le pire. J’ai poussé un soufflement/sifflement à la manière de Wish, à deux reprises, et ensuite j’ai relevé la tête comme si je sortais enfin d’un long, très long cauchemar. Un voyage qui aurait duré effroyablement longtemps.

A un moment Wish a fait vibrer un de ces bols tibétains, et ça m’a fait me tordre en deux, tellement le son et la vibration me rentraient dedans. Ça me touchait vraiment physiquement. J’ai trouvé ça très intéressant.

Le problème c’est que l’Espagnole continuait à se faire soigner. Comme beaucoup d’Occidentaux, elle avait apparemment de lourds problèmes émotionnels, et pleurait et gémissait sans fin. C’était très dur pour tout le monde.

J'avais l'impression d’absorber les sales énergies que Wish évacuait d’elle. En cérémonie d’ayahuasca, que tu le veuilles ou non, tu reçois de plein fouet ce que traversent les autres. Et je me demande si, au fond, tout dans cette difficile cérémonie n’est pas venu de là...

Carnet d’ayahuasca #5

Carnet d’ayahuasca #1

Toutes les peintures de cet article sont de Wish.

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Carnet de Route #4 : Dixième Jour

Tout est trop extrême : la chaleur hallucinante du désert, la distance phénoménale qui sépare chaque ville, la longueur et la rectitude de cette saloperie de panaméricaine, et même, bordel, le poids de ce putain de sac que je me trimballe. Autant dire que tout ça combiné, ça complique pas mal le but que je me suis fixé.

Nazca et le Mexicain

Un carnet de route qui raconte un long voyage en Amérique du Sud.

Je me suis pas fait violer, et Toby est bel et bien revenu me chercher le lendemain matin pour me larguer au bateau où j’ai embarqué avec un tas d’autres touristes pour faire ce tour qu’il m’avait plus ou moins vendu de force la veille. Je dis pas, c’était sympa de voir tous ces animaux (oiseaux, pingouins, phoques - oui en plein désert ! - ), mais on m’y reprendra plus. Je déteste me retrouver au milieu de tous ces glandus à appareil photo crépitant.

Il m’avait aussi arrangé le coup pour la suite : un taxi était censé me venir me récupérer dans l’aprem pour me conduire à un arrêt de bus perdu je ne sais où, afin que je quitte ce bled pour me rendre au prochain. Je me suis juré que c’était la dernière fois que je laissais quelqu’un prendre les choses en mains comme ça à ma place.

Ce que je voudrais, c’est me retrouver complètement seule dans la nature, cheminer à mon rythme et poser ma tente comme je l’entends, où bon me semble. Mais ça paraît difficile de faire ça ici. Tout est trop extrême : la chaleur hallucinante du désert, la distance phénoménale qui sépare chaque ville, la longueur et la rectitude de cette saloperie de panaméricaine, et même, bordel, le poids de ce putain de sac que je me trimballe. Autant dire que tout ça combiné, ça complique pas mal le but que je me suis fixé. 

L’immense route panaméricaine traversant le désert de Nazca, Pérou.

Ça fait maintenant quatre jours que je squatte ici, dans un genre d’auberge tenue par une vieille écolo et son fils. Elle a un petit côté sorcière assez sympathique et une connaissance approfondie des plantes médicinales et de l’ancienne civilisation qui vivait jadis en ces lieux. Son repère est truffé d’objets anciens, poteries, crânes, et d’animaux de toutes sortes, y compris un chien sans poils, argenté, avec une crête sur la tête, qui doit dater des incas. 

J’étais franchement soulagée d’arriver. J’ai bien cru que je parviendrais jamais à quitter l’endroit d’avant. Les vibrations commençaient à virer sérieusement mauvaises, comme dirait ce bon vieux Raoul Duke, et j’ai passé la journée à attendre le taxi qui me sortirait de ce merdier. Une parano naissante aidant, je me le figurais de plus en plus comme un traquenard, un lieu où je pouvais avoir confiance en rien ni personne. Pour ne rien arranger, faut préciser que les horaires n’ont aucune valeur ici, et que l’heure de départ inscrite sur ton billet de bus ou convenue avec un type quelconque ne signifie rien de tangible. C’est-à-dire que tu ne peux en aucun cas être sûr de partir comme tu l’espérais. 

L’heure de départ affichée sur ce putain de billet de car que Toby m’avait refourgué approchant dangereusement, et toujours pas de taxi à l’horizon, je commençais à envisager l’idée de héler la première voiture venue pour mettre les voiles d’une façon ou d’une autre, mais finalement un mec est arrivé, dans une caisse qu’était pas un taxi, et m’a emmenée jusqu’à l’arrêt de bus où j'ai encore attendu en compagnie d’un type relativement cool qui m’a tenu la jambe avec un discours que j’ai trouvé assez conventionnel sur ses aspirations et sa volonté, sincère selon moi, d’aider son village et son pays. L’enfoiré de car est enfin apparu, avec une heure de retard selon ma vision des choses, à l’heure normale pour les gens d’ici, le mec et moi on s’est souhaité bonne chance pour nos entreprises respectives, et enfin ça y était, j’étais en partance pour la prochaine étape. Putain de soulagement. J’ai pu tranquillement décompresser pendant les quatre heures du trajet, il faisait nuit, deux films de merde sont passés à la télé vissée au plafond, j’ai dormi un peu, la tête appuyée sur mon sac de couchage.

