Le Coin des Desperados

View Original

Wanted Dead or Alive : Jocelin Morisson, Auteur-Journaliste Expert en Science, Philosophie et Spiritualité

Science et spiritualité semblent ennemies jurées. A vrai dire, la science s’est même bâtie en opposition à la spiritualité, en la stigmatisant comme irrationnelle. Résultat ? La majorité d’entre nous souscrivent à la vision d’un monde tristement mécaniste comme s’il était la réalité ultime, sans songer à le remettre en question, et en observant d’un œil critique, amusé, voire méprisant, tout ce qui sort de son cadre.

Le problème, c’est que malgré le temps qu’elle turbine, la science matérialiste est toujours incapable d’expliquer la totalité du réel. Certains phénomènes, tels ceux qui tournent autour des expériences de mort imminente ou des expériences psychédéliques, débordent radicalement son champ de connaissances. Le point commun à ces phénomènes inexpliqués ? La conscience bien sûr ! Pas de bol, il semblerait que ce soit elle, la clé de voûte de l’édifice du réel…

Vous saviez qu’aujourd’hui, un vaste chantier interdisciplinaire s’attaque à établir une nouvelle cartographie de la psyché humaine ? L’heure est enfin venue de reconsidérer l’ancien paradigme, et c’est un séisme qui s’annonce ! Les premières secousses se font même déjà sentir… Preuve en est la curiosité renouvelée d’une immense partie de la population pour le développement personnel, la spiritualité et les anciennes traditions : méditation, chamanisme, loi d’attraction, plantes psychotropes, NDE, synchronicités, psychologie transpersonnelle…

Et si je vous disais que les plus récentes découvertes scientifiques corroboraient leur message et leur apportaient même un important appui ?

Le temps n’est plus à des écoles de pensée qui s’affrontent. Le temps est à la réconciliation.

Et il y a des personnes géniales, engagées corps et âme, qui nous ouvrent la voie pour enfin franchir le pont entre des domaines en apparence hétérogènes et hermétiques… Journalistes, philosophes, explorateurs, auteurs, scientifiques et chercheurs de tout crin prêts à sortir des sentiers sclérosés.

Tel Jocelin Morisson.

Ce journaliste scientifique, auteur de nombreux ouvrages qui questionnent les phénomènes inexpliqués, va explorer ici, avec nous, des pistes aussi surprenantes qu’inspirantes, menant à une appréhension novatrice de notre conscience, et de son véritable pouvoir…

Qu’on souscrive ou pas aux idées nouvelles présentées dans cette interview n’a que peu d’importance. Le but de Jocelin Morisson n’est pas de défendre une quelconque idéologie, mais de chercher à questionner la nature de la réalité. Ce qui est en soi déjà révolutionnaire.

Quand Jocelin Morisson nous parle de la conscience à travers le prisme de la science et de la spiritualité


PRÉSENTATION DE JOCELIN MORISSON

Salut Jocelin et merci énormément d’avoir accepté cette interview ! C’est un honneur de te recevoir ici, tu es une révolution à toi tout seul ! Hyperactif présent sur tous les fronts, tes nombreuses contributions littéraires et médiatiques offrent un nouveau prisme avec lequel décoder le monde. De formation scientifique, tu es devenu journaliste, puis auteur, et maintenant rédac chef de la revue Natives dédiée aux peuples racines, collaborateur de l’INREES et de Vertical Project Media, auteur de nombreux articles pour le magazine Inexploré... Quel cursus ! Ça va, tu tiens le coup ? D’où tu tires le jus de tant de passion ? Tu veux bien nous parler un peu de toi et de la vocation dont ton travail est la preuve éclatante ?

J’ai peut-être l’air hyperactif mais je ne le suis pas tant que ça. C’est parce que je travaille sur ces sujets depuis 25 ans et donc je cumule les publications : articles, livres, traductions, interviews…, et des interventions dans des conférences ou les médias. Mais tout ça se fait au fil du temps, sans précipitation. Un autre aspect est aussi que les métiers de l’écriture sont mal payés, donc il faut enchaîner plusieurs collaborations pour avoir des revenus juste décents.

Ma vocation est née alors que j’avais commencé à travailler dans la presse professionnelle du secteur de la santé et j’ai découvert le phénomène des expériences de mort imminente. Ça a été un chamboulement pour moi et j’ai reconsidéré tout un ensemble de phénomènes que je ne prenais pas au sérieux, ou dont j’ignorais même l’existence, à commencer par ce qu’on appelle les états modifiés de conscience.

Ce qui me passionne est qu’on est à la frontière de la science, de la philosophie, de la spiritualité, de l’ésotérisme… Il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre, à comprendre. Mais pour moi c’est devenu aussi un chemin, une initiation, car ça n’a pas d’intérêt si ça reste seulement au niveau de l’intellect.

Pendant longtemps, j’ai gardé un pied dans le monde de la communication santé, pour des raisons essentiellement alimentaires, mais ça a aussi été pour moi une très bonne école de rigueur, que j’ai mise au service de mon travail sur les phénomènes inexpliqués. Je me destinais initialement à l’enseignement des sciences de la vie, avec un cursus universitaire qui menait au Capes et à l’Agrégation, mais j’ai bifurqué vers le journalisme qui est une autre forme de transmission. Après ma maîtrise de sciences et le service militaire, je n’avais plus envie de préparer les concours d’enseignement parce que j’avais vu au cours de ma formation qu’on demandait aux étudiants de connaître par cœur des listes d’insectes ou de plantes, mais jamais de s’interroger sur ce qu’était un élève, une classe… C’est pourquoi j’ai fait une deuxième maîtrise en sciences de l’information et de la communication scientifique. 


Ce que j’aime particulièrement chez toi, c’est que tu es une sorte de pont entre plusieurs disciplines. En explorant les sujets abordés sous des angles variés, tes investigations font le lien entre des savoirs aussi bien ancestraux (comme la transe chez les peuples racines) qu’ultra-contemporains (comme la physique quantique). Pourquoi tu penses que c’est si essentiel, de nos jours, de relier, de réconcilier, voire d’unifier la philosophie et la science, le chamanisme et la physique, la spiritualité à… tout ? 

Notre prochain livre avec Romuald Leterrier s’appelle Tout est relié (retrouvez la review de ce livre ici - ndlr) et porte précisément sur cette question de l’interrelation, de l’interdépendance de toutes choses. En fait, quand on creuse un peu les enseignements traditionnels, les courants mystiques et spirituels, mais aussi les descriptions de la réalité dans les chamanismes, on s’aperçoit en effet qu’il y a énormément de recoupements, y compris avec la science de pointe.

C’est important de mettre en avant ces passerelles parce que le savoir est hyper fragmenté. En science, on atteint de tels niveaux de complexité dans certaines disciplines que des spécialistes d’un domaine donné ne connaissent rien à ce que fait un collègue de la même discipline mais dans un autre domaine.