Je suis arrivée ici à dix heures et demi du soir, surprise d’avoir dégoté un lieu si apaisant (hamacs, piaules écolos, douches chaudes et toilettes perso, tout ça dans un cadre naturel génial). J’exultais d’avoir autant de bol, surtout après la nuit de merde sur ma plage sans avoir fermé l’œil.

Le charmant Wasipunko écolodge, Nazca, Pérou.

J’ai toujours de la veine, faut reconnaître. Sans compter que ça s’est enchaîné. Le lendemain au petit dej, j’ai fait la connaissance de l’unique autre client, un Mexicain de cinquante berges qui parcourt tout le continent du pôle nord au pôle sud sur son scooter blindé de stickers de tous les pays qu’il a traversés. Depuis le Canada, y en avait pas mal, et il ira jusqu’en Terre de Feu. Il est journaliste pour le National Geographic, plutôt connu, apparemment, même si moi ça me fait ni chaud ni froid. Très vite j’ai senti en lui un besoin de reconnaissance et une espèce de fierté à se dire qu’il a 20 ans dans sa tête. Il m’a demandé c’était quoi ma philosophie de la vie. Je veux dire, vous me voyez en train de répondre : Eh bien, ma philosophie de la vie, c’est que… ? Sans déconner. C’est une question un peu niaise, et un peu prétentieuse selon moi, mais je lui ai répondu que je voulais me sentir vivante, juste, avec l’impression de répéter une leçon, à force. Va falloir que ça s’arrête parce que ça va me gaver. Ceci dit, bon, c’est logique que tout le monde me pose la même question. Mais en répondant systématiquement les mêmes conneries, je me rends compte que je suis partie parce qu’il fallait que je parte, point barre, et que tous les grands mots qu’on colle derrière, les hautes intentions… Tout ça est carrément présomptueux et dénature la vérité d’un simple besoin. Au fond, je suis même plus sûre de ce que signifie “se trouver soi-même” ou “partir à la découverte de soi”. 

L’envoûtant désert de Nazca, au Pérou. Un lieu aux vibrations mystiques.

Tu parles, pour le moment je suis désespérément égale à moi-même, oui, à ce que j’ai toujours été. Peut-être que je suis partie pour devenir quelqu’un d’autre justement, pour tenter d’atteindre mon idéal de ce que doit être un Homme. C’est même certain. Tenter de ressembler à l’idéal que je me fais de moi-même. Un Homme libre qui a rejeté les chaînes mentales de la peur qui l'empêchent d’avancer, d’évoluer, d'être là, maintenant, pleinement là. Un être sans passé ni futur, un esprit capable d’embrasser la totalité amplement suffisante du présent. Un desperado. C’est ça que j’appelle la liberté, et c’est pour ça que je veux m’enfoncer dans la nature. Il me semble que son spectacle est le seul en mesure de m’immerger dans un présent définitif.  

Carnet de Route #5

Carnet de Route #1

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Carnet d’ayahuasca #3 : Troisième Cérémonie

Quand je tournais la tête vers Wish, toujours les yeux fermés, mes visions se transformaient. Elles se teintaient de l’énergie qu’il dégageait dans ses icaros. Une sorte de brillance, un éclat.

Ce matin j’ai passé deux heures à regarder une montagne. C’est la première fois de ma vie que ça m’arrive. Normalement je suis parfaitement incapable de rester comme ça sans rien faire.

Les eucalyptus en face desquels je médite durant ma diète d’ayahuasca.

Je me suis d’abord assise devant la maison, tel Don Juan sur son perron, à prendre le soleil, et je me suis aperçue que j’avais pas la moindre envie de bouger, de rentrer lire ou de faire autre chose. J’étais juste bien, là, au soleil, mon mapacho et ma gourde à la main. J’ai viré mes chaussettes, mon polaire, et je me suis exposée au soleil.

Et puis j’ai porté mon regard vers les eucalyptus en face, en fixant un point bien précis, juste en face de moi, sans cligner des yeux. J’avais lu ça chez Castaneda, le fait de ne pas faire le point, et aussi dans le livre de Corine Sombrun que je venais de terminer. J’avais expérimenté ça vite fait en méditant dans l’herbe l’autre jour. En fixant le sol je m’étais rendue compte que je voyais toutes les fourmis qui bougeaient dans tous les sens, alors que quand je faisais le point je voyais que dalle.

Là, j’ai continué et continué, jusqu’à ce que ma vue se brouille et se voile, parce que je clignais pas, mais j’en ressentais pas non plus le besoin.

Et tout est devenu un. Le muret en pierre, les arbres, le vent. Tout bougeait légèrement, comme avec les champis, même si là c’était sans doute juste la buée sur mes yeux qui faisait ça.

La petite table qui fait face aux montagnes sacrées, sur laquelle je m’assoies pour m’imprégner de l’énergie du monde.

Bref, après un moment de ce petit jeu je me suis assise sur la table en bois face aux montagnes, un coup en tailleur, un coup les jambes sur le banc, les pieds de différentes façons. Je prenais un plaisir dingue à être comme ça dans mon corps. Et je regardais la montagne. Je la regardais jusqu’à en perdre le souffle. Le vent jouait avec moi, je le respirais, et j’étendais les bras pour le sentir encore mieux, m’étirant dans tous les sens. 

J’aurais pu passer la journée assise sur cette table à regarder cette fichue montagne, et à en être toujours aussi heureuse.

Intention : Fais-moi rencontrer mon animal de pouvoir

L’ayahuasca a encore pris beaucoup de temps pour monter, mais je commençais à être habituée et cette fois-ci l’attente n’a pas été inconfortable. Faut dire qu’on avait de la compagnie, quelques gringos présents juste pour ce soir, et que Wish a chanté un peu plus tôt ce coup-ci. J’étais assise à sa gauche, comme si j’étais son élève. Les autres participants n’avaient aucune expérience de la plante, ce qui me faisait sentir un brin spéciale. J’avoue que c’était très agréable.

Je me répétais en boucle mon intention, parce que je tenais vraiment à rencontrer enfin l’animal qui me protégeait. Bien évidemment j'espérais corps et âme que ce soit un jaguar. J'essayais plus ou moins de l’attirer vers moi, je lui disais de se montrer, qu’on pourrait jouer et danser ensemble, que si je savais qui il était je pourrais l’honorer encore mieux. J’ai aussi tenté à plusieurs de reprises de voir ce fichu tunnel dans la grotte, censé conduire au lieu de rencontre de l’animal, mais ça n’a rien donné.

La plante a fini par venir. Je suis parvenue à rester bien droite, le mental comme une lame affutée fendant les visions, en gardant mon intention bien en tête. Ce soir-là je me sentais différente face à la medicina. Les visions étaient très fortes, mais je conservais toute ma concentration.

Des animaux, au final, j’en ai vu beaucoup. D’une manière vraiment belle, comme une sorte de fresque. En plus, Wish, comme par hasard, n'arrêtait pas de chanter des trucs où il était question de condors, de jaguars et de je ne sais quel animal. J’avais vraiment l’impression qu’il connaissait mon intention. 

Autoportrait de Wish, mon chaman, exemple brillant d’a(rt)yahuasca shipibo !

Aucun ne venait vraiment vers moi ceci dit, ils étaient juste incrustés dans les visions, par petites touches, et je sais pas, mais je me suis dit qu’en réalité je devais être protégée par des tas d'animaux, des tas d’esprits gardiens. A mes yeux, c’était la seule manière d’expliquer que j’aie tant de chance dans la vie.

Quand je tournais la tête vers Wish, toujours les yeux fermés, mes visions se transformaient. Elles se teintaient de l’énergie qu’il dégageait dans ses icaros. Une sorte de brillance, un éclat. Quand j’avais besoin d’équilibre, il me suffisait de me tourner face à lui pour que ses chants m’aident à traverser. Tout ça était définitivement très différent des autres cérémonies, je m’en rendais vraiment compte.

J’étais tout de même un peu déçue de ne pas avoir rencontré mon animal, alors que ça semblait si facile à faire pour des gens inexpérimentés et sans psychotrope, dans le livre de Michael Harner. Un peu contrariée.

Une fois redescendue, j’ai fumé un mapacho, mais j’étais la seule à avoir décollé pour de vrai, alors les trois autres sont revenus pour du rab. Wish m’a proposé une autre coupe. Il était tôt, je me sentais bien, c’était pas l’heure de dormir, la nuit ne faisait que commencer, alors j’ai dit oui. Par contre j’ai oublié d’émettre à nouveau mon intention.

Ça a quand même été longuet à venir, mais la suite valait l’attente. Jusqu’ici, c’est la plus belle cérémonie de ma vie. 

J’étais allongée sur le côté quand la plante a lancé son second assaut. Je l’ai sentie s’infiltrer en moi, me posséder, me pénétrer par le corps entier, et en particulier par le ventre, à un point tel que j’aspirais l’air à travers mes dents, et que je l’expulsais de la même manière. Je respirais très profondément et pourtant assez vite, mes expirations duraient un temps infini, alors que j’étais presque en hyper ventilation.

C’était extrêmement puissant, ce qui se passait à ce moment-là. Le pouvoir de la plante entrait en moi. J’étais toute repliée sur moi-même, comme ça allongée, les mains entre mes cuisses qui serraient fort, à trembler, à claquer des dents, à presque rugir. La possession par la medicina était extrêmement puissante.