Je revendique d’être un journaliste scientifique généraliste, qui doit en effet faire les ponts, y compris en acquérant une culture en philosophie, dans les sciences humaines et les spiritualités. Je ne défends pas une idéologie, ce qui m’intéresse est comment les choses sont. Quelle est la nature de la réalité, de la conscience, de la matière, de l’espace et du temps…, et y a-t-il quelque chose derrière ce qu’on perçoit par les sens ?

Aujourd’hui, ces questions restent complètement ouvertes, contrairement à ce qu’on peut penser. Comme dit l’astrophysicien Avi Loeb, “ce que nous savons est une île dans un océan d’ignorance”. 


LE PARADIGME SCIENTIFIQUE ACTUEL

L’ensemble de tes contributions (livres, articles, reportages, conférences) et l’ouvrage que j’aimerais disséquer aujourd’hui avec toi, Se souvenir du Futur, que tu as co-écrit avec Romuald Leterrier, se confrontent et remettent en question une vision du monde qui appartient au paradigme scientifique dominant, auquel la majorité des gens souscrivent sans vraiment songer à l'interroger. Ce paradigme a pour postulats de base ceux du déterminisme et de la causalité. Pour faire simple, le concept de déterminisme suppose que notre futur est unique et mécaniquement déterminé. Celui de causalité instaure que ce futur dépend exclusivement du passé. Ce que j’aimerais savoir, c’est comment ce paradigme et les concepts qui le soutiennent sont devenus notre seule grille de lecture du monde, qui nous fait voir comme impossible toutes les idées ou expériences qui n’y souscrivent pas et semblent les démentir. Comment l’humanité s’est-elle enracinée dans ce consensus ?

Ça tient principalement à deux choses. D’abord le fait que la science s’est construite en opposition aux croyances, jugées irrationnelles, superstitieuses, et qu’il fallait les reléguer dans les limbes de l’obscurantisme. La science a prétendu bâtir une vision objective du monde, c’est-à-dire la même pour tous. On revient de ça aujourd’hui car l’objectivité a du plomb dans l’aile. Le deuxième aspect est que la technologie, fille de la science, a connu d’indéniables succès, synonymes de progrès.

Dès lors, la science s’est crue en position d’expliquer la totalité du réel, alors même que des pans entiers de la connaissance sont vides. Par exemple, la matière visible ne représente qu’un très petit pourcentage (5 %) du contenu énergétique de l’univers. On parle de matière noire (27 %) et d’énergie sombre (68 %) pour expliquer la majorité de ce contenu. Ce sont des hypothèses dites “ad hoc” car elles viennent combler un trou mais on ne détecte pas cette matière et cette énergie directement.

La question de la conscience elle-même reste un grand mystère ; on ne sait pas expliquer comment elle “émergerait” de la complexification des cerveaux dans le règne animal, ce qui suggère que ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, on remet en cause le fait même que l’espace, le temps et la matière sont des données fondamentales de la réalité. On suppose qu’il y a quelque chose “derrière” qui est plus fondamental. Or, c’est ce que nous disent les grandes traditions spirituelles depuis des siècles et même des millénaires. Ce monde est seulement un monde d’apparences. Et derrière les apparences, il y a la place pour ce qui serait une sorte de supraconscience primordiale.

On a relégué la spiritualité dans le champ de l’irrationnel, comme relevant au mieux des religions et au pire des mouvements sectaires. Mais la spiritualité concerne la nature de la réalité et la nature de l’Homme. Et c’est par le champ des sciences que ces questions reviennent sur le devant de la scène, avec l’étude de la méditation, des états modifiés de conscience et de tout un ensemble de phénomènes qui remettent en question la vision strictement matérialiste du monde.

Cette remise en cause est plus facile dans les pays anglo-saxons qui ont une vision très pragmatique des choses, alors que la France est enfermée dans un paradigme soi-disant cartésien et moins ouverte à ce type de débat. 


LA THÉORIE DE LA RÉTROCAUSALITÉ

Dans Se souvenir du Futur, on tombe sur cette phrase, que l’on doit à Philippe Guillemant, co-auteur avec toi de La Physique de la Conscience : “Nos intentions causent des effets dans le futur, qui deviennent les futures causes d’un effet dans le présent”. Cette citation est un résumé du concept de double causalité, aussi appelé rétrocausalité. En substance, voilà en quoi consiste cette théorie : 
- Notre futur est déjà réalisé.
- Il peut changer.
- L’intention excite un nouveau futur.
- Celui-ci influence le présent.
- L’attention le fait entrer dans la réalité.
Avant d’aller plus loin, est-ce que tu pourrais nous raconter comment Romuald Leterrier, Philippe Guillemant et toi vous en êtes venus à élaborer une hypothèse aussi improbable ? A première vue, ça parait tellement anti-intuitif qu’on se demande comment une idée pareille a pu sauter dans la tête de quelqu’un !

Philippe Guillemant a élaboré ses idées à ce sujet à partir du phénomène de synchronicité, sur lequel beaucoup de grands esprits réfléchissent depuis longtemps, dont Carl Jung et Wolfgang Pauli dans les années 1930 à 1950. Philippe a proposé l’idée d’un temps “déployé” dans lequel le passé existe encore et le futur existe déjà, mais sous une forme qui peut changer.

Prenons par exemple la mémoire : la science n’a jamais pu démontrer que les souvenirs sont stockés dans le cerveau. Or, si ce n’est pas le cas, d’où tirons-nous nos souvenirs ? Eh bien, une façon de le comprendre est de dire que le passé existe sous forme d’informations situées dans un champ omniprésent, qui s’étend au-delà de l’espace-temps, peut-être dans le vide quantique, et le pénètre en tous points.

Dès lors, il n’y a pas de raison de penser que ce n’est pas le cas aussi pour les informations du futur. Si la voyance est possible, ou toute forme de prémonition, de rêve prémonitoire par exemple, il faut bien que cette information du futur soit déjà là sous une forme ou une autre. Il se trouve que beaucoup d’expériences ont démontré la réalité de ce qu’on appelle en parapsychologie la précognition. Donc il faut bien un modèle pour expliquer ça.

En ce qui concerne Romuald, il a fait beaucoup de travail de terrain auprès des Shipibos d’Amazonie péruvienne, et il se trouve que les chamanes lui ont dit grosso modo la même chose ! Il y a des dimensions de la réalité qui existent au-delà de l’espace et du temps, et qui sont porteuses d’informations, qui se manifestent dans les rêves, les visions, les signes… Pour eux, les mondes visibles et invisibles sont interpénétrés. 