Je savais que ça pouvait pas durer éternellement, c’était trop violent, trop intense, alors je me suis redressée pour me poster devant Wish, histoire de récupérer un peu d’équilibre. Ses icaros sont parvenus à m’extraire de cette transe démentielle.

Et puis il a pris la flûte et s’est mis à jouer de la manière décrite dans mon livre. C’était… stupéfiant ! Les sons qu’il tirait de son instrument ressemblaient à un conte évoquant la condition humaine, si triste et si belle. J’en croyais pas mes yeux, d’avoir écrit un truc qui s’était pas encore produit, et qui prenait forme en ce moment-même, mais c’est surtout l’émotion que ça a provoqué en moi qui est hallucinante.

J’ai senti mon visage se ratatiner, se crisper, j’ai baissé la tête, les mains toujours serrées entre mes cuisses sous la couverture, et j’ai commencé à pleurer.

Je crois pas avoir jamais pleuré de cette façon dans ma vie. Une telle peine, une telle souffrance, venue tout droit des entrailles, devant la beauté terrible du monde.

J’ignore à quel moment ça a permuté, mais je suis entrée dans la peau de Travis, totalement, d’une manière déconcertante... Je pensais à Tyler, je pensais comme je l'aimais, comme elle me manquait. Je me souvenais de ce qu’on avait vécu ensemble, à quel point je l'aimais même quand elle jouait les connasses à la fin. J’étais immergée dans la détresse sans fond de Travis, comme j’avais jamais été fichue de le faire en écrivant… Tyler, je l'aimais tellement, elle me manquait tellement, et j’étais si seul, que je savais même pas comment c’était possible de faire semblant de continuer à vivre.

Alors que j’étais en train de chialer corps et âme sur ma sœur défunte, j’ai quand même réussi à me dire qu’il allait falloir que je le rapporte dans mon livre. Que jamais Travis n’avait vraiment exprimé de cette façon-là la souffrance qu’il ressent. Sans fond. Comme de chuter pour toujours…

J’ai eu beaucoup de mal à me sortir de ça, parce que connaître cette douleur, vivre dans cette peine, était quelque chose d’immense et éternel, mais j’ai fini par réussir à me ressaisir, même si c’est presque à regret que j’ai quitté la peau de Travis. Mais si je me permettais de songer encore à Tyler, c’était sûr que j’allais replonger, alors je l’ai définitivement virée de mon esprit.

Pile-poil au moment où je soufflais un grand coup pour arrêter de pleurer, Wish a terminé sa chanson. Il fallait maintenant qu’il m’apaise. J’étais face à lui, et je me sentais comme une enfant. Le visage trempé, tout plissé, avec mon nez plein d’eau. J’étais à genoux devant lui. Il a répandu du parfum sur moi, m’a appuyé sur la tête, sur le dos. M’a chuchoté des mots dont je me souviens plus.

Portrait visionnaire de Zoë Hababou exécuté par le chaman Wish. On voit le serpent de la medicina à l’intérieur du corps de la patiente.

Le truc étrange, en fait, c’est qu’à ce moment-là j’ai fait des gestes avec mon corps, chose qui ne m’était encore jamais arrivée. J’ai tendu mes mains en coupe devant moi, et devant lui, et j’ai recueilli la médecine, ou son énergie, je ne sais pas. C’était froid dans mes mains, il y avait bien quelque chose.

Je me suis appliqué cette énergie sur le front, au niveau du troisième œil, dans l’estomac, sur le cœur. En fait, depuis le début de la cérémonie, j’appuyais sur l’arrière de ma tête, sur mon front, sans savoir exactement ce que je faisais. Mais là c’était presque conscient. J’aidais à ce que la medicina entre en moi.

L’enfant que j’étais au sortir de cette crise de larmes était totalement innocent et perdu. Je crois que j’avais plus ressenti ça depuis des années, et encore, je suis même pas certaine que ça me soit déjà arrivé, même quand j’étais gamine. Je me sentais… humble. Ça paraît idiot de dire ça… 

Mais au final, j’étais si heureuse d’avoir traversé tout ça ! 

Le plus gros du truc était passé pour moi, mais Wish était loin d’en avoir fini vu comment les autres participants avaient besoin de lui.

Je l’ai regardé travailler, en essayant de capter ce qu’il faisait. Quelle dévotion et quelle énergie incroyable ! Icaro sur icaro, la flûte, la guitare, avec laquelle il a chanté cette chanson que j’avais entendue dix ans auparavant et qui m’avait tant marquée, celle où il encense et glorifie et remercie la Terre, les animaux, les ancêtres… Quand je fermais les yeux, chaque fois je replongeais dans les visions, mais elles étaient d’une nature différente de celles auxquelles j’étais habituée, plus réalistes, dans un sens. J’ai vu la lune, des montagnes, des nuages, un loup, la nuit. C’était très agréable à vivre.

Vers la fin de la cérémonie on était tous les deux adossés au mur, face aux autres, lui chantant encore, moi scrutant calmement le jour en train de se lever à la fenêtre, et je me sentais vraiment comme son apprentie. D’ailleurs j’ai fini par lui dire qu’il était désormais mon maestro.

Un lien nouveau est en train de s’établir entre la plante et moi, je le sais. L’énergie de la diète, peut-être, qui rend les choses plus profondes, ou alors ma nature à moi qui se réveille pour s’unir à la medicina. J’aime quand Wish me parle de son taff, en aparté, à moi seulement. Faut dire que pour les autres visiblement c’est pas du tout le même délire. Pas de visions, pas d’immersion, et au final beaucoup d’inconfort corporel dû à leurs problèmes psychologiques ou émotionnels, comme il me l’a expliqué, chose qui pour le moment ne m’est pas encore arrivée.

Mais j’ai l’impression que le fossé se creuse entre ceux qui viennent se soigner et ceux qui viennent apprendre.

Carnet d’ayahuasca #4

Carnet d’ayahuasca #1

Toutes les peintures de cet article sont de Wish.

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Carnet de Route #3 : Sixième Jour

Quand Toby m’a demandé pourquoi j’étais partie, je lui ai dit que je voulais juste vivre. Il a répondu d’un air philosophe : vivre pour vivre. Ouais, vivre pour vivre, mec. Voilà.

Nuit solitaire dans le désert de Paracas

Le journal de voyage dans lequel sont écrits les épisodes que vous lisez ici.

J’ai pris un bus pour le désert, au sud de Lima. Tout le long de la route se sont succédés des villages - si on peut appeler ça comme ça - à moitié bidonvilles. Pour être franche, je commençais à me dire merde, dans quelle merde j’ai été me foutre, je vais pas débarquer avec ma tronche de raie au milieu de ces gens. La différence entre mon mode de vie et le leur m’a sauté à la gueule. Comment on aurait pu s’accorder ? A l’exclusion d’un rapport commercial, probablement en ma défaveur, puisque c’est moi qu’ai le pognon, je peinais à croire qu’il puisse y avoir de réelle rencontre.

Le nez collé à la vitre du bus, j’ai vu des villageois laver leur linge dans des rivières crado, une femme brosser les dents de son gosse en guenilles avec cette eau. Du bétail famélique, des chiens errants fouillant les ordures et une vache crevée, le cul en l’air, effondrée au milieu des autres, à pourrir. Tout ça au sein de dunes immenses, l’océan désolé au loin, pas encore tout à fait le vrai désert mais déjà bien sec quand même. Eh ouais, j’avoue, si le bus m’avait larguée dans un de ces bleds, je me serais pris le premier hôtel venu, cher ou non, et je me serais barricadée jusqu’à temps de me tirer. 

Le désert de Paracas, Pérou.

La ville où je suis descendue est plus faite pour moi, puisqu’elle est habituée à être assaillie par les gens de mon espèce : les touristes. Et avec le soleil, en bord de mer, tout paraît plus rassurant. 

Dès que j’ai mis un pied à terre, un mec jeune, un peu gros, avec une chemise plus ou moins hawaïenne m’a accostée, prenant d’autorité les choses en main. Il m’a proposé de me conduire en centre-ville gratis. M’a appris qu’il s’appelait Toby. Je lui ai dit mon nom mais il a eu du mal à le prononcer. Et il s’est mis à me vendre sa salade, subtilement (selon lui, disons). Il m’a tapé la fin de ma clope en me proposant ses tarifs. J’avais pas beaucoup de thunes alors on s’est mis d’accord sur un prix. Je le sentais plutôt bien, et de toute façon j’étais plus ou moins obligée de faire affaire avec lui. On a convenu de se retrouver à quatorze heures pour aller dans le désert et qu’il me montre l’endroit où je pourrais planter ma tente. 

J’ai été bouffer un truc dans un boui-boui au bord de l’eau et je crois que je me suis fait enfler sur l’addition. Puis j’ai fait un tour dans le bled mais ce putain de sac à dos pèse trois tonnes alors j’ai pas été bien loin. 

J’ai retrouvé Toby et ses acolytes dans leur agence. Ils avaient l’air assez cool. Police est passé à la radio. C’est marrant de voir que partout dans le monde les gens écoutent la même musique. 

L’océan vu depuis le désert de Paracas, Pérou.

Et puis on a tracé. J’étais excitée comme pas deux. Toby a allumé un joint d’herbe en me disant que c’était de la roja de je sais plus quoi. Ça nous a mis direct dans l’ambiance. Elle était pas très forte, mais c’était nickel d’être juste un peu parti pour s’engager dans le désert. Je me suis dit putain, c’est fou tout ce qui se passe dès qu’on sort de chez soi ! Ce désert, c’est tout ce que j’ai toujours désiré au monde. Immense, aride, éternel. Cette virée était mémorable, et on s’est bien fendu la poire. L’effet de l’herbe, la musique quechua sur l’autoradio avec un super solo de guitare électrique, j’ai ressenti ce que j’étais venue chercher. Cette sensation unique pour laquelle je vis, je l’ai éprouvée l’espace d’un instant. 