PRÉSENTATION DE L'HYPOTHÈSE DU LIVRE SE SOUVENIR DU FUTUR

Afin de t’éviter de répéter ce que tu as déjà évoqué moult fois ailleurs, je vais présenter aux lecteurs un bref résumé de l’hypothèse du livre. N’hésite pas à me corriger si je fais une erreur. En philosophie comme au sein de nombreuses traditions et spiritualités, on a coutume d’opposer le monde des phénomènes, perçu comme une illusion, au monde tel qu’il est, en deçà des apparences. Selon ta théorie, ce monde objectif, appelé “arrière-monde”, n’est pas soumis aux lois de l’espace-temps. Une partie de nous, le Soi (on reviendra sur sa définition), vit dans l’arrière-monde, au-delà de l’espace-temps, ce qui lui permet de se manifester où il veut au sein du continuum espace-temps puisqu’il se trouve en dehors de lui. Les synchronicités sont des messages du futur moi en communication avec le Soi. Elles nous montrent le chemin vers la meilleure version de nous-mêmes. D’autre part, le temps est en partie déjà déployé, le futur le plus probable en partie cristallisé. Les signes ou synchronicités reçues nous attirent comme un attracteur vers le meilleur chemin, car elles proviennent du meilleur futur qui nous guide tel un GPS. Ce GPS est en mesure de nous rappeler sur la bonne route si l’on s'égare. L’idée est donc de poser une intention dans le futur afin que ce futur nous guide vers lui via des synchronicités, qu’on doit s’efforcer de créer. Ce qu’on remarque donc ici, c’est que les synchronicités sont la clé de l’édification d’un nouveau futur. C’est Carl Jung, n’est-ce pas, qui a été le premier à les théoriser ? Peux-tu nous expliquer précisément ce que c’est, les synchronicités ?

C’est un très bon résumé. J’aime bien le fait que tu parles d’un arrière-monde “objectif “. Tu veux dire par là qu’il existe vraiment, dans le sens où chacun peut s’y relier. Mais pour moi il est essentiellement subjectif car le substrat de cet arrière-monde a la nature d’une conscience, d’un méta-esprit si on veut.

Oui c’est Jung qui a théorisé les synchronicités en proposant une définition du genre : la synchronicité est le lien entre un phénomène qui survient dans la sphère psychique (une pensée, une interrogation…) et un phénomène qui apparaît dans la sphère matérielle (une image, un son, un texte, une personne…). Les deux sont liés par un lien de sens et non de cause, selon Jung et Pauli, ce qui suppose une “articulation” entre la psyché et la matière, une forme de continuité.

La proposition de Philippe est qu’il peut y avoir une cause, mais qui vient du futur ! Romuald a ensuite élaboré un protocole pour tester et jouer avec ce phénomène, en lien avec ce que lui avaient appris les chamanes. 


LE LIBRE ARBITRE

Une des difficultés majeures de l’application de la rétrocausalité dans sa vie, c’est le conditionnement. Cette croyance profondément ancrée au paradigme scientifique dominant qui nous fait penser que ta théorie est impossible. Ce conditionnement nous empêche d’exercer notre libre arbitre, car il nous empêche de voir qu’on est libres de nos choix, et que ce sont eux qui façonnent notre vie et notre futur de façon concrète, en amenant des potentialités multiples à s’actualiser en une seule réalité. Beaucoup d’entre nous ne pensent pas avoir le choix, ne se sentent pas libres, et semblent même parfois s’enchaîner eux-mêmes en refusant d’utiliser leur pouvoir ou en ne sachant pas comment faire, comme si leur destinée n’était absolument pas entre leurs mains. Tu peux nous expliquer en quoi consiste le conditionnement et de quelle manière il s’exerce sur notre mental ? Est-ce que tu connais des pistes pour s’en libérer ?

La seule façon de se libérer des conditionnements est de les reconnaître comme tels puis de lâcher l’intelligence de la raison pour laisser s’exprimer l’intelligence du cœur. On peut concilier ces deux formes d’intelligence, sans les opposer.

Le conditionnement c’est croire intégralement ce qu’on nous a appris à l’école et ce que dit la science “mainstream”, ce qui revient à croire que nous percevons le monde tel qu’il est vraiment et non, seulement, tel qu’il nous apparaît. Quand on est prêt à lâcher un peu cette croyance, sans basculer pour autant dans la “pensée magique”, eh bien une certaine magie opère en effet, comme dans les grandes synchronicités.

Il faut avoir confiance dans le fait qu’il existe quelque chose de plus grand que nous et qui est porteur de sens dans l’univers, et peut-être aussi d’une intention, d’un dessein, mais pas obligatoirement.

Cette confiance s’appelle la foi, car le véritable sens du mot “foi” est confiance et fidélité, et non “croyance”. 


Dans le livre, tu dis que le libre arbitre est le véritable moteur de la réalité. Ça fait tellement de bien de lire ça ! Tu nous apprends que ce sont nos choix, conscients ou inconscients, ainsi que nos intentions, qui influencent notre destin en faisant bifurquer les lignes temporelles, c’est-à-dire en nous rendant capables d’obtenir des informations du futur. La rétrocognition serait donc un acte libératoire qui nous rendrait à nouveau maître de notre destinée. Mais pour ça, il faut que nos choix soient libres, non conditionnés, guidés par l’intuition. Comment se connecter à elle quand on est prisonnier d’un mental en plein bad trip qui nous étouffe dans la peur et le manque de foi ?

Le libre arbitre est un concept piégeux. Selon Spinoza, l’Homme libre est précisément celui qui sait qu’il n’a pas de libre arbitre et que, dès lors, il n’agit pas mais “est agi” par sa nature profonde et véritable. Et cette nature n’est autre que d’être une partie de la substance infinie qu’il appelle Dieu ou la Nature. Se conformer à sa nature est donc un choix qui n’en est pas un car ne pas le faire conduit à vivre contre-nature, ce qui expose à certains désagréments.

Pour dépasser la peur et l’absence de foi, donc de confiance, il faut lâcher prise et, encore une fois, accepter qu’il y a quelque chose de plus grand qui se joue et qui nous dépasse en tant qu’individu.

Donc nous avons bien une liberté d’agir, de faire des choix, mais elle est conditionnée à ce que nous sommes, à notre nature profonde. Elle n’est donc pas absolue. 


LE MATÉRIALISME SPIRITUEL

J’ai eu la bonne surprise de voir que Romuald et toi mettiez en garde les lecteurs contre la popularité de la loi de l'attraction, proposition phare du développement personnel depuis de nombreuses années, qui réduit la rétrocausalité à du matérialisme spirituel. Beaucoup de gens pensent qu'émettre une intention forte et répétée à grand coup de pensée positive et de visualisation suffit à la manifester dans la réalité. Et qu’en gros, si on n’y arrive pas, c’est parce qu’on ne rêve pas assez fort. Ces gens croient aussi que la rétrocausalité peut être utilisée à des fins d'enrichissement ou de réussite personnelle, distordant la vie spirituelle à une version utilitaire qui ne fait que renforcer l’ego, la personne, c’est-à-dire le masque théâtral, l’image qu’on donne de soi-même, et non son être véritable. Ce qui a pour effet final de nourrir le processus d’individualisation et non d’individuation. Selon Carl Jung, l’individuation consiste à se confronter successivement aux archétypes de la persona (masque social), l’ombre (part inconnue et primitive de la psyché), l’anima/animus (archétype sexué), puis la lumière (connaissance de l'invisible). A l’issue de ce processus se révèle l’archétype du Soi (divin dans l’Homme). Selon cette grille de lecture, la rétrocausalité vise à établir cette liaison avec le Soi. Ça te dirait de rétablir la vérité sur le fonctionnement réel de la loi de l’attraction ?

C’est très bien résumé. La loi d’attraction est un authentique concept qu’on trouve aussi bien dans la Bible que dans l’alchimie ou l’hermétisme, mais qui a été maltraité par le New Age avec cette façon décomplexée qu’ont les Américains de privilégier avant tout le développement personnel, le “tout-à-l’ego”, la réussite individuelle, l’enrichissement, etc.

Or, développer la personne c’est en effet rester au niveau du masque, de l’apparence, alors que le véritable développement doit être transpersonnel, c’est-à-dire fondé sur une reliance à ce qui est au-delà de la personne et qu’on va appeler âme, esprit, Soi ou atman, selon les grilles de lecture qu’on privilégie.

La loi d’attraction fonctionne en effet quand elle repose sur une forme de foi et d’éthique, et pas quand il s’agit de s’enrichir ou de briller aux yeux des autres. Ça consiste à poser des intentions en ayant la conviction absolue qu’il existe un mécanisme qui va permettre d’attirer à soi les fruits de ces intentions, s’ils sont favorables à notre chemin de vie, s’ils respectent les lois du vivant, la nature, le cosmos, etc. 


LA DIFFÉRENCE ENTRE LE MOI ET LE SOI

Avant d’aller plus loin, peux-tu nous aider à faire le point sur la grande différence entre le moi et le Soi établie par Carl Jung ?

Le moi est l’équivalent de l’ego et reste situé au niveau de la personne, alors que le Soi se situe au-delà de la personne en rassemblant le conscient et l’inconscient, ce dernier ayant une dimension personnelle et une dimension collective.

Le Soi est une totalité psychique impersonnelle qu’il faut intégrer au cours d’un chemin de vie et Jung a proposé ce concept en s’appuyant sur la notion d’atman dans l’hindouisme. L’atman est à la fois le souffle vital et le principe essentiel de l’individu, mais surtout il a la nature de l’Absolu, le brahman. C’est le cœur de l’enseignement des védas : atman est brahman.

Jung ne rejetait pas pour autant l’importance du moi qui doit rester fort et ancré dans le monde conscient. 


Il y a quelques mois au Mexique, j’ai fumé du bufo, ce crapaud du Sonora dont les glandes regorgent de DMT, dont on extrait le liquide avant de le cristalliser pour le fumer. C’est l’expérience la plus transcendante que j’ai faite de ma vie ! Une expérience pure, sans expérimentateur. Il n’y avait plus de sujet ni d’objet, le "je" n'existait plus, et pourtant, l'expérience était en train de se vivre… D’une manière générale, la découverte de la non-dualité semble être l’expérience la plus révolutionnaire, dans le sens de bouleversements profonds tendant vers une évolution, qu’un être humain puisse vivre. Un ami à moi tient un centre d’ayahuasca au Pérou, et il a mis au point un test afin de mesurer le sentiment de dualité des patients qui viennent faire des diètes, avant et après. Il apparaît très clairement qu’après plusieurs cérémonies d’ayahuasca, la sensation de non-dualité est beaucoup plus ancrée chez ces personnes. Penses-tu qu’il faille nécessairement avoir recours aux états de conscience modifiés pour atteindre cette compréhension profonde d’une réalité non-duelle ?

Plusieurs amis m’ont raconté leur expérience avec le bufo et je suis fasciné de voir à quel point cela ressemble à une expérience de mort imminente. On atteint en effet un niveau qui est au-delà de la dualité sujet/objet et qu’on va décrire comme une expérience de “conscience pure” dans laquelle il n’y a pas de distinction entre soi et le monde.

Les états modifiés de conscience induits par la prise de psychédéliques ou d’enthéogènes sont une voie pour parvenir à cette réalisation, mais pour moi ce n’est pas la seule. L’advaïta vedanta dans l’hindouisme, le bouddhisme dzogchen ou chittamatra (yogacara), le shivaïsme du Cachemire, mais aussi le taoïsme ou les courants mystiques des religions d’Abraham sont tous porteurs d’un enseignement visant cette réalisation, qu’on appelle “éveil” dans les traditions d’Inde et d’Asie, transfiguration ou métanoïa ailleurs, dans des courants ésotériques.

Certains enseignements insistent sur le besoin d’une pratique, méditation, dévotion, prières, etc., alors que d’autres, plus radicaux, disent qu’il n’y a rien de spécial à faire car cette non-dualité est déjà notre nature, de toute éternité. Il suffirait donc de l’accepter comme telle. La clé et le paradoxe est que la non-dualité ne doit pas être “comprise” mais simplement reconnue pour être intégrée.

Je connais beaucoup de gens qui ont fait l’expérience de la non-dualité avec des substances psychédéliques mais qui ne sont pas du tout “éveillés”. Inversement, il y a d’authentiques éveillés qui n’ont pas vraiment vécu d’états modifiés de conscience mais sont parvenus à la réalisation par des pratiques de dévotion ou simplement un certain regard philosophique sur le monde.

Je pense que les expériences permises par les enthéogènes, cette sous-catégorie des psychédéliques qui “révèle Dieu à l’intérieur de soi”, permettent de toucher cette réalité primordiale non-duelle, comme les vraies extases mystiques ou certaines expériences de mort imminente, mais elles restent au niveau d’une expérience ponctuelle. La non-dualité, l’éveil véritable, doit être stabilisé et permanent, d’après les enseignements qui en parlent. 


SE LIBÉRER DE L’EGO… OU PAS ?

En tant qu'exploratrice de la conscience, fumer du bufo était donc le truc le plus incroyable que j'aie jamais vécu. Pourtant, je ne suis pas pressée d'y retourner. D’une, ce type d'expérience est trop puissant pour qu'on veuille le répéter encore et encore. De deux, je suis désormais convaincue que cet état de non-dualité, où seule existe la conscience, sans sujet pour la posséder, est “l’endroit” ou “l’état” dans lequel je retournerai quand mon corps aura passé l'arme à gauche. Mais le truc le plus surprenant dans l'histoire, c'est que de savoir ça ne me fait pas du tout me désintéresser de l'existence humaine, avec toute la dualité qu'elle suppose. Au contraire. Être incarné sur Terre devient un jeu fascinant d'où toute peur a disparu. Dans une interview, tu as dit récemment qu’on peut vivre sur les deux plans à la fois, individu et absolu. Que l’ego ne doit pas être tué, mais qu’il doit plutôt redevenir le serviteur et non le maître (cette formule nous vient d'Einstein, si je ne m'abuse). De mon côté, j’ai découvert qu’en me reliant à l’universel, je m’aime davantage moi-même, ainsi que ma vie, mais pas d’une façon égotique. Est-ce que tu crois que c’est à cause de ce que dit Jung ? Que relier le moi au Soi, avec le moi à sa juste place, est ce qui permet au Soi de s’exprimer pleinement, en lui offrant la possibilité d’émettre des intentions libres et profondes ?