Malheureusement, je suis vite redescendue quand l’autre m’a annoncé le montant de la facture. Pas du tout ce qu’on avait convenu. A cette heure-là y doit être en train de se murger avec ses potes et mon fric. Je me suis fait enculer. Mais seule au milieu de nulle part avec lui, baragouinant difficilement quelques phrases d’espagnol, j’avais pas les moyens de lutter, même si j’ai essayé, d’autant plus que je redoutais qu’il m’abandonne avec ma tente et revienne jamais me chercher. Putain, ça me servira de leçon.

La plage du désert de Paracas où j’ai passé ma première nuit toute seule dans ma tente.

Mais au fond, peu importe. Je vais passer ma première nuit en solitaire sur une crique magnifique aux pieds des falaises, avec l’océan en face, entourée par l’immensité saline du paysage aride. J’ai rien à bouffer à part des espèces de chocolats énergétiques que je me gardais pour les ascensions en haute altitude, mais tant pis, je les mange. Faudra que je sois plus prévoyante à l’avenir. 

La solitude a quelque chose d’inquiétant ici, dans ces terres inconnues. Espérons que Toby et ses potes bourrés aient pas l’idée de revenir me violer en pleine nuit. Mais j’ai quitté tout ce que je connaissais pour briser mon cocon et naître à moi-même, et faire enfin face à ce qui gronde à l'intérieur. On va voir si l’exil est une bonne méthode pour cette expérience. Quand Toby m’a demandé pourquoi j’étais partie, je lui ai dit que je voulais juste vivre. Il a répondu d’un air philosophe : vivre pour vivre. Ouais, vivre pour vivre, mec. Voilà.

Carnet de Route #4

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Carnet d’ayahuasca #2 : Deuxième Cérémonie

Je me suis redressée, la tête levée vers le ciel, me gorgeant de l'énergie fantastique qui circulait en moi, et puis j’ai levé les bras en l’air en inspirant, et les ai étendus comme des ailes…

Intention : Dis-moi ce que je cherche, Abuelita, en faisant une diète avec toi

On était seuls avec Wish ce coup-ci, la Mexicaine avait plié bagage, et vu que c’était le jour de mes 32 ans, j’étais particulièrement ravie d’avoir la chance de vivre une cérémonie seul à seul, ce qui extrêmement rare avec les chamans de nos jours, qui sont souvent overbookés.

Cette fois-là aussi, il s’est écoulé un long moment avant que les effets arrivent. Wish se contentait de siffloter, et je me suis demandé si c’était le fait qu’il s’abstienne de chanter qui ralentissait le processus. Ça commençait à tourner en boucle dans ma tête, à force d’attendre. Mon impatience est vraiment légendaire. Ça me rendait à moitié dingue. Faut dire que c’est dur de rester concentré, encore et encore, préparé pour un assaut qui tarde à venir. 

Je voyais la laideur de mes pensées, leur côté mesquin, avide. Exiger des visions allait à l’encontre de toute ma philosophie au sujet de l'ayahuasca, et pourtant, je les désirais ardemment. Parce que ça faisait dix ans que je les attendais. Dix putains d’années à vivre au sein des souvenirs que mes quelques sessions initiales avaient laissés en moi, dix ans à fantasmer sur ces retrouvailles avec Wish.

Dix ans à écrire la vie de Travis et ses expériences avec l’ayahuasca...

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Bref, j’en étais là quand Wish s’est approché pour chanter très près de moi, directement dans mon oreille gauche, en gros. La sensation était très bizarre, comme si sa voix s’immisçait directement au sein de mon cerveau.

D’un instant à l’autre, seule sa voix, seuls les icaros qu’il chantait existaient, recentrant mon esprit et l’affûtant comme une lame effroyablement tranchante. C’était si intense que je me suis plus ou moins roulée en boule, toujours en tailleur, le front contre le matelas, pour me laisser pénétrer toute entière par la force qui se dégageait de lui.

Les vibrations de sa voix étaient ahurissantes, la façon dont il la laissait longtemps résonner après avoir fini de chanter une strophe… C’est fou comme la musicalité peut devenir poignante avec la plante dans le corps. C’était assez unique, et je me suis dit que c’était ça qu’elle voulait me dire, que c’était pour ça que j’étais là.

Vivre dans le présent. Être capable de profiter de l’instant, tout bonnement. Être vraiment.

Au fond bien sûr j’attends pas grand-chose d’autre de la vie. Quand on a ça, quand on est capable de ça, je suppose qu’on a besoin de rien d’autre… Même si bon, ça m’avance pas des masses en ce qui concerne ce que je vais branler de mes fesses une fois de retour.