C’est un point extrêmement important, car les enseignements non-duels ont pu conduire certaines personnes à rejeter purement et simplement la réalité matérielle, et donc le corps et l’individu, comme une illusion sans importance. Or, en effet, la réalité matérielle est une illusion, appelée “maya” dans l’hindouisme, mais elle n’est pas sans importance ! C’est là aussi un paradoxe à dépasser.

La réalité ordinaire est comme un rêve dont on va se réveiller mais c’est un rêve qu’il nous faut vivre pour apprendre et comprendre certaines choses, à commencer par le fait même qu’il s’agit d’un rêve. Le rêve de l’incarnation est réel, mais il n’est pas la réalité ultime, c’est tout. Il y a quelque chose de plus fondamental derrière. L’ego “bon serviteur et mauvais maître” est une phrase récurrente dans les enseignements venus plutôt d’Inde, et peut-être qu’Einstein l’a citée mais je ne pense pas que ça vienne de lui.

L’aspect problématique dans les enseignements qui visent l’éveil est la négation de l’individu et de l’ego. Or, on peut en effet concilier les deux : oui nous avons la nature de l’absolu, comme la vague a la nature de l’océan, mais nous avons une expérience individuelle à vivre, qui va justement contribuer à enrichir cet absolu qui en fait se connaît lui-même à travers nous. Et cette connaissance passe aussi par le corps, qui est notre véhicule dans cette expérience.

À nouveau, le “truc” c’est qu’il n’y a pas véritablement d’effort à faire pour relier le moi au Soi, comme tu dis, parce que ce lien existe déjà. Donc pour moi ça relève plus d’un lâcher-prise, d’un pas de côté plutôt qu’en avant ou en arrière, pour révéler ce qui est déjà là et qui était simplement masqué, voilé. Dans le taoïsme on parle de “non-effort”. Dans les courants mystiques du judaïsme, du christianisme ou de l’islam, cette réalisation est tout de même le fruit non pas d’un effort stricto sensu mais d’un engagement total qu’on va appeler l’amour de Dieu. Donc c’est sensiblement différent.

Pour ma part, je suis réceptif au message central de l’advaïta vedanta qui nous dit que ce que nous cherchons est déjà là, et que c’est si proche de nous qu’il n’y a même pas de place pour une voie. Le fait même de “chercher” quelque chose induit une distance entre un sujet qui cherche et un objet à trouver, alors que les deux ne font qu’un et que cette distance est pure illusion. Au bout du compte, l’individu qui se reconnaît comme étant de même nature que la force qui le traverse à chaque instant peut pleinement s’épanouir à la fois comme individu et comme le tout.

C’est ce que Jung appelait “individuation”, et que le philosophe anglais Tim Freke appelle pour sa part “unividuation”, avec quelques nuances. Le piège de ce “retour du sujet” est le risque d’inflation de l’ego et le relativisme absolu, qui consiste à dire : rien d’autre que ce dont je fais moi-même l’expérience n’a de valeur, et donc je peux croire n’importe quoi. 


Comment être sûr que les intentions qu’on émet proviennent du Soi et non de l’ego ? Quelles sont les qualités essentielles de ces intentions capables d’influencer le futur ?

On l’a beaucoup dit mais pour synthétiser disons que ces intentions doivent venir du cœur. Il faut donc faire taire un peu le mental et laisser s’exprimer l’intelligence émotionnelle, en posant des intentions qui vont être respectueuses des autres, de l’ensemble du vivant, de la terre, etc.

Ces intentions et les synchronicités qui en découlent sont associées à une certaine qualité de vibration, si on veut, de sorte qu’on ressent de la joie, de l’apaisement, du bien-être, ce genre de choses.

Tout ça se joue non pas en-deçà mais au-delà de la raison. 


LE GPS ET LA TÉLÉCOMMANDE DE L’ESPACE-TEMPS

Selon Romuald Leterrier et toi, notre dimension temporelle est comme un chemin qu’on emprunte dans un vaste territoire. L'illusion du temps donne l’impression que la réalité est composée exclusivement de ce qu’on peut découvrir le long de ce chemin, alors qu’en fait, la “vraie réalité” est l’ensemble du territoire. Le truc, c’est qu’on ne peut pas voir les zones qu’on ne traverse pas, mais notre conscience du Soi, elle, peut naviguer partout, et nous guider tel un GPS. Ce qui veut dire qu’une partie de notre conscience est extratemporelle, c’est pourquoi elle peut observer l’espace-temps comme un objet et saisir l’ensemble de ce continuum d’un seul “regard”. Cette idée me fait penser à un concept qui circule, qui dit, en substance, que ce n’est pas le cerveau qui produit la conscience. Qu’il n’en est que le récepteur. J’aimerais que tu nous donnes ton opinion sur le sujet.

C’est pour moi une évidence depuis longtemps. En tout cas j’en suis convaincu parce que, comme je l’ai dit, la science n’a jamais démontré que le cerveau “produit” la conscience. D’ailleurs, une grande neuroscientifique, Susan Greenfield, a dit que le passage de l’activité des neurones à la conscience est comme la transformation de l’eau en vin. Autrement dit, c’est un miracle.

En outre, beaucoup d’expériences vécues suggèrent que la conscience accède à davantage d’information quand le cerveau est en tout ou partie “désactivé”. C’est pourquoi l’hypothèse du cerveau-filtre d’un vaste champ d’information, comme déjà proposée en leur temps par William James, Henri Bergson, Frederic Myers ou Aldous Huxley, revient en grâce.

Le psychologue cognitiviste américain Donald Hoffman explique que l’évolution a favorisé la survie de l’espèce en réduisant la quantité d’informations qui parviennent au cerveau, sans quoi il serait incapable de gérer toute cette information. On se retrouve donc avec une image du monde, ce qui apparaît à la conscience en temps normal, qui est en fait la projection-réduction de quelque chose de plus fondamental et de bien plus riche.

Le philosophe néerlandais Bernardo Kastrup explique cela très bien à l’aide de métaphores simples et parlantes. Son premier livre, que j’ai co-traduit, va paraître en français au printemps sous le titre : Pourquoi le matérialisme est absurde


J’aime beaucoup ce que toi et Romuald appelez la "télécommande de l’espace-temps”, qui peut être manipulée grâce à trois étapes.
1 : Se déconditionner en favorisant l’effort et le doute positif, puis identifier son être intérieur par une attitude positive, et enfin faire une demande en s’appuyant sur la force de l’intention.
2 : Diminuer les voies causales ordinaires en cultivant le détachement, la confiance et le lâcher-prise.
3 : Favoriser les voies non-causales en ayant recours à la foi, au sens de confiance et de fidélité, en s’appuyant sur l’intuition et en cultivant le don de soi, expression du meilleur de nous-mêmes (c’est-à-dire le Soi, partie déjà réalisée de notre identité).
Je me permets de reproduire ici, afin que nos lecteurs comprennent bien, ces définitions simples données dans Se souvenir du Futur
- Détachement : acceptation du changement.
- Lâcher-prise : idée de laisser agir.
- Confiance : capacité à sortir des sentiers battus.
- Intuition : aptitude à suivre son guide intérieur.
- Foi : nécessité de prendre des risques.
- Don de soi : donner le meilleur de soi-même.
Une fois qu’on a compris ça, quelle est la prochaine étape pour commencer à jouer avec la télécommande de l’espace-temps et exciter un nouveau futur ?

Je précise que la notion de télécommande de l’espace-temps, comme la métaphore du GPS, sont dues à Philippe Guillemant. Tu as bien résumé le principe, et l’étape suivante consiste donc à poser des intentions.

Certains diront que ça consiste à faire une demande à son ange-gardien ou à l’univers. Aucun problème pour dire les choses comme ça. Une fois l’intention posée, la difficulté est de se détacher du résultat, de ne pas être dans l’attente d’une réponse, un signe, une synchronicité, etc.

Dans l’évangile de Marc, on lit : “Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et vous le verrez s’accomplir”. Il n’est pas dit : “croyez que vous le recevrez” ou “que vous allez le recevoir”. La formulation suggère un mécanisme qui se joue de la temporalité.

Mais il faut aussi bien admettre que la réalité que nous vivons est le fruit d’une co-création collective, qui ne résulte donc pas que de nos seuls choix personnels. Nos intentions doivent donc être compatibles avec certaines lois de la nature et ce qui entre dans l’ordre du possible. Dans ce cadre contraint et limité, la magie peut tout de même opérer. 


LES SYNCHRONICITÉS

En tant que voyageuse, j’ai remarqué que j'expérimente beaucoup plus de synchronicités quand je suis sur la route, “entre les mains du destin”, et c’est en lisant ton livre que j’ai découvert pourquoi. Pour que la synchronicité advienne, il faut qu’on soit ouvert à tout, réceptif, et que notre vie soit en train de changer, ou disons, fortement soumise au hasard. Dans ces circonstances, le futur se restructure et un nouveau futur déjà créé se potentialise en recevant la probabilité d'exister. Il provoque alors des coïncidences. Le truc étrange, c’est qu’à ce moment-là, le présent se met à être déterminé par le futur, et non l’inverse ! Pour ça, il faut être en dehors des conditionnements, presque en état d’instabilité émotionnelle et matérielle. Quand tout ne tient qu’à un fil, une rencontre de hasard, une décision prise dans l’urgence, la conscience parvient à sortir de ses habitudes et les potentiels choisis par le Soi se connectent au présent. Penses-tu qu’il nous serait bénéfique, à tous, de vivre d’une façon un peu plus freestyle, un peu moins control freak, pour permettre à nos vies de prendre le bon chemin ? Est-ce qu’on devrait en faire une sorte de ligne de conduite ? Apprendre à être plus ouvert à l'inattendu, à l’incroyable, est-ce que c’est une attitude qu’on devrait nourrir au quotidien ?

Je réponds oui à toutes ces questions. J’ai moi aussi vécu le plus de synchronicités, qui arrivent en cascade, dans des périodes où j’avais des choix importants à faire, et aussi lors de voyages où il y avait une dimension d’inconnu, d’imprévisibilité.

Ça semble logique dans la mesure où ce sont des périodes dans lesquelles on a besoin d’une forme de guidance, car plusieurs futurs s’offrent à nous. Ces futurs sont comme “superposés” dans un état quantique ; c’est juste une image. Parmi tous ces futurs, l’un est plus probable que les autres pour des raisons de stricte causalité, liés aux choix que nous avons faits en amont et aux données de la situation présente. Mais ce futur le plus probable n’est pas forcément le plus favorable pour nous. Donc l’intention posée va pouvoir modifier ces probabilités et attirer à nous, de façon cette fois-ci “rétrocausale”, le futur non pas le plus probable dans l’immédiat mais le plus favorable… à notre épanouissement, à notre apprentissage ou autre ; le plus conforme à notre choix d’incarnation diront certains.

Alors en effet il s’agit de vivre de façon plus “freestyle” comme tu dis, moins dans le contrôle parce qu’en fait on ne contrôle pas grand-chose. Mais c’est vraiment un équilibre subtil à trouver entre contrôle et lâcher-prise. Pour moi, ça consiste à se laisser traverser par la force de vie dont je reconnais qu’elle est aussi une suprême intelligence.

Dès l’instant où je m’identifie à cette force, tout en reconnaissant qu’elle me dépasse, mes choix sont inspirés de la meilleure façon qui soit et je ne peux pas me tromper. Se laisser guider par cette confiance (foi) revient à marcher sur un fil car l’ego reste susceptible à chaque instant de chercher à imposer ses choix. C’est pourquoi une autre clé est ce qu’Eckhart Tollé a appelé “le pouvoir du moment présent”.

On retrouve cette idée dans toutes les traditions spirituelles et ésotériques : l’attention à l’instant présent permet cette identification à notre nature profonde. 


LE MULTIVERS QUANTIQUE

Selon la grille de lecture proposée dans ton livre, la conscience, avec son intention, actionne un des potentiels, une des virtualités du “multivers quantique”, pour ensuite le densifier dans la réalité du présent. Il apparaît donc que de nombreux futurs existent, en tant que virtualités, de façon simultanée. Est-ce que ça veut dire que le futur serait comme… une multitude de possibilités déjà existantes ? Tu pourrais expliciter ce concept de multivers quantique ?

Oui, j’ai déjà évoqué plus haut la notion de futurs multiples superposés comme dans un état quantique. J’ai précisé que c’est une analogie car on ne peut pas faire dire n’importe quoi à la physique quantique : la notion de superposition d’états s’applique stricto sensu aux objets et systèmes quantiques.

Pour redire les choses autrement, nous sommes sur une ligne de temps personnelle qui fait partie d’une ligne de temps collective que nous partageons avec tous nos contemporains, et nos lignes personnelles sont entrelacées avec les personnes avec lesquelles nous avons le plus d’interactions. Sur cette ligne de temps, la conscience agit en temps ordinaire comme une tête de lecture du présent.

Mais on voit bien que les états modifiés de conscience permettent de se déplacer sur cette ligne pour accéder à des informations du passé ou même du futur. Dans certaines circonstances, notamment les états élargis de conscience comme les expériences de mort imminente ou certaines expériences psychédéliques, la conscience devient capable de s’extraire de cette ligne et de l’observer depuis un point de vue extérieur. On a des témoignages d’expériences de mort imminente dans lesquels le témoin dit avoir observé toute sa vie comme un objet spatialisé dont il pouvait faire le tour.

Donc à chaque instant nous avons un futur déjà partiellement réalisé sur cette ligne, mais l’idée qui vient de la notion “d’espace-temps flexible” de Philippe Guillemant est que ce futur peut changer et se reconfigurer, d’où la métaphore du GPS qui recalcule un itinéraire pour se rendre à la même destination en changeant d’étapes, ou bien pour changer complètement de destination. 