Bref bref bref, j’ai fait à Wish : 

- Bueno, que hacemos ? Otra copa o no ? (Bon, qu’est-ce qu’on fait ? Une autre coupe, nan ?)

- Tal vez una chiquita. (Peut-être une petite)

- Ja. (OK)

Je m’en suis donc retapé un verre, que j’ai sifflé en deux gorgées, réaffirmant mon intention. Wish scandait maintenant ses icaros avec une force décuplée mais ça venait toujours pas. J’étais pourtant bien en transe, ma tête était lourde, et j’ai pas tardé à vomir. Peut-être que c’était ça qui bloquait, un reste de bouffe dans l’estomac (pourtant mon dernier repas remontait à midi, on ne mange jamais avant une cérémonie, et il devait être neuf heures du soir), mais ça y est, c’était lancé, et j’ai pas pu m’empêcher de rigoler :

- Ahora si, creo que estoy mareada ! (Maintenant oui, je crois que je suis défoncée !)

Et putain de sa mère, c’était lancé de chez lancé, avec une puissance et une démesure vraiment cosmique, pour le coup ! Les tentacules de l’ayahuasca se vrillaient dans mon esprit et le pénétraient de leurs têtes multiples, les visions étaient d’un vert électrique flamboyant, avec quelque chose de très organique, avant de muter en lumières rappelant celles d’anciennes galaxies, l’effet 3D était d’une présence monstrueuse, une véritable invasion cérébrale, mais nom de Dieu qu’est-ce que c’était beau… Qu’est-ce que c’est beau et terrible, d’être là-dedans ! 

J’étais assise sur les genoux, la tête plongée dans le matelas encore une fois, avec Wish qui chantait juste en face de moi, totalement immergée dans la plante, à respirer avec elle, à travers elle. A vivre en elle. Ma bouche s’ouvrait toute seule sur une extase silencieuse, et des larmes de joie pure roulaient sur mes joues.

Une transe d’une telle force, honnêtement, c’est pas tout le monde qui pourrait le supporter, parce que c’est d’une véritable possession dont il s’agit, et même en étant persuadé des bonnes intentions de l’esprit de l’ayahuasca, faut quand même accepter d’être assiégé dans ton corps et inondé dans ta conscience par un être autre que le tien.

La transe de l'ayahuasca

Je me suis redressée, la tête levée vers le ciel, me gorgeant de l'énergie fantastique qui circulait en moi, et puis j’ai levé les bras en l’air en inspirant, et les ai étendus comme des ailes, et à ce moment-là tout était si beau, si parfait, que moi-même je me faisais l’effet d'être une déesse en train de naître, en train d’encenser la force et la beauté de l’univers.

Et le fait d'être en face de Wish, si proche de lui alors qu’il chantait pour moi, ajoutait quelque chose de spécial là-dedans. Je me sentais complètement nue face à la plante, comme si elle m’avait rendue mon innocence en me faisant renaître, et ça avait à la fois quelque chose de primitif, de pur, et de beau, qui rendait l’expérience encore plus incroyable.

Après un long moment à savourer cette force en moi, à la sentir me revigorer de fond en comble, je me suis allongée, Wish continuait à chanter et j’entendais les vibrations dans son corps qui agissait comme caisse de résonance, comme si je pouvais les humer, les caresser, et j’éprouvais l’envie de faire vibrer ma gorge moi aussi, à l’unisson, et c’est ce que j’ai fait. D’une manière générale, je ressentais le besoin de souffler, d’expirer, d’inspirer, comme pour donner mon concours à tout ce qui se produisait, en moi et dans cette pièce.

Rester couché est malgré tout difficile, parce que ça redonne de la force aux visions et fait remonter la gerbe, et je me suis vidée copieusement, à plusieurs reprises. Durant l’une de ces sessions de gerbe, Wish m’a dit :

- Feliz cumpleaños, chica ! (Joyeux anniversaire, miss !)

- Es el mejor cumpleaños de mi vida, asi mareada como nunca, la cabeza en una bassina de vomito, asi me gusta ! (C’est le meilleur anniversaire de ma vie, comme ça, là, défoncée comme jamais, la gueule dans le seau de vomi, c’est ça que je kiffe !)

Ouais, vivre un truc aussi ouf pour mon annif, y a pas à dire, c’était une bonne façon d’entrer dans une nouvelle année de vie…

Petite note en passant au sujet du vomi : quand j’en finissais plus de dégueuler, que ça allait chercher loin loin loin sans presque rien ramener, Wish m’a dit de crier. De rugir ! Je l’ai fait et ça a marché, les vagues de nausée ont cessé.

Quand la chose a un peu décru, Wish m’a longuement ausculté le ventre du bout des doigts, et au niveau de l’estomac j’ai encore une fois senti cette gêne que l’ostéo avait mise à jour. Ce soi-disant problème émotionnel qu’il avait détecté, et qui m’avait presque fait pleurer quand il l'avait effleuré, sans raison apparente. Je l’ai dit à Wish et je crois qu’ensemble on a travaillé à l’évacuer, lui en balayant mon ventre, moi en soufflant pour la dissoudre et la faire s’envoler. Quand il est repassé dessus ensuite ça avait disparu. 