LE HASARD

La rétrocausalité pratiquée en conscience permet donc de densifier nos intentions dans la réalité du présent. Là où ça se corse, c’est que pour ce faire, le hasard s’avère indispensable, car il est un intermédiaire entre notre volonté et la matière. On a tellement coutume de considérer le hasard comme l’élément contrariant de l'équation, qui nous soumet à ses caprices sans rime ni raison, que cette idée a de quoi surprendre ! Le hasard serait-il donc le vrai gouvernail du réel ? Comment notre conscience peut-elle avoir une influence sur les processus indéterministes ?

C’est une idée qu’a bien creusée Romuald. Le hasard, l’aléatoire, l’indéterminisme, sont comme un support sur lequel du sens peut s’imprimer. Comme un signal qui apparaît dans du bruit, en électronique, ou de l’ordre qui émerge du désordre, en théorie du chaos.

Pour que notre conscience puisse agir sur des processus indéterministes et faire apparaître du sens dans le bruit, il faut penser une articulation entre conscience et matière, une articulation psycho-physique, comme l’ont fait Jung et Pauli, ou, mieux encore, considérer comme Bernardo Kastrup et les idéalistes contemporains que tout est conscience. La matière est quelque chose qui apparaît dans la conscience et la seule chose que nous puissions dire, fondamentalement, à propos de la matière est qu’elle est une expérience de conscience, fruit d’une perception.

Les idéalistes en concluent que la seule réalité ontologique est la conscience, que la matière est une catégorie secondaire qui apparaît dans celle-ci en tant que contenu de la perception, et que la physique est donc une science de la perception.

Je souscris à cette vision qui rejoint là aussi les intuitions, réflexions et observations de certaines philosophies de l’hindouisme et du bouddhisme, entre autres. 


LA TRANSE ET LA PHYSIQUE MODERNE

Abordons maintenant le thème de la transe, et plus généralement celui des états de conscience modifiés. Chamanisme, plantes psychotropes, méditation, hypnose, NDE, hutte de sudation, son des tambours… Toutes ces pratiques et techniques ont pour but de créer une modification de la conscience. Aujourd’hui, l’étude de ces phénomènes constitue un grand chantier croisant les disciplines, afin de dresser une nouvelle cartographie de la psyché. Des questions se posent : comment ces états modifiés et ces phénomènes visionnaires peuvent-ils connecter notre conscience à des informations qui lui sont normalement inaccessibles ? Qu’il s’agisse de l’accès à d’autres niveaux de la réalité, aux mondes des plantes ou encore aux archétypes de l'inconscient collectif, la science matérialiste peine à expliquer ces expériences. Est-ce que le modèle du livre apporte une réponse à cette question ? De quelle manière les états de conscience modifiés sont-ils liés à la conscience rétrocausale ? Comment se fait-il que c’est souvent grâce à eux que la conscience semble révéler sa nature extratemporelle ? 

Si notre conscience est une parcelle d’une supraconscience primordiale, l’hypothèse relativement simple est qu’un état élargi de conscience résulte de la suppression de la fonction de filtre du cerveau. En temps normal, le cerveau filtre le vaste flux d’informations qui lui parvient, ce qui résulte en un sentiment d’individualité et de situation dans l’espace et dans le temps.

Kastrup prend l’image d’un courant d’eau qui représente la vaste conscience, au sein duquel des tourbillons, des vaguelettes, etc., représentent les formes, la matière, les individus. Tout ça n’est que de l’eau, donc de la conscience. Quand cette fonction de réduction-filtrage du cerveau est levée lors de la transe, quel que soit son mode d’induction mais avec des degrés, la conscience individuelle rejoint le flux de la vaste conscience, comme un tourbillon qui disparaît dans l’eau. Alors on accède à la conscience primordiale, avec la notion d’identité individuelle qui disparaît, et en étant situé au-delà de l’espace et du temps, qui ne sont que des projections.

C’est comme ça que les chamanes entrent en relation avec l’esprit des plantes, des animaux, des défunts, des éléments, de la Terre, etc. Cette conscience primordiale est nécessairement extratemporelle puisque c’est d’elle que naissent l’espace et le temps. Elle est la source de tout ce qui est. 


La physique moderne quantique rejoint le chamanisme ancestral. En tant que psychonaute versée dans les traditions indigènes, je trouve ça fabuleux ! Se dirige t-on vers une reliance de tout ? Est-ce que la science du futur sera nécessairement pluridisciplinaire ? Crois-tu qu'il soit possible de réconcilier et même conjuguer des domaines qui, jusqu’à présent, ont été considérés comme ennemis (science versus magie) ?

La science va rester hyper spécialisée parce que c’est la condition de nouvelles avancées. Aujourd’hui, la physique et les mathématiques nous parlent de structures géométriques situées en amont de l’espace-temps, qui auraient un nombre considérable de dimensions et constitueraient un réseau “d’agents conscients” derrière le monde tel qu’il apparaît. Ce n’est pas de la science-fiction et on a besoin de gens très pointus dans ces domaines pour que la connaissance progresse.

Mais il y a aussi besoin de gens qui font les liens et les passerelles entre les domaines de la connaissance, et qui ont une culture en sciences dures et en science humaines, et aussi dans les domaines mythico-magico-mystiques.

L’approche pluridisciplinaire et transdisciplinaire est indispensable mais elle ne peut pas être le fait des scientifiques spécialistes eux-mêmes. Si déjà ils ont un peu de culture philosophique, c’est formidable. 


LE RÊVE

Grâce à toutes tes explications, on y voit déjà beaucoup plus clair. Il nous reste maintenant à aborder le dernier gros morceau de la rétrocausalité : le rêve ! Ici, on va avoir besoin de tes lumières, car c’est loin d’être évident à comprendre… Voici une citation du livre : “Quand j’observe dans le présent une synchronicité en lien avec une image d’un rêve se situant dans le passé, je repense à ce rêve et, ce faisant, je crée l'image de ce rêve dans le passé, qui, à son tour, va se manifester sous la forme d’un événement ayant pour fonction de créer un nouveau futur”. Est-ce que ça veut dire qu’avec ce type de rêve, on ne voit pas l’avenir, mais qu’on le crée ? Tout incite à croire que, plutôt que de matière, le monde physique serait en fait constitué d'informations, d'événements, dont la rétrocognition serait le processus mémoriel créateur. La frontière entre le monde physique et onirique s’estompe. Nos intentions modèlent aussi bien le rêve que la réalité, à rebours du temps. Notre conscience extratemporelle relie deux événements, onirique et physique, par le biais de synchronicités qui, comme on l’a vu, ont une signification au sens informationnel. Se souvenir du futur, c’est donc un acte de création d’un nouvel avenir ?

Dans les chamanismes, il n’y a pas de réelle frontière, en tout cas de rupture, entre le monde physique et les mondes oniriques, le monde de l’au-delà, des esprits, etc. Ces mondes forment un continuum et la notion unificatrice moderne est celle d’information. À l’échelle infinitésimale, la matière se réduit à de l’information. Or, l’information est aussi le “matériau” de la conscience.