La dernière chose qu’il reste à dire, c’est que quand les effets se sont calmés et que j’ai eu de nouveau envie de penser, je me suis dit qu’il allait falloir que je travaille davantage à la description des visions de Travis dans Borderline. Ça va pas être facile, mais je dois à tout prix essayer de retranscrire ce que je suis en train de vivre ici. 

Allongée dans le noir et dans le silence, j’ai essayé de parler à la plante, de penser à la conscience, de comprendre les visions que je venais de traverser, mais ça n’a abouti à rien. J’en ai parlé à Wish qui m’a dit que les réponses se trouvaient dans les visions. Sauf que bon, pour le moment elles sont intraduisibles pour moi. Après, vu la beauté de cette expérience, je peux pas non plus faire la fine bouche. Peut-être que dans le futur l’Abuelita décidera de s’adresser à moi d’une autre manière, ou pas.

Carnet d’ayahuasca #3

Carnet d’ayahuasca #1.

La première peinture de cet article est de Wish.

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Road Trip, Journal de bord Zoë Hababou Road Trip, Journal de bord Zoë Hababou

Carnet de Route #2 : Troisième Jour

Cette ville est pas mal dégueulasse, bien que je sois parfois émue par des trucs qui me toucheraient jamais chez moi : des mécanos en train de s’escrimer sur une caisse qu’avait selon moi peu de chance de rouler à nouveau un jour, un chien galeux, les montagnes entourant le centre urbain en mode favelas...

Lima m’emmerde

Le fameux carnet de route !

Au départ, l'étrangeté ou plutôt la nouveauté de ce pays m’a carrément sauté à la gueule. Quand le chauffeur de taxi (petit, brun, carré, affublé d’une vieille casquette de baseball enfoncée sur la tête) m’a réceptionnée à l’aéroport, j’étais dans tous les sens, à zieuter dans tous les coins, tellement c’était différent de tout ce que j’avais jamais connu, et même les trucs les plus banals et les plus trash semblaient nimbés d’une délicate poésie, tels ces graffitis bleus sur les murs proclamant certainement un quelconque message gaucho, ces garages colorés, cet air marin digne des embruns de San Francisco… Le côté urbex et dépravé du truc me séduisait d’une façon relativement malsaine, et j’en ai pris plein les sens tout le temps de la route à travers la ville jusqu’à l’hôtel.

Mais après deux jours à la capitale, j’en ai déjà marre du bitume, et surtout des gens. C’est triste à dire mais j’ai l’impression qu’ils sont tous pareils, où qu’on aille. Enfin, c’est sans doute un peu tôt pour balancer ça, et j’espère bien que la suite du programme décapera ce triste constat cynique. J’aimerais tant que la pureté puisse encore se trouver chez les Hommes… Si c’est le cas, ce sera sans doute chez les indigènes. Mais on en est pas encore là. 

Les rues de Lima, Pérou.

Où qu’on en est, présentement, c’est que les gens me cassent les couilles en essayant de me convaincre que je suis folle de vouloir m’aventurer seule sur la route et dormir sous la tente. Ils me mettent en garde : Ce monde n’est pas comme celui d’où tu viens… 

Je commence à fatiguer de toujours rencontrer la peur partout où je mets les pieds alors que je me démène pour la fuir et que c’est même la raison pour laquelle je me suis cassée, merde à force. 

Cette ville est pas mal dégueulasse, en plus, bien que je sois parfois émue par des trucs qui me toucheraient jamais chez moi : des mécanos en train de s’escrimer sur une caisse ayant peu de chance de rouler à nouveau un jour, un chien galeux, les montagnes entourant le centre urbain en mode favelas...

J’ai qu’une envie, une seule : filer tout droit dans le désert, suivre la panaméricaine, trouver cet endroit d’où émanent les vibrations qui m’ont tirée de mon sommeil en m’appelant jusqu’ici, en m’envoûtant avec leur chant hypnotique qu’ont fait de moi un somnambule, les mains tendues devant lui, qui marche au bord du précipice… 

Graffitis dans la capitale péruvienne.

Cet appel ténu et pourtant insistant m’a fait faire un bond de dix mille kilomètres, alors navrée les mecs mais j’ai pas dans l’idée de renoncer à vivre le truc comme je sens qu’il doit être vécu. Je sais ce que je veux. J’oublie pas pourquoi je me suis barrée. Et si des sales trucs me guettent à l’horizon, au détour d’un chemin ou à la faveur d’une nuit sans lune… 

Ma foi, je suis tout à fait disposée à l’accepter comme mon putain de destin. 

Cette phrase de Noir désir résonne encore et encore dans ma tête… L’odeur des endroits où j’irai…

Vivement que je me tire loin de cette putain de ville.

Carnet de Route #3

Carnet de Route #1

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