Si tout est conscience, alors en effet la conscience crée le monde tel qu’il apparaît, et chacun de nous, en tant qu’individu conscient, contribue à cette co-création. Si la réalité matérielle est “comme un rêve”, alors il n’est pas surprenant qu’on puisse la modeler par la conscience comme dans un rêve lucide.

Nous co-créons le monde collectivement, et si nous ne le faisons pas consciemment, alors nous le faisons inconsciemment, ce qui revient à attirer à nous le produit de nos peurs : guerres, épidémies, destructions, etc.

Notre réflexion invite à reprendre le contrôle sur ce processus pour ne pas se laisser gouverner par nos peurs inconscientes. 


L’IMPORTANCE DE LA CONSCIENCE COLLECTIVE : VERS UN NOUVEAU FUTUR GLOBAL

Jusqu’ici, on a surtout parlé des intentions personnelles d’un individu. Or, la conscience est une, et tu dis toi-même qu’elle n’existe qu’au singulier. Si l’on a dans la vie quotidienne l’impression que la nôtre est isolée, c’est parce qu’elle semble incarnée, soumise au mental d’un être singulier. Mais l’expérience de la transe nous révèle son caractère collectif. En transcendant les limites de l’ego, on s’aperçoit que le “je” disparaît au profit du tout. Partant de là, comme on l’a vu, il est essentiel de penser la conscience non plus seulement dans un but utilitaire qui nous permettrait de réaliser nos rêves personnels, mais plutôt comme un acte de création collectif qui nous serait bénéfique à tous. Juste afin d’étayer cette idée, j’aimerais rappeler cette histoire de séries de crash aériens, qui m’a fait forte impression. En 2014 par exemple, on recense pas moins de 16 catastrophes aériennes, ce qui est hautement improbable. Comment cela s’explique t-il ? Par un phénomène de co-création collective, réalisé de manière inconsciente. La médiatisation du premier crash attire l’attention collective. Quand elle constate un second crash, elle participe aux phénomènes improbables qui sont à son origine. Ce genre d'événements négatifs et traumatisants, en engendrant une sidération collective très forte, focalise l’attention tout en dézinguant notre libre arbitre, paralysant au passage la conscience collective. Mais que se passerait-il si nous étions capables de co-créer une réalité meilleure, en potentialisant volontairement, tous ensemble, des futurs alternatifs positifs ? Ça fait peur, en fait, parce que la crise du climat, qui est très réelle, ne nous incite pas à croire en un futur où l’humanité et la planète seraient sauves. J’ai entendu parler de la masse critique, ce pourcentage d’humanité qui pourrait faire basculer le monde dans le bon sens, mais je me dois d’être honnête : j’ai bien peur de participer moi-même à l’arrivée de la catastrophe, tant j’ai du mal à croire en la possibilité d’un avenir où on s’en sortirait. Comment faire pour recommencer à y croire ? Comment vaincre le conditionnement de la peur, quand toutes les études montrent que la situation est désespérée ? Et si on parvient à rêver d’un futur meilleur, comment agir tous ensemble pour le faire advenir dans le réel ?

Je pense que j’ai anticipé ces questions et déjà répondu en grande partie, mais on peut toujours reformuler les choses.

Le premier élément est d’accepter que l’avenir de l’humanité, de la Terre, de la biodiversité, etc., est une question qui nous dépasse en tant qu’individu. On ne peut agir qu’à sa propre échelle et essayer d’avoir des actions vertueuses en pariant sur l’exemplarité, c’est-à-dire montrer l’exemple sans se croire exemplaire. L’espoir, l’optimisme, ne peut venir que d’un abandon : celui de croire que je dois sauver le monde ou l’humanité.

En second lieu, il ne faut pas croire que “c’était mieux avant”. Le 20e siècle a été le théâtre de deux guerres mondiales et de guerres régionales qui ont tué environ 40 millions de militaires et un nombre indéterminé de civils, 200 millions selon certaines sources. Le monde n’a jamais été un champ de roses, c’est plutôt des rivières de sang à toutes les époques. L’humanité est résiliente, et la nature l’est encore plus.

La crise climatique, la biodiversité menacée, les inégalités croissantes, etc., sont largement dues à un modèle fondé sur la compétition entretenu par certaines élites qui en tirent profit. Je ne souscris pas, de façon générale, aux théories du complot parce que tout ceci se déroule à ciel ouvert. Simplement, il n’y a rien d’évident à mettre en place des alternatives au capitalisme ultra-libéral prédateur et destructeur. Les solutions ne peuvent pas être de revenir en arrière avec des modèles fondés entièrement sur la décroissance, même si des initiatives locales sont salutaires.

Je crois à la possibilité d’émergence de technologies disruptives, comme la fusion nucléaire qui est non-polluante, pour sortir de la dépendance aux énergies carbonées. Ce serait un bon début pour soigner la Terre et construire un nouveau monde.

Ma conclusion est de faire en sorte d’attirer à soi son meilleur futur qui est en même temps le meilleur futur pour l’humanité et la planète, grâce aux mécanismes évoqués dans cette discussion. Mais de ne pas se préoccuper de ce que font ou pensent les autres, en les accusant constamment de ne pas être assez comme ceci ou comme cela. De ce point de vue, on n’a pas à se dire qu’il faut agir “tous ensemble”. J’agis à mon échelle, à mon niveau, et tant mieux si je peux inspirer d’autres personnes. Je me laisse traverser par une force qui me dépasse, qui est fondamentalement une énergie d’amour, en étant présent à chaque instant dans la simplicité.

Encore un paradoxe, mais la simplicité est la clé, même quand on s’intéresse à des questions parfois très complexes en science et en philosophie. Si je vis simplement, avec bienveillance et respect, et que le monde s’effondre malgré tout, alors ça ne sera pas de ma faute !

Se changer soi-même c’est changer le monde parce qu’on se change en tant qu’individu, et donc en tant que consommateur et citoyen.

Sur ce dernier aspect, on cesse d’attendre des politiques ou des élites en général qu’ils soient des sauveurs. Le salut est en chacun de nous. Alors salut !  


POUR ALLER PLUS LOIN…

Les sites internet :

Le site de Jocelin Morisson où vous trouverez ses livres, ses articles et son actualité.

Le site de la revue Natives dont Jocelin Morisson est le rédacteur en chef.

Le site de l’INREES, Institut de Recherche sur les Expériences Extraordinaires.

Quelques ouvrages écrits par Jocelin Morisson :

Se souvenir du futur, co-écrit avec Romuald Leterrier.

La physique de la conscience, co-écrit avec Philippe Guillemant.

Expériences hors du corps

Tout est relié, co-écrit avec Romuald Leterrier.

Le super bonus :

Synchronicity, magnifique coffret de cartes illustrées qu’on peut utiliser comme oracle ou comme jeu, afin de s’amuser à créer des synchronicités dans sa vie ! Imaginé par Romuald Leterrier et Philippe Deweys.


Les liens Amazon de la page sont affiliés. Pour tout achat via ces liens, le blog perçoit une petite commission.
Ainsi vous contribuez sans effort à la vie de ce blog, en participant aux frais d'hébergement.


See this gallery in the original post